Après l'assassinat de la jeune Bineta Camara et d'autres faits divers récents, certains Sénégalais ont réclamé le retour de la peine de mort. Mais ne tombons pas dans la sauvagerie dont nous accusons les assassins, ne leur faisons pas ce que nous leur reprochons d’avoir fait.
Ces derniers mois, au Sénégal, l’actualité a été émaillée de faits divers aussi tragiques que sanglants. Pas plus que d’habitude, sans doute, mais la presse et les réseaux sociaux s’en sont repus, alimentant l’indignation et l’émoi. Dernier en date : l’agression et l’assassinat de la jeune Bineta Camara au domicile de ses parents à Tambacounda, dans le sud-est du pays.
Chaque fois que des crimes de sang sont commis et qu’ils trouvent un large écho, les Sénégalais sont très nombreux, sinon majoritaires, à réclamer le retour de la peine de mort dans l’arsenal répressif. Les hommes politiques ne sont pas en reste. À la fin d’avril, pour un cas d’agression à scooter à 5 heures du matin dans le quartier dakarois habituellement calme du Point E (la victime s’était fait arracher son sac et sectionner un pouce), l’ancien président du groupe parlementaire Benno Bokk Yakaar, Moustapha Diakhaté, est allé jusqu’à réclamer l’amputation (d’un bras et d’une jambe) du coupable. Il y a un an, en avril 2018, l’opposant Ousmane Sonko avait demandé la peine de mort pour les meurtriers d’un enfant, enlevé puis retrouvé mort à Rufisque. Et en ce mois de mai 2019, c’est au tour de Thierno Bocoum, un proche d’Idrissa Seck, d’en appeler à la plus grande sévérité pour les crimes violents – il ne s’est toutefois pas risqué à parler de « peine de mort ».
On ne perd pas son droit à l’humanité parce que l’on devient un assassin
Un choix de civilisation
Au Sénégal, le débat est récurrent. Les associations islamiques, dont l’ONG Jamra de Mame Mactar Gueye, ne manquent pas une occasion d’exiger le rétablissement de la peine capitale. Celle-ci a été abolie par le Parlement en décembre 2004, sous la présidence d’Abdoulaye Wade. Depuis, Macky Sall, son successeur à la tête du pays, a fait sienne la sanctuarisation de cette abolition dans la Constitution sénégalaise.
Le problème, c’est donc l’opinion publique. Pour un homme d’État, abolir la peine de mort ou refuser son rétablissement, c’est aller précisément à contre-courant de cette opinion publique. Cela n’est pas sans risque politique et exige un certain courage, politique lui aussi.
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À mes compatriotes, je dis ceci : l’abolition de la peine de mort est et doit rester un choix de civilisation, au nom de valeurs universelles qui postulent que la vie humaine est sacrée. On ne perd pas son droit à l’humanité parce que l’on devient un assassin. J’ajoute que, dans le monde, il y a 142 pays abolitionnistes en droit ou en pratique, contre 56 non abolitionnistes : nous sommes donc dans le sens de l’Histoire et du progrès.
Une société se juge à la manière dont elle punit ses condamnés
Une barbarie légalisée
N’oublions pas non plus que, du temps où elle a existé au Sénégal, la peine de mort n’a été appliquée que deux fois : sous le président Léopold Sédar Senghor, en avril 1967, à l’encontre d’Abdou Ndaffa Faye, meurtrier en plein jour du député Demba Diop, et, en juin 1967, à l’encontre de Moustapha Lô, après que ce dernier a voulu attenter à la vie du chef de l’État en pleine prière de Tabaski à la Grande Mosquée de Dakar.
Pourquoi réclamer avec autant de vigueur une sanction qui n’a été appliquée qu’à deux reprises en soixante ans ? Croit-on vraiment qu’elle a eu un effet dissuasif tel qu’aucun crime de sang n’a été commis au Sénégal dans les années 1970, 1980 et 1990 ? Bien évidemment, ce n’est pas le cas.
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« Une société se juge à la manière dont elle traite ses prisonniers », disait l’écrivain français Albert Camus. Permettez-moi de le paraphraser : « Une société se juge à la manière dont elle punit ses condamnés. » Ne tombons pas dans la sauvagerie dont nous accusons les assassins, ne leur faisons pas ce que nous leur reprochons d’avoir fait. La peine de mort est un crime d’État, une barbarie légalisée qui n’empêchera jamais que d’autres crimes soient commis et qui ne parviendra jamais à apaiser l’infinie souffrance des familles des victimes. Les meurtriers et les assassins ne sont pas des bêtes sauvages qu’il faudrait neutraliser en les mettant à mort. Et si nous pensions malgré tout qu’ils le sont ? « On reconnaît le degré de civilisation d’un peuple à la manière dont il traite ses animaux », a également dit le Mahatma Gandhi.