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Orange s’endort-il sur ses lauriers en Afrique ?

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Mis à jour le 09 août 2021 à 19h24
 
 

Par  Quentin Velluet

Quentin Velluet est journaliste à Jeune Afrique. Il couvre le secteur des télécoms, la tech et les start-up.

Kiosque Orange Money dans le quartier des Almadies à Dakar.

Kiosque Orange Money dans le quartier des Almadies à Dakar. © Sylvain Cherkaoui pour JA, 2018.

Tandis que MTN, Airtel et Vodacom s’engagent sur de nouveaux terrains, le groupe français poursuit une stratégie basée sur les télécoms traditionnelles. Un choix dangereux ?

Tel un coureur de fond estimant que son avance est suffisante pour souffler un peu en fin de course, Orange Moyen-Orient Afrique (OMEA) semble avoir décidé de se reposer sur ses acquis pour les deux années à venir. Dans la présentation de ses chiffres pour la mi-2021, l’opérateur, qui enregistre un chiffre d’affaires de plus de trois milliards d’euros sur la période dans une région qui pèse désormais pour 13 % de ses revenus, a profité de l’occasion pour réaffirmer les piliers de la stratégie qu’il compte suivre jusqu’en 2023 en Afrique.

Mobile money, 4G et haut débit

Au menu : prolongement des efforts sur le mobile money grâce à la sophistication des services apportés par Orange Bank ; poursuite de la pénétration de la 4G à la faveur de l’extension des réseaux et de l’usage du smartphone ; maintien de l’activité wholesale (revente en gros des capacités des câbles internationaux), qui représente 9 % du chiffre d’affaires d’OMEA ; capitalisation sur « l’avantage concurrentiel » pris sur la fibre en déployant les offres de haut débit, principalement à destination des petites et moyennes entreprises et de manière « limitée et ciblée », selon les propres mots de Jérôme Hénique, directeur général adjoint et directeur opérationnel d’OMEA.

Trois ans plus tôt, à Londres, au lendemain de la réorganisation d’OMEA en quatre clusters régionaux, la même équipe dirigeante présentait la même stratégie – à la diapositive près. Les optimistes diront que le groupe français, qui investit chaque année un milliard d’euros dans la région, présente l’avantage d’être stable et constant dans ses ambitions. Les perplexes, eux, s’étonneront du choix d’un certain statu quo.

Confort

La multinationale dirigée par Stéphane Richard depuis 2011 a des raisons d’être confiante. Elle est leader dans huit de ses marchés en Afrique de l’Ouest et numéro deux dans sept autres pays (essentiellement dans la sous-région du centre) sur un total de 18 implantations en Afrique et au Moyen-Orient.

Avec 132 millions de clients dans la zone (dont 38 millions dans la 4G et 55 millions d’Orange Money), le groupe présent en Afrique depuis plus de vingt ans se place en deuxième position en nombre d’utilisateurs derrière MTN, dont la base adressable a dépassé les 200 millions de personnes cette année.

En outre, le portefeuille de filiales d’Orange est équilibré. « Nous ne dépendons pas d’un pays, à la différence de nos pairs », a lancé le 30 juillet Alioune Ndiaye, le patron d’OMEA, en référence aux vaches à lait que représentent le Maroc, le Nigeria ou l’Afrique du Sud pour ses concurrents. Enfin, ces douze dernières années, le continent a procuré au groupe une croissance annuelle de 4,4 % en moyenne. Dans ce contexte, pourquoi donc changer de recette ?

Mais tandis que MTN, Vodacom et Airtel, dont les applications Ayoba, M-Pesa et Airtel Money doivent incarner leur virage vers l’économie de plateforme – elles constitueraient l’unique canal de distribution de multiples services, à terme –, le groupe parisien vise-t-il juste en se concentrant sur le métier traditionnel des télécoms ?

Menaces

Des signaux faibles d’une possible déstabilisation émergent ces derniers mois. Au Sénégal, où la holding Sonatel, contrôlée à 42 % par le groupe, règne sans partage depuis sa privatisation à la fin des années 1990, la concurrence de Free commence à se faire sentir. Un an seulement après son lancement au pays de la Teranga, le deuxième opérateur du pays a en effet été le seul à gagner des parts de marché depuis juin 2020, subtilisant principalement des clients à Expresso Sénégal.

Sur le segment du mobile moneyla concurrence imposée par l’américain Wave sur les prix prouve que la position dominante d’Orange Money peut rapidement être contestée. 

En RDC, où Orange est numéro trois, la dynamique engagée par le gouvernement en faveur de l’essor des services numériques pourrait profiter à plein au challenger Africell. Ce dernier dispose désormais du soutien de la coopération américaine et d’un conglomérat bancaire auprès de qui il a récemment levé 205 millions de dollars.

Jusqu’ici, le groupe piloté par Ziad Dalloul a été épargné par la pression réglementaire qu’applique le régulateur local sur les principaux opérateurs (Vodacom, Airtel, Orange), dans le cadre de la mise en place du Registre des appareils mobiles (RAM) : ce nouvel outil est censé prévenir les vols de smartphones et les risques d’usurpation d’identité. Consécutivement à ce projet, Orange a récemment écopé d’une amende de 2,2 millions de dollars pour non-conformité de ses outils d’identification des usagers.

OMEA est de surcroît le seul opérateur du continent à n’avoir pas choisi d’extraire son activité mobile money pour en révéler davantage la valeur – et ce choix est loin d’être à l’ordre du jour. Face à lui, Airtel Money a été capable de lever 500 millions de dollars cette année auprès de sérieux investisseurs comme le fonds souverain qatari.

Le service MoMo de MTN table quant à lui sur une valorisation de 5 à 6 milliards de dollars pour les prochains mois – bien que ce chiffre reste pour l’heure de l’ordre de l’annonce. M-Pesa dispose pour sa part d’une plateforme locale lui permettant de déployer ses nouveaux services instantanément dans l’ensemble de ses marchés et fourbi ses armes pour son lancement futur en Éthiopie.  

Le champion français, lui, maintiendra donc sa trajectoire au moins jusqu’en 2023, voire jusqu’en 2025 s’il tient à ses obligations formulées dans son plan « Engage 2025 ». Reste à voir si ce conservatisme sera bel et bien payant.

Mali: une cinquantaine de civils tués par des jihadistes dans le nord du pays

Des soldats français en patrouille dans le nord du Mali en 2013. (Illustration)
Des soldats français en patrouille dans le nord du Mali en 2013. (Illustration) AFP - JOEL SAGET

Au Mali, plus de cinquante civils maliens ont été tués dimanche 8 août dans quatre localités du nord, situées non loin de la frontière avec le Niger. Les « terroristes », terminologie officielle pour désigner les jihadistes, sont accusés d’être les auteurs de ces attaques meurtrières.

Avec notre correspondant à BamakoSerge Daniel

Les attaques ont eu lieu dimanche dans les localités maliennes de Karou, Ouatagouna, Dirga et Déoutéguef. Toutes sont situées sur un axe qui mène dans le nord à la frontière nigérienne. Les assaillants sont qualifiés de jihadistes.

A motos, à pied, ils ont sillonné les 4 villages et s’en sont pris aux populations civiles. Dans cette zone, c’est généralement l’État islamique au grand Sahara qui mène les opérations. Parmi les victimes, (morts et blessés), les femmes et les enfants sont les plus nombreux.

Un élu local interrogé par RFI révèle : dans l’un des villages attaqués, un enseignant et tous les membres de sa famille ont été tués.

Pourquoi ces attaques meurtrières ? Une autre source affirme que les populations locales sont accusées d’avoir fourni à l’armée malienne des informations précieuses. Récemment l’armée malienne a mené dans le secteur des opérations de sécurisation des biens et des personnes. Ce lundi, les témoins rapportent : de nombreux militaires maliens ont été dépêchés sur le terrain.

RFI a pu joindre un journaliste qui a été sur place, dans la région de Ouatagouna. Il a pu discuter avec des habitants. Pour des raisons de sécurité, il a préféré rester anonyme. Ecoutez le récit que lui ont fait les riverains.

RFI a pu joindre un journaliste qui a été sur place, dans la région de Ouatagouna. Il a pu discuter avec des habitants. Pour des raisons de sécurité, il a préféré rester anonyme. Ecoutez le récit que lui ont fait les riverains.

Les tireurs visent seulement la tête afin de tuer tout de suite la personne.

Un journaliste qui s’est rendu à Ouatagouna

Bourse : cinq choses à savoir sur Félix Edoh Kossi Amenounvé,
premier Africain coopté comme conseiller du Nasdaq

| Par 
Mis à jour le 05 août 2021 à 11h14
Félix Edoh Kossi Amenounvé (Togo), directeur général de la Bourse régionale des valeurs mobilières (BRVM) d’Abidjan, à Paris, le 30 septembre 2013.

Félix Edoh Kossi Amenounvé (Togo), directeur général de la Bourse régionale des valeurs mobilières (BRVM) d'Abidjan,
à Paris, le 30 septembre 2013. © Photo de Vincent Fournier/Jeune Afrique
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Le directeur général de la Bourse régionale des valeurs mobilières (BRVM) intègre l’un des comités consultatifs du Nasdaq, la Bourse d’actions américaine. La reconnaissance d’une carrière de vingt-cinq ans dans le monde bancaire ouest-africain. 

Cette nomination, annoncée à l’intéressé par e-mail fin juillet, prend la forme d’une distinction pour le Togolais Félix Edoh Kossi Amenounvé. À 54 ans, le directeur général de la Bourse régionale des valeurs mobilières (BRVM), commune aux huit pays de l’Union économique et monétaire ouest-africaine (UEMOA), intègre le Nasdaq Exchange Review Council, anciennement appelé le Nasdaq Listing and Hearing Review Council.

Connu des initiés au monde de la finance, ce comité consultatif, placé auprès de la célèbre institution boursière américaine, s’assure de l’application des règles de marché sur les quatre Bourses du Nasdaq (à savoir Nasdaq USA, Nasdaq Nordic, Nasdaq Baltic et Nasdaq Dubai). Un nouveau mandat, aussi technique que prestigieux, qui court jusqu’en 2024.

Il s’ajoute au pilotage de la BRVM, un poste que Félix Edoh Kossi Amenounvé occupe depuis 2012, alors qu’il a été reconduit fin 2020 à la tête de l’Association des Bourses des valeurs africaines (African Securities Exchanges Association, Asea).

1 – Premier Africain à rejoindre le Nasdaq

Composé de personnalités de la finance américaine, l’Exchange Review Council est un comité technique qui examine les sujets à transmettre au conseil d’administration des Bourses du Nasdaq, le plus important marché d’actions des États-Unis en volume traité, comptant plus de 5 000 entreprises cotées. Il se réunit a minima quatre fois par an.

C’est dans le cadre d’une réforme visant à ouvrir ce comité aux membres de pays émergents que la candidature du patron de la BRVM a été retenue. Il devient le premier Africain à intégrer cette cellule hautement technique. Sa nomination salue plus de vingt années d’expérience dans le monde bancaire : après des débuts comme directeur général de Société de Bourse à Lomé (SGI Togo), Félix Edoh Kossi Amenounvé a occupé les fonctions, entre autres, de président de la société de gestion d’OPCVM (SGO) Opti Asset Management et de secrétaire général du Conseil régional de l’épargne publique et des marchés financiers (CREPMF, l’autorité de régulation de l’UEMOA), avant ses mandats à la BRVM et à l’Asea.

2 – Fruit du système éducatif togolais

Originaire de la Région maritime, à la frontière avec le Bénin, et fils de directeurs d’école primaire, le DG de la BRVM fait une grande partie de sa scolarité au sein du système éducatif togolais, jusqu’à sa maîtrise en sciences économiques à l’Université de Lomé, dont il sort major de promotion. Pour parfaire sa formation, il choisit le Canada, où il décroche un MBA puis un doctorat (en administration, option finance) à l’Université Laval, avant de rentrer au pays pour travailler dans la banque publique UTB, puis contribuer à fonder la SGI Togo.

Depuis sa prise de fonctions, en septembre 2012, à la tête de la BRVM, où il était entré en 1997 comme assistant de Lamseh Alexis Looky, le premier président de l’institution, cet amateur de golf – membre de l’Ivoire Golf Club d’Abidjan – maintient un lien avec son pays et y séjourne régulièrement.

3 – Interconnexion des Bourses africaines

Depuis plusieurs années, Félix Edoh Kossi Amenounvé travaille à l’intégration des Bourses africaines.

Son engagement a commencé au niveau de la Cedeao, en tant que président du conseil d’intégration des Bourses de la zone. Il se poursuit aujourd’hui à la tête de l’Asea, dont il a été vice-président avant d’en prendre la tête, en avril 2020, puis d’être reconduit à ce poste, en novembre. C’est à ce titre qu’il a signé, le 30 juillet, un contrat avec la société émirati de technologie financière DirectFN pour mettre en place une plateforme devant connecter sept Bourses africaines : Casablanca, Le Caire, la BRVM, Lagos, Nairobi, Maurice et Johannesburg.

Porté par la Banque africaine de développement (BAD) et financé par la coopération sud-coréenne, ce projet, qui doit être opérationnel dans six mois, vise à améliorer la profondeur et la liquidité des places boursières du continent. Une expérience qui s’inspire et veut, à terme, aller au-delà du modèle européen d’Euronext.

4 – Modèles et réseaux éclectiques

Le parcours de l’économiste israélo-américain Stanley Fischer, qui a été gouverneur de la Banque d’Israël (2005-2013) et vice-président du conseil de la Réserve fédérale des États-Unis (2014-2017), est une source d’inspiration quotidienne pour le DG de la BRVM. Qui confie avoir aussi une grande admiration pour le Franco-Ivoirien Tidjane Thiam, l’ancien patron de Credit Suisse.

Ses mentors sont le Sénégalais Gabriel Fal, cofondateur de la BRVM et président du conseil d’administration de l’institution entre 2013 et 2015, décédé en 2019, et le successeur de ce dernier, le Sénégalais Pierre Goudiaby Atepa, qui a occupé le poste entre 2015 et 2018, avant d’être remplacé par l’Ivoirien Parfait Kouassi.

Quant à son réseau, il inclut l’actuel président de la BAD, le Nigérian Akinwumi Adesina, ainsi que ses prédécesseurs, le Rwandais Donald Kaberuka et le Marocain Omar Kabbaj, mais aussi le chef de l’État togolais, Faure Gnassingbé, et plusieurs membres de son gouvernement. Le banquier salue, en outre, le président ivoirien Alassane Ouattara et son homologue rwandais Paul Kagame comme exemples à suivre de dirigeants réformateurs.

5 – La BRVM milliardaire en dollars

Sous la houlette de Félix Edoh Kossi Amenounvé, la BRVM a franchi la barre des 20 milliards de dollars de capitalisation. Une performance réalisée grâce à la mise en œuvre d’une série de réformes, dont l’introduction de la notation, la mise en place du marché hypothécaire et de la titrisation et l’harmonisation de la fiscalité des valeurs mobilières, depuis son arrivée aux commandes de l’institution. En 2019, en marge de l’annonce de la fourniture d’une technologie de surveillance des marchés par le Nasdaq à la BRVM, l’opérateur américain avait présenté la place ouest-africaine comme étant « l’une des organisations supranationales les plus intégrées du monde ».

La modernisation se poursuit avec plusieurs projets en cours, dont l’ouverture d’un compartiment dédié aux PME de la région et, surtout, la création d’un marché minier pour permettre aux entreprises de lever des fonds sur la base de leurs permis.

 
 

Burkina Faso: l’exaspération des populations de l’Est face à l’insécurité

Le 3 juillet 2021 une marche s'était déjà tenu à Ouagadougou pour protester contre l'insécurité engendrée par la présence jihadiste au Burkina Faso (image d'illustration).
Le 3 juillet 2021 une marche s'était déjà tenue à Ouagadougou pour protester contre l'insécurité engendrée par la présence jihadiste au Burkina Faso (image d'illustration). AFP - OLYMPIA DE MAISMONT

Au Burkina Faso, la région de l’Est est l’une des zones les plus touchées par l’insécurité, notamment le terrorisme. À l’appel du mouvement U-Gulmu-Fi (coalition de la société civile du Gulmu), les populations des cinq provinces de cette région, exaspérées, ont marché le samedi 31 juillet pour exprimer leur ras-le-bol face à la très préoccupante situation.

Les organisateurs de cette marche comptaient remettre leurs doléances aux autorités régionales mais à leur grande surprise, ils n’ont pas été reçus par le gouverneur qui, selon eux, était pourtant informé de la manifestation.

Pour les raisons qui lui sont propres, le gouverneur n’a pas voulu que les marcheurs entrent dans la cour du gouvernorat. Je précise bien : dans la cour du gouvernorat et non dans le bureau du gouverneur, comme il voudrait, en tout cas, nous le faire croire.

Emmanuel Ouoba, coordonnateur de la coalition U-Gulmu-Fi, s’étonne que les organisateurs n’aient pas été reçus par le gouverneur.

Le gouvernorat de l’Est a, pour sa part, réagi sur les réseaux sociaux, expliquant que les manifestants ont rejeté la recommandation du gouverneur qui avait souhaité recevoir uniquement quelques responsables de la marche.

La coalition de la société civile U-gulmu-Fi dénonce l’insécurité dans la région à laquelle viennent s’ajouter le manque d’infrastructures en matière de santé et le délabrement du réseau routier.

Des déplacés de plus en plus nombreux

« Ce que nous constatons sur le terrain jusqu’à aujourd’hui, c’est que de nouvelles vagues de déplacés internes sont enregistrées. Depuis deux ans déjà, par endroits, les gens ne peuvent plus produire et cette année encore, il y a de nouveaux villages où les agriculteurs ne pourront pas produire parce qu’ils sont menacés par les groupes terroristes », explique Emmanuel Ouoba, le coordonnateur de la coalition U-Gulmu-Fi

« Des propriétaires sont dépossédés de leur bétail, dans leurs villages et tout cela accroît encore les déplacés internes qui ont besoin d’une prise en charge adéquate. Ce sont les actions des groupes terroristes : les menaces, les attaques, les enlèvements… Vraiment, les gens sont étouffés. Sur le terrain, les populations sont vraiment exaspérées, que ce soit par rapport à la sécurité, aux problèmes de santé ou aux réseaux routiers… Vraiment, les populations sont très, très inquiètes de ce qui se passe », a ajouté Emmanuel Ouoba au micro de RFI.

 

Nonuplés maliens nés au Maroc: un défi inédit pour les soignants

À la clinique privée Aïn Borja de Casablanca au Maroc, une équipe médicale de 30 personnes était mobilisée, le mardi 4 mai, pour mettre au monde par césarienne les neuf bébés de la Malienne Halima Cissé.
À la clinique privée Aïn Borja de Casablanca au Maroc, une équipe médicale de 30 personnes était mobilisée, le mardi 4 mai, pour mettre au monde par césarienne les neuf bébés de la Malienne Halima Cissé. © Clinique Aïn Borja

De Tombouctou à Casablanca, en passant par Bamako, plusieurs médecins se sont mobilisés pour donner à Halima Cissé ainsi qu'à ses bébés toutes ses chances de survie. Cette Malienne de 26 ans a donné naissance à des nonuplés le 4 mai dernier. Retour sur une grossesse et un accouchement uniques au monde à ce jour.

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De notre envoyée spéciale à Casablanca,

Sur son téléphone portable, le Dr Yazid Mourad conserve la vidéo de ce matin du mardi 4 mai, une césarienne dont il se souviendra toute sa vie. Une intervention au son de la voix de la chanteuse libanaise Elissa. « Je mets toujours de la musique quand j'opère. La seule chose que j'ai regrettée, c'est de pas avoir mis de la musique malienne. »

Retour sur un accouchement unique

Ce matin-là, le bloc est plein. Aux côtés du Dr Mourad, du renfort pour prendre en charge l'inévitable hémorragie du post-partum qui attend Halima Cissé avec un utérus aussi distendu. Et une équipe de 19 puéricultrices et trois pédiatres qui se préparent à accueillir sept grands prématurés pour ce qui s'annonce déjà comme un accouchement hors norme à 30 semaines de grossesse.

► À lire aussi : À la rencontre des nonuplés maliens, trois mois après leur naissance au Maroc

Sept... C'est l'estimation faite au vu des différents examens au cours de la grossesse. Mais au moment de la délivrance, après avoir sorti sept bébés, le gynécologue-obstétricien découvre deux nouveau-nés supplémentaires. « Ça a été un choc. »

Halima Cissé, étudiante de Tombouctou, portait donc des nonuplés : cinq filles, quatre garçons. Quand le ministère malien de la Santé à Bamako en fait l'annonce le lendemain, c'est donc une première mondiale. Auparavant, le record était détenu par une Américaine, qui avait huit bébés issus d'une fécondation in vitro.

Sauf que Halima Cissé et son époux, Abdelkader Arby, n'ont pas cherché la performance. Cette grossesse multiple, quand ils en découvrent l'ampleur lors d'une échographie pratiquée par le Dr Seydou Sogoba à l'hôpital régional de Tombouctou, est une surprise. Pas de fécondation in vitro ici.

Halima Cissé quitte tous les jours sa chambre à la maternité pour aller voir ses nonuplés au service de réanimation néonatale. «Une patiente incroyable, calme et confiante», disent tous les soignants qui l'ont accompagnée.
Halima Cissé quitte tous les jours sa chambre à la maternité pour aller voir ses nonuplés au service de réanimation néonatale. «Une patiente incroyable, calme et confiante», disent tous les soignants qui l'ont accompagnée. © RFI/Amélie Tulet

Le couple a déjà une fille, âgée aujourd'hui de deux ans et demi. Ils souhaitent un second enfant. « Quand on m'annonce qu'il y a plusieurs bébés, peut-être six au moins, c'était totalement inattendu, raconte Abdelkader Arby, sur un ton toujours très mesuré. Avec les médecins et la famille, nous avons organisé le transfert vers Bamako. »

► À lire aussi : Nonuplés maliens nés au Maroc: de Tombouctou à Casablanca, récit d’une épopée médicale

Récit d'une coopération médicale réussie

Halima Cissé est prise en charge par le Pr Tiounkani Thera et le Dr Drissa Diara à la maternité du CHU du Point G, dans la capitale malienne. Le ministère de la Santé est alerté et vient aussitôt constater la situation. Très vite, l'équipe médicale, les autorités, la famille se rendent à l'évidence : pour donner toutes leurs chances de survie à Halima Cissé et à ses bébés, il faut quitter le pays. Aucun établissement au Mali n'a les moyens matériels d'accueillir autant de très grands prématurés à la fois.

Au Maroc, le Pr Alaoui, directeur de la clinique privée Aïn Borja de Casablanca, que le Pr Thera a eu l'occasion de visiter, est le premier à répondre positivement à la demande de prise en charge de Halima Cissé. Fin mars, elle est à six mois de grossesse quand elle arrive au Maroc aux frais de l'État malien qui, depuis, couvre intégralement le coût de l'hospitalisation.

Le Dr Yazid Mourad : « Ce que je voulais, c'est qu'elle tienne jusqu'au matin »

À Casablanca, l'équipe de la clinique est face à un défi. Si la naissance arrive trop tôt, les bébés sont en péril, car ils naîtront trop petits. Mais attendre trop longtemps, c'est mettre en danger la vie de la mère. Le gynécologue-obstétricien, le Dr Mourad, se fixe comme objectif de tenir cinq semaines pour atteindre 30 semaines de grossesse. Pour cela, il combine plusieurs protocoles médicamenteux. « La pression sur le Dr Mourad était énorme, il a géré cela de manière exemplaire », raconte le pédiatre, le Dr Khalid Mseif.

La veille du 4 mai, le Dr Yazid Mourad sait qu'il ne faut plus attendre. « J'ai stressé toute la nuit à l'idée qu'on m'appelle. Ce que je voulais, c'est qu'elle tienne jusqu'au matin. » Le matin du 4 mai, dans le bloc, tout est prêt. « On avait eu le temps de se préparer, tout était là pour pallier les premiers besoins des bébés, les premières complications », explique le Dr Mseif.

Le Dr Yazid Mourad est le gynécologue-obstétricien qui a pratiqué la césarienne du 4 mai. « Ça a été un choc », dit-il, de découvrir deux bébés supplémentaires de 500 g chacun alors que l'équipe médicale se préparait à en accueillir sept.
Le Dr Yazid Mourad est le gynécologue-obstétricien qui a pratiqué la césarienne du 4 mai. « Ça a été un choc », dit-il, de découvrir deux bébés supplémentaires de 500 g chacun alors que l'équipe médicale se préparait à en accueillir sept. © RFI/Amélie Tulet

Sur la vidéo de ce jour-là, on voit le Dr Mourad sortir prestement de tout petits bébés, un par un, aussitôt enveloppés et emmenés par une soignante. En trente minutes, tous les bébés sont massés, réanimés, oxygénés, sous perfusion et dans des couveuses chauffées au service de réanimation néonatale. Ensuite, « c'est le stress, parfois le stress extrême »reconnaît le Dr Mseif. Pour des bébés avec des poids allant de 500 à 1 100 g à la naissance, « c'est au jour le jour » avec des complications parfois très graves. « Il y en a un, je m'en souviendrai toujours, raconte le pédiatre. D'un coup, son état s'est détérioré, une complication au niveau des poumons. J'étais à côté. Il fallait intervenir tout de suite. Sinon on le perdait. »

Ce sont des bébés qui nécessitent beaucoup d'attention et de tendresse.

Une équipe d'infirmières s'occupe des bébés 24h/24 depuis le premier jour

Pour nous l'enjeu, c'était qu'ils réussissent à vivre sans séquelles.

Entretien avec le Dr Khalid Mseif, pédiatre de la clinique privée Aïn Borja, mobilisé dès le premier jour pour donner toutes leurs chances à ces bébés

Une tension aiguë que raconte aussi l'infirmière major du service qui prend en charge les nonuplés à temps plein depuis le premier jour. « Neuf bébés en même temps, avec des poids si bas à la naissance, c'est difficile, critique. Maintenant, grâce à Dieu, ça va, on est moins stressées. Toutes les trois heures, on les change, on les nourrit et on surveille leur température et leur tension. Ils sont stables. On attend seulement Hawa. » La petite Hawa, bébé plume à la naissance, 500 g, toujours sous oxygène trois mois après, avec une sonde pour l'alimenter afin qu'elle ne perde pas de force en tétant. Ses frères et sœurs tètent maintenant seuls leur biberon. Un critère essentiel pour envisager une sortie de la clinique. Presque tous dépassent maintenant les 2,5 kg. Le plus « lourd » pèse 3,6 kg.

« On est très heureux, très fiers de ce qu'on a fait, emmener ces bébés jusque-là, c'est vraiment une très bonne chose », dit, ému, le Dr Mseif. « Pour nous, l'enjeu était de les maintenir en vie, mais surtout qu'ils vivent sans séquelle. Et pour l'instant, tous les examens neurologiques sont bons. » En se tournant vers les parents, il ajoute : « Bravo à vous, et du courage. Il va vous falloir de l'aide, vous allez avoir besoin d'aide. »

Le Dr Khalid Mseif ausculte un des neuf bébés de Halima Cissé et Abdelkader Arby. « On est très fiers d'avoir amené ses bébés jusqu'ici, on est très heureux », dit le pédiatre.
Le Dr Khalid Mseif ausculte un des neuf bébés de Halima Cissé et Abdelkader Arby. « On est très fiers d'avoir amené ses bébés jusqu'ici, on est très heureux », dit le pédiatre. © RFI/Amélie Tulet

Comment expliquer une telle grossesse ? « On manque de recul, répond le Dr Mourad. Même mes collègues marocains m'ont demandé si c'était vrai. Mais si c'est une chose à vivre pour un gynécologue, de telles grossesses ne sont pas souhaitables du point de vue du médecin, car elles sont dangereuses pour la mère et les bébés. Il faut que cela reste rarissime. »

Quelle sera la prochaine étape pour les nonuplés et leurs parents ? Au moins la première année, il leur faudra vivre à proximité d'un centre de santé en mesure d'assurer le suivi du développement des bébés.