Justice et Paix

" Je suis homme, l'injustice envers d'autres hommes révolte mon coeur. Je suis homme, l'oppression indigne ma nature. Je suis homme, les cruautés contre un si grand nombre de mes semblables ne m'inspirent que de l'horreur. Je suis homme et ce que je voudrais que l'on fit pour me rendre la liberté, l'honneur, les liens sacrés de la famille, je veux le faire pour rendre aux fils de ces peuples l'honneur, la liberté, la dignité. " (Cardinal Lavigerie, Conférence sur l'esclavage africain, Rome, église du Gesù)

 

NOS ENGAGEMENTS POUR LA JUSTICE T LA PAIX
S'EXPRIMENT DE DIFFÉRENTES MANIÈRES :

En vivant proches des pauvres, partageant leur vie.
Dans les lieux de fractures sociales où la dignité n'est pas respectée.
Dans les communautés de base où chaque personne est responsable et travaille pour le bien commun.
Dans les forums internationaux pour que les décisions prises ne laissent personne en marge.

Dans cette rubrique, nous aborderons différents engagements des Missionnaires d'Afrique, en particulier notre présence auprès des enfants de la rue à Ouagadougou et la défense du monde paysan.

 

Comment Conakry a mis en échec une tentative de saisie d’un avion d’Air Côte d’Ivoire  

Par Jeune Afrique
Mis à jour le 30 novembre 2021 à 12:54
 


Un Airbus A319 de la compagnie Air Côte d’Ivoire. © DR

S’appuyant sur une décision de justice de la Cedeao, l’homme d’affaires Oumar Diawara avait obtenu en Guinée l’immobilisation d’un nouvel appareil de la compagnie nationale ivoirienne. Mais les autorités locales l’ont empêché de mener à bien son opération.

Selon les informations de Jeune Afrique, l’homme d’affaires congolo-malien Oumar Diawara a tenté de saisir, le 29 novembre, un Airbus A319 d’Air Côte d’Ivoire lors de son escale à Conakry. Et ce, en vertu d’un arrêt rendu en sa faveur le 22 octobre par la Cour de justice de la Cedeao.

Si la formule exécutoire de cette décision, obtenue auprès de la Cour suprême de Guinée, a bien été produite auprès du représentant de la société de gestion et d’exploitation de l’aéroport de Conakry Gbessia (Sogeac), comme l’atteste un document que nous avons consulté, c’est le lieutenant-colonel Kalidou Diallo, commandant de la gendarmerie des transports aériens, qui a ensuite refusé de retenir l’appareil au sol.

« État d’exception »

Le militaire a indiqué que le pays connaissait actuellement un état d’exception et qu’il ne pouvait agir sans une autorisation expresse du ministre de la Défense.

Cette tentative de saisie fait suite à une première immobilisation d’un A319 de la compagnie ivoirienne, obtenue le 22 novembre à Bamako. L’avion avait finalement redécollé, quasiment sans retard, après des tractations avec la direction d’Air Côte d’Ivoire et le gouvernement malien. Toujours selon nos informations, les autorités du Niger, du Sénégal et du Ghana auraient également été impliquées dans ces négociations.

Conakry a ainsi souhaité éviter un incident diplomatique, alors que les chefs d’État de la Cedeao devraient décider de nouvelles sanctions à l’égard des juntes au pouvoir en Guinée et au Mali, lors du sommet prévu le 12 décembre.

Excuses

À Bamako, Mahamadou Kassogué, le ministre de la Justice a lui aussi, après coup, souhaité prendre ses distances avec l’opération montée par Oumar Diawara en demandant le 26 novembre au procureur général près la Cour d’appel d’ouvrir une enquête pour faire la lumière sur cette affaire. Le gouvernement malien a également présenté ses excuses aux autorités ivoiriennes.

La veille, Amadou Coulibaly, ministre de la Communication de Côte d’Ivoire et porte-parole du gouvernement, avait fait lire un communiqué lors du journal télévisé de la chaîne publique RTI dans lequel il assurait que toutes les dispositions avaient été prises pour préserver les intérêts de l’État et éviter que de nouvelles saisies ne se reproduisent.

Abidjan, qui juge que l’arrêt de la Cedeao a été pris en violation de ses droits, a réaffirmé par la voix d’Amadou Coulibaly vouloir user de toutes les voies de droit pour le contester, dans le respect des institutions communautaires et de ses engagements internationaux.

Gain de cause

Oumar Diawara est soupçonné par la juge ivoirienne Blanche Essoh Abanet d’avoir irrégulièrement acquis en 2017 Perl Invest, l’ex-filiale immobilière de BNI Gestion. Début 2021, la magistrate avait décidé de réattribuer l’ensemble des actifs de cette dernière à son ancienne maison mère.

Dans la foulée, l’homme d’affaires a saisi la Cour de justice de la Cedeao et finalement obtenu gain de cause le 22 octobre, l’État de Côte d’Ivoire devant, sans délai, lui rendre les 50 hectares de terres confisqués et lui payer 1,3 milliard de F CFA (près de 2 millions d’euros) de dommages et intérêts.

En dépit de cette décision, la justice ivoirienne a décidé de maintenir les poursuites engagées contre Oumar Diawara, dont le procès devant le pôle pénal économique et financier du tribunal de première instance d’Abidjan, après avoir été ajourné le 25 novembre, doit se tenir le 2 décembre.

Dialogue national au Tchad: « il faut de la retenue », selon A. Koulamallah, ministre de la Communication

Abderahman Koulamallah, ministre tchadien de la Communication. © Ibnchoukri/wikimedia.org

Le Tchad se dirige vers le dialogue national. Si la date n'est pas encore fixée, le débat, lui, s'installe déjà sur les ondes. La HAMA, la Haute Autorité des Médias, a mis en demeure RFI sur la diffusion de déclarations contraires à l’éthique et au bon vivre ensemble entre les Tchadiens. La parole ouverte à l'occasion de ce dialogue risque-t-elle de conduire à une montée des tensions ? Pour en parler, nous recevons le ministre tchadien de la Communication Abderahman Koulamallah.

 

RFI : Comment décririez-vous le climat dans lequel se sont déroulées les consultations préparatoires au dialogue national au Tchad ?

Abderahman Koulamallah : Le climat est absolument apaisé. Beaucoup de membres de l’ancienne opposition dirigent des comités de ce dialogue et nous travaillons en toute fraternité, nous travaillons pour en tout cas un Tchad meilleur.

Avec les consultations préparatoires au dialogue national, la parole s’est libérée, a dit Acheikh Ibn Oumar, le ministre de la Réconciliation nationale. Est-ce que vous voyez un danger à cette libération de la parole ?

La parole s’est libérée, parce que nous avons eu la volonté - et nous avons toujours la volonté - que les gens s’expriment librement. Ce n’est pas un cadeau que nous faisons aux gens. C’est un droit inaliénable, la liberté de s’exprimer, la liberté de s’organiser, la liberté de contester... Mais tout doit se faire dans les règles du droit et aussi dans la retenue. J’ai entendu des propos malveillants venus de certaines personnes qui se revendiquent des intellectuels, qui accusent des ethnies d’être la cause des maux du Tchad. Ce qui préoccupe la jeunesse tchadienne aujourd’hui, c’est le problème de l’emploi. C’est leurs perspectives d’avenir et non pas de savoir si tel est Gorane, tel est Sara, tel est Baguirmien, tel est Zaghawa… Non, il faut de la retenue ! 

Mais est-ce que l’on peut régler les problèmes et fonder un nouveau vivre ensemble sans que chacun puisse vider son sac ?

Est-ce que vous pensez qu’il faut vider son sac aujourd’hui, ou est-ce qu’il faut attendre le dialogue pour vider son sac ? Pourquoi se presser ? Pourquoi vouloir à tout prix faire le dialogue avant l’heure ? Vous savez, beaucoup de sujets sont mis sur la table pour ce dialogue. Quand on parle de fédéralisme au Tchad - je vous donne un exemple au hasard - le fédéralisme fait partie des propositions que le Comité d’organisation du dialogue a mis sur la table ! Il ne faut pas en faire un sujet politique pour diviser les Tchadiens !

La parole est libérée, mais en même temps les manifestations de certains mouvements sont interdites. Est-ce qu’il n’y a pas là une contradiction ?

Mais vous me parlez d’interdiction de manifestations ? Absolument pas !

Les transformateurs n’ont pas pu manifester récemment…

Mais nous sommes un État de droit. Quand des manifestants disent : nous ne respectons pas le tracé que l’on nous donne, c’est impossible ! Ceux qui veulent être des insoumis à la loi, ils trouveront la loi devant eux !

Où en est-t-on des démarches pour associer les politico-militaires à ce dialogue ?

C’est une des avancées majeures du Conseil militaire de transition, du président de la République et du gouvernement, d’avoir mis en place un comité spécial, dont le but principal est de rencontrer les politico-militaires. Ils ont rencontré tous les politico-militaires existants connus et un pré-dialogue est mis en place. Ce pré-dialogue permet aux politico-militaires de faire part de leurs revendications particulières. Les politico-militaires ont posé certains préalables et ces préalables viennent d’être validés par le gouvernement. Ces préalables demandent un pré-dialogue que nous avons accepté. Mais la question de la réconciliation avec les politico-militaires relève exclusivement du Comité spécial, à qui nous avons donné toute la latitude de discuter sous, bien sûr, l’œil bienveillant du président du Conseil militaire de transition et du gouvernement.

Le dialogue a pris du retard, en raison d’un problème de moyens financiers. Diriez-vous qu’aujourd’hui le Tchad a les moyens d’organiser cette grande consultation ?

Tout le monde disait « Nous allons venir aider le Tchad… », les bailleurs se sont positionnés, des pays se sont positionnés… Mais pour l’instant, nous ne voyons pas grand monde. Nous lançons de nouveau un appel aux bailleurs, de ne pas laisser le Tchad, même si nous prenons nos responsabilités pour financer avec nos maigres ressources un dialogue crédible.

Tchad : action de sensibilisation sur les violences faites aux femmes dans un lycée de Ndjamena

Au Tchad, les cas de violences physiques et sexuelles faites aux femmes sont rapportés quotidiennement dans la presse ces dernières semaines. Une recrudescence notamment de viols sur des fillettes avait obligé le président de la transition Mahamat Idriss Déby à sortir de son silence, fin octobre, et a déclaré que « justice soit rendue aux victimes ». Pendant ces 16 jours d'activisme contre les violences basées sur le genre, des associations organisent des actions pour faire passer des messages, notamment dans les lycées.

Avec notre correspondante à NdjamenaAurélie Bazzara-Kibangula

« Mort aux violences faites aux femmes et aux filles ! » Sur une estrade, Casimir, un militant associatif, sensibilise une classe bondée d'élèves de terminale. Téléphone en main, il se sert d'une photo pour faire passer son message.

« C’est une femme qui a été violentée par son mari et dont les deux jambes ont été cassées. Donc c’est une situation réelle et si nous n’en parlons pas, si nous n’appelons pas à changer nos comportements, ça ne va pas aller. Est-ce que c’est bien ? »

Au Tchad, un numéro vert a été lancé par les autorités pour dénoncer les violences.  Une initiative qui rassure Amina. Il y a quelques mois, elle s'est sentie désemparé quand elle a vu son amie se faire tabasser. 

« C’était une de mes amies qui a des problèmes avec son copain. Il l’a tabassé. Je suis intervenue. Quand ça m’a dépassé, j’ai appelé les gens. Maintenant je vais dénoncer. Comme j’ai leur numéro, je vais surement les appeler. »

Dénoncer les violences, c'est tout l'enjeu de cette campagne de sensibilisation. « C’est toujours ce tabou, qu’il faut préserver la dignité de la famille, pointe Epiphanie Diorang, membre de la Ligue tchadienne des droits des femmes. Donc ça fait que les gens n’arrivent pas à parler. Mais maintenant, des voix s’élèvent. Les femmes arrivent à briser ce silence. Donc c’est déjà quelque chose de bon. On sait que ce n’est pas facile, mais on va continuer le combat pour que la génération future puisse vivre librement. »

Au Tchad, 1 femme sur 5 déclare être victime de violence physique selon l'ONU. Et plus de la moitié des femmes sont mariée avant l'âge de 18 ans.

Côte d’Ivoire : l’opération séduction du gouvernement dans le Nord

Par  - à Abidjan
Mis à jour le 26 novembre 2021 à 09:55
 

 

Le ministre Mamadou Touré, à Kafolo, le 19 novembre 2021. © Twitter / MamadouTouré

Face à la menace terroriste, l’État ivoirien veut sortir du tout sécuritaire et lance des projets en faveur des régions septentrionales, particulièrement vulnérables. Cela suffira-t-il à faire reculer le sentiment d’abandon ?

C’était une tournée express, mais très symbolique. Le 19 et le 20 novembre, Mamadou Touré, ministre de la Promotion de la jeunesse, de l’Insertion professionnelle et du Service civique, s’est rendu d’abord à Kafolo, puis à Ferkessédougou, à Tengrela, à Boundiali et, enfin, à Korhogo. Avec, à chaque fois, le même message adressé aux populations du Nord, touchées par l’insécurité : « L’État et le gouvernement ne vous abandonneront jamais. »

Le ministre en a profité pour annoncer le lancement, dans les semaines à venir, d’un programme de 2 milliards de F CFA pour financer notamment des formations professionnelles.

Ne pas se tromper d’ennemi

« Pour appâter les jeunes, les terroristes leur proposent 500 000 francs et une moto, explique-t-il à Jeune Afrique. Ceux qui sont au chômage peuvent être tentés de les rejoindre. C’est pour remédier à cette vulnérabilité que le gouvernement a décidé de lancer ce programme. Pour leur faire comprendre que l’ennemi, ce sont les jihadistes. »

Depuis juin 2020, ces régions frontalières avec le Burkina et le Ghana sont la cible d’attaques. Si celles-ci ne sont pas toujours revendiquées, elles sont néanmoins attribuées aux éléments de la katiba Macina d’Amadou Koufa, chef jihadiste affilié au Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans (GSIM). L’attaque de Kafolo, en juin 2020, dans laquelle quatorze soldats ont perdu la vie, a marqué le début de l’expansion vers le sud de groupes jusque-là actifs au Niger, Mali et au Burkina Faso.

D’autres assauts ont eu lieu au cours du premier semestre de l’année 2021. Les jihadistes ont frappé, le 7 juin dernier, à Tougbo, dans le département de Bouna. Quelques mois plus tôt, le 29 mars, deux positions de l’armée à Kafolo et Kolobougou avaient été prises pour cibles.

Face à la multiplication des incidents, le gouvernement a décidé de muscler sa réponse en augmentant les opérations de terrain, et en installant des détachements dans les zones les plus sensibles. En août, le chef de l’État a également créé le Centre de renseignement opérationnel antiterroriste (Croat), composé de cellules chargées, entre autres, du renseignement, de la coopération internationale et des opérations. Alassane Ouattara a annoncé le recrutement de 3 000 soldats en 2022 pour renforcer l’armée ivoirienne. Au total, l’année prochaine, le gouvernement prévoit d’allouer plus de 1 065 milliards F CFA au budget de la Défense.

LES JIHADISTES SONT AIMABLES AU DÉPART, FONT DES CADEAUX ET PAYENT PARFOIS DES ORDONNANCES

Mais la riposte ne peut pas être que militaire, les autorités en ont bien conscience. « Lorsque les jihadistes arrivent, ils disent aux populations qu’ils ne sont pas contre elles, mais contre les forces de défense et de sécurité, confie un élu local. Ils essayent de faire en sorte qu’il y ait un rejet des institutions en expliquant qu’ils ont été abandonnés par l’État et que, eux, viennent avec des solutions. Ils sont aimables au départ, font des cadeaux et payent même parfois des ordonnances. »

Sentiment d’abandon

Dans des régions aussi reculées, où le sentiment d’abandon est très présent, ce discours peut faire mouche. « C’est une question trop importante qui ne peut pas être résolue par le tout sécuritaire », insiste Philippe Hien, président du conseil régional du Bounkani (Nord-Est), qui abrite l’immense parc de la Comoé, convoité par les groupes terroristes. « Pourquoi ont-ils choisi de rentrer dans le pays par cette zone ? Parce qu’elle a globalement été délaissée depuis l’indépendance. Il y a un manque réel d’infrastructures et de routes. Les populations sont pauvres et cela les rend vulnérables. La riposte sécuritaire ne peut pas être suffisante et le gouvernement l’a compris », ajoute-t-il.

Dans cette région, la tension est constante. Alors que les examens du certificat d’études primaires se tenaient le 8 juin sur l’ensemble du territoire, les élèves de Tougbo, eux, n’ont pas pu travailler. La veille, une attaque jihadiste avait frappé la localité, créant la psychose. Ils ont finalement eu droit à une session de rattrapage, quelques semaines plus tard.

« Les écoles ont depuis rouvertes, précise l’élu local précédemment cité. Un détachement militaire est présent à Tougbo, à Kafolo, et dans une autre ville à quelques kilomètres de là. Cela permet de ramener un peu sérénité. » Les villages de la sous-préfecture de Tougbo comptent aujourd’hui 3 334 réfugiés ayant fui les attaques au Burkina et des déplacés internes, selon les autorités de la région.

Fin juin, la ministre de la Solidarité et de la Lutte contre la pauvreté, Belmonde Dogo, s’était rendue dans le Nord pour apporter une assistance humanitaire et exprimer la compassion du gouvernement. « En dehors de son collègue de la Défense, elle a été l’une des premières à s’y rendre. C’est une partie du pays peu visitée par les autorités habituellement. Il y avait comme une idée de rideau de fer [entre le Nord et le reste de la Côte d’Ivoire]. Cela a permis de réaffirmer la présence de l’État », se réjouit un membre du cabinet de la ministre.

DES ROUTES VONT ÊTRE CONSTRUITES, POUR DÉSENCLAVER CERTAINES LOCALITÉS

Reconquérir le Nord, l’objectif a été décidé au plus haut niveau. Lors de sa première conférence de presse, le 8 novembre, le Premier ministre, Patrick Achi, a annoncé la mise en œuvre d’un « programme social du gouvernement », dès janvier 2022. L’idée est d’aider à lutter contre la fragilité des zones frontalières, en y renforçant l’éducation et la formation, en améliorant les conditions de vie des populations rurales et en favorisant la couverture sociale des populations précaires. Les autorités ont déjà lancé des chantiers de construction de routes, pour désenclaver certaines localités, et l’électrification de dix-sept villages.

« Le retard est énorme et il ne peut pas se résorber en quelques années. Mais grâce aux investissements faits depuis une décennie, à travers la construction d’écoles, de points d’eau, de centres de santé, la situation s’améliore. Le processus est engagé et les projets annoncés vont donner un coup d’accélérateur au développement de ces zones », se réjouit Philippe Hien. Ces actions pourraient également encourager les populations à coopérer avec les forces de défense et de sécurité, ce qui est primordial dans la lutte contre le terrorisme.

Climat de méfiance

Reste le risque de conflits intercommunautaires, pris très au sérieux par les autorités. « Malheureusement la quasi-totalité des terroristes arrêtés, blessés ou tués lors d’opérations sont presque tous de la même communauté. Cela développe un climat de méfiance vis-à-vis de l’ensemble de la communauté en question », regrette l’élu local. « C’est un sujet sensible sur lequel nous travaillons, et nous insistons sur la nécessité d’éviter des amalgames, insiste Philippe Hien. Il pourrait y avoir des abus et des exactions. C’est ce que nous essayons d’empêcher en répétant aux gens qu’ils ont intérêt à coopérer, à dénoncer ceux qui pourraient avoir des comportements suspects. »

Directement visés, les Peuls, parfois soupçonnés de ne pas alerter sur la présence de jihadistes, voire de les soutenir. Les autorités ivoiriennes sont d’ailleurs convaincues que l’un d’entre eux se trouve à la tête des cellules responsables des attaques de ces derniers mois. Dans leur ligne de mire, un certain Sidibé Abdramani, dit « Hamza ». Il s’agit d’un lieutenant d’Amadou Koufa qui aurait été envoyé dans cette zone frontalière il y a près de trois ans, avec pour « mission » d’y installer la katiba Macina, et d’y recruter de nouveaux combattants.

Côte d’Ivoire : quand les détentions préventives s’éternisent, où est la justice ?

Par  - à Abidjan
Mis à jour le 25 novembre 2021 à 12:37
 

 

Une vue de la Maison d’arrêt et de correction d’Abidjan (Maca), en septembre 2018. © SIA KAMBOU/AFP

 

« Accusé, levez-vous ! » 3/4. En Côte d’Ivoire, un tiers des détenus sont en attente de jugement, certains depuis plusieurs années. Un nouveau code de procédure pénal a été adopté pour y remédier, mais sa mise en application est timide.

Depuis 2002, Hermane Yohou Zahui arpente les lieux de détention de Côte d’Ivoire pour le compte de l’Association de soutien aux prisonniers, la SPOCI, qu’il préside. Il répond régulièrement aux appels à l’aide des familles de détenus, parfois incarcérés préventivement depuis plusieurs années dans l’attente d’une décision de justice ou d’un procès qui ne vient pas. Sans avocat, sans connaissance du droit et sans moyen financier, leurs parents désemparés se tournent vers lui.

« Nous avons suivi une famille dont le fils est en prison depuis 2011 pour un crime. Il avait 17 ans à l’époque des faits et il n’a toujours pas été jugé, raconte Hermane Yohou Zahui. Jusqu’à présent, nos demandes de remise en liberté provisoire n’ont pas abouti . » Des cas comme celui-ci, il en connaît beaucoup d’autres, à Abidjan ou à l’intérieur du pays. Des détenus abonnés à leur sort, « parfois depuis dix ans ». Cet usage excessif  de la détention préventive, pointé du doigt par plusieurs ONG, finit par constituer une peine anticipée pour des personnes non condamnées.

Insalubrité

En Côte d’Ivoire, un tiers des prisonniers le sont au titre de la détention préventive. En moyenne, ils sont incarcérés depuis plus de deux ans, selon une enquête conjointe menée en 2020 par l’association ivoirienne Action des chrétiens pour l’abolition de la torture (ACAT-CI), la Fédération internationale des ACAT (FIACAT) et le Centre d’études et de recherche sur la diplomatie, l’administration publique et le politique (CERDAP).

Leurs conditions d’enfermement sont connues : une promiscuité extrême dans des cellules qu’ils se partagent par dizaines, des carences alimentaires liées à un manque de nourriture, des conditions sanitaires déplorables à l’origine de maladies et, parfois, des mauvais traitements. Le taux d’occupation des 34 lieux de détention du pays dépasse les 272 %, avec 22 000 prisonniers pour 8 000 places. En 2020, 112 personnes sont mortes derrière les murs des prisons ivoiriennes, 37 rien qu’à Sassandra, ville côtière du Sud-Ouest.

Tribunaux engorgés

En 2019, le gouvernement s’est attaqué au problème avec l’adoption d’un nouveau code de procédure pénale instaurant le contrôle judiciaire comme alternative à la détention préventive. « Le processus a commencé, mais timidement. Une centaine de personnes en ont bénéficié en 2020 au niveau du tribunal de Yopougon [commune d’Abidjan], ce qui est peu, déplore Paul Angaman, président de l’Observatoire des lieux de détentions en Côte d’Ivoire (ObsLid). Et la mesure n’est pas encore étendue à l’ensemble du territoire. Dans les régions frontalières, les autorités estiment que le risque de fuite est trop important. »

CE NOUVEAU CODE AURAIT DÛ ENTRER EN APPLICATION IMMÉDIATEMENT, MAIS CELA N’A PAS ÉTÉ LE CAS

Un « plaider-coupable » a également été instauré en cas de délits mineurs. Il permet des arrangements financiers entre les parties, par exemple en cas de vols. Autre mesure prévue par les textes mais pas encore appliquée : les travaux d’intérêt général. « Mais sa mise en exécution va demander beaucoup de moyens humains et financiers », prévient Paul Angaman. « Ces décisions devraient aider à réduire le nombre de détenus, mais si nous n’avons aucun moyen, cela prendra du temps », soupire un magistrat.

Le nouveau code de procédure pénale fixe désormais des délais pour la détention préventive : 18 mois en matière correctionnelle, 24 en matière criminelle. Avec l’obligation, pour les magistrats, de motiver leur décision au moment de priver un individu de sa liberté. « Ce nouveau code aurait dû entrer en application immédiatement, mais cela n’a pas été le cas, déplore Paul Angaman. Beaucoup de prisonniers sont déjà hors délai, ils auraient dû être libérés. »

La Côte d’Ivoire a mis en place des tribunaux criminels censés permettre une accélération de la tenue des procès, avec une cession tous les trois mois. « Mais les Cours sont submergés de dossiers et le rythme des audiences n’est pas tenu », constate Paul Angaman.

Un engorgement que soulignait déjà l’an passé l’enquête menée par les associations : « La mise en œuvre des innovations du nouveau Code de procédure pénale ne saurait se passer d’une réflexion profonde sur la charge de travail pesant sur les juges d’instruction, ainsi que sur les moyens qui leur sont attribués afin de mener à bien leurs missions », prévenaient-elles. Pas sûr qu’elles aient été entendues.