Vu au Sud - Vu du Sud

[Tribune] Quand les produits tropicaux
portent leurs fruits économiques

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Ancien de McKinsey et de l’AFD, associé d'Okan, société de conseil en stratégie et en finance dédiée à l’Afrique.

Pour Amaury de Féligonde (Okan) et Clément Chenost (Moringa-Edmond de Rothschild), la vogue des produits « bons, sains et responsables » représente une chance pour le continent.

Six heures du matin, dans le sud du Mali. Ahmadou soigne ses manguiers alors que la récolte vient de débuter. À la même heure, à Paris, Paul entame son petit déjeuner et fait le plein de vitamines en buvant un jus de mangue bio certifié. Ce désir du consommateur occidental d’acheter des produits sains, respectueux de la planète et des hommes, peut devenir un moteur majeur pour développer les zones rurales.

L’impact économique et social de l’exploitation et de la transformation des produits tropicaux – cacao, ananas, coco, mangue, anacarde, moringa – est déjà fort, mais il doit être amplifié par des investissements à long terme.

L’exemple de la Côte d’Ivoire, acteur mondial clé des produits tropicaux (40 % du cacao et 20 % des anacardes), démontre qu’une politique agricole volontariste a un impact économique immense. Depuis la sortie de crise, les autorités ont favorisé la filière de l’anacarde et de la mangue afin de booster les revenus des populations du nord du pays.

La mangue rapporte des dizaines de millions d’euros, bienvenus dans des zones de savane historiquement peu favorisées. Le pays est devenu le leader mondial de l’anacarde en 2015, devant l’Inde, grâce à une production multipliée par dix en vingt ans.

Les produits tropicaux permettent le développement des infrastructures de base, comme les pistes, et l’électricité

Autre exemple : l’impact social de la culture du coton. Au Burkina, 3 millions de cotonculteurs vivent de l’or blanc, au cœur de zones sahéliennes parmi les plus défavorisées. Les plantations de café au Kenya et de thé sur les pentes du mont Cameroun font vivre des dizaines de milliers de personnes. Les produits tropicaux occasionnent aussi le développement d’infrastructures de base : pistes, électricité, institutions financières et coopératives.

Par ailleurs, ces cultures sont à l’origine d’un début d’essor industriel : huileries, usines d’égrenage de coton et de décorticage d’anacarde offrent plusieurs milliers d’emplois en Afrique de l’Ouest et en Afrique centrale. Afin de maximiser l’impact économique et social de ces filières, et d’éviter les crises qui les ébranlent régulièrement (coton, banane, anacarde), un nouveau modèle d’agriculture, plus qualitatif, doit néanmoins être développé.

Tout d’abord, les produits peuvent être mieux valorisés pour éviter la « malédiction des matières premières ». La transformation locale doit être encouragée. La Côte d’Ivoire a pour objectif de décortiquer 50 % de sa production d’anacarde d’ici à cinq ans (contre 6 % actuellement) pour échapper aux industriels indiens et vietnamiens qui « tiennent le marché ».

Des efforts de marketing doivent être consentis, comme l’ont fait les Néo-Zélandais avec le kiwi. Le marché local peut être réinvesti : il est de plus en plus demandeur de jus, de produits lactés aux fruits, avec des niveaux de prix intéressants, à l’image du succès des jus Dafani, au Burkina.

Par ailleurs, la vogue des produits « bons, sains et responsables » représente une chance pour le continent. Les terroirs africains offrent la caractéristique peu commune de ne pas être contaminés par des produits chimiques : ils sont bio par nature ! La société Blue Skies, au Ghana, est la première à avoir investi dans une unité de production et de transformation de fruits tropicaux frais en portions individuelles destinées au marché britannique. Elle promeut des produits sains et « une économie circulaire » grâce à la valorisation agricole des déchets.

Le souhait des consommateurs occidentaux de donner du sens à leur alimentation constitue une formidable chance

Les producteurs de « bananes dessert » se tournent de plus en plus vers des modes de production agroécologiques, afin de résister à la « banane dollar ». Ce renouveau agricole reposerait sur le souci des communautés locales.

Le cacao certifié concerne aujourd’hui 200 coopératives ivoiriennes, contre une seule en 2000. Regroupant 120 000 producteurs, elles s’attachent à éliminer le travail des enfants et à assurer des revenus plus justes, en éliminant certains intermédiaires. Parce qu’elle appuie des milliers de paysans devenus ses fournisseurs, la société Comafruits, qui produit de la purée de mangue bio au Mali, a obtenu le label Fairtrade.


>>> À LIRE – Côte d’Ivoire : le cacao de plus en plus équitable


Le souhait des consommateurs occidentaux de donner du sens à leur alimentation constitue une formidable chance. C’est un début, mais comme le dit le proverbe : « au bout de la patience et de l’effort, il y a le ciel ! »

Note : certaines sociétés citées dans cette tribune sont accompagnées par Moringa ou Okan.

Guinée : une nouvelle Constitution
est-elle en cours de rédaction ?

| Par et

Le débat sur une éventuelle révision constitutionnelle s’accélère en Guinée avec, en filigrane, la question de l'éventuelle candidature d'Alpha Condé à un troisième mandat. Le Premier ministre Ibrahima Kassory Fofana a officiellement affiché son soutien à la mise en place d'une nouvelle Constitution, tandis qu'un projet serait déjà en cours d'écriture.

« À la question concernant la mise en place d’une nouvelle Constitution en tant que citoyen je dis oui et, en tant que gouvernant, je dis oui », a déclaré le Premier ministre Ibrahima Kassory Fofana au cours d’une conférence de presse, mercredi. Et le chef du gouvernement insiste, s’il se permet de prendre ainsi position, c’est après avoir consulté ses ministres. « Il m’est arrivé de poser la question au gouvernement, individuellement, en invitant chaque ministre à se prononcer sur le principe d’une nouvelle Constitution. La réponse est unanime, il n’y a pas de doute, c’est oui. »

Ces déclarations sont intervenues deux jours après l’annonce de la démission de Cheick Sako de son poste de ministre de la Justice et Garde des Sceaux. Dans la lettre qu’il a adressé le 20 mai à Alpha Condé pour justifier son départ du gouvernement – un courrier que Jeune Afrique a révélé le 27 mai -, le désormais ex-ministre avait clairement affiché son opposition à tout changement constitutionnel.

La majorité à l’offensive

« Je n’ai pas été associé à la rédaction de la nouvelle Constitution en ma qualité de garde des Sceaux et, compte tenu de ma position personnelle contre toute modification ou changement de la Constitution en vigueur, vous comprendrez que je ne puisse plus continuer à exercer la fonction de ministre de la Justice », écrivait-il. Une formule qui laissait clairement entendre qu’un projet de nouvelle Constitution était en cours de rédaction au palais de Sékhoutouréya.


>>> À LIRE :  Sékouba Konaté : « La Guinée, c’est chez moi, personne ne peut m’interdire d’y revenir »


Une thèse que dément le Premier ministre. Mercredi, devant la presse, Ibrahima Kassory Fofana a martelé : « En tant que chef du gouvernement, je n’ai jamais vu le document d’une nouvelle Constitution et nous n’avons jamais évoqué ce sujet. »

Tout le monde sait que nous devons promulguer une nouvelle Constitution

Contacté mercredi matin par Jeune Afrique, alors qu’il se trouvait en Arabie saoudite aux côtés d’Alpha Condé, Amadou Damaro Camara avait pour sa part une autre version. À la question : « Une nouvelle Constitution est-elle en cours d’écriture actuellement en Guinée ? », le président du groupe parlementaire Rassemblement pour la Guinée (RPG-Arc-en-ciel, mouvance présidentielle) a eu cette réponse : « Oui ! Croyez-vous que ce soit un secret défense ? Tout le monde sait que nous devons promulguer une nouvelle Constitution ».

Le député s’est en revanche refusé à préciser qui avait été chargé de la rédaction de ce projet de nouvelle Constitution, affirmant que « cela n’a aucune importance, car c’est le président de la République qui signe à la fin ».

Déjà, mi-mai, Kiridi Bangoura, ministre d’État, secrétaire général et porte-parole de la présidence, avait affirmé à Jeune Afrique que « beaucoup souhaitent aujourd’hui que nous ayons le courage de relire notre Constitution et que nous en assumions les conséquences », plaidant en faveur « d’un système constitutionnel qui assure la pérennité et la stabilité » et affirmant que la question « n’est pas un débat partisan, mais citoyen ».


>>> À LIRE : Guinée – Kiridi Bangoura : « Nous devons avoir le courage de relire notre Constitution »


Une commission constituée au palais

Selon une source de Jeune Afrique qui a eu connaissance du dossier, une « commission a été constituée à la présidence » en vue de rédiger ce projet de nouvelle Constitution. Parmi les membres de cette commission, notamment, Mohamed Lamine Fofana, le ministre de la Justice par intérim nommé après le départ de Cheick Sako ainsi que Mohamed Bérété, secrétaire général de l’Assemblée nationale.

À en croire notre source, le constitutionnaliste Maurice Zogbélémou Togba – qui a notamment participé à la rédaction de l’actuelle Constitution guinéenne (promulguée en 2010) – figure également dans la liste des rédacteurs de ce projet. Le professeur de droit constitutionnel à l’université de Conakry a signé une lettre ouverte très remarquée, publiée dans la presse guinéenne lundi 27 mai le jour de l’annonce de la démission de Cheick Sako, dans laquelle il défend le principe d’une révision constitutionnelle.

« Conformément aux articles 51 et 152 de la Constitution de 2010, l’initiative de proposer au référendum un texte constitutionnel appartient au président de la République et aux députés, qu’il s’agisse d’une révision constitutionnelle ou d’une nouvelle Constitution », écrit notamment le constitutionnaliste.

Derrière le débat sur la modification ou le changement de Constitution, c’est en fait celui d’un éventuel troisième mandat du président guinéen qui se lit en filigrane. « Nous ne pouvons que constater et prendre acte qu’il y a une volonté du pouvoir de mettre en place une nouvelle Constitution », a réagi Cellou Dalein Diallo, chef de l’opposition – dont une large partie s’est rassemblée au sein du Front national commun pour la défense de la Constitution – et leader de l’Union des forces démocratiques de Guinée (UFDG). Interrogé par Jeune Afrique, il insiste : « Le président Alpha Condé a, de fait, prêté serment deux fois sur cette Constitution [de 2010], il doit la respecter et n’a pas le droit de se présenter à nouveau ».

Niger : vers la fermeture de Braniger,
l’unique brasserie du pays

| Par Jeune Afrique

La seule brasserie nigérienne, filiale du groupe français Castel, a annoncé la cessation de ses activités à partir du 10 juin prochain. Le gouvernement étudie depuis « toutes les propositions permettant de sauver, dans la mesure du possible, cette unité ».

La Société des brasseries et des boissons gazeuses du Niger (Braniger), unique brasserie du pays et filiale du groupe français Castel, va cesser toutes ses activités à partir du 10 juin prochain. « Face aux pertes cumulées depuis plusieurs années et compte tenu de la baisse des ventes depuis le début de l’année, le conseil d’administration a convoqué une assemblée générale le 10 juin 2019 en vue de dissoudre Braniger », indique un courrier du directeur général Xavier de Boisset, adressé le 20 mai à ses clients.

La mesure entraînera « dans les prochaines semaines l’arrêt des activités de production et de vente », explique le DG, qui ajoute être « conscients de l’impact de cette décision sur [les] activités » de des clients, mais que « c’est la seule solution qui s’impose ». Si l’ampleur des pertes en question n’est pas mentionnée, sur le plan social, la brasserie emploie 120 personnes et environ 200 sous-traitants.

Une consultation engagée par le gouvernement

Le ministère nigérien de l’Industrie a réagi lundi à cette décision dans un communiqué transmis à l’AFP, indiquant la « préoccupation » du gouvernement face à cette décision « aux conséquences économiques et sociales énormes ». Le gouvernement annonce avoir « engagé des consultations avec tous les acteurs concernés » et se dit « disposé à s’asseoir autour d’une table pour étudier toutes les propositions permettant de sauver, dans la mesure du possible, cette unité industrielle », assure-t-il dans le communiqué.

>>> À LIRE. [Infographie] – Bières et vins : l’empire Castel en Afrique

Embouteilleur pour Coca-Cola, Braniger commercialise également plusieurs marques de bière, notamment la très populaire Conjo, et des boissons sans alcool produites localement. Implantée depuis 1967 au Niger, l’entreprise a dominé une trentaine d’années le secteur, avant d’être confrontée à une rude concurrence d’unités locales privées et de produits importés, parfois frauduleusement, depuis des pays voisins.

L’interdiction de la publicité sur l’alcool et des taxes jugées élevées ont également joué en sa défaveur.

Entrée en vigueur de la zone de libre-échange
en Afrique

L'accord établissant la ZLEC continentale a été signé par 49 pays africains le 21 mars 2018, à Kigali.
© © REUTERS/Jean Bizimana

Malgré son entrée en vigueur ce jeudi 30 mai, l'Union africaine dispose encore d'un mois pour mettre en place la phase opérationnelle et notamment les instruments techniques pour contrôler cette zone de libre-échange. Signée le 21 mars 2018 par 49 états africains, la ZLEC a été ratifiée par 22 pays, le Nigeria, plus grande économie du continent, ne l'a pas encore fait, mais la position d'Abuja est en train d'évoluer.

« Le train ne doit pas quitter la gare et s'éloigner sans que nous puissions le prendre ». Voilà ce que disait la semaine dernière le ministre nigérian du Commerce et de l'Industrie à propos de la ZLEC.

Jusqu'à présent, Abuja refuse d'adhérer à la zone de libre-échange, craignant qu'une déferlante de produits étrangers ne vienne ruiner son industrie naissante. Le président Buhari avait demandé à son gouvernement une étude d'impact de la ZLEC sur l'économie nigériane. Le ministre du Commerce lui a remis son rapport et ne cache pas son optimisme quant à une issue positive. D'autant qu'une étude de la Chambre de commerce de Lagos révèle que près de huit patrons nigérians sur dix y sont favorables.

La décision finale dépendra en partie de ce que décidera l'Union africaine d'ici le sommet du 7 juillet. Car les États africains ont encore un mois pour mettre en place les outils destinés à s'assurer que la concurrence ne sera pas déloyale au sein de la ZLEC.

La règle d'origine notamment doit être précisée. Il s'agit de savoir quelle proportion d'intrants africains est nécessaire dans un produit pour qu'il soit considéré comme africain. Autres défis, démanteler les barrières non tarifaires, et aussi mettre en place les organes de contrôle et d'arbitrage. Car même libéré le commerce a besoin de règles.

Algérie : « On ne s’est pas mis d’accord
sur les termes d’un dialogue »

| Par

Au lendemain d'un nouvel appel au « dialogue » du général Gaïd Salah, et alors que l'incertitude demeure quant à la tenue effective d'une élection présidentielle le 4 juillet, deux membres de la Ligue algérienne de défense de droit de l’homme (LADDH) évoquent leurs craintes et dévoilent leurs solutions de sortie de crise.

La disparition de Kamel Eddine Fekhar, soutien de la minorité mozabite et ancien élu du Front des forces socialistes (FFS), moins de deux mois après la chute d’Abdelaziz Bouteflika, a suscité un sentiment de colère chez les manifestants algériens. Lors d’une marche des étudiants, ce mardi à Alger, le nom de l’activiste était repris sur de nombreuses pancartes. 15 semaines après le début du mouvement, les protestataires continuent de réclamer une justice indépendante et une solution politique inclusive pour l’Algérie, rejetant l’échéance électorale du 4 juillet.

Dans ce contexte incertain, l’avocat et vice-président de la Ligue algérienne pour la défense des droits de l’homme (LADDH), Aissa Rahmoune, et son secrétaire général et fondateur du collectif « Jeunes engagés pour l’Algérie », Abdelmoumene Khelil, reviennent sur les revendications portées par la société civile pour la période à venir.

Jeune Afrique (JA) : Le décès du militant mozabite Kamel Eddine Fekhar a suscité l’indignation de la rue. Quelle est votre position face à la répression de certains activistes en Algérie ?

Me Aissa Rahmoune : Kamel Eddine Fekhar faisait partie de notre organisation. J’ai plaidé dans le cadre de plusieurs procédures que la justice a engagées contre lui : toutes étaient montées de toutes pièces. Ce mardi, lui et son codétenu Ibrahim Aouf, militant mozabite lui aussi, en était à leur 47e jour de grève de la faim. Sa mort est un deuxième cas qui vient s’ajouter à la disparition du journaliste Mohamed Tamalt, accusé d’« offense au président de la République » et décédé en détention en décembre 2016, après trois mois de grève de la faim.

S’il y a des chefs d’inculpation sérieux contre Louisa Hanoune, on peut prendre des mesures conservatoires qui doivent passer avant l’incarcération

Il ne faut pas non plus oublier Hadj Ghermoul, premier Algérien à avoir brandi dans le Sud une pancarte contre le cinquième mandat, toujours emprisonné depuis le 29 janvier pour « outrage à corps constitué ». Ces cas ne font que nous renseigner sur la nature du système encore en place. Telle est l’image que renvoie à l’étranger le régime algérien, avec son système judiciaire et exécutif arbitraire.

Quant à Louisa Hanoune [une pétition exigeant la libération « immédiate et sans condition » de la secrétaire générale du Parti des travailleurs a été signée ce mercredi par dix partis de l’opposition], ce n’est certainement pas le moment d’engager des poursuites contre elle. S’il y a des chefs d’inculpation sérieux, on peut prendre des mesures conservatoires qui doivent passer avant l’incarcération, comme une interdiction de quitter le territoire ou l’engagement d’une procédure de contrôle judiciaire. Mais son cas est un message clair adressé à la classe politique : personne n’est à l’abri de représailles.

JA : Selon vous, la responsabilité en revient-elle à la justice ?

Me Aissa Rahmoune : Les magistrats et professionnels de la justice sont également victimes d’un cadre légal liberticide. Ils veulent se libérer du joug du pouvoir exécutif, mais ce dernier ne leur permet pas de le faire. Il suffit de penser que la haute instance de la magistrature est présidée par le président de la République. Ceci remet en cause le principe de l’indépendance de la justice. On ne peut pas imaginer que des procédures judiciaires devant ces tribunaux puissent aboutir à un processus de vérité et justice.

JA : Ce mardi, trois jours après la date limite du dépôt des candidatures à l’élection présidentielle, le général Gaïd Salah a appelé au dialogue. S’agit-t-il d’une main tendue aux manifestants ?

Abdelmoumene Khelil : L’appel à la discussion est fondamental, et tout le monde, la rue comme les institutions, appelle à dialoguer depuis des mois. Pourtant, on ne s’est pas mis d’accord sur les termes de ce dialogue, ce qui est fondamental pour la feuille de route qui doit en sortir. Jusqu’à maintenant, l’institution militaire prônait le dialogue dans un cadre constitutionnel, ce qui a été catégoriquement rejeté par la rue. Cette voie se révélera bientôt sans issue. Quel sera, après, l’objet des discussions ? Il faut déjà que l’institution militaire accepte de discuter du processus de transition politique.

Me Aissa Rahmoune : Ce processus politique ne peut pas passer par une élection présidentielle le 4 juillet. Je dirai que même le système en place ne croit pas à ce scrutin faussé d’avance, avec deux candidats méconnus de la scène politique. C’est encore une insulte au peuple algérien, qui remet en cause le sérieux de nos institutions.

Les élections en Algérie ont toujours été un non-événement : c’est le fossé qui consacre le rapport entre le peuple et le pouvoir

Même la coalition des quatre partis politiques majoritaires à l’Assemblée populaire nationale n’arrive pas à dégager un candidat. Ce scrutin représente encore une fois la volonté du système de banaliser l’acte politique. Les élections en Algérie ont toujours été un non-événement : c’est le fossé qui consacre le rapport entre le peuple et le pouvoir.

JA : Comment, alors, sortir de cette impasse ?

Abdelmoumene Khelil : Nous sommes en train d’organiser une grande conférence nationale dans l’objectif de montrer que, non, après le 4 juillet, ce ne sera pas le vide. On veut envoyer un message au pouvoir pour faire entendre la volonté de la société civile à travers des propositions cohérentes et consensuelles, en proposant une voie de sortie de crise. Notre objectif est aussi de pousser les partis politiques à adhérer à cette démarche.


>>> À LIRE – Algérie : « Bouteflika a démissionné grâce aux marches populaires, pas à l’armée »


Notre collectif [rassemblant 35 organisations], les syndicats autonomes et un deuxième collectif organisé autour d’autres réseaux, nous travaillons régulièrement ensemble pour établir une seule feuille de route. Chacun a présenté son projet, mais les trois pôles concordent sur les principes d’une transition politique et démocratique, sur la possibilité d’élire un présidium de trois personnes pour gérer la transition, ainsi que sur la nécessité d’établir une charte des valeurs.

JA : Pensez-vous faire des compromis avec l’institution militaire ?

Abdelmoumene Khelil : Il y a certainement des points qui font débat, dont une question principale à déterminer : se dirige-t-on vers une présidentielle ou vers une Assemblée constituante ? Combien de temps la transition peut-elle durer ? L’un de nos points de convergence est que les militaires ont un rôle à jouer durant la transition, à condition qu’ils ne sortent pas de leur rôle en poursuivant des objectifs politiques.

Me Aissa Rahmoune : La responsabilité historique de l’état-major est engagée. Si Gaïd Salah veut vraiment rendre service à cette jeunesse, il doit accepter une transition démocratique politique réelle. Tous les compromis sont possibles dans la mesure où il y a un préalable, c’est-à-dire que le peuple ne veut plus négocier avec ceux qui représentent l’ancien régime. L’idée d’une instance de transition n’est pas à écarter.