Justice et Paix

" Je suis homme, l'injustice envers d'autres hommes révolte mon coeur. Je suis homme, l'oppression indigne ma nature. Je suis homme, les cruautés contre un si grand nombre de mes semblables ne m'inspirent que de l'horreur. Je suis homme et ce que je voudrais que l'on fit pour me rendre la liberté, l'honneur, les liens sacrés de la famille, je veux le faire pour rendre aux fils de ces peuples l'honneur, la liberté, la dignité. " (Cardinal Lavigerie, Conférence sur l'esclavage africain, Rome, église du Gesù)

 

NOS ENGAGEMENTS POUR LA JUSTICE T LA PAIX
S'EXPRIMENT DE DIFFÉRENTES MANIÈRES :

En vivant proches des pauvres, partageant leur vie.
Dans les lieux de fractures sociales où la dignité n'est pas respectée.
Dans les communautés de base où chaque personne est responsable et travaille pour le bien commun.
Dans les forums internationaux pour que les décisions prises ne laissent personne en marge.

Dans cette rubrique, nous aborderons différents engagements des Missionnaires d'Afrique, en particulier notre présence auprès des enfants de la rue à Ouagadougou et la défense du monde paysan.

 

Travail des enfants: «Ils portent des sacs lourds dix heures par jour»

La pandémie oblige des millions d'enfants à travailler.

La pandémie oblige des millions d'enfants à travailler.
 © Reuters

Samedi 12 juin, c'est la Journée mondiale contre le travail des enfants, journée organisée sous l'égide des Nations unies. Il y a trois jours l’Unicef et l’Organisation internationale du travail pointaient dans un rapport l'augmentation du nombre d’enfants contraints de travailler dans le monde à cause des effets de la pandémieLes ONG de défense des droits des enfants alertent sur les conséquences physiques, sanitaires et économiques de ces formes d’exploitation pour les mineurs.

La majorité d’entre eux a entre 5 et 11 ans. Selon un rapport publié par l’Unicef et l’Organisation Internationale du Travail (OIT) jeudi 10 juin 2021, 160 millions d’enfants sont forcés de travailler dans le monde. Et ce nombre ne ferait que croître, sous l’effet de la pandémie. Le travail des enfants risque de toucher neuf millions d’enfants supplémentaires d'ici à 2022, voire 46 millions, selon le modèle de simulation de l’Unicef. Les bouleversements économiques en 2020 et 2021 ont poussé des millions d’entre eux à quitter prématurément les bancs de l’école. « Leurs parents ont perdu leurs boulots ou n’arrivaient pas à vendre des biens. Parfois les enfants les ont vu batailler pour acheter de la nourriture. Pour eux, c’était évident qu’ils devaient travailler pour que leurs familles survivent », constate Jo Becker, chargée du droit des enfants à Human Rights Watch.

Entre janvier et mai 2021, des chercheurs d’Ouganda, du Népal et du Ghana ont interrogé plus de quatre-vingts enfants travailleurs pour l’ONG, qui a également publié un rapport dans la foulée. « À cause de l’épidémie, les écoles ont dû fermer. Beaucoup n’avaient alors plus accès au repas gratuit du midi. Et s’ils n’avaient pas d'enseignement à distance, certains se sont dit qu’il valait mieux travailler plutôt que de ne rien faire à la maison. » Selon Jo Becker, les enfants travailleurs sont en grande partie « des enfants pauvres, migrants ou marginalisés » et habitent principalement en Afrique subsaharienne, au Moyen-Orient et en Asie. La majorité d’entre eux travaille dans l’agriculture (70%), dans le secteur des services (20%) et une plus faible partie dans l’industrie (10%).

Inhalation de produits toxiques

« Ils vont vendre de la nourriture dans la rue, tissent des tapis dans les usines, ramassent de l’or dans les mines », dépeint l’humanitaire. Et cela dans des conditions de travail souvent déplorables : « Certains tapent les pierres sur le gravier avec des marteaux dans les carrières. Ils risquent de se prendre des morceaux dans les yeux. De jeunes garçons portent aussi des charges très lourdes sur des chantiers, et ça dix heures par jour », déplore Jo Becker.

Rien de neuf en soi, car les ONG s’en font l’écho depuis longtemps. Déjà en 2013, Human Rights Watcha alertait dans un rapport sur le cas des enfants extracteurs d’or : « [Ils] risquent des blessures du fait d'éboulement de galeries et d'accidents dus aux outils, ainsi que des problèmes de santé à long terme causés par l'exposition au mercure, l'inhalation de poussières et le port de lourds fardeaux. »

Le mélange du mercure avec du minerai, qu’ils brûlent ensuite pour récupérer l’or, est, selon l’ONG, la « méthode la plus simple et la moins chère dont [les travailleurs] disposent. » Or, il s’agit d’« une substance toxique qui s’attaque au système dangereux central »dénonce l’organisation. « Vieillissement précoce, malnutrition, dépression et dépendance aux drogues... »

Les conséquences sont telles que des responsables politiques, comme Dominique Ouattara, Première dame de Côte d’Ivoire et membre du Comité national de surveillance des actions de lutte contre la traite, l’exploitation et le travail des Enfants (CNS), en ont fait leur cheval de bataille auprès de la presse et des organisations étrangères.

79 millions d’enfants réalisent des travaux dangereux

Selon le rapport publié jeudi 10 juin 2021, la moitié des 160 millions d’enfants exploités réalise quotidiennement des travaux dangereux, définis par l’Unicef comme « un travail susceptible de nuire à leur santé, leur sécurité ou leur développement moral. »

Les deux organisations ont ainsi constaté une augmentation de 6,5 millions d’enfants travaillant dans des conditions dangereuses par rapport à 2016, ce qui représente 79 millions de mineurs dans le monde.

Les petites filles en subissent encore plus les frais : « Quand les écoles ont fermé, certaines ont dû s’occuper de leurs frères et sœurs ou faire le ménage dans les maisons. Elles sont moins payées que les garçons et parfois confrontées à des violences sexuelles »relève Jo Becker. « [Ces violences] sont sources de grossesses précoces et de contraction de maladies sexuellement transmissibles comme le VIH/Sida », a souligné le réseau d’ONG Plan International en 2019.

Les conséquences les plus graves pour ces enfants sont à long-terme : « Plus ces enfants sont hors du cadre scolaire, moins ils auront de chance d’y retourner. Dans certains cas, même quand les écoles ont rouvert, les enfants continuent de travailler, car leur famille a encore besoin d’eux pour payer la nourriture, les frais scolaires ou les dettes »poursuit-elle.

Marion Libertucci, responsable du plaidoyer pour Unicef France, parle d’un « cercle vicieux de la pauvreté : ces enfants n’auront pas les moyens d’accéder plus tard à des activités qui leur permettent d’avoir des revenus décents. »

►À lire aussi : Une «urgence éducative mondiale»: l'Unicef et l'Unesco tirent la sonnette d’alarme

« Le travail des enfants n’est pas une répercussion inévitable de la pandémie »

Alors que la pandémie a laissé orphelins des milliers d’enfants, dont une grande partie doivent désormais subvenir aux besoins de leur famille, les ONG implorent les gouvernements de réagir. « Avant le Covid-19, beaucoup avaient fait des progrès sur la question. De 2000 à 2016, le taux d’enfants contraints de travailler avait diminué de 40%, relate Joe Becker. C’était 90 millions d’enfants en moins. » Mais l’arrivée du virus a déclenché en un effet boule de neige : fermeture des écoles, des commerces et ralentissement des économies mondiales. Entraînant des millions d’enfants et de parents dans une situation d’extrême pauvreté. « C’est une pression considérable. Dans certains pays, le nombre d’enfants travailleurs était déjà énorme, comme en Inde. Avec les cas exponentiels de Covid, ce problème va devenir vraiment inquiétant », s’alarme-t-elle.

► À lire aussien Inde, l'Unicef alerte sur le drame des orphelins du Covid

Pour stopper ce fléau, Human Rights Watch, tout comme l’Unicef et l’OIT, préconisent la mise en place de transferts d'espèces à destination des familles défavorisées. Il s’agit d’apporter un complément de revenu chaque mois aux familles les plus vulnérables. Une étude réalisée en 2020 par la fondation ICI (Initiative internationale sur le cacao), a néanmoins montré que « l’utilisation de ces transferts pour augmenter les revenus des ménages ne se traduit pas automatiquement par une réduction du travail des enfants. »

Les auteurs notent que dans les cas où cela n’a pas fonctionné, ces envois d’argent « étaient trop faibles pour couvrir les frais scolaires. » Dans d’autres cas, « les familles ont investi l’argent dans des fermes ou des entreprises familiales, ce qui a nécessité un soutien supplémentaire de la part des enfants. »

►À lire aussi : Coronavirus: la pandémie s'accompagne d'une augmentation de la malnutrition des enfants

Les trois ONG de défense du droit des enfants préconisent en outre le déploiement de campagnes destinées à attirer de nouveau les enfants à l’école, la mise en place de systèmes de protection sociale, 4 milliards de personnes sont vulnérables aux chocs, selon l’OIT et l’Unicef, le renforcement de l’inspection du travail. Avec en vue l’objectif de l’OIT d’éradiquer d’ici 2025 toutes les formes de travail des enfants.

Massacre de Solhan: la piste jihadiste se confirme

L'attaque de Solhan, la plus meurtrière au Burkina Faso depuis 2015, fait la Une de «L'Observateur Paalga». Ouagadougou, le 7 juin 2021.
L'attaque de Solhan, la plus meurtrière au Burkina Faso depuis 2015, fait la Une de «L'Observateur Paalga». Ouagadougou, le 7 juin 2021. AFP - OLYMPIA DE MAISMONT

Près de 72 heures après le massacre de Solhan dans l'est du Burkina Faso, aucune revendication n'a encore été diffusée. Mais deux groupes jihadistes opèrent dans la zone. 

Le village Solhan, où a eu lieu l'attaque la plus meurtrière que le Burkina Faso a connue depuis six ans, est situé juste au sud de la zone dite des « trois frontières ». Cette région où se rejoignent le Mali, le Burkina Faso et le Niger a été ces dernières années le théâtre de nombreuses exactions envers les populations civiles, mais aussi d'affrontements avec les forces antiterroristes.

L'organisation État islamique au Grand Sahara (EIGS) en avait été chassée au cours de l'année 2020 par le Groupe de soutien à l'islam et aux musulmans (GSIM, affilié à al-Qaïda) à l'issue d'intenses combats. Mais depuis quelques semaines, des signes montrent que l'EIGS fait son retour dans la région. En témoignent les cas de trois civils accusés de vol et amputés chacun d’un pied et d’une main par les jihadistes près de la localité d’Ansongo au Mali, au début du mois de mai.

Les méthodes de l’organisation État islamique sont souvent expéditives. Les massacres perpétrés au Tillabéry au Niger où au moins 58 personnes sont mortes dans une attaque terroriste près de Banibangou en mars dernier en sont un terrible exemple.

La piste d'un retour vengeur de l'EIGS dans la zone est donc envisagée par certains spécialistes qui signalent des mouvements de ce groupe venu du sud et de la frontière béninoise, où ils s'étaient réfugiés. Si le massacre de Solhan ressemble aux méthodes de l'organisation État islamique, celle-ci aurait démenti en être responsable, indique une ONG implantée localement.

Les Volontaires pour la défense de la patrie ciblés

D’autres observateurs défendent une deuxième hypothèse. Selon eux, c’est un camp de VDP, les Volontaires pour la défense de la patrie, qui a été visé par les jihadistes. Ces supplétifs ont été mis en place pour appuyer l'armée dans la lutte antiterroriste. Leur mission : « servir d'agents de renseignement », et tenter aussi de « résister en cas d'attaque », en attendant l'arrivée de l'armée. Le camp de Solhan est le dernier de ce genre dans la zone, où il ne reste également qu'un bataillon de l'armée, à Sebba.

Selon l’un de nos interlocuteurs, « ce camp de VDP était ciblé par certains membres du GSIM, ceux de la Katiba Serma et d’Ansarul Islam »Un autre spécialiste ajoute que« cela fait suite à la participation de ces VDP dans différentes opérations militaires conjointes avec l'armée burkinabè ». Les assaillants auraient attaqué directement le camp, puis poursuivi ses membres sur le site d'orpaillage, où les mineurs et les civils auraient été mêlés aux tirs, expliquant le nombre impressionnant de décès (au moins 138 selon le bilan officiel, 160 d'après des sources locales).

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Dans un communiqué publié le 8 juin par la cellule de communication du JNIM, Zalaqa, le groupe jihadiste dément avoir commis le massacre de Solhan. Le groupe armé condamne un massacre qui «n’a rien à voir avec l’islam dans le Jihad et le combat au nom de Dieu». Ce démenti présente même ses «condoléances les plus attristées aux familles des victimes». L'autre groupe jihadiste qui opère dans la zone, l'Etat Islamique n'a lui pas encore communiqué.

Dans un communiqué publié le 8 juin par la cellule de communication du JNIM, Zalaqa, le groupe jihadiste dément avoir commis le massacre de Solhan. Le groupe armé condamne un massacre qui « n’a rien à voir avec l’islam dans le Jihad et le combat au nom de Dieu ». Ce démenti présente même ses « condoléances les plus attristées aux familles des victimes ». L'autre groupe jihadiste qui opère dans la zone, l'État Islamique n'a lui pas encore communiqué.

Mines d’or fermées

La zone est en effet connue pour ses nombreuses mines d'or, exploitées artisanalement par des mineurs venus de tout le pays. « Solhan est un gros village, il y a beaucoup de personnes qui y habitent à cause de l’or, plus de 30 000 personnes, indique le maire de Sebba, Hamadi Boubakar. Les personnes qui ont été attaquées viennent d’un peu partout de la province. Il y a même des gens de Bouri, chef-lieu de la région, il y a des gens de Sebba, il y a des gens de villages environnants. Il y a plusieurs nationalités ».

Le pillage serait-il un autre mobile pour l’attaque de Solhan ? Selon une étude menée par l’Observatoire économique et social du Burkina (OES), depuis 2016, les terroristes ont récolté plus de 140 millions de dollars (soit environ 70 milliards francs CFA) dans les attaques contre les mines et l’exploitation artisanale de l’or.

Dans un communiqué publié le 6 juin, le gouverneur de la région du Sahel, le colonel major Salfo Kaboré annonce « la fermeture de tous les sites aurifères artisanaux » des provinces de l’Oudalan et du Yagha.

Niger: deux ressortissants chinois enlevés dans l’ouest du pays

Le village nigérien de Mbanga ou les deux ressortissants chinois ont été enlevés le 7 juin est située dans la zone des trois frontières.
Le village nigérien de Mbanga ou les deux ressortissants chinois ont été enlevés le 7 juin est située dans la zone des trois frontières. © Google Maps

Deux ressortissants chinois ont été enlevés, dimanche 6 juin au soir, sur un site d'orpaillage dans l'ouest du Niger, dans le village de Mbanga. C’est la première fois que des Chinois sont enlevés dans cette région frontalière du Burkina Faso. Ce lundi soir, les recherches n'avaient encore rien donné.

Avec notre correspondant à Niamey, Moussa Kaka

Il s'agit de deux techniciens chinois de la société Comeren qui exploite l'or dans l'est du pays. Ils ont été enlevés dans la nuit tout près du village de Mbanga, dans leur base située sur l'affluent Sirba du fleuve Niger, non loin de la frontière du Burkina Faso. La Sirba est une zone riche en or où les dernières attaques remontent à une dizaine de jours.

Selon des sources sécuritaires bien informées, les techniciens chinois qui étaient sept au départ de Niamey ont été officiellement informés des risques d'enlèvement qu'ils courent en allant dans cette zone rouge en plein état d'urgence, où aucun engin à deux roues et aucun véhicule non autorisé ne peut circuler.

Malgré les mises en garde des services de sécurité, seulement quatre techniciens ont rebroussé chemin. C'est en contournant les postes contrôles avec leur guide et sans escorte militaire que les trois Chinois se sont retrouvés dans la zone aurifère de la Sirba.

En attaquant leur base-vie, les assaillants ont enlevé deux techniciens chinois, le troisième a réussi à se cacher dans les buissons avoisinants. Il a été retrouvé sain et sauf par une patrouille de forces spéciales. C'est la première fois que des ressortissants chinois sont enlevés dans l'ouest du pays.

Télécoms : quand l’indien Airtel reprend goût à l’Afrique

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En 2021, l’ouverture du capital d’Airtel Money a permis de lever 300 millions de dollars.

En 2021, l'ouverture du capital d'Airtel Money a permis de lever 300 millions de dollars. © Luis Tato/Bloomberg via Getty

Renfloué et doté d’un plan stratégique clair, l’opérateur du milliardaire Sunil Mittal confirme ses bons résultats et ses ambitions, notamment dans le domaine des services financiers.

Depuis fin 2020, les langues se délient chez Airtel Africa. S’il n’est pas encore possible de s’entretenir officiellement avec ses dirigeants, ils sont quelques-uns à avoir pris le parti de la confidence.
Leur groupe est résolu à demeurer un acteur panafricain de taille sur le marché des télécoms. « Je ne reste pas deux ou trois jours sans qu’un investisseur anonyme me sollicite via des sociétés de conseil pour échanger sur le mobile money en Afrique », confie l’un d’eux.

Très endettée après le rachat de Zain en 2010, la filiale africaine de l’opérateur indien Bharti Airtel n’a jamais pu mettre en place sa stratégie d’opérateur low cost.

Ses difficultés financières, conjuguées à un durcissement de la concurrence sur le marché indien pour sa maison mère, ne lui ont pas permis d’investir autant que souhaité. Au cours des dernières années, le groupe a entretenu un doute auprès des observateurs sur sa volonté de se maintenir sur les marchés africains.

Onze ans après son arrivée sur le continent, le quatrième opérateur panafricain en nombre de clients (plus de 118 millions) entend désormais revenir sur le devant de la scène grâce à ses services financiers.

Ouverture du capital

Quelques semaines avant que MTN ne lui emboîte le pas, Airtel Africa dirigé par Raghunath Mandava – 3,9 milliards de dollars de chiffre d’affaires sur l’exercice clos en mai 2021 – a annoncé fin mars l’arrivée de l’investisseur américain The Rise Fund au capital d’Airtel Money. La filiale a également accueilli Mastercard à son tour de table, qui a apporté 100 millions de dollars.

Cette première ouverture du capital a permis de mobiliser 300 millions de dollars (247 millions d’euros environ) afin de développer le réseau de distribution de ses solutions de paiement (via des agents, des kiosques ou des partenaires affiliés), de microcrédit, d’épargne et de transfert de fonds à l’international.

Déjà présent dans quatorze marchés où il a réalisé un chiffre d’affaires de 401 millions de dollars (+35 % en taux de change constant) sur l’exercice clos en mai 2021, Airtel Money est l’un des principaux leviers de croissance de l’opérateur, détenu à 64 % par le milliardaire indien Sunil Mittal. Longtemps accusé de mobiliser des fonds destinés initialement au marché indien, Airtel Africa semble pouvoir enfin prétendre à une certaine émancipation financière dans la gestion de son développement.

Ventes à Madagascar et au Malawi

Outre les liquidités apportées par la valorisation du mobile money, le groupe a bouclé fin avril une facilité de prêt à hauteur de 500 millions de dollars. Parmi les investisseurs, figurent Bank of America, HSBC, Citibank ou encore JP Morgan et la BNP.

Cette somme vient s’ajouter aux fonds récupérés par la cession de 4 500 de ses tours télécoms à Helios Towers. Le 23 mars, Airtel a ainsi confirmé la vente à la société britannique de ses infrastructures sur les sites de Madagascar et au Malawi, pour environ 108 millions de dollars.

Selon nos informations, la transaction définitive doit intervenir entre octobre et décembre, et comprendre également la cession de ses tours au Gabon, au Tchad, et « si tout se passe bien » en Tanzanie. L’opération est estimée au total à 600 millions de dollars.

En quelques mois, 1,3 milliards de dollars auront ainsi été réunis par le groupe qui emploie plus de 3 000 personnes. « Cette somme devrait être réinvestie dans le déploiement du réseau 4G et l’accélération des services aux entreprises. Une part devrait être allouée à l’allègement de la dette », indique notre source interne sans dévoiler de chiffres précis.

Stratégie inédite

Réduire la dette de 3,5 milliards de dollars (2,1 fois son excédent brut d’exploitation), qui stagne depuis deux ans, sera l’une des priorités du mandat du Nigérian Olusegun Ogunsanya, premier Africain nommé fin avril à la tête d’Airtel Africa, qui prendra ses fonctions le 1er octobre.

Objectif : retrouver la confiance des marchés alors que le titre stagne autour de 70 livres à la Bourse de Londres depuis la cotation de 25 % du groupe en juin 2019. Airtel Africa connait davantage de succès sur la place de Lagos où son titre a vu sa valeur multipliée par 2,5 en un an (837 nairas le 5 mai).

Début 2019, la piste d’une simplification du portefeuille de l’opérateur semblait sérieuse avec notamment des rumeurs de cession des activités nigériennes et tchadiennes – jamais confirmées.

Deux ans plus tard, il semble qu’Airtel soit encore convaincu de pouvoir y trouver de la croissance. Mais l’opérateur va-t-il tenir cette ligne alors qu’une dégradation de la sécurité dans la zone, redoutée après le décès du Président Déby, pourrait freiner le déploiement de la 4G ?

Sur ce segment, en croissance cumulée de 31 % pour l’exercice clos en mai 2021 (plus d’un milliard de dollars de CA), le groupe suit une stratégie inédite déjà éprouvée en Inde : installer la technologie coûte que coûte dans des zones jugées porteuses, en espérant que le client suive. Pour cela, Airtel travaille avec les équipes de Facebook et Google Maps, qui partagent les données de connexion des utilisateurs afin de modéliser le plus précisément possible les zones géographiques pertinentes à couvrir.

« Nous avons maintenant beaucoup de pays où notre empreinte 4G est de 100 % comme l’Ouganda, le Malawi et la Zambie. Nous sommes proches du but au Nigeria. Au total en Afrique, 95 % de notre réseau est de type 3G et 76 % de type 4G. Il nous reste environ un exercice financier pour porter le taux de 4G à plus de 90 % », indiquait fin mars Razvan Ungureanu, directeur de la technologie d’Airtel Africa à la presse britannique.

Des projets parasites

« Segun » Ogunsanya héritera d’un opérateur également plus concentré sur ses marchés existants. Dossier qui a longtemps capté l’énergie de la direction de la réglementation : la fusion d’Airtel avec Telkom au Kenya, conçue pour secouer la toute-puissance de Safaricom, et connue pour être une lubie de Sunil Mittal, a définitivement été enterrée, malgré un ultime feu vert donné le 11 février par la Haute Cour du Kenya.

>>> À lire sur Jeune Afrique Business+ : La fusion Airtel-Telkom définitivement abandonnée au Kenya, malgré le feu vert de la Haute Cour

« Le projet a entamé le dynamisme d’Airtel qui perd de l’argent depuis plusieurs années au Kenya », déplore notre source.

Autre dossier abandonné, celui du rachat des 50,45 % que détenait Tigo dans sa coentreprise créé avec Airtel au Ghana. Alors que les équipes d’Airtel Africa travaillaient sur une due diligence depuis plusieurs mois, Sunil Mittal – qui espérait faire passer la coentreprise pilotée depuis l’Inde dans le giron africain – a été freiné dans ses ambitions fin octobre 2020 par les actionnaires du groupe indien qui ont finalement préféré céder les parts au gouvernement, le temps que ce dernier retrouve un candidat adéquat.

Débarrassé de ces projets jugés parasites par certains en interne, le groupe prépare son prochain coup. Galvanisé par l’engouement des investisseurs étrangers pour le continent champion du paiement mobile, Airtel Africa prépare l’introduction en bourse d’Airtel Money dans les quatre ans à venir. Peut-être à nouveau sur deux places financières simultanément ?

« Rien de clair sur ce point pour l’instant, mais cela fait partie des raisons qui poussent les investisseurs à venir. Certains d’entre eux espèrent se retirer par la suite en emportant leur cagnotte », confie notre contact, non sans un certain enthousiasme.

[Tribune] Quand entendrons-nous la jeunesse africaine ?

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Mis à jour le 31 mai 2021 à 16h12
 
 

Par  Khaled Igue

Président du Club 2030 Afrique, Young global leader, associé en charge de l'Afrique à B&A Investment Bankers

Manifestation des partisans du leader de l’opposition Ousmane Sonko, à la suite de son arrestation pour des agressions sexuelles, devant le tribunal de Dakar, le 8 mars 2021.

Manifestation des partisans du leader de l'opposition Ousmane Sonko, à la suite de son arrestation pour des agressions sexuelles,
devant le tribunal de Dakar, le 8 mars 2021. © Zohra Bensemra/REUTERS

 

Démographiquement majoritaires, les jeunes sont absents des instances dirigeantes du continent, et les leaders politiques ne pensent à eux que pour des intérêts électoraux. N’est-il pas temps de donner la parole à ces nouvelles générations ?

Instrumentalisée de longue date par ses dirigeants, la jeunesse africaine ne reste que trop faiblement écoutée et encore moins prise en considération dans l’agenda politique. Sa réduction au silence tient en un seul paradoxe : en Afrique, les jeunes incarnent la tranche de la population la plus importante en nombre et pourtant la moins représentée au pouvoir. Plus durement touchés que les autres par la crise économique liée à la pandémie, ils ont d’autant plus besoin d’être entendus, écoutés et impliqués pour prendre en main leur avenir.

Tel un doux refrain qui revient après chaque couplet, le sort de la jeunesse africaine est un sujet invariablement invoqué année après année, mandat après mandat, génération après génération, par les dirigeants du continent. Mais telle l’Arlésienne d’Alphonse Daudet, cette frange majoritaire de la population – 62 % de l’Afrique subsaharienne a moins de 25 ans – est servie uniquement dans les discours et jamais – ou presque – dans les faits.

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QUEL ÉTAT AFRICAIN PEUT SE TARGUER D’AVOIR LAISSÉ LE GOUVERNAIL À UN JEUNE DIRIGEANT ?

Argument électoral favori des candidats ou élus au pouvoir, l’avenir des jeunes Africains est devenu un « poncif dont abusent tous les responsables en mal de propositions politiques », pleure l’écrivain Mohamed Mbougar Sarr. « On parle beaucoup à la place des jeunes. Vante leurs vertus et courage. Salue leur héroïsme quand ils versent leur sang ou se révoltent à quelques occasions. Dessine pour eux des ambitions et des plans de carrière. Les incite à devenir des leaders, des guerriers, des militants. Mais les a-t-on une seule fois vraiment écoutés ? » La réponse tombe sous le sens de l’implacable réalité : contrairement à de nombreux pays comme l’Autriche, l’Estonie, la Finlande, la France, l’Ukraine, la Nouvelle-Zélande, le Costa Rica ou encore le Salvador, qui ont tous par le passé élu des trentenaires comme chancelier, premier ministre ou même président, quel État africain peut se targuer d’avoir laissé le gouvernail à un dirigeant qui n’ait pas plus de deux ou trois fois l’âge moyen de ses concitoyens et qui ne soit pas le produit d’un héritage paternel ?

Premières victimes de la crise économique

La tradition africaine, qui veut que la sagesse soit proportionnelle à l’âge, a bon dos. Un vieillard assis voit plus loin qu’un jeune debout, selon le proverbe burkinabé. Mais ce n’est pas une raison suffisante pour que de vieux – et riches – dirigeants décident unilatéralement de l’avenir de leur jeune – et pauvre – population. Absents des instances représentatives alors qu’ils sont majoritaires sur le terrain, les jeunes devraient être les premiers à pouvoir faire entendre leur voix, et encore plus en période de crise.

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PLUSIEURS GÉNÉRATIONS POURRAIENT ÊTRE SACRIFIÉES EN L’ABSENCE DE SOUTIEN

S’ils sont relativement épargnés par le virus – moins de 100 000 morts sur le continent plus d’un an après le déclenchement de la pandémie –, les moins de 25 ans sont en revanche les premières victimes des conséquences économiques de la crise. Alors que la croissance démographique africaine nécessite la création d’1,5 à 2 millions d’emplois par an, le recul de 3,7 % du PIB moyen devrait en détruire pas moins de 2 millions rien que pour la jeunesse. Et ce bond en arrière ne sera pas compensé par la reprise économique en 2021, estimée à 3 % seulement, loin des 6 à 7 % habituels. Cela signifie, alerte l’Agence française de développement (AFD), « qu’une ou plusieurs générations pourraient être sacrifiées » en l’absence de mesures de soutien et de relance massive.

Insurrection des jeunes Sénégalais

Trop souvent étouffé par leurs aînés ou – pire encore – par autocensure, la jeunesse africaine appelle au secours depuis déjà plusieurs années. On se souvient du Printemps arabe au début de la dernière décennie, qui a permis de destituer plusieurs chefs d’État autoritaires dans les pays du Maghreb et du Moyen-Orient. Mais aussi du mouvement Y’en a marre, en 2012, qui a provoqué le départ du président sénégalais Abdoulaye Wade, ou encore du « Balai citoyen » des jeunes Burkinabés en 2014, qui a mis un terme à trois décennies de règne de Blaise Compaoré.

Au Sénégal, où les moins de 20 ans représentent plus de la moitié de la population, il semblerait que le nouveau cri d’alarme des jeunes a, cette fois-ci, été entendu à temps par le pouvoir. Début mars, l’insurrection des jeunes Sénégalais a en effet suscité une réponse concrète du président Macky Sall, qui a décidé d’augmenter significativement les budgets dédiés à l’éducation, à la formation, à l’emploi, au financement de projets et au soutien à l’entrepreneuriat des jeunes. Au total, le chef de l’État a promis 675 millions d’euros sur trois ans, « point de départ » à cette nouvelle politique de soutien. Il a également annoncé le recrutement de 65 000 jeunes pour des « activités d’éducation, de reforestation, d’hygiène publique ou d’entretien des routes ». Signe du mouvement d’ouverture, le président sénégalais a aussi invité, le 22 avril, plusieurs représentants de la jeunesse ainsi que des syndicats professionnels, formateurs, structures de financements et partenaires privés autour d’un Conseil présidentiel consacré à la question de l’emploi et de l’insertion des jeunes au Sénégal. Permettre aux jeunes de faire entendre leur voix afin de décider de la voie à suivre pour leur pays : rien de plus simple, et pourtant cela reste à ce jour assez exceptionnel pour être souligné.

Internet véritable contre-pouvoir

Sans représentation significative dans les institutions africaines, comment espérer que la jeunesse, pourtant largement majoritaire au sens démographique, bénéficie de politique favorable à son épanouissement ? Si la réponse est dans la question, on peut s’en convaincre en s’inspirant de l’exemple gabonais dans les années 70. À l’arrivée d’Omar Bongo en 1967, le pays a formé sa propre jeune classe dirigeante qui a obtenu des résultats concrets pour moderniser le pays. À l’inverse, la situation de l’Ouganda, l’un des pays les plus pauvres au monde, est préoccupante. Près de 80 % de la population est née après la prise du pouvoir par l’actuel président Yoweri Museveni en 1986. Heureusement, avec l’avènement d’internet et des médias sociaux, la jeunesse africaine a désormais accès à une fenêtre ouverte en grand sur le monde et sur les possibilités qui lui sont offertes. Véritable contre-pouvoir, ces outils d’information et de communication ont, parfois, permis d’intervenir directement sur la politique nationale, comme lors du Printemps arabe ou de l’élection présidentielle béninoise en 2016, couverte en ligne par l’Association des blogueurs du Bénin. Il y a une soixantaine d’années, cette même jeunesse avait impulsé le mouvement libératoire de décolonisation en Afrique. Comment ne pas lui permettre de prendre en main son avenir ?