Un bond soudain du PIB de 29,6 % au Sénégal ou de 38,2 % en Côte d’Ivoire, sans changement structurel de l’économie : décryptage des raisons et enjeux derrière les nouveaux calculs statistiques des pays africains.
Les profanes sont surpris lorsqu’un pays comme le Togo annonce, le 22 septembre, que son produit intérieur brut (PIB), c’est-à-dire sa production annuelle de richesses, est supérieur de 36,5 % à ce que les statisticiens estimaient jusque-là.
Et que dire quand le PIB du Nigeria bondit en 2014, par la magie des statistiques, de près de 90 %, permettant à ce pays de ravir à l’Afrique du Sud la place de première économie africaine !
Ces réévaluations sont-elles inspirées par la recherche d’une gloriole économique ? Ou par la correction d’erreurs si énormes qu’elles font douter de la fiabilité des statistiques publiées ? Pour comprendre ce que les économistes appellent un « rebasage », il faut en décortiquer les raisons et les modalités.
- Pourquoi ?
Le calcul du produit intérieur brut est essentiel pour un pays. Somme détaillée des activités de l’État, de ses entreprises et de ses ménages, le PIB lui permet d’avoir une photo de son économie, de ses caractéristiques, de ses points forts et de ses points faibles.
Encore faut-il que les PIB des pays de la planète soient comparables entre eux. L’ONU, suivie de l’Union africaine, a demandé que tous les pays adoptent un système de comptabilité nationale commun baptisé SCN 2008, prenant en compte les secteurs informels qui comptent pour plus de 80 % dans la création de richesses de certains pays africains.
L’Union économique et monétaire ouest-africaine (UEMOA) pousse ses membres à accélérer le mouvement. C’est ainsi qu’outre celui du Togo, le PIB du Bénin a été réévalué de 36,4 %, celui du Burkina Faso de 13,5 %, celui de la Guinée Bissau de 10 %, celui du Niger de 33,3 %, celui du Sénégal de 29,6 %, celui de la Côte d’Ivoire de 38,2 %.
- Comment ?
Le terme de « rebasage » recouvre deux réalités en Afrique. D’abord une remise à niveau périodique à partir d’une année donnée pour tenir compte des changements dans la structure des prix ; l’Union africaine préconise que cette réévaluation soit effectuée tous les cinq ans.
Ensuite, une normalisation statistique basée sur les standards internationaux de la SCN 2008, afin de prendre en compte le secteur informel, voire les activités illégales. C’est la conjonction de ces deux objectifs qui donnent les augmentations parfois spectaculaires des PIB africains.
Or, autant il est relativement facile de chiffrer les productions de l’État et des entreprises formelles, autant le secteur informel pose des problèmes d’appréciation. Les agents des statistiques pratiquent des sondages sur les marchés et tentent de calculer la circulation d’argent liquide. Une grande partie de l’informel étant constitué de l’autoconsommation des agriculteurs, on s’efforce de mesurer les récoltes parfois de façon rudimentaire, parfois grâce à des photos satellites comme au Kenya. Ou bien on évalue les conditions climatiques et la croissance démographique pour estimer si la récolte de sorgho de telle région sera plus ou moins élevée que celle de l’année précédente.
« Il y a des pans entiers du PIB qui sont calculés à la louche, analyse un expert. Prenez la Centrafrique : on connaît très bien sa quarantaine d’entreprises formelles et leur production, mais elles sont installées à Bangui. À côté de ces données, on calcule de façon forfaitaire les productions industrielles et artisanales du reste du pays où les statisticiens ne peuvent pas se rendre pour des raisons de sécurité ».
Les gouvernements interviennent-ils pour gonfler leur PIB et s’en prévaloir auprès des électeurs ? « C’est plutôt le contraire, car ils redoutent que de meilleurs chiffres ne les privent des aides de l’Association internationale de développement (AID) de la Banque mondiale », répond l’expert.
- Avantages
Ces rebasages permettent aux gouvernements de construire des politiques et des plans de développement plus adaptés à la réalité économique et sociale de leur pays.
Ils ont surtout la vertu de baisser les ratios de déficits budgétaire, d’endettement et des balances courantes calculés par rapport au PIB. Ainsi, la réévaluation du PIB du Togo a-t-elle fait tomber son taux d’endettement de 68,3 % selon l’ancien calcul à 51,8 %. Autrement dit, le rebasage autorise les pays qui en bénéficient à emprunter plus et à tolérer des déficits accrus…tout en respectant les limites fixées par les instances multilatérales. Un vrai bonus : les comptes sont meilleurs et les financements plus faciles !
- Inconvénients
Mécaniquement, le nouveau calcul du PIB fait baisser le ratio des prélèvements fiscaux, ce qui est une mauvaise nouvelle pour le budget des États. Toujours pour le Togo, il a fait chuter sa pression fiscale de 20,8 %, selon l’ancien système, à 14,6 %, loin des 20 % souhaités par l’Union africaine.
Enfin le réajustement du PIB à la hausse grâce à la prise en compte des activités informelles ne rassure pas beaucoup les investisseurs. En effet, par nature, celles-ci ne sont pas taxables et ne peuvent ni participer au fonctionnement des services publics, ni au remboursement de la dette publique…