" Je suis homme, l'injustice envers d'autres hommes révolte mon coeur. Je suis homme, l'oppression indigne ma nature. Je suis homme, les cruautés contre un si grand nombre de mes semblables ne m'inspirent que de l'horreur. Je suis homme et ce que je voudrais que l'on fit pour me rendre la liberté, l'honneur, les liens sacrés de la famille, je veux le faire pour rendre aux fils de ces peuples l'honneur, la liberté, la dignité. "(Cardinal Lavigerie, Conférence sur l'esclavage africain, Rome, église du Gesù)
NOS ENGAGEMENTS POUR LA JUSTICE T LA PAIX S'EXPRIMENT DE DIFFÉRENTES MANIÈRES :
En vivant proches des pauvres, partageant leur vie. Dans les lieux de fractures sociales où la dignité n'est pas respectée. Dans les communautés de base où chaque personne est responsable et travaille pour le bien commun. Dans les forums internationaux pour que les décisions prises ne laissent personne en marge.
Dans cette rubrique, nous aborderons différents engagements des Missionnaires d'Afrique, en particulier notre présence auprès des enfants de la rue à Ouagadougou et la défense du monde paysan.
Fini l'humanitaire ?
Le temps de l’humanitaire est-il révolu ?
Médecins sans frontières a 50 ans aujourd’hui. Née au sein d’un groupe de médecins et de journalistes français, l’association des origines est devenue une entreprise multinationale, avec 64 000 membres et salariés à travers 88 pays. Une formidable réussite qui raconte le succès des grandes entreprises humanitaires lancées dans les années 1970-1980. Mais aujourd’hui, celles-ci sont confrontées à des attaques, des menaces, des rejets et des critiques de plus en plus violentes et virulentes.
La Croix
Lecture en 4 min.
L’humanitaire arrogant appartient au passé
Jean-Guy Vataux
Directeur général adjoint de Médecins sans frontières
Le temps d’un certain humanitaire est révolu, le temps de l’humanitaire des débuts de Médecins sans frontières : un humanitaire un peu arrogant, qui allait alors dans les pays du Sud non seulement pour leur expliquer ce qu’ils devraient faire, mais en outre leur dire qu’on le ferait pour eux. Cet humanitaire-là a vécu, effectivement, il fait partie du passé. Mais l’humanitaire en général, je ne le crois pas. Certaines situations sont toujours là : les déplacements de populations, par exemple. On peut faire un parallèle entre les boat people dans la mer de Chine des années 1970 et 1980 et les migrants en mer Méditerranée plus récemment. On peut citer aussi les situations épidémiques avec des États qui n’ont toujours pas les moyens de prendre en charge une partie de leur population.
Mais le changement est évident, et on peut le dater des années 2000 : un modèle humanitaire occidental classique – qu’on peut qualifier de « romantique » ou de « néo-colonial » – prend un coup dans l’aile. Cet état de fait découle d’abord du mécontentement des populations, qui exigent d’être davantage et mieux associées au sein des effectifs, mais aussi à la direction et à la mise en œuvre du travail humanitaire. Aujourd’hui, 64 000 personnes travaillent à MSF à travers le monde, et plus de 90 % d’entre elles sont des personnels nationaux, c’est-à-dire issus de l’endroit où nous intervenons.
Certaines problématiques persistent. Tout d’abord, comment avoir accès à des populations vulnérables en terrain de conflit, surtout quand des groupes radicaux hostiles interviennent dans ces conflits ? Ensuite, il faut mentionner l’enjeu, là aussi ancien, de la qualité des secours et du développement de la médecine. C’est un autre humanitaire qui est mort : l’humanitaire qui affirmait que ce n’était pas grave d’utiliser des molécules vieilles de vingt-cinq ans, en Afghanistan par exemple.
Enfin, le dernier humanitaire quasiment révolu, c’est l’humanitaire amateur, à taille humaine. Il y a certes toujours de petites structures concentrées dans un endroit précis, sur un problème donné, et qui font un travail admirable. Mais ce n’est plus aujourd’hui le tableau global de l’humanitaire. Aujourd’hui, on est en présence de très grosses ONG, MSF étant la plus imposante, dotées de méthodes quasi industrielles. L’aspect positif, c’est la capacité d’intervenir dans beaucoup d’endroits différents : MSF couvre aujourd’hui plus de 80 pays. C’était inimaginable il y a seulement vingt ans. Cette taille est synonyme de professionnalisme et de très grande compétence. L’aspect moins positif de cette évolution, c’est la bureaucratie, dont on ne peut pas être exempts lorsqu’on est une organisation multinationale de plus de 60 000 personnes. Nous dépensons beaucoup d’énergie pour éviter ces dérives bureaucratiques qui pourraient peser sur l’action. C’est un combat permanent.
Recueilli par Fabrice Deprez
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Les entrepreneurs de guerre ont chassé les humanitaires
Sylvie Brunel
Spécialiste des questions de développement, université Paris 4-Sorbonne
Le temps de l’humanitaire n’est pas révolu mais il est confronté à des difficultés aiguës alors qu’il n’a jamais été aussi nécessaire. Historiquement, les humanitaires allaient dans des zones frappées par des crises majeures pour secourir les populations et faire un travail de plaidoyer. Le soin des corps s’accompagnait d’un discours sur les causes de la crise, sur les crimes et les criminels. Ce qu’a fait, par exemple, MSF au Rwanda en 1994 lorsque Jean-Hervé Bradol a dénoncé le génocide contre les Tutsis et mis en lumière le rôle de la France dans le soutien au régime génocidaire. Autrement dit, des boat people à l’Afghanistan, de la Somalie au Darfour, les humanitaires ont toujours cherché à accéder aux victimes en faisant fi des frontières pour les soigner et les sauver. Et, dans toutes ces crises, ils développaient une analyse politique qu’ils médiatisaient fortement en vue de mobiliser l’opinion publique pour résoudre ces mêmes crises.
Les régimes criminels, les groupes armés, les entrepreneurs de guerre l’ont parfaitement compris, de sorte qu’ils les ont chassés. Et ceux qui sont restés, ils les ont enlevés. Désormais, ils les tuent, comme on l’a vu l’année dernière avec les assassinats par Boko Haram de membres d’Action contre la faim au Nigeria. Ainsi, les humanitaires se sont retirés du terrain tout en devenant de grosses machines aux sièges volumineux, où le travail s’est bureaucratisé et s’est tourné en direction des attentes des bailleurs de fonds. Et ils ont délégué à des exécuteurs locaux le soin d’aller sur le terrain. Pour ces derniers, c’est un travail comme un autre, à la différence des premiers temps de l’humanitaire.
Aller au cœur des conflits au risque d’exposer sa vie n’est plus considéré comme acceptable, ce qui pose la question de l’évolution du devoir d’assistance. C’est une victoire pour tous les auteurs des crimes et des catastrophes. C’est le cas aujourd’hui, par exemple, de l’Éthiopie. Mais aussi du Sahel, de la Somalie, de la Libye, du Soudan du Sud, du Yémen, de la Syrie, de l’Afghanistan. Cette réalité a fait évoluer le discours humanitaire sur les causes de la crise qui les mobilise : il est désormais construit autour du seul changement climatique. Non qu’il n’ait aucun impact sur les crises contemporaines, mais il n’en est pas la seule cause. Sont gommés les responsabilités politiques, la mauvaise gouvernance, la corruption, la misère, le manque de perspective pour la jeunesse, les rivalités entre les clans, entre les pasteurs et les agriculteurs, le jeu des États voisins, des grandes puissances, l’appropriation des richesses, le radicalisme religieux.
En analysant les crises sous l’angle unique du changement climatique, en écho avec le secrétaire général des Nations unies, les humanitaires ne fâchent plus les États voyous et les entrepreneurs de guerre. En adoptant cette grille unique de lecture, ils ont trouvé un nouveau champ de légitimation et de financement de leurs actions pour continuer à exister.
Recueilli par Laurent Larcher
Condamnations au Bénin
Verdicts Aïvo et Madougou : le ton se durcit entre le Bénin et les États-Unis
Après les condamnations de Joël Aïvo et de Reckya Madougou à des peines de prison ferme, Washington dénonce le « ciblage systématique des figures de l’opposition politique ». Le Bénin rétorque que la justice est libre et transparente sur son territoire.
Le communiqué n’y va pas par quatre chemins. Réagissant aux lourdes peines de prison ferme prononcées quelques jours plus tôt contre les opposants Joël Aïvo (dix ans) et Reckya Madougou (20 ans), reconnus coupables de blanchiment d’argent pour l’un et de financement du terrorisme pour l’autre, les États-Unis ont dit leur préoccupation. Exprimant de « graves inquiétudes quant à l’ingérence de la politique dans le système de justice pénale du Bénin », le communiqué du département d’État dénonce un « ciblage systématique des figures de l’opposition politique ».
Une sortie que le gouvernement béninois a peu goûtée. Par la voix de son porte-parole, il a tenu à réaffirmer que la justice était libre et indépendante au Bénin. « Les institutions jouent leur rôle étant entendu que nous sommes dans un régime de séparation des pouvoirs, a répliqué Wilfried Léandre Houngbédji. Tout le reste n’est que conjecture. »
Tout près de l’incident diplomatique
Ce n’est pas la première fois que le ton monte entre Porto-Novo et Washington. En avril dernier déjà, quelques semaines après l’arrestation d’Aïvo et de Madougou, le département d’État américain avait fait part de ses inquiétudes, et l’on avait frôlé l’incident diplomatique. Le ministre béninois des Affaires étrangères, Aurélien Agbenonci, ne s’était pas privé d’exprimer son mécontentement à l’ambassadrice américaine à Cotonou. L’affaire n’avait pas connu de suites publiques.
Cette fois-ci, les États-Unis ont décidé de frapper le Bénin au portefeuille. Au lendemain de la publication du communiqué du département d’État, le Millennium Challenge Corporation (MCC) a annoncé la réduction du montant de ses investissements au profit du Bénin. Le conseil d’administration du MCC s’est justifié en mettant en avant « le déclin des principes de gouvernance démocratique » au Bénin. Il ne mentionne pas directement la condamnation des deux opposants, mais le timing laisse peu de place au doute.
LE BÉNIN S’EMPLOIE À CONSTRUIRE UNE DÉMOCRATIE RÉSILIENTE. SI TOUT CELA EST PERÇU, POUR CERTAINS, COMME UN DÉCLIN DÉMOCRATIQUE, C’EST LEUR PERCEPTION DES CHOSES
Le MCC est un programme d’investissement dont le Bénin bénéficie depuis 2004. Il avait notamment permis, dans une première phase, de renforcer les infrastructures du port de Cotonou et de faciliter l’accès à la justice. Le second volet, signé en 2015, s’accompagnait lui d’une enveloppe de 375 millions de dollars et était orienté vers la production d’énergie électrique.
Au sein de l’exécutif béninois, on dit « prendre acte » de la décision américaine et l’on tente de relativiser. « Le Bénin s’emploie à construire une démocratie résiliente avec des institutions fortes, une justice qui juge autant les soutiens que les opposants au pouvoir, commente Wilfried Léandre Houngbédji. Si tout cela est perçu, pour certains, comme un déclin démocratique, c’est leur perception des choses. »
Ils ne feront pas appel
Cette passe d’armes intervient alors que l’on a appris qu’Aïvo et Madougou ne comptaient pas faire appel. Leurs avocats dénoncent une justice « prise en otage ». « Faire appel serait une perte de temps et d’énergie, tacle Me Renaud Agbodjo, l’avocat de Reckya Madougou. Car ce sont les mêmes juges de la même juridiction qui [se prononceront] en appel. »
Joël Aïvo, qui avait jusqu’à ce lundi 20 décembre pour déposer un recours contre sa condamnation, n’a pas expliqué pourquoi il ne poursuivait pas son combat judiciaire. Mais l’un de ses avocats, Me. Nadine Dossou Sakponou, a estimé que l’universitaire avait perdu foi en la justice de son pays. Le choix de Joël Aïvo correspondrait à sa volonté de rester « digne et cohérent ».
Les proches des deux opposants espèrent maintenant que leur sort fera l’objet de tractations politiques et diplomatiques. « Aujourd’hui, seul le chef de l’État détient la clé de la situation, a indiqué Me Renaud Agbodjo. Nous allons concentrer nos efforts sur ce terrain-là. »
Réparer des visages d'enfants maliens
Grand format
Réparer les visages des enfants : au chevet des petites gueules cassées du Mali
Les enfants maliens atteints de malformations faciales vivent en paria. Fin novembre 2021, une équipe de médecins bénévoles s’est rendue à Bamako pour opérer une quarantaine d’entre eux. Une renaissance pour ces gamins dont le pays, lui, vacille comme jamais. Journal de bord.
Mamadou Diawara après son opération, dans la salle de réveil du centre hospitalier mère-enfant Le Luxembourg, à Bamako. C’est le premier petit patient de cette « mission marathon ». / BRUNO ARBESU
Samedi 20 novembre
Pour qui ne sait pas, Mamadou Diawara bataille contre une toux lancinante comme n’importe quel petit de son âge. En réalité, il repart à la conquête de la vie. Pour l’aider à dompter ses bronches rebelles, sa maman lui tapote le dos en répétant : « C’est fini, c’est fini. » Mais pour lui, tout commence. Car depuis sa naissance, il y a huit mois, Mamadou ne s’est jamais vu que dans le regard d’effroi des autres. Et ce matin, à l’hôpital mère-enfant de Bamako, entre la mosquée de Lassa et les rives du fleuve Niger, c’est lui qu’on vient admirer. Patients, personnel soignant… tous se pressent en salle de réveil pour voir le « premier opéré » de la journée. À ses côtés, sa mère esquisse un sourire gêné. Être fière de son petit, elle ne sait pas. Pas encore. Elle semble comme égarée dans son bonheur, désarçonnée de voir son fils au centre d’autant d’attention. Lui, le petit paria.
« Au village, tout le monde disait que c’était un enfant-sorcier, confie-t-elle. Certains souhaitaient sa mort… même dans notre famille. Pour eux, il était maudit. Il allait nous jeter un mauvais sort. » Son enfant est né avec une fente labio-palatine (communément appelée « bec-de-lièvre »), une malformation relativement banale puisqu’elle touche, en moyenne, un nouveau-né sur sept cents. Mais dans le village de Mamadou, naître le visage barré d’un mauvais rictus, ce n’est pas la faute à pas de chance, c’est l’acte du diable.
Alors, à sa naissance, chacun y a été de son « conseil » : pour les uns, il fallait l’abandonner ; pour les autres, le laisser dépérir. « On a toujours refusé », assure sa mère. Il a pourtant bien failli mourir, sa malformation l’empêchait de téter. Seule option : le nourrir au biberon, « en élargissant le trou de la tétine ». Restait à s’approvisionner en lait maternisé, un bien inabordable pour beaucoup, « mais on s’est débrouillé », poursuit-elle. Mamadou tente toujours de venir à bout de sa méchante quinte. Il y arrivera. Il a, si jeune, déjà tant survécu.
« Il y a ceux qui se demandent quelle malédiction a touché ces gamins. Moi je me demande ce qu’on peut faire pour eux. »
Docteur Moussa Daou
Quelques minutes auparavant, il était encore au bloc, avec autour du cou le petit collier traditionnel qui ne le quitte jamais. Pour le docteur Jean Vendroux, qui vient de le recoudre et qui enchaîne illico une autre intervention, « cette opération, c’est quasi magique ; on nous confie un petit défiguré et, une heure après, on le rend réparé ». Puis, le regard soudain voilé : « Après, ne nous leurrons pas. Tout cela n’est qu’une goutte d’eau dans un océan de besoins. » N’empêche, ce chirurgien versaillais pose chaque année quelques jours de congé pour être au rendez-vous. Vingt missions au compteur…
Mais que fait-il exactement ? Avec une poignée de confrères – trois autres Français et deux Maliens –, il participe bénévolement à une mission humanitaire soutenue par La Chaîne de l’espoir et l’Agence française de développement (AFD). L’objectif : opérer des enfants défigurés, soit en raison d’une malformation de naissance, soit après une maladie. Ces jeunes ont été préalablement diagnostiqués par le docteur Moussa Daou, un chirurgien malien très impliqué en faveur de ces enfants. « Il y a ceux qui se demandent quelle malédiction a touché ces gamins. Moi, je prends le problème en sens inverse : je me demande ce qu’on peut faire pour eux », résume ce quadragénaire avant de filer au bloc. Pas une minute à perdre. Quatre jours, quarante enfants à opérer. C’est une mission humanitaire aux allures de mission commando.
Quelques jeunes adultes bénéficient aussi de la mission, comme Oumar Mama (30 ans). / BRUNO ARBESU
Au bout du couloir, Koniba, 5 ans, se réveille doucement. Sa mère s’émerveille devant sa fille encore groggy et toute couturée. Une heure suffit parfois à changer une vie et celle-là, elle en est sûre, bouleversera tout : « Avant, avec sa lèvre ouverte, elle faisait peur à tout le monde. Même à son frère. Maintenant, elle va pouvoir vivre normalement. » La mère de Koniba est d’autant plus reconnaissante que la veille, lors de la visite pré-anesthésique, elle a vu le désarroi de ces mamans dont l’enfant était refusé.
Comme Oumou Fone. Avec ses 3,9 kg, elle n’avait pas le poids requis de 6 kg pour être opérée. Et pour cause, le plateau technique de l’hôpital est insuffisamment équipé pour faire face aux suites opératoires – parfois complexes – des enfants trop fragiles. La mère d’Oumou a bien imploré… rien n’y a fait. Fière dans son chagrin, elle s’est efforcée de sourire quand on lui a donné un paquet de « bouillie enrichie » pour remplumer sa fille et elle est partie sans un mot, les épaules lasses. Seule consolation : Oumou sera, peut-être, programmée pour la mission du printemps prochain.
« Au Mali, venir à l’hôpital, c’est un luxe. (…) Si tu n’as pas d’argent, l’hôpital ne peut rien pour toi. »
Penda Diakité, infirmière malienne
À l’hôpital, la cadence accélère. Penda Diakité, l’infirmière malienne qui accueille les enfants en salle de réveil, a les bras tendres mais la parole rugueuse. À l’entendre, les cabossés du visage qui lui arrivent aujourd’hui sont bien chanceux ! Eux, gâtés par la vie, vraiment ? Si, si, elle insiste : leurs débuts sont peut-être chaotiques mais croiser sur son chemin une mission humanitaire relève du miracle. Car tout est pris en charge financièrement. « Au Mali, venir à l’hôpital, c’est un luxe. Ici, tout est payant : le rendez-vous avec le médecin, la chambre, les perfusions, tout… même les compresses ! » Et en cas d’urgence vitale ? « Si tu n’as pas d’argent, l’hôpital ne peut rien pour toi », lâche-t-elle. « Seule exception : les césariennes. Là, l’acte chirurgical est gratuit… mais pas les calmants. Si tu ne peux pas payer, on ne t’en donne pas ! » Penda dit tout cela tout en étant d’une infinie douceur envers les petits. Comme pour compenser la rudesse du monde.
Les couloirs se vident, la nuit s’annonce, l’heure est venue d’organiser le transfert des enfants opérés vers le centre Hirzel, dans les faubourgs de Bamako. Sylviane Collomb, une infirmière retraitée d’origine suisse, veillera sur eux là-bas durant leur convalescence. Et ce soir, elle s’y perd un peu entre tous les marmots. Il y a plusieurs Coulibaly, plusieurs Traoré… « Il y aurait l’informatique, ça changerait quand même la vie ! », soupire la sexagénaire. Point d’ordinateur à l’hôpital ; la liste des patients passe de main en main sur une feuille volante. « Mais tu sais bien que c’est comme ça, ici… Eh, Sylviane, c’est la beauté de la mission ! », rigole le docteur Moussa Daou, qui charrie dès qu’il peut cette amie de longue date. L’infirmière lève les yeux au ciel, blague à son tour et retourne à ses ouailles. Vingt-cinq ans d’humanitaire l’ont immunisée : jongler avec le chaos, elle sait faire.
Abdulaï Diara a été défiguré par un grave noma mal soigné. Pour ne pas effrayer son entourage, il porte un large turban. / BRUNO ARBESU
Dimanche 21 novembre
Après les opérations « plutôt simples » de la veille, grosse journée ce dimanche. Il n’est qu’à voir les petites gueules cassées qui attendent de passer au bloc. Certains enfants ont une partie du visage quasi paralysée ; d’autres arborent une mâchoire déformée ; d’autres encore ont un trou au milieu de la joue. Tous ont contracté la même maladie : un noma, une infection des gencives qui – faute d’être soignée à temps – dégénère en gangrène et s’attaque à la bouche, puis au visage tout entier. Cette pathologie n’existe pas sous nos latitudes ; chez nous, on stoppe les gingivites en quelques jours, à coups d’antibiotiques.
Rokia Ouattara, elle, attend son tour. Pas une plainte, pas un mot. Seuls ses petits pieds nus – joliment décorés au henné – la trahissent : ils sont crispés, de vraies boules de nerfs. La peur. Le noma de cette gamine de 9 ans a pu être endigué, mais les séquelles sont là : un trou situé à la commissure des lèvres fait ressortir une dent solitaire et inélégante. Pour elle, c’est le jour J. En réalité, il n’y aura pas d’opération miracle. Ni pour Rokia, ni pour les autres. Il est rare, après un noma, de retrouver un visage aussi symétrique et expressif qu’avant. Les médecins préfèrent parler de « demi-miracles ».
Il y a pourtant un avant et un après, assure la chirurgienne Rokiatou Kone : « Les enfants qui ont eu un noma vivent loin des autres. Souvent considérés comme contagieux, ils doivent manger à l’écart. Tout cela change après l’opération. » Encore différents, certes, mais plus relégués sur les rebords du monde.
Abdulaï Diara, 18 ans, n’en demande pas plus. À première vue, le jeune homme présente bien. Son pas placide et son élégante silhouette accrochent le regard. Tout comme ce turban bleu azur porté autour du visage dans la plus pure tradition touareg. Sauf qu’Abdulaï… n’est pas touareg. Il n’a jamais eu à se protéger des vents chauds du Sahel. C’est un petit berger du sud Mali. Son turban ne lui sert qu’à cacher l’immense béance traversant son visage. Un chaos de chair.
Retour en camionnette au centre Hirzel pour le suivi post-opératoire des enfants ayant été opérés la veille. / BRUNO ARBESU
Que lui est-il arrivé ? Il y a deux ans, il consulte un guérisseur pour un méchant mal de dent. Ce dernier lui passe sur les gencives une « pâte noire » – composée de son de riz, de sable et d’excréments de chèvre. En vain… S’ensuit une gangrène foudroyante. Le berger ne doit son salut qu’au rendez-vous médical obtenu in extremis par ses proches et aux antibiotiques prescrits dans la foulée – des médicaments dix fois plus coûteux que les remèdes des guérisseurs. Le berger est désormais hors de danger mais les séquelles du noma, elles, sont irréversibles. Et ce visage saccagé, il n’en veut plus. « L’opération ne me permettra pas de redevenir comme avant. Mais je voudrais qu’on répare le trou. Je voudrais ne plus faire peur. »
« L’opération ne me permettra pas de redevenir comme avant. Mais je voudrais qu’on répare le trou. Je voudrais ne plus faire peur. »
Abdulaï Diara
Des cas comme celui-ci, le docteur Moussa Daou ne les compte plus. Le chirurgien a donc décidé d’agir en amont, en travaillant de concert avec les guérisseurs. « On n’a pas le choix. Ils sont en première ligne face aux malades. En milieu rural, il n’y a même qu’eux ! » Il multiplie donc les déplacements. Objectif : leur apprendre à détecter cette maladie afin qu’ils adressent les patients aux médecins conventionnels. Le chirurgien sillonne le pays excepté le nord, gangrené par le djihadisme. Là-bas, les groupes armés – combattus par la force Barkhane (1) – imposent désormais leur diktat. « Si j’y vais, je suis kidnappé direct ! Un médecin, c’est précieux », rit-il. Et des petits patients venus du nord, en reçoit-il en consultation ? « Jamais », lâche-t-il, soudain grave. Et pour cause, les familles n’osent plus emprunter les routes reliant Gao ou Tombouctou à Bamako. Les embuscades y sont permanentes. Pour rallier le sud, et notamment la capitale, il est désormais conseillé de passer par le Burkina – un détour inabordable pour la plupart.
Sortie de bloc opératoire pour la petite Rokia. La cicatrice est là mais elle s’estompera avec le temps, veut croire sa mère. « Et, même si on la voit un peu, ce n’est pas grave. Le plus important, c’est qu’on ne voit pas qu’elle a été malade. » Pour ne pas être rejetée, « pour pouvoir se marier », ajoute sa mère. « T’es superbe, Chouchou ! », lance Sylviane à la gamine. L’infirmière appelle tout le monde « Chouchou ». « J’ai un problème avec les prénoms. Je n’en retiens aucun. »
Dehors, les ombres s’estompent, les couleurs désertent, la nuit gagne. C’est l’heure du transfert vers le centre Hirzel. La Suissesse s’assure qu’elle a son quota de patients, et c’est parti ! La camionnette file sur les chemins de terre de la capitale. Son pare-brise arrière est flanqué d’une grande affiche montrant un enfant à la lèvre déformée avec, en gras, la mention « Chirurgie gratuite ». Sur la route caillouteuse menant au centre, le véhicule passe devant l’étal de fortune de Myriam, la guérisseuse du coin. La vieille dame, sorte de vestale en boubou, reste imperturbable. Avec ses gestes de prêtresse, elle continue de vendre ses potions ancestrales.
Maïmona Dambili (environ 15 ans) s’isole sous une moustiquaire du dortoir des femmes du centre Hirzel. Les médecins ont pu reconstruire sa lèvre abîmée par le noma mais n’ont pas pu faire plus. / BRUNO ARBESU
Lundi 22 novembre
Ce matin, l’horizon revient de loin. Après une aube laiteuse, le soleil fait son apparition. Grand, beau, franc. Au centre hospitalier, l’équipe tient la cadence. Alassane, recousu et déjà réveillé, rejoint sa chambre. Ils sont cinq à se la partager – deux sur un lit, les trois autres sur des nattes à même le sol. Personne ne proteste. Penda a prévenu : « L’hôpital, c’est un luxe. »
En salle de réveil, les spasmes de Fatoumata préoccupent Francis Veyckemans, l’anesthésiste. Pas simple de gérer ces « réveils rustiques » quand, comme aujourd’hui, quatre postes de réanimation sur six sont hors service. « On ne sait pas comment les enfants sont ventilés », s’inquiète Chantal Chazelet, anesthésiste elle aussi. Alors, les deux Français font « à l’ancienne ». C’est-à-dire ? « On regarde comment les petits thorax se soulèvent. » L’œil remplace la machine. « Là, t’es content d’avoir de l’expérience », sourit Francis Veyckemans. L’homme est modeste mais ses ouvrages en matière d’anesthésie pédiatrique font référence dans l’Hexagone. Fatoumata l’ignore, mais elle est entre les mains d’un ponte.
En face, en salle d’opération, le docteur Moussa Daou et son homologue français, le docteur Laurent Giaoui, font, aux aussi, avec les moyens du bord. Aujourd’hui, la climatisation fonctionne par intermittence, un coup dur quand il fait 39 °C dehors… La sueur perle sur les fronts des deux chirurgiens. Plus cocasse, une mouche s’est frayé un chemin jusqu’en salle d’opération. Moyennement réglementaire tout ça ! Le Français hausse les sourcils. « T’inquiète. Ici, les mouches sont stériles ! », se marre Moussa Daou, éclaboussant tout le monde de sa bonne humeur.
En fin de matinée, c’est au tour de Maïmona Dambili de passer au bloc. Victime d’un noma à l’âge de 2 ans, l’adolescente n’a plus ni nez, ni mâchoire, ni lèvres. Un trou lui tient lieu de bouche. Son âge ? Elle l’ignore. On insiste un peu, mais elle balaie la question d’un revers de la main. Pour elle, le temps est aboli. Refusée à l’école, elle ne sait ni lire ni écrire. Même parler lui est difficile. Que fait-elle de ses journées ? Pas de réponse. A-t-elle des amis ? « Oui, Niagali, c’est la seule qui accepte de jouer avec moi », marmonne-t-elle, les yeux rivés au sol comme pour ne pas imposer son visage aux autres. Son rêve : « Avoir une bouche. » Nos questions l’ennuient, alors on la laisse retourner à son brouillard. Maïmona, petite emmurée vive.
Alassane Barry (ci-dessus, en rose) a aujourd’hui presque deux ans. Il a été opéré une première fois à trois mois d’une double fente labio-palatine. / BRUNO ARBESU
L’opération d’aujourd’hui changera-t-elle sa vie ? Négatif. Reconstruire les muqueuses nasales et la paroi buccale est complexe en soi mais cela l’est plus encore quand, comme elle, le patient n’a plus de mâchoire. « Pour une reconstruction globale, il faudrait pouvoir faire une greffe, un prélèvement osseux… C’est inenvisageable ici », déplore Laurent Giaoui, le sourire brisé. En réalité, pour reconstruire le visage de Maïmona, il faudrait l’envoyer en Europe. Et c’est exclu. Pourquoi ? Question simple, réponse… complexe. On touche là à l’un des nœuds gordiens de l’humanitaire : comment répondre au mieux aux besoins de chacun tout en portant secours au plus grand nombre ? « L’envoyer en Europe, et assurer ensuite son suivi là-bas, ça se chiffrerait en dizaines de milliers d’euros, explique Jean Vendroux. Ce qui veut dire que, pour la prise en charge de cette seule adolescente, c’est la vie de dizaines d’autres qu’il faut sacrifier. » On sent les deux chirurgiens désolés pour elle. Désolés, aussi, de leur propre impuissance. Eux, ils savent réparer les visages. Pas le monde autour.
« Je me suis dit, je vais faire de la chirurgie esthétique, ça paie bien, et, avec cet argent, je prendrai en charge les enfants victimes du noma. »
Docteur Moussa Daou
Maïmona sera donc opérée, mais elle ne retrouvera qu’un semblant de lèvres. En salle de réveil, Penda promet d’accueillir au mieux cette gamine flouée par la vie. Penda, elle sait trouver les gestes quand les mots manquent.
Dehors, le ciel s’étire. La nuit fait des siennes avant de se montrer. C’est l’heure du transfert des convalescents. Et, à l’avant de sa camionnette, Sylviane pousse une gueulante. La fatigue, peut-être. Alors tout y passe : « le système », « les inégalités nord-sud », « ce monde qui marche sur la tête ». L’infirmière s’arrête, comme pour y mettre les formes, et repart de plus belle : « Ici, y a rien… et les Africains, ils font avec. Nous, en Europe, on a tout et on trouve encore le moyen de râler ! Franchement, quand on voit comment ces pauvres gosses vivent ici ! »
La sexagénaire est coutumière de ces coups de sang. Il y a quelques années, elle avait vitupéré contre « l’indécence de la chirurgie esthétique » au nord, quand les populations du sud restaient, elles, privées « des soins les plus basiques ». Moussa Daou, alors jeune chirurgien, avait assisté à la scène. Et ça a fait tilt. « Je me suis dit, je vais faire de la chirurgie esthétique, ça paie bien et, avec cet argent, je prendrai en charge les enfants victimes du noma. » Et il l’a fait. C’est grâce à ses confortables revenus de chirurgien esthétique qu’il a créé, il y a six ans, le centre Hirzel, où sont accueillis les enfants. « Je pique aux riches pour redonner aux pauvres. Genre Robin des bois ! », sourit le Malien.
Le Dr Moussa Daou a fondé le centre Hirzel pour accueillir les enfants défigurés. Il consulte les patients avant l’opération, comme Rokia Ouattara, 9 ans, atteinte d’un noma (à droite). / BRUNO ARBESU
Mardi 23 novembre
Ce matin, une harangue déchire le silence. C’est la grand-mère de Mouhamadou Coulibaly. Il y a de l’orage dans sa voix. Elle lève les mains au ciel et tonne en langue bambara. À ses côtés, une femme s’improvise traductrice : « Elle remercie tous ceux qui contribuent à soigner son petit-fils. Elle leur souhaite le paradis et le bonheur éternel. Elle dit aussi qu’elle est la plus comblée de tous les Maliens. » On l’imaginait pestant, mais elle rend grâce. Et elle crie, elle crie… comme si le monde entier devait savoir ! Mouhamadou doit être opéré du palais après l’avoir été de la lèvre. « Avant, les autres refusaient de manger avec lui parce qu’il bavait. Maintenant, c’est fini, il est comme tout le monde ! Cette fois, l’opération lui permettra de parler correctement et d’aller à l’école. » Seul souhait de cette femme au visage parcheminé : « De nouvelles missions pour d’autres enfants. »
D’autres missions suivront, mais combien ? Le nord Mali est au bord de l’abîme. Le sud résiste, mais jusqu’à quand ? Fini l’époque des French doctors sillonnant sans encombre le Sahel ; les humanitaires sont désormais des cibles, comme en attestent la prise d’otage de Sophie Pétronin à Gao en 2016 ou l’assassinat de huit membres d’Acted à l’été 2020, au Niger tout proche. Une véritable économie du chaos règne ici et les humanitaires font désormais office de monnaie d’échange. Des groupes armés les kidnappent avant de les revendre aux djihadistes qui eux-mêmes les libèrent contre une rançon, voire la libération de leurs frères d’armes.
« Ce n’est pas qu’une mission humanitaire, c’est une mission humaniste. »
Docteur Laurent Giaoui
Qu’en pensent nos quatre Français ? Se sentent-ils menacés ? « On fait hôtel-hôpital, hôpital-hôtel, on n’a pas le temps d’avoir peur », résume Chantal Chazelet, toujours focalisée sur les thorax de ses jeunes patients. Toutefois, consciente que cette mission inquiète ses proches, la Grenobloise n’a – cette fois – prévenu sa mère que la veille du départ : « Ça allait l’angoisser de toute façon, autant que ce soit le plus tard possible. » Son collègue, Francis Veyckemans, préfère blaguer : « Moi, j’ai dit à ma femme en partant : “T’inquiète pas. Si les djihadistes me kidnappent, je vais tellement les emmerder qu’ils ne demanderont pas de rançon pour me libérer. Non, non, c’est l’inverse : ils vont te payer pour que tu me reprennes !” » Fous rires dans les rangs.
Tous disent vouloir revenir. Pour les enfants, bien sûr. Mais aussi pour continuer de former leurs homologues maliens. Cette fois, c’était au tour du docteur Souleymane Traoré, 26 ans, d’apprendre des deux chirurgiens français. Il y a quatre ans, le docteur Rokiatou Kone était à sa place. « Maintenant, elle se débrouille parfaitement », se félicite Jean Vendroux. Ce compagnonnage entre Français et Maliens inspire une jolie formule à Laurent Giaoui : « Ce n’est pas qu’une mission humanitaire, c’est une mission humaniste. »
Comme le Dr Chantal Chazelet (à gauche), les volontaires posent des congés pour opérer gratuitement au Mali. Ici, avec Aïcha Keita. / BRUNO ARBESU
Avec ses gestes millimétrés, le docteur Rokiatou Kone enchaîne les opérations sans doute les plus délicates de la mission. Dans la minuscule salle de repos permettant aux chirurgiens de souffler entre deux interventions, elle ne passe qu’en coup de vent aujourd’hui. Comme hier. Et comme avant-hier. Peut-on échanger quelques mots ? « Cinq minutes, ça va ? On m’attend au bloc », lâche la trentenaire, tout sourire. Elle remercie ses tuteurs de « lui avoir tout appris », dit faire un « métier magnifique », se sentir « vraiment utile ». La chirurgienne parle vite, elle a un chronomètre en tête. Elle s’apprête à partir mais reste « juste une minute » pour « raconter le cas d’une patiente » qui l’a visiblement marquée.
La jeune femme, née avec une fente labiale, avait – du fait de son handicap – été mariée contre son gré à un homme très âgé. Ce dernier, avec ses autres épouses, ne cessait de se moquer d’elle. Rokiatou Kone poursuit : « Il y a quelque temps, donc, j’opère cette jeune femme. Peu après, elle revient ici me remercier. Elle s’était maquillée, tressée, elle était magnifique… Je ne l’ai pas reconnue, d’ailleurs ! Et là, je lui demande : “Alors, qu’a dit ton mari après l’opération ?” et elle me répond : “Il n’a rien dit car je ne suis pas rentrée”. Et elle ajoute : “Je ne compte pas rentrer”. » La chirurgienne s’arrête net, encore bouleversée. « Grâce à l’opération, cette femme osait imaginer une autre vie, c’était… » Elle bafouille, cherche ses mots mais c’est elle qu’on vient chercher : « Rokiatou, on t’attend au bloc, là », l’interpelle un soignant. Elle repart à mille à l’heure.
Comme elle, Moussa Daou s’est formé à l’étranger et, comme elle, il compte bien rester au pays. « Franchement, c’est courageux de leur part quand on voit comment c’est en train de tourner ici », murmure un Français. Mais le quadragénaire se veut battant : « On va totalement refonder le pays et repartir sur de nouvelles bases. » Il y a chez lui un optimisme non négociable qui, par moments, frôle le déni. Quand on le lui dit, le Malien concède « avoir parfois des moments de découragement ». Mais quelque chose le retient ; une sorte de contrat passé avec lui-même. Jeune, il a assisté impuissant à la mort de sa petite-nièce, Hawa, foudroyée par un noma. « Quand je suis tenté de baisser les bras, je pense à elle et je m’y remets. » C’est lui, cette fois, qu’on vient quérir. « Désolé, une urgence. » Il file au pas de charge rejoindre Rokiatou. On les regarde et l’on se dit que tant que ces deux-là ne renoncent pas, alors le pays tient encore à peu près.
Au loin, les derniers murmures du jour. Jean, Chantal, Laurent et Francis s’apprêtent à lever le camp. Pour cette mission, les Français avaient posé quatre jours de congé mais, demain, « retour au boulot ». Pas question de rater le Bamako-Paris de 22 h 35 ! Ils font leurs adieux à leurs amis maliens, tout en évoquant déjà la prochaine mission. Sylviane, elle, restera quelques jours de plus pour veiller sur ses « chouchous ». Les parfums des manguiers et des eucalyptus tournent dans l’air et s’entremêlent. Bientôt, l’heure du silence.
Au Nigeria, les projets de fermeture des camps de déplacés le nord du pays pourraient mettre en danger des dizaines de milliers de personnes. Dans un rapport publié ce mercredi 15 décembre, Amnesty International alerte sur la situation de près de 10 000 familles de déplacés internes installées à Maiduguri, la capitale de l'État du Borno.
Il faisait encore nuit quand Babagana Zulum, le gouverneur de l'État de Borno, est arrivé dans le camp de Bakassi le 19 novembre, pour annoncer aux déplacés qu'ils avaient un peu plus de dix jours pour partir.
Ceux-ci ont reçu une aide alimentaire et de l'argent. Un peu plus de 200 euros pour les hommes. Et une centaine d'euros pour les femmes. Malgré ce coup de pouce, Binetou n'a pas pris le chemin du retour, rapporte notre correspondante au Nigeria, Liza Fabbian.
Le chemin du retour
Elle a simplement déplacé sa tente à quelques mètres de l'enceinte du camp : « On ne peut plus vivre là-bas. Ceux qui ont voulu rentrer ont dû faire demi-tour, car il n'y a plus rien et tous les jours on entend des coups de feu. Moi, je ne peux pas oublier le jour où j'ai fui la région du lac Tchad à pied et comment j'ai marché jusqu'à Monguno avant de rejoindre Baga. À chaque fois que j'entends un bruit, je crois que c'est un coup de feu. »
Si certains ont préféré rester à Maiduguri, d'autres se sont arrêtés dans la ville de Gwoza, sécurisée par l'armée, sans atteindre leurs villages. Pourtant, la fermeture des camps est devenue inévitable à en croire Hamsatu Allamin, militante pour la paix à Maiduguri : « Nous maintenons un système corrompu. L'aide humanitaire d'urgence ne devrait pas durer. Ça fait maintenant 12 ans! Alors quand cela va-t-il s'arrêter? Nos vies ne peuvent pas continuer comme ça, alors peut être qu'il faut commencer quelque part. »
Quant aux autorités de l'État de Borno, elles comptent sur la résilience des populations pour reconquérir des territoires abandonnés depuis des années. Les déplacés internes ayant trouvé refuge à Maiduguri devront retourner sur les terres qu'ils ont fuies.
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Ce plan est inacceptable pour de nombreuses organisations de la société civile, car les attaques des combattants djihadistes du groupe Boko Haramet de l'organisation État islamique en Afrique de l'Ouest sont toujours très fréquentes. De nombreuses zones échappent encore au contrôle des autorités malgré les promesses du président nigérian Muhammadu Buhari de faire de la lutte contre l'insécurité une de ses priorités.
Des zones dangereuses
Si les autorités de l'État de Borno nient que des personnes soient contraintes de se rendre dans des zones dangereuses, les ONG ne sont pas du même avis. Elles prennent notamment comme exemple les attaques qui ont visé les camps vers lesquelles les autorités nigérianes avaient été guidé des réfugiés. Le 30 août, à Mafa, près de Maiduguri, 6 personnes avaient été tuées et 14 blessées un mois seulement après s'être réinstallées.
Les personnes déplacées internes à Agiri et à Shuwari, par exemple, sont confrontées à de graves pénuries alimentaires, car elles sont privées d'aide humanitaire, plus de quatre mois après avoir été contraintes de se redéplacer. Le gouvernement avait promis de donner à chaque famille environ 242 dollars pour la nourriture. Mais bien sûr, il n'a versé qu'environ 48 dollars à ces familles et depuis lors, rien de plus n'a été payé. Donc, ces familles se plaignent et disent que le gouvernement ne peut pas faire de promesses et refuser délibérément de les honorer.
Seun Bakare (Amnesty International): «10 000 ménages seront en danger s'ils sont renvoyés de force»
Pour la période 2022-2025, l’institution multilatérale entend consacrer plus des deux tiers d’une nouvelle enveloppe de financements aux pays du continent.
L’Association internationale de développement (IDA), filiale du groupe de la Banque mondiale chargée de donner ou de prêter des fonds à des conditions très favorables aux 74 pays les plus pauvres de la planète, a reconstitué ses ressources pour 93 milliards de dollars.
Ces ressources proviennent pour l’essentiel des contributions des pays riches et de ressources mobilisées sur les marchés de capitaux, ainsi que « des remboursements sur les crédits antérieurs et des propres contributions de la Banque mondiale », note l’institution présidée par l’Américain David Malpass.
Au total, 70 % de cette enveloppe, soit 65 milliards environ, seront affectés à 39 pays africains. Il s’agit de l’aide la plus élevée de l’histoire de l’IDA depuis sa création en 1960.
DEPUIS SA CRÉATION, L’IDA A MOBILISÉ 458 MILLIARDS DE DOLLARS EN DIRECTION DE 114 PAYS
[Nous sommes ravis d’annoncer qu’un accord a été conclu sur une reconstitution des ressources de 93 milliards de dollars pour l @WBG_IDA . Les engagements généreux de nos partenaires de l’#IDA20 et l’effet de levier unique de l’IDA contribueront grandement aux efforts de redressement des plus pauvres du monde.]
Filets de protection, création d’emplois
Du 1er juillet 2022 au 30 juin 2025, cette aide permettra à ces pays de faire face aux conséquences de la pandémie et de développer des filets de protection sociale pour les plus démunis, un tiers d’entre eux se trouvant menacés de crise alimentaire. L’AID intensifiera ses efforts en faveur de l’égalité femmes-hommes et de la création d’emplois, dans les zones de conflits, en particulier dans la région du Sahel, autour du lac Tchad et dans la Corne de l’Afrique.
« Depuis sa création, l’IDA a mobilisé 458 milliards de dollars en direction de 114 pays. Sur les exercices 2019-21, le volume moyen de ses engagements annuels s’établit autour de 29 milliards de dollars, dont 70 % sont destinés à l’Afrique », explique l’institution multilatérale dans un communiqué.
Dans le détail, 39 des 74 pays les plus pauvres bénéficiant des financements de l’IDA se trouvent en Afrique subsaharienne, contre 14 en Asie de l’Est, 6 en Asie du Sud, 4 en Europe et Asie centrale, 8 en Amérique latine et Caraïbes et 3 au Moyen-Orient et Afrique du Nord.
« Trente-sept pays ont changé de statut [sortant du statut de bénéficiaire de l’IDA], et beaucoup sont devenus des donateurs de l’IDA, notamment la Chine, le Chili, l’Inde, la Corée du Sud et la Turquie », note l’institution multilatérale.