Plusieurs dizaines de milliers de personnes sont descendues dans les rues de la capitale et de plusieurs villes du pays, ce vendredi 14 janvier, pour dire non aux sanctions drastiques imposées par la Cedeao. Des manifestants qui ont répondu à l’appel des autorités de transition.
DANS CE DOSSIER
La prière du vendredi à peine achevée, des dizaines de milliers de personnes ont afflué dans les rues de Bamako. Franchissant le pont Fahd, remontant le boulevard Abdelaziz Bouteflika en direction de la place de l’Indépendance, celle-là même qui a été l’épicentre de la contestation face au président Ibrahim Boubacar Keïta en 2020, les manifestants ont affiché leur soutien aux autorités de la transition dans le tintamarre des vuvuzelas.
Drapeaux maliens et russes
Ils étaient près de 60 000, selon les estimations, pour dire non aux lourdes sanctions économiques et diplomatiques décidées, le 9 janvier, par les chefs d’État de la sous-région en réponse au non respect du calendrier électoral. Agitant les couleurs vertes, jaunes et rouges du drapeau malien et parfois celles – blanches, rouges et bleues – de l’étendard russe, ils ont scandé plusieurs heures durant des slogans sans équivoque : « À bas la France ! À bas la Cedeao ! », « Le Mali pour les Maliens non pour la France ! », « Non à la Cedeao, non aux sanctions ! », « On ne négocie pas la volonté du peuple, on la respecte ! ».
À l’abri d’un soleil de plomb, plusieurs poids-lourds du gouvernement avaient fait le déplacement, dont le Premier ministre, Choguel Kokalla Maïga, le colonel Abdoulaye Maïga, ministre de l’Administration territoriale et porte-parole du gouvernement, Abdoulaye Diop, son collègue des Affaires étrangères, Ibrahim Ikassa Maïga, en charge de la Refondation, ou encore Mahamadou Koné, ministre des Affaires religieuses.
À la tribune tout d’abord, le colonel Abdoulaye Maïga, sanglé dans son uniforme militaire, comme dans la nuit du 9 au 10 janvier lorsqu’il est apparu sur les ondes de l’ORTM pour dénoncer les « sanctions illégales » édictées depuis Accra (Ghana). Face à la foule, il insiste sur le fait que « l’un des objectifs des autorités de transition est le retour à l’ordre constitutionnel », mais précise que des réformes politiques et institutionnelles restent un préalable et que « [cela] ne peut se faire sans sécurité ».
« C’est la troisième sanction que le Mali vient de subir après sa suspension de la Cedeao et les sanctions ciblées contre ses dirigeants, abonde Ibrahim Ikassa Maïga. Nous avons montré que le Mali nous appartenait. »
DANS UNE CERTAINE MESURE, LE DESTIN DE L’AFRIQUE SE JOUE AU MALI AUJOURD’HUI
C’est ensuite Choguel Maïga qui a pris la parole. « Aujourd’hui, le monde entier voit où se trouve la légitimité populaire, a lancé le Premier ministre, une écharpe marron autour du cou, dans une harangue aux forts accents patriotiques et panafricanistes. Toute l’Afrique regarde le Mali aujourd’hui. Dans une certaine mesure, le destin de l’Afrique se joue au Mali aujourd’hui. »
Le chef du gouvernement a tenu à saluer la solidarité dont certains pays voisins ont fait preuve, à commencer par la Guinée, où la junte au pouvoir à Conakry a fait savoir qu’elle n’appliquerait pas les sanctions de la Cedeao et ne fermerait pas ses frontières : « un dirigeant a dit que le Mali et la Guinée étaient deux poumons dans un même corps. Nous [en] avons eu l’illustration parfaite. » Il a annoncé que des représentants du président Assimi Goita se rendraient prochainement en Guinée.
« Il n’y jamais eu une telle foule nulle part en Afrique pour soutenir des dirigeants », a plus tard lancé Adama Diarra, dit « Ben le Cerveau ». Son mouvement, Yere Wolo-Debout les remparts, a activement contribué à la mobilisation de ce vendredi. « Le destin de l’Afrique se joue au Mali, a poursuivi cet activiste connu pour son soutien à la junte et favorable à une intervention russe au Mali. Nous sommes un peuple pilote et toute l’Afrique nous soutient. »
Sa cible favorite ? La France, dont la Cedeao est accusée de n’être que « le messager », et ceux qui veulent pousser les « populations à chasser [leurs] dirigeants ». « Mais nous sommes un peuple intelligent, martèle Adama Diarra à la tribune. La victoire sera la nôtre. La victoire du peuple malien sur l’oligarchie de la France. »
« La Cedeao est en mission pour la France »
Un message qui fait mouche, sur la place de l’Indépendance. Parmi les manifestants, Mohamed Diallo, un commerçant venu du quartier populaire de Bacodjicoroni, explique être opposé aux sanctions, « mais surtout à la présence de la France ». D’ailleurs, lui aussi en est convaincu : « la Cedeao est en mission pour la France ». « Le Mali est déjà sanctionné depuis longtemps, ajoute-t-il. Nous avons perdu le Nord, le Centre. Il ne nous reste plus rien. »
Bamako n’est pas la seule à avoir répondu ce vendredi à l’appel de la junte. Les manifestants étaient également nombreux à Kadiolo, Koutiala, Bougouni, Yorosso, Tomboutctou, Koro, Kayes et Koulikoro. Il faut dire que le gouvernement avait battu le rappel. Un courriel de la direction générale de l’Administration du territoire daté du 13 janvier, que Jeune Afrique a pu consulter, invitait en effet les gouverneurs de région à « faciliter la mobilisation des forces vives […] pour une réussite de la transition et contre les sanctions de la Cedeao et de l’UEMOA ».
Les autorités maliennes ont-elles remporté la première manche dans le bras de fer qui les oppose à la communauté internationale, exaspérée par la prolongation annoncée de la transition ? « La mobilisation va certes les conforter dans leur position face à la Cedeao, mais elle ne pèsera pas dans les négociations », estime Mohamed Maïga, analyste et directeur du cabinet Aliber Conseil, qui indique que les « dirigeants des pays voisins du Mali ne vont pas se laisser faire non plus ».
Réagissant à l’annonce des sanctions le 10 janvier, le colonel Assimi Goïta avait rappelé la « disponibilité [de son gouvernement] au dialogue en vue de trouver un compromis avec la Cedeao sur le chronogramme des élections ». Le dialogue, a martelé Choguel Maïga à la tribune, « est l’arme des forts ». Avant de prévenir : « Le Mali est une digue. Si le Mali saute, personne n’aura la paix dans la Cedeao . »
« Avec le Mali, la Cedeao a voulu faire jurisprudence, conclut l’analyste Mohamed Maïga. Mais quelqu’un sortira détruit de ce bras de fer. Comme dans une partie de poker. »