La gestation a été complexe, mais la naissance s’est déroulée sans difficulté. À la fin d’avril, le Fonds d’investissement africain (FIA) a obtenu son agrément auprès de la Financial Services Commission, régulateur financier de Maurice, où il est enregistré. En préparation depuis 2016 à l’initiative de la Conférence internationale de la prévoyance sociale (Cipres), qui rassemble les caisses de retraites de seize pays africains, ce fonds doit récolter et investir une partie de leurs réserves, dans l’ensemble des pays de la zone et à travers une très large gamme d’actifs (finance, agro-industrie, télécommunications).
Le projet particulièrement complexe – 16 pays, 25 institutions et cinq zones monétaires – est conseillé par le cabinet Finactu, fondé et dirigé par Denis Chemillier-Gendreau. « Le FIA a reçu un engagement d’investissement de plus de 50 milliards de F CFA [76 millions d’euros] et vise un objectif de 150 milliards de F CFA d’actifs sous gestion à moyen terme pour sa première levée de fonds », expliquent ses promoteurs. Le nouveau fonds d’investissement doit permettre « une meilleure sécurisation et un meilleur rendement » des réserves de sorte à assurer aux caisses de retraite « un taux d’intérêt au moins égal au meilleur taux du marché » selon la Cipres, dont la secrétaire exécutive est la Camerounaise Cécile Gernique Bouba Djukam.
Prise de conscience
La création du FIA découle d’une prise de conscience de l’impasse vers laquelle nombre de fonds de retraite africains se dirigeaient ces dernières années. « Dans la zone Cipres, une grande partie des ressources à long et moyen terme des établissements bancaires proviennent des organismes de prévoyance sociale », selon le régulateur panafricain, qui regrette qu’en dépit de ce poids les caisses de retraite « restent des acteurs passifs » dans l’utilisation de leurs fonds.
Plus grave, estime l’institution, l’essentiel des placements réalisés par ces structures sont « des dépôts à terme [et] accessoirement des souscriptions d’obligations ». Au manque de diversification s’ajoutent « des taux de rentabilité peu rémunérateurs qui oscillent entre 1 % et 6 % ». Pour ne rien arranger, les « investissements lourds » réalisés par ces caisses de retraite dans le secteur immobilier « ont occasionné des déficits qui ont notablement érodé les réserves de certaines institutions ».
LE TAUX MOYEN DE LA POPULATION ACTIVE AFRICAINE COUVERTE PAR UN RÉGIME DE PENSION EST INFÉRIEUR À 15 %
Le FIA participe à la résolution de ce problème. Le pilotage a été confié à l’Ivoirien Youssouf Traoré-Kouao, formé en économie et en assurances en France et passé par le Royaume-Uni, qui conseillait le Cipres sur ce projet depuis 2020. L’équipe de gestion sera basée à Abidjan. L’existence même de cette structure est un signe du chemin parcouru depuis une dizaine d’années par les caisses de retraite africaines. Au début des années 2010, la plupart d’entre elles étaient gravement déficitaires dans la région – plusieurs le demeurent.
Adopter une vision long-termiste
Entre 2005 et 2011, la CNPS ivoirienne avait accumulé 200 milliards de F CFA de déficit, aime à rappeler Charles Kouassi, son actuel directeur général. À la suite d’une réforme du régime de pension mise en œuvre par le président Alassane Ouattara (rallongement de l’âge de départ à la retraite, hausse des taux de cotisation…), les finances de l’institution, comme celles de sa consœur dévolue au secteur public, la CGRAE, sont au beau fixe. La CNPS engendre chaque année plus de 100 milliards de F CFA d’excédents (cotisations supérieures aux paiements de retraite) et son portefeuille financier de plus de 500 milliards de F CFA à la fin de 2020. Fin 2021, Charles Kouassi a annoncé l’objectif de 2 000 milliards de F CFA en 2030.
« Avec le passage du déficit à l’excédent, le métier des caisses de retraite change », explique Denis Chemillier-Gendreau, dont le cabinet a conseillé plusieurs de ces institutions sur le continent. « Il faut se transformer, avoir une vision de très long terme et s’assurer que le portefeuille d’actifs permettra de répondre aux besoins futurs des cotisants », complète cet expert. Selon lui, la CNPS a su adopter cet « état d’esprit différent », renforçant ses équipes, sa structure IT et surtout en adoptant « une démarche de gestion actifs/passifs », autrement dit un pilotage stratégique, impliquant gestion des risques et planification active et de long terme.
Aussi, la CNPS et plusieurs de ses consœurs vont, chaque fois davantage, au-delà des investissements dans les titres obligataires publics. La caisse de retraite ivoirienne contrôle près de 20 % respectivement de NSIA Banque Côte d’Ivoire, de la Banque nationale d’investissement et de Bridge Bank, à Abidjan. Elle contrôle également 4,7 % du gestionnaire de services publics ouest-africains Eranove. Selon son DG, les revenus tirés de ces investissements ont atteint 26 milliards de F CFA en 2021 contre 1 milliard en 2012. Ils couvrent aujourd’hui toute la masse salariale.
Pénurie de titres investissables
Cette appétence nouvelle pour l’investissement encourage d’ailleurs les fonds – encouragés par certains États – à développer des régimes complémentaires de pensions par capitalisation. En Côte d’Ivoire, la CGRAE comme la CNPS ont lancé au cours des derniers mois de tels régimes. La caisse de retraite privée travaille d’arrache-pied à un ambitieux programme d’enrôlement au sein d’un régime de pension des travailleurs non-salariés (9 millions en Côte d’Ivoire, contre environ 800 000 affiliés à la CNPS). Une avancée nécessaire alors qu’à peine 13 % à 15 % de la population active en Afrique est couverte par un régime de pension, expliquait en avril Jaqueline Irving, économiste à IFC (filiale de la Banque mondiale dévolue au secteur privé) durant un webinaire organisé par Africa CEO Forum*. L’experte a pointé les progrès réalisés dans certains pays comme le Kenya, où ce taux de couverture a crû de 15 % à 20 % entre 2015 et 2019, grâce au volontarisme des autorités, des régulateurs et des gestionnaires de fonds.
Ce nouvel activisme et ces ambitions sont souvent limités, pointe Jacqueline Irving, par le manque de produits d’investissement locaux adaptés à leurs besoins, notamment en termes de maturité. Une « pénurie de titres investissables » qui s’explique par le fait que « les gestionnaires d’actifs approchent les fonds avec des produits prêts à l’emploi », sans consultation préalable. « Sur les marchés où les fonds de pension sont engagés de manière active avec les banquiers d’affaires locaux à un stade précoce du développement des produits d’investissements, ces derniers sont susceptibles de mieux répondre aux besoins des investisseurs », a complété l’experte d’IFC.
« On commence à avoir des acteurs importants dans la gestion et l’investissement dans la région », tempère Denis Chemillier-Gendreau. « Il revient aux fonds de retraite d’organiser des appels d’offres, de mettre ces acteurs en concurrence pour qu’ils gèrent ces ressources. Et se concentrer sur leur métier et devenir un investisseur institutionnel », recommande le président de Finactu. Reste à savoir si ces messages seront entendus par les sociétés de gestion d’actifs, banques d’investissements et régulateurs africains.
*Africa CEO Forum est affilié à Jeune Afrique Media Group.