Dialogue interreligieux

« Lorsque nous travaillons pour les âmes, nous ne pouvons user que de persuasion et d'amour... Nous ne pouvons rien faire tant que nous n'avons pas persuadé les gens autour de nous qu'ils sont aimés... » (Cardinal Lavigerie, 1885)

« Nous croyons qu'en toute religion il y a une secrète présence de Dieu, des semences du Verbe qui reflètent un rayon de sa lumière... » (Chapitre 1967)

« Nous célébrons et partageons cette vie avec Dieu lorsque nous allons à la rencontre des cultures et des religions... nous réjouissant de la foi vivante de ces croyants et les rejoignant dans leur quête de la Vérité, cette Vérité qui nous rend tous libres. » (Chapitre 1998)

Missionnaires, nous sommes appelés à faire les premiers pas pour rencontrer les personnes, qu'elles que soient leurs convictions, leur religion.

Au Burkina Faso, cette réalité se traduit surtout dans la rencontre respectueuse et évangélique avec les adeptes des religions traditionnelles et avec les musulmans.

Dans cette rubrique, nous étudierons divers aspects de ces religions, particulièrement de l'islam.

                                                                                                                                                                       VENDREDI 5 MARS 2021

 Dominique Greiner,
 rédacteur en chef de Croire-La Croix

ÉDITO

Le pape au pays d'Abraham

 

Après quinze mois d’interruption, le pape François reprend ses voyages apostoliques.
En dépit des risques sanitaires et sécuritaires, il a choisi de se rendre en Irak du 5 au 8 mars.

Cette destination est symbolique à plusieurs titres.

Le pape François, en pèlerin de la paix, veut d’abord manifester une attention particulière à ce pays fortement éprouvé depuis plusieurs décennies par les guerres, les violences et les persécutions. De Bagdad à Erbil, en passant par Nadjaf et Qaraqosh, son déplacement historique est conçu pour laisser une empreinte de paix dans un pays blessé qui a besoin de guérir ses blessures pour se reconstruire.

C’est aussi la première fois qu’un pape se rend dans ce pays à majorité musulmane, qui est considéré comme le berceau du christianisme : l’Église chaldéenne qui y est présente est l’héritière de l’Église de l’Orient fondée, selon la tradition, par l’apôtre saint Thomas dès le premier siècle de notre ère. Cette Église a beaucoup souffert ces dernières années. Elle a vu ses effectifs fondre, beaucoup d’Irakiens chrétiens ayant pris la route de l’exil. Le pape François vient lui manifester son soutien et l’encourager à prendre sa part dans la reconstruction du pays.

Ce voyage a aussi une forte connotation interreligieuse. Le pape se rendra notamment à Ur, la ville d’où, toujours selon la tradition, est parti Abraham, le patriarche commun aux trois grands monothéismes. Ceux qui s’en réclament ne peuvent faire autrement que de se reconnaître frères et de travailler ensemble à l’avenir de leur pays. Ce rappel de fraternité est une invitation à ne pas rester prisonniers des souffrances du passé et à travailler à la renaissance matérielle et spirituelle de l’Irak. Un appel qui s’adresse aussi à nous.

LE TÉMOIGNAGE D'UN CHRÉTIEN D'IRAK

 

Pensez à aller tout en bas de cet article pour trouver l'essentiel, ce que le pape demnde aux fidèles pour son voyage

Cardinal Parolin: le Pape va porter l’espérance du dialogue en Irak – Vatican News

 

Pour la première fois dans l’Histoire, un Pape se rendra en Irak. Le pays qui a donné naissance à Abraham et où réside l’une des plus anciennes communautés chrétiennes, a encore des blessures de guerre très visibles, et doit faire face aux fléaux de la pauvreté, du terrorisme et maintenant du Covid-19. Le Secrétaire d’État du Saint-Siège, le cardinal Pietro Parolin, évoque l’importance de ce voyage, en insistant sur l’urgence d’une collaboration pour reconstruire le pays et panser toutes les «blessures, pour commencer une nouvelle étape».

Source : Cardinal Parolin: le Pape va porter l’espérance du dialogue en Irak – Vatican NewsMassimiliano Menichetti, 02.03.21

 

La visite du pape François en Irak

Un dossier réalisé par Oasis pour comprendre les enjeux ecclésiaux, interreligieux et politiques de la visite du pape François en Irak

C’était le désir de Jean Paul II pour le Jubilé et le souhait de Benoît XVI. Il va devenir réalité avec François. Son voyage en Irak du 5 au 8 mars, le premier dans le monde transformé par la pandémie, mettra encore une fois une périphérie au centre.

Lire le dossier: La visite du pape François en Irak, Oasis, Martino Diez, 02.03.21

 

 

Le Pape demande aux fidèles de prier pour son voyage en Irak

Vatican News, 3 mars 2021

À l'issue de l'audience générale du 3 mars, le Saint-Père a rappelé l'importance du voyage aposto-lique qu'il entamera vendredi 5 mars, souhaitant que cette visite porte «les fruits espérés».

À deux jours de son départ pour Bagdad, le Pape François a rappelé l'importance de ce voyage aposto-lique pour le peuple irakien...

https://www.vaticannews.va/fr/pape/news/2021-03/pape-voyage-irak.html?utm_source=newsletter&utm_medium=email&utm_campaign=NewsletterVN-FR

Le Pape François a souhaité être accompagné par la prière de chacun pour que cette visite soit une réussite.

«Après-demain, si Dieu le veut, je partirai en pèlerinage de trois jours en Irak, a t-il confié à l'issue de l'audience générale. «Depuis un certain temps, je voulais rencontrer ce peuple qui a tant souffert; rencontrer cette Église martyre sur la terre d'Abraham. Avec les autres chefs religieux, nous ferons également un pas de plus vers la fraternité entre les croyants. Je vous demande d'accompagner de vos prières ce voyage apostolique, afin qu'il se déroule de la meilleure façon possible et porte les fruits espérés». 

«Le peuple irakien nous attend, a ajouté le Saint-Père, il attendait Saint Jean-Paul II, à qui l'on a interdit de partir. Nous ne pouvons pas décevoir un peuple pour la deuxième fois. Prions pour que ce voyage se déroule dans de bonnes conditions».

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La Ziggourat d'Ur  

La Mésopotamie, terre des Empires et du «père des croyants»

Entretien réalisé par Manuella Affejee - Cité du Vatican, 03 mars 2021

Le voyage s’annonce historique à maints égards: le Pape François se rend dans quelques jours en Irak, qui recouvre en grande partie l’ancienne Mésopotamie, terre d’origine d’Abraham, père des trois grands monothéismes, et berceau de prestigieux empires et civilisations, dont les vestiges ont traversé les siècles.

Dominique Charpin est assyriologue, spécialiste de l’écriture cunéiforme, titulaire de la chaire Civilisation mésopotamienne au Collège de France.

Qu’appelle-t-on Mésopotamie?

Le terme de Mésopotamie est d'origine grecque et signifie «Entre les fleuves», soit le Tigre et de l'Euphrate, qui prennent naissance en Turquie orientale et coulent jusqu'au Golfe arabo-persique. Pour les Grecs et les Romains, le terme se limitait à la région située au nord de l'actuelle Bagdad.

De nos jours, les spécialistes l'utilisent pour désigner le territoire qui correspond à l'Irak et à la partie orientale de la Syrie et la civilisation qui s'y est développée: cela recouvre les territoires de l'Assyrie au nord et de la Babylonie au sud. La caractéristique de la plaine mésopotamienne au sud de Bagdad est d'être une zone très plate, autrefois régulièrement inondée. Son sol argileux est très fertile, à condition d'être irrigué. Pendant des siècles, cette région a été marquée par la complémentarité entre les agriculteurs sédentaires et les pasteurs nomades, ces derniers étant des éleveurs de petit bétail avant l'introduction du chameau au cours du premier millénaire av. J.-C.

Peut-on aujourd’hui situer chronologiquement le départ d’Abraham d’Ur, sa ville natale, selon la Genèse? La Bible donne-t-elle des indications à l’historien sur ce point?

L'historien constate qu'il n'existe aucun élément relatif à Abraham en dehors de la Bible. C'est seulement à partir du VIIIe siècle av. J.-C. que certains rois d'Israël et de Juda sont mentionnés dans les inscriptions des rois assyriens, puis babyloniens. Auparavant, même des figures comme David et Salomon ne sont connues que par la Bible –l'inscription découverte en 1993-94 à Tell Dan ne mentionne David qu'indirectement dans l'expression la «Maison de David», c'est-à-dire la dynastie qui se réclame de David comme fondateur.

Pour des figures comme Abraham, on ne dispose pas d'autres données que les récits de la Genèse: son nom n'apparaît pas dans les quelques 1 500 tablettes d'archives écrites en cunéiforme datant des années 2000 à 1738 retrouvées à Ur. Beaucoup d'entre elles proviennent de demeures fouillées par l'anglais Woolley entre 1922 et 1934, qui ont révélé de nombreuses informations sur l'existence des habitants de ces quartiers; mais l'attribution à Abraham d'une de ces maisons est purement conventionnelle. 

Pendant longtemps, des historiens ont pensé que le roi Amraphel cité dans le livre de la Genèse (14, 9) était le roi Hammurabi (1792-1750 av. J.-C.), mais cette interprétation est aujourd'hui abandonnée par la majorité des spécialistes: c'est l'origine de l'ancrage d'Abraham dans la chronologie mésopotamienne. On voit bien que le récit biblique n'est pas historique au sens moderne de ce terme.

Par exemple, les deux frères d'Abraham sont nommés Nahor et Haran; or il s'agit, non pas de nom de personnes, mais de villes situées en Haute-Mésopotamie, dans une région irriguée par des affluents de l'Euphrate. Harran se trouve sur le Balih, en Turquie, juste au nord la frontière actuelle avec la Syrie; Nahur, qui n'est pas encore identifiée, se situait un peu plus à l'est, dans la région du «triangle du Habur».

La région est alors régulièrement sujette à de nombreux mouvements de population. L’exode d’Abraham doit-il s’appréhender à cette aune?

Il est vrai que la circulation des hommes, des biens et des idées, entre la Mésopotamie et la côte levantine existait depuis au moins le troisième millénaire: les archives d'Ebla de Mari ou d'El-Amarna en témoignent. Certains ont voulu relier les pérégrinations d'Abraham aux migrations des Amorrites. Mais leur mouvement général, aux alentours de 2000 av. J.-C., va des régions occidentales vers le Sud-Est – exactement le mouvement inverse de celui de Terah, qui emmena avec lui son fils Abraham et son petit-fils Lot: leur itinéraire les conduisit d'Ur à Harran, donc du sud vers le nord-ouest. Du coup, certains ont voulu faire de Terah et d'Abraham des marchands; il est vrai que l'on possède un itinéraire daté de 1748 av. J.-C. qui retrace le déplacement d'une caravane depuis le sud de l'Irak jusqu'au nord-ouest de la Syrie, mais ce document prouve seulement l'existence d'une telle route, pas celle de Terah et Abraham.

De façon plus pertinente, on a remarqué que les deux points extrême de cette pérégrination, Ur et Harran, sont des villes dont la divinité principale était le dieu-Lune (Sîn), et cela depuis au moins le début du IIe millénaire. Ce n'est sans doute pas un hasard mais le texte biblique, dans son état actuel, ne permet que des spéculations sur ce point.

Quelle est la situation géopolitique de la région, qui alterne entre période d’unification politique et territoriale et fragmentation?

Depuis 2350 av. J.-C., l'histoire de la Mésopotamie est en effet une succession de périodes où un souverain réussit à s'imposer sur un large territoire et de phases de décomposition des empires successifs, ceux des Assyriens et des Babyloniens au premier millénaire ayant été particulièrement marquants.

Un exemple de cette tendance se rencontre avec Hammurabi (1792-1750 av. J.-C.). Ses débuts avaient d'abord vu la coexistence au Proche-Orient de six grands royaumes, chacun d'eux imposant son autorité à une dizaine de «vassaux». Le roi de Babylone réussit à annexer peu à peu toute la Mésopotamie, mais son empire se fragmenta dès le règne de son fils Samsu-iluna.

Les récits sur les Patriarches, même s'il n'ont été intégrés au Pentateuque qu'à une époque récente, contiennent des éléments sûrement anciens, notamment le passage relatant la conclusion d'une alliance entre Dieu et Abraham; elle comporte un rite d'immolation d'animaux qu'on rencontre pour la première fois dans les archives du palais de Mari, qui fut détruit par Hammurabi. L'épisode de Kedorlaomer au chapitre 14 de la Genèse pose de difficiles questions sur la mémoire qu'on aurait pu garder d'événements très anciens, comme une invasion venue d'Elam.

Vous connaissez le site d’Ur depuis de nombreuses années pour y avoir travaillé. Que nous apprennent la ziggourat et les tombes royales qui s’y trouvent de la conception du monde de ces civilisations, et de leur rapport au divin?

En effet, j'ai travaillé sur Ur dès ma thèse de troisième cycle, puis pour ma thèse d'État portant sur le clergé de cette ville à l'époque de Hammurabi. Et, lorsque la fouille du site a repris à l'initiative d'A. Al-Hamdani, j'ai eu le bonheur de participer comme épigraphiste à l'équipe internationale dirigée par Elizabeth Stone et les découvertes des campagnes de 2015, 2017 et 2019 ont été abondantes. La ziggurat d'Ur a toujours attiré l'attention des voyageurs et elle reste aujourd'hui une attraction pour de nombreux visiteurs – notamment irakiens.

Bâtie au XXIe siècle av. J.-C., elle fut restaurée une dernière fois par des rois babyloniens du VIe siècle av. J.-C. C'est son homologue de Babylone qui donna lieu au récit de la Tour de Babel dans la Genèse. Nous connaissons encore mal le rôle exact des ziggourat dans les sanctuaires, mais il est sûr que les Hébreux, dans leur polémique contre la religion babylonienne, ont déformé la réalité: pour les Mésopotamiens, les ziggourat n'étaient pas tant un moyen pour les hommes de s'élever jusqu'au ciel qu'au contraire une possibilité offerte aux dieux de descendre visiter les hommes sur terre. Les tombes royales, fouillées par Woolley dans les années 1920, sont encore plus anciennes, puisque la plupart remontent aux années 2500-2200 av. J.-C. Leur riche matériel funéraire, qu'on peut voir dans le Musée de Philadelphie et au British Museum (mais, pour des raisons de sécurité, pas actuellement au musée de Bagdad) frappe l'imagination.

Uruk, Akkad, Ur, Babylone…

Que devons-nous à ces civilisations mésopotamiennes?

Notre dette envers la Mésopotamie est considérable, en commençant par l'écriture: certes, l'alphabet latin dérive du grec lui-même issu de l'écriture phénicienne, mais celle-ci est née dans un milieu où l'écriture cunéiforme s'était imposée depuis longtemps. L'invention de l'écriture à Sumer remonte à la fin du IVe millénaire à Uruk.

Parmi les éléments directement hérités de la Mésopotamie, on peut également citer le comput du temps, avec la division de l'heure en soixante minutes, selon un principe de calcul qui remonte aux Sumériens. Plus généralement, les Mésopotamiens ont légué bien des éléments de leur culture à leurs voisins et la Bible nous a transmis une partie de cet héritage. Les récits du Déluge ou le livre de Job ont des précurseurs dans la littérature mésopotamienne, qui a fourni de véritables chefs-d'œuvre dont le plus connu est l'épopée de Gilgamesh.

Les vicissitudes géopolitiques de la région ont considérablement entravé le travail des archéologues et mettent en péril de nombreux sites historiques. Comment, dans ces conditions, envisager les recherches de l’assyriologue et la sauvegarde de ce patrimoine plurimillénaire?

Deux phénomènes doivent être nettement distingués: les fouilles irrégulières et les destructions volontaires. Pendant très longtemps, les habitants des localités situées à proximité des sites archéologiques allaient y récupérer des briques ou y chercher de l'argile, et c'est ainsi que de nombreuses découvertes fortuites ont eu lieu. À partir du milieu du XIXe siècle, lorsque les archéologues ont commencé des fouilles, les populations voisines ont parfois poursuivi leur travail de manière clandestine.

Depuis 1991, l'embargo a tellement appauvri la population que certains ont vu dans les fouilles clandestines un moyen de survie – enrichissant surtout les marchands d'antiquités auxquels des collectionneurs privés achetaient les objets ainsi découverts. Ce trafic, quoiqu'illégal, s'est intensifié après 2003, le Service des Antiquités n'ayant plus eu les moyens d'effectuer le moindre contrôle pendant des années. Heureusement, la situation s'est depuis bien améliorée. L'autre phénomène est celui des destructions volontaires, comme celles que Daesh a pratiquées surtout dans le nord de l'Irak, en particulier à Nimrud: la destruction de la ziggourat n'avait d'autre sens que de faire volontairement disparaître des vestiges historiques: comme si le passé de l'Irak – et de l'humanité toute entière – pouvait être ainsi anéanti… Mais il ne faut pas être pessimiste: la richesse du patrimoine irakien est telle qu'il reste encore beaucoup de monuments et de sites à découvrir, faire connaître et préserver pour les générations futures!

La Mésopotamie, terre des Empires et du «père des croyants» - Vatican News

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L’Irak toujours en quête de stabilité politique et sécuritaire

 

Entretien réalisé par Delphine Allaire – Cité du Vatican | 03 mars 20211

Après plusieurs décennies de guerre et de chômage endémique, le contexte politique, économique et sécuritaire du pays des deux fleuves demeure fragile et complexe. Le Pape François visitera une terre encore meurtrie par l’occupation djihadiste, menacée d'un retour en force.

Les forces sécuritaires quadrillent Bagdad le 3 mars 2021 avant la venue du Pape François dans le pays

Offensive militaire turque au nord, déploiement de milices au sud et au centre, retour en force du groupe État islamique et conflit ouvert entre Erbil et Bagdad… La situation sécuritaire irakienne est de plus en plus complexe, et le pays risque de glisser vers la guerre civile contre laquelle l’ayatollah Ali Al-Sistani ne cesse de prévenir chaque vendredi.

Des milices, substituts d’État

Pourquoi? Car dans cet Irak, répond le chercheur associé à l’IFRI, Adel Bakawan, sévissent 63 organisations miliciennes lourdement armées. «175 000 combattants répartis sur trois écoles miliciennes», une véritable «milicisation» de la société et de l’État irakien, regrette ce directeur de recherche à l’IREMMO (Institut de recherche et d’études Méditerrannée Moyen-Orient). Face à cela, le gouvernement semble désarmé, également sur le plan social. Les revendications du mouvement de manifestations de 2019-2020 n’ayant, estime t-il, pas été prises en compte à ce jour. De Bagdad à Bassorah, la contestation semble endormie par la crise sanitaire, mais risque de se réveiller à l’automne, avant la présidentielle d’octobre. 

Une marginalisation sunnite qui renforce Daech

Quant à l’influence persistante du groupe État islamique qui continue ses attaques meurtrières dans le pays, elle reflète, selon Adel Bakawan, la détresse d’une grande partie des sunnites marginalisés en Irak depuis 2003. L’État irakien a depuis mis en place une «désunnification», malgré une contribution de la base sociale des sunnites à combattre l’EI en 2017. «Leur réinsertion n’est pas organisée», observe le chercheur, aggravant un contexte social dramatique.   

Des confessions et ethnies fracturées

Infrastructures, routes, hôpitaux, écoles, manquent toujours à l’appel. La reconstruction n’a pas encore véritablement démarrée. «À Mossoul en ruines, l’odeur des cadavres se fait encore sentir. Un Mossoul en ruines semblable à Berlin 1945», se désole le sociologue franco-irakien, qui constate la dégradation concomitante de la mixité. «L’on trouve rarement un quartier mixte dans la capitale, pourtant historiquement réputée pour cela depuis des siècles.»

Le Saint-Père se rend donc dans un pays mosaïque, profondément divisé entre chiites, sunnites, kurdes, et entre chiites-mêmes par les pro-iraniens, les nationalistes, les libéraux, ou entre sunnites, où le défi du dialogue et de la restauration de la confiance entre les différentes communautés est prioritaire.

Entretien avec Adel Bakawan, chercheur à l'IFRI

 

La rencontre entre al-Sistani et le pape François est fondamentale pour l’islam chiite »

Entretien avec Hugues Lefèvre | Aleteia, 03/03/21

L’ayatollah Ali al-Sistani.

Le pape François doit rencontrer l’ayatollah al-Sistani, plus haute autorité chiite d’Irak, ce samedi 6 mars lors de son voyage en Irak. "C’est l’un des hommes les plus influents du pays", assure le père Christopher Clohessy, docteur à l’Institut Pontifical d’Etudes Arabes et d’Islamologie (PISAI).

Deux ans après avoir rencontré le Grand Imam d’Al-Azhar, le sunnite Ahmad Al-Tayeb, le pape François poursuit son rêve de fraternité en s’entretenant ce samedi 6 mars lors de son voyage en Irak avec l’une des plus grandes autorités chiites au monde, l’ayatollah al-Sistani. D’après le cardinal Sako, la rencontre devrait rester privée et les deux dignitaires pourraient parler de l’importance de la fraternité et de la réconciliation. « Il a joué un rôle très important en tant qu’artisan de paix et de négociateur de traités dans les affaires religieuses et politiques après l’invasion américaine en 2003 », détaille le père Christopher Clohessy, docteur à l’Institut Pontifical d’Études Arabes et d’Islamologie (PISAI). Eminent spécialiste de l’islam chiite, ce chercheur sud-africain décrypte les enjeux de cette rencontre historique.

Que représente le grand Ayatollah al-Sistani dans le monde musulman ?

Père Christopher Clohessy : Il est une figure essentielle dans l’islam chiite. À la tête de l’école de Najaf, il a sous son autorité un nombre très important d’universitaires chiites disséminés à travers le monde. Comme le pape François, il est une figure attrayante. Sa popularité planétaire, y compris en Iran – pays où il est né –, montre que beaucoup de personnes préfèrent sa vision légèrement plus modérée de celle de Rouhollah Khomeini [Ayatollah arrivé au pouvoir en Iran en 1979 et mort en 1989, NDLR]. Cette pensée politique, encore à l’œuvre aujourd’hui dans la République islamique d’Iran, considère que les religieux doivent concentrer tous les pouvoirs.

Disciple de ancien professeur, le grand Ayatollah al-Khoei (1899-1992), al-Sistani se trouve depuis 2009 dans les dix premières positions du « The Muslim 500″, le classement des musulmans les plus influents au monde. Il a par ailleurs été classé en 2005 parmi les 100 plus grands intellectuels de la planète. En 2014, il avait été nominé pour recevoir le Prix Nobel de la Paix.

Quelle est son autorité en Irak ?

C’est l’un des hommes les plus influents du pays. Il a joué un rôle très important en tant qu’artisan de paix et de négociateur de traités dans les affaires religieuses et politiques après l’invasion américaine en 2003. Exhortant le clergé à s’engager dans la justice et la politique afin de mieux guider le peuple irakien, il a appelé à un vote démocratique dans le but de former un gouvernement de transition, a encouragé la population à participer aux élections cruciales de janvier 2005 – y compris les femmes qu’il a invitées à la mobilisation dans une fatwa spéciale. Il a supplié les chiites irakiens de ne pas répondre aux attaques des extrémistes sunnites. Appelant au calme après des séries d’attentats à la bombe, il a souvent expliqué aux chiites que les coupables n’étaient pas leurs voisins sunnites, mais bien les extrémistes. En 2014, il a également lancé un appel pour que les Irakiens soutiennent leur gouvernement dans la lutte contre l’organisation État islamique.

La rencontre qui va avoir lieu entre le pape et le leader chiite est-elle le pendant de la rencontre entre le pape et le sunnite al-Tayyef ?

La rencontre avec le grand imam d’Al-Azhar était importante. Mais je crois que, pour l’islam chiite, cette rencontre avec le pape François est fondamentale car elle signifie que toute la famille de l’islam est désormais considérée. Même si l’islam chiite est devenu minoritaire, il représente encore des millions de personnes dans le monde. Par cette rencontre, le Pape envoie un message aux chiites pour leur dire qu’ils ne sont pas oubliés ou bien dépassés. Il leur assure qu’ils font partie intégrante du processus de dialogue et de paix dans le monde.

Vous l’avez dit, al-Sistani représente un courant chiite légèrement différent de celui de Khomeini et de l’école de Qom, en Iran. Comment ce pays va-t-il réagir à la visite du pape à al-Sistani ?

L’Iran ne devrait pas réagir de manière négative. Même à Qom, où al-Sistani a étudié à ses débuts, ce dernier est très respecté. Certes, sa vision de l’islam diffère légèrement de celle de Khomeini. Mais malgré quelques désaccords avec les religieux au pouvoir en Iran, al-Sistani n’a jamais vraiment encouragé la rivalité entre les deux grands centres chiites. Je pense que la rencontre sera presque unanimement accueillie par les musulmans chiites.

Quel pourrait être l’impact concret d’une telle rencontre ?

Je ne m’attends pas à la signature d’un document comme ce fut le cas avec le Pape et le grand imam d’al-Azhar et le document sur la Fraternité humaine. Je ne pense pas qu’al-Sistani pourrait signer un document uniquement pour le plaisir de parapher quelque chose ou bien pour le symbole. La rencontre – qui sera courte – s’inscrit dans un agenda plus vaste. Il pourrait y avoir plus tard une déclaration commune venant de Najaf et du Vatican.

François et al-Sistani partagent des visions et perspectives très proches. Tous deux veulent dire qu’ils connaissent la valeur de la paix et qu’ils sont prêts à travailler dur pour cela.

Pour autant, il s’agit d’une rencontre hautement symbolique, et parfois le contenu symbolique est plus important que ce qui est dit. Malgré les critiques, parfois violentes, qu’on peut observer sur les réseaux sociaux entre les soi-disant “libéraux” et “conservateurs” – aussi bien du côté catholique que du côté chiite –, je dirais que François et al-Sistani partagent des visions et perspectives très proches. Tous deux veulent dire qu’ils connaissent la valeur de la paix et qu’ils sont prêts à travailler dur pour cela.

Comment le Pape et l’Église sont-ils perçus dans le monde chiite ?

Je ne suis pas certain que le pape, de par sa fonction et son mandat, ou l’Église catholique, institution mondiale, apparaissent en bonne place sur le radar de l’islam chiite. Néanmoins, le pape François est une figure populaire, en partie pour son nom. Dans l’islam, on se rappelle encore de l’histoire de la rencontre de saint François avec le sultan. Saint François est considéré dans le monde entier comme un homme de paix. De sorte que le pape François est vu sous cet angle.

Où en sont les relations entre les chiites et les catholiques aujourd’hui ?

Au cours des dernières décennies, on a assisté à une montée en puissance du dialogue entre le catholicisme et le chiisme – il existe des liens étroits théologiques et spirituels entre les deux religions. Depuis la déclaration Nostra Aetate et le concile Vatican II, l’islam échange régulièrement avec l’Église catholique, mais moins avec les autres branches du christianisme. Selon moi, comme le dit le pape émérite Benoît XVI, ce dialogue a été et continue d’être crucial mais il est difficile de le qualifier de « théologique ». En effet, mis à part le fait d’informer son partenaire sur ses propres croyances ou de lui poser des questions sur son système de croyances, il est peu probable que ces échanges aillent plus loin et que les positions doctrinales et théologiques fondamentales soient susceptibles d’évoluer ou d’être compromises.

C’est-à-dire ?
Bien souvent, ces dialogues ne sont guère plus qu’un groupe de musulmans qui invite un groupe de chrétiens à expliquer des doctrines chrétiennes complexes comme la Trinité ou l’Incarnation. Toutefois, comme l’expliquait Benoît XVI, nous devons continuer d’essayer d’encourager des échanges francs sur des thèmes centraux, comme la liberté de culte, la dignité humaine ou bien la non-violence.

Le christianisme et l’islam sont en réalité du même côté dans une bataille contre le sécularisme radical.

Aussi, on ne peut certainement pas nier le potentiel de l’islam en tant qu’allié pour la défense des grandes valeurs religieuses que sont la foi et l’obéissance à Dieu. Le christianisme et l’islam sont en réalité du même côté dans une bataille contre le sécularisme radical.

Entre les chiites et les sunnites, avec qui l’Église catholique a-t-elle le plus de facilités à dialoguer ?

Selon moi, il existe des liens plus forts entre les catholiques et les chiites qu’entre les catholiques et les sunnites. Cela s’explique en partie par les points communs qui existent entre chiites et catholiques : par exemple, une croyance commune dans l’intercession des saints, des parallèles importants entre al-Husayn, le grand martyr du chiisme, et Jésus ; entre Fatima [fille du prophète Mahomet, ndlr], la mère souffrante et vierge d’al-Husayn, et la Vierge Marie. En outre, les deux systèmes religieux accordent une grande importance aux rituels ainsi qu’à la nécessité de faire mémoire. Il s’agit alors de mettre en œuvre rituellement un souvenir pour rendre l’événement présent et pour placer le croyant au cœur de cet événement.

Si des ponts peuvent exister entre catholiques et chiites, on relève néanmoins que la situation des chrétiens dans les pays à majorité chiite n’est guère réjouissante…

C’est exact. Il ne fait aucun doute que les minorités chrétiennes dans les pays musulmans ne bénéficient pas de tous leurs droits. Lors de son voyage, il me semble capital que François ne s’adresse pas seulement aux chrétiens d’Irak mais qu’il ait aussi le courage d’interpeller les autorités au sujet de la liberté religieuse. Le Document sur la Fraternité humaine restera un morceau de papier sans valeur s’il ne concourt pas à porter des fruits réels et concrets. Cela n’a pas encore eu lieu.

Lire aussi: « La fraternité est la nouvelle frontière de l’humanité », souligne le pape François

Cardinal Sako : « Je veux croire que le voyage du pape
sera une nouvelle étape dans l’histoire de l’Irak »

Entretien 

Le patriarche de l’Église catholique chaldéenne, le cardinal Louis Raphaël Ier Sako, a largement contribué à l’organisation du voyage du pape en Irak, du 5 au 8 mars prochain. Plus qu’un simple événement, il voit cette visite comme un « avènement », un signe encourageant pour l’avenir après deux décennies de guerre et de destructions.

  • Recueilli par Mélinée Le Priol, 

Lecture en 2 min.

                                                        Cardinal Sako : « Je veux croire que le voyage du pape sera une nouvelle étape dans l’histoire de l’Irak »
 
                                    Le cardinal Louis Sako en décembre 2017 à Bagdad.KHALID MOHAMM

La Croix : Qu’attendent les Irakiens de ce voyage ?

Cardinal Louis Sako : Ce voyage ne suscite pas seulement l’attente et l’intérêt des Églises locales : le gouvernement fédéral, ainsi que les Irakiens musulmans, font aussi preuve d’un enthousiasme extraordinaire ! Je m’en rends compte lorsque je reçois des chefs religieux ou des responsables du gouvernement, mais aussi quand je vois la manière dont les médias irakiens semblent déjà curieux de couvrir cette visite. Tout le peuple irakien attend le message que le pape François va lui adresser.

→ EXPLICATION. À Rome et en Irak, la délicate préparation du voyage du pape

Le pape vient pour être parmi nous et nous encourager à espérer, alors que nous avons tant entendu le bruit des armes et des explosions depuis 2003 (année de l’invasion américaine et de la chute de Saddam Hussein, NDLR.). Avec impatience, nous attendons de lui un message sur la paix, la réconciliation et la reconstruction de notre pays.

Pour moi, cette visite n’est pas seulement un événement, c’est un avènement. Je veux croire qu’elle constituera une nouvelle étape dans l’histoire de l’Irak, mais aussi de la Syrie, la Libye, le Yémen - ces pays du Moyen-Orient qui ont connu la guerre et la destruction ces dernières années. Il nous faut sortir de tout le malheur que nous avons vécu.

À cet égard, le passage par Mossoul, dont Daech avait fait la capitale irakienne de son « califat » en 2014, constitue un moment clé du voyage…

Card. L. S. : Bien sûr. La ville est ravagée, comme a pu l’être Hiroshima. Ici, les destructions sont le résultat des fondamentalismes et du terrorisme. À Mossoul, dimanche 7 mars au matin, le pape devrait prononcer un message pour condamner cette idéologie.

→ REPORTAGE. Voyage du pape en Irak : les chrétiens de Bagdad rêvent d’exil

Les chrétiens d’Irak ont payé le prix cher pour rester fidèles à leur foi, parfois de leur propre vie. Le pape va les encourager à persévérer, à espérer, mais aussi à reconstruire la confiance avec leurs voisins, notamment musulmans, pour préparer un avenir meilleur.

Le dialogue interreligieux sera justement un des grands enjeux de ce voyage. Attendez-vous des avancées concrètes sur ce plan ?

Card. L. S. : Pour préparer ce voyage, une délégation vaticane est venue trois fois en Irak au cours des derniers mois. Or, la ville de Nadjaf (haut lieu de pèlerinage chiite à 200 km au sud de Bagdad, NDLR.) n’était initialement pas inscrite au programme. Mais j’ai insisté pour l’ajouter.

Le pape a en effet vécu, en février 2019, à Abu Dhabi, un moment très fort de dialogue avec le monde sunnite, par l’intermédiaire du grand imam d’Al Azhar. Pour que tout l’islam soit engagé dans ce dialogue, le monde chiite doit aussi y prendre part. C’est capital, car l’islam vit aujourd’hui une crise, avec la présence de l’idéologie fondamentaliste partout dans le monde.

Cela dit, et contrairement à ce qui s’est passé à Abu Dhabi il y a deux ans, il n’est pour l’heure pas question d’un document ou d’une déclaration que le pape signerait avec l’ayatollah Al Sistani ; seulement d’une rencontre en tête-à-tête. Mais nous savons que François est un pape des surprises ! D’une manière ou d’une autre, je m’attends donc à être surpris.

Pour une terre réconciliée à Taizé

La communauté de Taizé, au sud de la Bourgogne, réunit soixante-dix frères de diverses origines chrétiennes.
Tout au long de l'année, des jeunes venus du monde entier viennent s'y ressourcer. Frère Sébastien nous guide sur cette jolie colline. Ecoutons-le !

Mis à jour le 26 février 2021 à 4:50

Publié le 23 février 2021 à 12:51

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La Communauté de Taizé accueille chaque année des milliers de jeunes du monde entier. Photo : Ciric.

La préoccupation de Taizé pour l’environnement ne date pas d’hier. Il y a un demi-siècle, le lancement d’une coopérative
agricole et la mise en place d’un système d’épuration des eaux usagées étaient précurseurs pour l’époque. Aujourd’hui, les jeunes volontaires sont en première ligne pour aider la communauté à mettre l’écologie au coeur de la vie quotidienne à Taizé, dans tous les domaines : panneaux solaires pour chauffer l’eau, isolation thermique des bâtiments, chauffage par le sol des lieux de prière, compostage des déchets organiques, etc. C’est dans cet élan que la communauté a rejoint en 2019 le réseau oecuménique des « Églises vertes ».
Aujourd’hui, beaucoup de jeunes découvrent dans la préoccupation pour la Création un appel qui leur vient de la foi.
A Taizé, nous voulons encourager cette prise de conscience et y participer. »

Fr. Benoît

 

                                                
               Prière dans l’église de la Réconciliation, à Taizé.
                                                  Chaque semaine d’été (hors été 2020 pour cause de pandémie), plus de 3000 jeunes venus                                          de toute l’Europe se retrouvent sur la colline de Taizé pour une semaine d’échanges et de prière. 

 

A lire aussi sur Lepelerin.com : « À Taizé, j’ai découvert qui j’étais »

Où s’adresser

Communauté de Taizé,
71 250 Taizé
 –

Tél. : 03 85 50 30 01 –
Cette adresse e-mail est protégée contre les robots spammeurs. Vous devez activer le JavaScript pour la visualiser. – taize.fr/eco

Pour s’y rendre en classe écolo

La gare SNCF la plus proche est
Mâcon-Loché TGV, à 1 h 35 de Paris.
Depuis Mâcon et Chalon, des bus circulent plusieurs fois par jour en passant par Taizé. Une piste cyclable passe aussi du bas du village.

                                  
La Communauté de Taizé accueille chaque année des milliers de jeunes du monde entier. Photo : Ciric.
                              
                                Veillée de prière lors du rassemblement interreligieux et fraternel entre jeunes musulmans et chrétiens, organisé par la communauté de Taizé, le 6 mai 2017. Photo : Ciric.

>>>A lire aussi sur Lepelerin.com : À Taizé, tout est lié

"Fratelli tutti" traduite en russe par des musulmans – Vatican News

La semaine prochaine, la première traduction en russe de l’encyclique du Pape François sur la fraternité humaine sera présentée à Moscou. Un travail fait par des musulmans russes à l’approche de Noël.

Vendredi 3 mars, le nonce apostolique en Russie, Mgr Giovanni D’Aniello, et l’archevêque de Moscou, Mgr Paolo Pezzi, présenteront aux côtés du directeur spirituel des musulmans de la Fédération de Russie, le grand mufti de Russie Ravil Gainutdin, la première traduction en russe de l’encyclique du Pape François.

Lire la suite : «Fratelli tutti» traduite en russe par des musulmans – Vatican News, 25.02.21

Citoyens musulmans en France et au Royaume-Uni : quelle place dans les cimetières? |The Conversation

La crise sanitaire liée à la pandémie de la Covid-19 ainsi que les débats autour de la loi sur le séparatisme désormais intitulée « conforter les principes républicains » posent de façon encore plus aiguë la question des lieux d’inhumation des populations musulmanes françaises sur le sol national.

Carré musulman dans le cimetière intercommunale de Bleville, le Havre, France. N.Afiouni, Author provided

Nada AfiouniUniversité Le Havre Normandie

La France n’est pas le seul pays qui doit faire face à un taux de mortalité élevé notamment parmi les populations « issues de l’immigration ».

Au Royaume-Uni le taux de mortalité est également plus élevé parmi les minorités ethniques. L’utilisation des statistiques ethniques dans les organismes publics britanniques, dont le secteur de la santé, a permis d’identifier un taux de mortalité 2,5 fois plus élevé dans la catégorie des personnes d’origines pakistanaises dont la majorité se déclare musulmane.

Ainsi il est incontestable que la crise de la mortalité liée à la pandémie, couplée à la fermeture des espaces aériens (qui met un terme aux rapatriements des corps) ont un impact particulier sur les populations musulmanes et surtout sur le choix des lieux d’inhumations.

Mes recherches ont montré que, de Paris à Londres ces lieux témoignent, en filigrane, d’autres pratiques du vivre ensemble, ou plutôt du « mourir ensemble ».

Les cimetières sont le reflet matériel des vivants et de leurs modes d’organisation. Les marquages sociaux et culturels des sociétés qui les abritent y sont reproduits. Ainsi la place réservée à l’« autre » dans les cimetières est souvent tributaire des modalités d’organisation de la pluralité culturelle et cultuelle dans chaque pays.

L’expression multiculturelle du deuil

Il est vrai que les lois régissant le funéraire, édictées au début du siècle, s’adressaient à des sociétés religieusement homogènes et où le pluralisme religieux restait cantonné aux diverses branches du christianisme.

Or, la France et la Grande-Bretagne d’aujourd’hui, riches de leurs héritages post-coloniaux, sont également composées de familles issues des anciennes colonies qui ne sont pas nécessairement chrétiennes et qui sont désormais durablement installées sur le sol national. Ils sont, pour la grande majorité, citoyens français ou britanniques. Les changements démographiques et le vieillissement des populations issues de l’immigration viennent interpeller les législations funéraires nationales.

Ainsi, le rituel du deuil n’échappe pas à la pluralité de la société et acquiert de fait une expression multiculturelle car l’expression du culturel est consubstantielle au deuil, donc anthropologiquement impossible à masquer.

Pour les populations musulmanes issues de l’immigration, le lieu d’inhumation est un « choix » entre une inhumation locale ou un rapatriement vers une terre dite d’origine. Néanmoins ce choix est contraint par plusieurs variables structurelles, législatives, juridiques et politiques. Il est également tributaire des offres liées au secteur des professionnels du funéraire.

L’offre des cimetières ouverte aux musulmans à Paris et à Londres

Le cadre législatif relatif aux cimetières en France et en Grande-Bretagne est sensiblement différent, même si la gestion des cimetières est sortie de la tutelle du pouvoir ecclésiastique au début du XIXe siècle dans les deux pays.

Depuis l’évolution des cadres législatifs aussi bien que politiques renvoie à deux paysages contrastés : là, où en France le cimetière communal est le seul horizon possible, la Grande-Bretagne offre une variété de choix.

Le cadre français républicain et laïc essentiellement construit dans un rapport de force avec la religion catholique dominante au XIXe, siècle consacrant les cimetières comme domaines publics, a essayé, dès les années 1970, de répondre aux premières demandes de familles musulmanes.

La législation française ne reconnaît pas le droit des groupes mais le droit des individus. Cela se traduit dans la gestion pratique des cimetières par l’impossibilité d’avoir de séparation physique visible par exemple un mur ou un muret entre des groupements de tombes.

Des murets en pierre délimitent les concessions. Sépulture ou ancien emplacement de la concession Munier indiquée par Salomon en 1855. Cimetière du Père-Lachaise, Paris., 2018. Collection/Pierre-Yves Beaudouin/WikimediaCC BY-NC

En fait, la législation, en matière de carrés confessionnels, est somme toute assez réduite pour une question aussi sensible. La législation se limite à trois circulaires du ministre de l’Intérieur : celles du 28 novembre 1975, du 14 février 1991 et, la dernière en date, du 19 février 2008. Cette dernière souligne le lien entre le carré confessionnel musulman et l’intégration.

Les chiffres concernant la région parisienne restent approximatifs : 23 carrés musulmans parmi lesquelles certains cimetières sont plus présents dans la pratique des entrepreneurs funéraires rencontrés : le cimetière de Meaux (77), le cimetière de Versailles (78), le cimetière de Rosny (93), le cimetière intercommunal de la Courneuve (93 : Aubervilliers, Drancy et Bobigny).

En Grande-Bretagne, la gestion des cimetières incombe comme en France aux autorités municipales. Mais, contrairement à la France, il n’y a pas en Grande-Bretagne d’obligation légale de résidence liée au lieu d’inhumation. La loi britannique laisse l’administré libre de choisir son cimetière. Ce choix est d’autant plus large qu’il existe, de par la loi, plusieurs types de cimetières : privés, publics ou en partenariat public-privé.

Selon notre étude de terrain, sur les trente-trois municipalités du Grand Londres, vingt-quatre possèdent des parcelles réservées aux musulmans. L’ouverture de ces sections dédiées aux musulmans s’est faite progressivement à partir des années 1970 avec une accélération progressive à partir des années 1990. Sur ces vingt-quatre cimetières municipaux, dix-huit autorisent l’inhumation à même le sol.

Nouveau carré musulman dans le cimetière Eternal Garden privé généraliste Kemnal Park ouvert en partenariat avec la municipalité de Tower Hamlet avec des tarifs privilégiés pour les habitants de cette commune. N. Afiouni, Author provided
‘Jardin de la paix’. Cimetière privé exclusivement musulman sunnite, crée en 2002 pour couvrir les besoins pour une durée de 50 années. Il a été agrandi en 2007. N. Afiouni, Author provided
Cimetière privé de Brookwood, généraliste avec différents secteurs dont entre autres des secteurs anglican, méthodiste, musulman chiite, musulman sunnite, Ahmadiya, Ismailiya etc. N. Afiouni, Author provided
Cimetière privé de Brookwood, carré musulman avec pluralité de styles de pierre tombale. N. Afiouni, Author provided

En plus des cimetières municipaux, la législation autorise la création de cimetières privés. Il est également possible de bénéficier d’une gestion mixte (public/privé) des cimetières.

Il n’existe pas de liste officielle des carrés confessionnels disponibles dans les cimetières municipaux du Grand Londres et de la région parisienne.

Cette absence de vision globale s’étend également sur le plan national. Cela a pour conséquence, notamment en France, de fragiliser les demandes ici ou là pour des carrés confessionnels. Le refus du maire de Wattrelos (Hauts de France) de créer un carré musulman est l’un des derniers exemples en date.

La mort gomme les frontières entre culture et sacré

Malgré l’évolution inéluctable des rites funéraires dans les deux pays, ils restent ancrés dans une réalité sociale, culturelle et religieuse. Les entreprises de pompes funèbres ne peuvent pas faire abstraction de la religion.

En effet, la mort est un moment qui tend à gommer les frontières entre culture et sacré et où, souvent, les éléments religieux mis en sourdine remontent à la surface et revêtent un caractère collectif religieux.

Pour preuve, en France, 80 % des cérémonies religieuses à l’église (catholique) ont lieu au moment des enterrements. Les Français continuent de passer par l’église au moment des funérailles alors que le pourcentage de Français qui se disent pratiquants avoisine les 10 % (le taux de crémation en France est de 32,51 %).

Cette situation française est bien différente de celle de la Grande-Bretagne. En effet, le pourcentage de crémation en Grande-Bretagne est très élevé et la proportion de cérémonies religieuses est drastiquement plus basse qu’en France. En 1960, le taux de crémation en Grande-Bretagne était de 34,70 %. En 2012, il est monté à 74,28 %.

Les missions des entreprises de pompes funèbres

Par ailleurs, les pompes funèbres ont comme mission principale l’accompagnement et la gestion du deuil. Cela nécessite donc une personnalisation dans la relation avec le client qui ne peut faire abstraction des spécificités culturelles et cultuelles des familles.

La libéralisation du secteur des pompes funèbres en France en 1993 va conduire à l’élargissement de l’offre et à l’individualisation voire à la personnification des services.

Comme l’écrit Julien Bernard :

« L’histoire du secteur funéraire montre sa lente autonomisation en un champ relativement séparé de la sphère religieuse (depuis le XIXe siècle) puis de la sphère étatique (dans la seconde moitié du XXe siècle). »

Mais l’analyse du terrain montre que, pour les populations musulmanes issues de l’immigration, la question funéraire reste imprégnée dans le champ du religieux.

Le dynamisme du secteur funéraire musulman en apporte la preuve dans les deux capitales ; en effet, depuis le début des années 2000, plusieurs entreprises spécialisées ont été créées, ainsi que je le constate sur mon terrain actuel. Elles se caractérisent par leur petite taille à l’exception des premiers opérateurs historiques.

À Paris, derrière un site web qui semble prospère, se trouve parfois des autoentrepreneurs qui travaillent seuls sans local ni devanture et qui ont recourt à la location de véhicules et à l’embauche ponctuelle de collaborateurs. Aussi, un grand nombre des gérants des pompes funèbres musulmanes ont commencé à travailler dans le secteur funéraire comme « bénévoles » pour effectuer, par exemple, la toilette rituelle funéraire.

Rapatriement ou non ?

Nous ne disposons pas, dans les deux pays, de chiffres nationaux officiels concernant le taux de rapatriement des corps, pratique souvent préférée des croyants souhaitant l’inhumation en terre musulmane.

Néanmoins, la pratique du rapatriement ne se limite pas aux musulmans, elle est généralisée dans la majorité des migrations récentes.

Les estimations pour la Grande-Bretagne montrent que, jusqu’au début des années 1990, les rapatriements du corps vers le pays d’origine étaient élevés ; les chiffres oscillant entre 70 % et 80 %.

Néanmoins, l’analyse effectuée sur le terrain a permis de constater qu’à partir du début des années 2000, il y a une inversion progressive de cette tendance et un choix vers une inhumation locale au détriment de l’inhumation à l’étranger.

Carré musulman au Havre, cimetière intercommunal, Bléville, France. N. Afiouni, Author provided
Carré musulman de la minorité musulmane Ahmadiyya dans le cimetière privé de Brookwood, Londres. N. Afiouni, Author provided

En 2018, il est possible d’affirmer que, pour les entrepreneurs funéraires britanniques, l’inhumation locale constitue 85 % à 90 % de leur activité.

En France, même si tous les opérateurs funéraires constatent une lente progression du choix pour l’inhumation locale ces dix dernières années, pour autant leur pourcentage ne dépasse pas les 35 % selon les plus hautes estimations. En France, le rapatriement où comme l’ont désigné mes interlocuteurs britanniques, « sending abroad » (littéralement « envoyer à l’étranger »), reste majoritaire chez les populations qui font appel aux services des entreprises de pompes funèbres musulmanes dans la région parisienne.

Faut-il en conclure pour autant que les musulmans britanniques, de par leur choix massif pour l’enterrement sur le sol britannique, sont plus « intégrés » que les musulmans français ?

Le poids de l’histoire

L’évolution différenciée du taux d’inhumation locale depuis les années 1990 à nos jours dans les deux pays, peut s’expliquer par deux données factuelles à savoir le large choix de lieux d’inhumation offert aux Londoniens et l’ouverture relativement récente du secteur funéraire français à la libre concurrence du marché.

À cela, il faut ajouter des habitudes de fonctionnement héritées de l’époque coloniale marquées par la conclusion d’accords bilatéraux entre les autorités françaises et les ambassades des pays d’origine.

En France, le choix du rapatriement est à la fois perpétué par les usagers mais également par les opérateurs funéraires qui, dans leur majorité, considèrent le rapatriement comme moins compliqué et moins aléatoire. En effet, les procédures administratives particularisées issues de l’approche multiculturelle, semblent plus lisibles et moins opaques aux professionnels britanniques par rapport à leurs homologues français.

Carré musulman, cimetière municipal, France. Le nom du défunt a été effacé pour préserver son anonymat. N. Afiouni, Author provided

Beaucoup de professionnels britanniques travaillent en étroite liaison avec les cimetières privés locaux qu’ils soient exclusivement musulmans ou pluralistes pour obtenir des conditions d’intervention normalisées et préférentielles : grande amplitude horaire d’accès au cimetière y compris les jours fériés, inhumation en linceul et à même le sol, remplissage manuel de la fosse. Ainsi, malgré le coût moins élevé d’un rapatriement, les musulmans britanniques qui font appel aux entreprises funéraires musulmanes optent à 90 % pour l’inhumation locale, pourtant plus onéreuse.

La structure du cadre législatif funéraire français ne permet pas aux entreprises de tisser des liens similaires. La seule variable qui leur permet de se positionner de façon concurrentielle sur le secteur est la réduction des délais d’attente pour un rapatriement, justifiée par des arguments religieux stipulant que pour un mort musulman l’enterrement doit se faire dans les plus brefs délais.

Tous égaux devant la mort ?

Les éléments saillants de la comparaison Paris/Londres quant au ressenti sont éloquents que ce soit en termes de légitimité ou de sentiment d’appartenance des membres de la communauté musulmanes travaillant dans le secteur funéraire.

Dans les extraits anonymés cités ci-bas, ils expriment leurs difficultés à se dire musulman voire à mourir en musulman en France.

Et c’est à ce niveau que la tournure des débats publics entourant la loi sur le séparatisme risque de faire le plus de dégâts. La volonté de respecter les rites funéraires musulmans pourrait être interprétée comme une expression « trop » visible de la religiosité et par glissement le signe d’un « islam radical ». D’autant plus que ces entrepreneurs funéraires musulmans français se vivent comme une minorité « lésée » ne bénéficiant pas d’égalité d’accès aux mêmes droits funéraires que les Français non musulmans comme le disent plusieurs entrepreneurs funéraires rencontrés :

« Bah moi je pense qu’en France y a trop de problèmes au niveau de… bah dès qu’on parle d’islam, musulmans… C’est pas au niveau des gens, je pense, c’est au niveau de la télé et des hommes politiques, c’est là qu’y a un gros hic, un gros problème. Entre ce qui se dit à la télé et ce qu’on voit dans le terrain ça a rien à voir, donc les politiques ils oseront jamais faire ça, même si ça ne dérangeait personne, c’est ça qui est dingue.

Il faut où avoir décédé dans la commune, ou être habitant de la commune, ou avoir une carte d’électeur dans une commune, pour pouvoir être inhumé dans cette commune. Donc voilà, c’est un peu la problématique qu’on a. Et les carrés musulmans malheureusement il y a beaucoup beaucoup de communes qui ne jouent pas le jeu. »

L’absence de caveau familial ou de carte d’électeur impacte particulièrement les populations issues de l’immigration notamment les plus âgés. De plus, les données de mon terrain montrent une hantise de la fin de concession, omniprésente dans les discours en France. Ces éléments n’ont pas été observés en Grande-Bretagne même si, objectivement, les garanties légales ne couvrent que 50 années de concession surtout dans les cimetières privés musulmans.

Par ailleurs, un sentiment de précarité par de là la mort est véhiculé par les agents des pompes funèbres musulmanes en France, ce qui n’est pas le cas en Grande-Bretagne. Les demandes de création de carrés confessionnels musulmans au sein des cimetières municipaux français ne sont pas nouvelles.

Cependant cette demande est devenue plus pressante à l’aune de la pandémie et de la fermeture des espaces aériens.

Elle peut paraître encore plus problématique qu’elle ne l’a été par le passé, au vu des débats sur l’islam et la place des religions dans la société française.

Nada Afiouni, Maîtresse de conférence civilisation britannique, GRIC, Groupe de Recherche Identités et Cultures, Université Le Havre Normandie

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