Nous y voilà. Au pied du mur. Bien plus vite que prévu. L’Organisation météorologique mondiale a alerté fin mai sur le risque que la température mondiale moyenne annuelle dépasse temporairement de +1,5 °C le niveau préindustriel dans les cinq ans à venir. Cette probabilité a été multipliée par deux en seulement un an. Or, en 2015, le monde s’engageait, lors de l’accord de Paris, à limiter le réchauffement à +2 °C, si possible à +1,5 °C, sans réussir à infléchir la courbe jusqu’ici. L’année 2020 a, elle, déjà dépassé ce niveau préindustriel de +1,2 °C.
C’est au tour des scientifiques du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (Giec, IPCC en anglais) de noircir leurs prévisions. Dépasser seulement +1,5 °C pourrait déjà entraîner « progressivement, des conséquences graves, pendant des siècles, et parfois irréversibles », alertent-ils dans leur futur rapport encore en discussion, dont l’AFP a eu la teneur avant sa parution prévue en février 2022. « Si la vie sur Terre peut se remettre d’un changement climatique majeur en évoluant vers de nouvelles espèces et en créant de nouveaux écosystèmes (…), l’humanité ne le peut pas », résument-ils demandant un changement de paradigme dans la lutte contre le réchauffement.
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Des premières données laissent poindre des zones de la planète non viable pour l’humanité. Les 35 °C de « température du thermomètre mouillé » ou « température humide » – écrit 35°TW pour wet temperature – ont été par deux fois atteints dans le Golfe Persique comme l’a révélé l’étude « L’émergence d’une chaleur et d’une humidité trop fortes pour la tolérance humaine » de Colin Raymond, climatologue au Jet Propulsion Laboratory de la Nasa, parue dans Science Advances en mai 2020, et portée au rapport du Giec.
Quand il est difficile de suer
« L’expression est due à la vieille méthode de mesure qui consistait à entourer d’une mousseline mouillée le thermomètre pour mesurer l’évaporation de l’eau et la température correspondante », explique Samuel Morin, directeur du centre national de recherches météorologiques (CNRS-Méteo-France. « Quand l’air est saturé en eau, il ne peut pas en absorber plus, cela joue sur la sudation. Les humains ont alors moins la capacité de suer et ne peuvent donc pas évacuer la chaleur accumulée dans le corps », poursuit Samuel Morin.
De nombreux dépassements de 31°TW et 33°TW, ont été enregistrés ces dernières années. C’est dans les zones subtropicales, le long des côtes – notamment la côte orientale de l’Inde, le Pakistan et le nord-ouest de l’Inde, les rives de la mer Rouge, le golfe de Californie et le sud du golfe du Mexique –, que l’on trouve le cocktail propice à ces chaleurs humides extrêmes, à savoir la conjugaison d’une chaleur continentale intense et des températures de surface de la mer extraordinairement élevées.
Des chaleurs humides mortelles
Certes, ces conditions extrêmes n’ont été que temporaires. Elles n’ont duré qu’une heure ou deux la plupart du temps. Mais si elles se prolongent, les corps étant alors dans l’incapacité de se refroidir, elles deviennent mortelles. Elles « approchent ou dépassent la tolérance physiologique humaine », précise Colin Raymond.
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De tels extrêmes n’avaient pas été envisagés avant le milieu du siècle. D’ores et déjà, la fréquence des pics de chaleur humide a plus que doublé en quarante ans. En 2015, deux canicules à 30°TW avaient fait plus de 4 000 morts en Inde et au Pakistan. Ce seuil n’avait pas été atteint lors de la canicule de 2003 qui fit 50 000 morts en Europe. Samuel Morin le confirme « C’est une préoccupation de plus en plus forte ».
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L’urgence d’agir
Ce qui nous attend si des mesures drastiques ne sont pas prises :
Pénuries d’eau : 350 millions d’habitants supplémentaires seront exposés aux pénuries d’eau à +1,5 °C.
Canicules extrêmes : 420 millions de personnes de plus seront menacées à + 2°C
Faim : jusqu’à 80 millions de personnes auront faim, d’ici à 2050, en plus des 166 millions qui ont déjà besoin d’assistance alimentaire du fait des désastres climatiques.
Submersion : Dans les villes côtières, « en première ligne » du réchauffement, des centaines de millions d’habitants seront menacées en 2050, du fait de la hausse du niveau des mers (+ 60 cm d’ici à la fin du siècle à + 2°C).
Catastrophes : Presque toutes les zones côtières et plusieurs régions du monde risquent des catastrophes météo simultanées (canicule, sécheresse, cyclone, incendies, inondation…).
Migrations : jusqu’à 143 millions de déplacés en 2050 en Afrique subsaharienne, Asie du Sud et Amérique latine en raison de pénuries d’eau, de la hausse du niveau des mers, de la pression sur l’agriculture, etc.
Nature en perdition : au-delà de + 2°C, jusqu’à 54 % des espèces terrestres et marines pourraient être menacées de disparition d’ici à la fin du siècle.