Justice et Paix

" Je suis homme, l'injustice envers d'autres hommes révolte mon coeur. Je suis homme, l'oppression indigne ma nature. Je suis homme, les cruautés contre un si grand nombre de mes semblables ne m'inspirent que de l'horreur. Je suis homme et ce que je voudrais que l'on fit pour me rendre la liberté, l'honneur, les liens sacrés de la famille, je veux le faire pour rendre aux fils de ces peuples l'honneur, la liberté, la dignité. " (Cardinal Lavigerie, Conférence sur l'esclavage africain, Rome, église du Gesù)

 

NOS ENGAGEMENTS POUR LA JUSTICE T LA PAIX
S'EXPRIMENT DE DIFFÉRENTES MANIÈRES :

En vivant proches des pauvres, partageant leur vie.
Dans les lieux de fractures sociales où la dignité n'est pas respectée.
Dans les communautés de base où chaque personne est responsable et travaille pour le bien commun.
Dans les forums internationaux pour que les décisions prises ne laissent personne en marge.

Dans cette rubrique, nous aborderons différents engagements des Missionnaires d'Afrique, en particulier notre présence auprès des enfants de la rue à Ouagadougou et la défense du monde paysan.

 

Mali : à Bamako, la démonstration de force du pouvoir 

Par  - à Bamako
Mis à jour le 15 janvier 2022 à 11:58
 

 

Un manifestant porte une affiche à l’image du président de la transition malienne, durant une manifestation contre la France et les sanctions de la Cedeao, à Bamako, le 14 janvier 2022. © Florent Vergnes pour JA

 

Plusieurs dizaines de milliers de personnes sont descendues dans les rues de la capitale et de plusieurs villes du pays, ce vendredi 14 janvier, pour dire non aux sanctions drastiques imposées par la Cedeao. Des manifestants qui ont répondu à l’appel des autorités de transition.

La prière du vendredi à peine achevée, des dizaines de milliers de personnes ont afflué dans les rues de Bamako. Franchissant le pont Fahd, remontant le boulevard Abdelaziz Bouteflika en direction de la place de l’Indépendance, celle-là même qui a été l’épicentre de la contestation face au président Ibrahim Boubacar Keïta en 2020, les manifestants ont affiché leur soutien aux autorités de la transition dans le tintamarre des vuvuzelas.

Drapeaux maliens et russes

Ils étaient près de 60 000, selon les estimations, pour dire non aux lourdes sanctions économiques et diplomatiques décidées, le 9 janvier, par les chefs d’État de la sous-région en réponse au non respect du calendrier électoral. Agitant les couleurs vertes, jaunes et rouges du drapeau malien et parfois celles – blanches, rouges et bleues – de l’étendard russe, ils ont scandé plusieurs heures durant des slogans sans équivoque : « À bas la France ! À bas la Cedeao  ! », « Le Mali pour les Maliens non pour la France ! », « Non à la Cedeao, non aux sanctions ! », « On ne négocie pas la volonté du peuple, on la respecte ! ».

À l’abri d’un soleil de plomb, plusieurs poids-lourds du gouvernement avaient fait le déplacement, dont le Premier ministre, Choguel Kokalla Maïga, le colonel Abdoulaye Maïga, ministre de l’Administration territoriale et porte-parole du gouvernement, Abdoulaye Diop, son collègue des Affaires étrangères, Ibrahim Ikassa Maïga, en charge de la Refondation, ou encore Mahamadou Koné, ministre des Affaires religieuses.

 

Des manifestants brandissent un drapeau russe durant une manifestation de soutien au gouvernement de transition et contre la France et les sanctions de la Cedeao, à Bamako, le 14 janvier 2022.


Des manifestants brandissent un drapeau russe durant une manifestation de soutien au gouvernement de transition et contre la France et les sanctions de la Cedeao, à Bamako, le 14 janvier 2022. © Florent Vergnes pour JA

 

À la tribune tout d’abord, le colonel Abdoulaye Maïga, sanglé dans son uniforme militaire, comme dans la nuit du 9 au 10 janvier lorsqu’il est apparu sur les ondes de l’ORTM pour dénoncer les « sanctions illégales » édictées depuis Accra (Ghana). Face à la foule, il insiste sur le fait que « l’un des objectifs des autorités de transition est le retour à l’ordre constitutionnel », mais précise que des réformes politiques et institutionnelles restent un préalable et que « [cela] ne peut se faire sans sécurité ».

« C’est la troisième sanction que le Mali vient de subir après sa suspension de la Cedeao et les sanctions ciblées contre ses dirigeants, abonde Ibrahim Ikassa Maïga. Nous avons montré que le Mali nous appartenait. »

DANS UNE CERTAINE MESURE, LE DESTIN DE L’AFRIQUE SE JOUE AU MALI AUJOURD’HUI

C’est ensuite Choguel Maïga qui a pris la parole. « Aujourd’hui, le monde entier voit où se trouve la légitimité populaire, a lancé le Premier ministre, une écharpe marron autour du cou, dans une harangue aux forts accents patriotiques et panafricanistes. Toute l’Afrique regarde le Mali aujourd’hui. Dans une certaine mesure, le destin de l’Afrique se joue au Mali aujourd’hui. »

Le chef du gouvernement a tenu à saluer la solidarité dont certains pays voisins ont fait preuve, à commencer par la Guinée, où la junte au pouvoir à Conakry a fait savoir qu’elle n’appliquerait pas les sanctions de la Cedeao et ne fermerait pas ses frontières : « un dirigeant a dit que le Mali et la Guinée étaient deux poumons dans un même corps. Nous [en] avons eu l’illustration parfaite. » Il a annoncé que des représentants du président Assimi Goita se rendraient prochainement en Guinée.

« Il n’y jamais eu une telle foule nulle part en Afrique pour soutenir des dirigeants », a plus tard lancé Adama Diarra, dit « Ben le Cerveau ». Son mouvement, Yere Wolo-Debout les remparts, a activement contribué à la mobilisation de ce vendredi. « Le destin de l’Afrique se joue au Mali, a poursuivi cet activiste connu pour son soutien à la junte et favorable à une intervention russe au Mali. Nous sommes un peuple pilote et toute l’Afrique nous soutient. »

Sa cible favorite ? La France, dont la Cedeao est accusée de n’être que « le messager », et ceux qui veulent pousser les « populations à chasser [leurs] dirigeants ». « Mais nous sommes un peuple intelligent, martèle Adama Diarra à la tribune. La victoire sera la nôtre. La victoire du peuple malien sur l’oligarchie de la France. »

 

« La Cedeao est en mission pour la France »

Des drapeaux maliens et russes flottent au-dessus de la foule amassée au monument de l’Indépendance, à Bamako, le 14 janvier 2022.

 

Des drapeaux maliens et russes flottent au-dessus de la foule amassée au monument de l’Indépendance, à Bamako, le 14 janvier 2022. © Florent Vergnes pour JA

 

Un message qui fait mouche, sur la place de l’Indépendance. Parmi les manifestants, Mohamed Diallo, un commerçant venu du quartier populaire de Bacodjicoroni, explique être opposé aux sanctions, « mais surtout à la présence de la France ». D’ailleurs, lui aussi en est convaincu : « la Cedeao est en mission pour la France ». « Le Mali est déjà sanctionné depuis longtemps, ajoute-t-il. Nous avons perdu le Nord, le Centre. Il ne nous reste plus rien. »

Bamako n’est pas la seule à avoir répondu ce vendredi à l’appel de la junte. Les manifestants étaient également nombreux à Kadiolo, Koutiala, Bougouni, Yorosso, Tomboutctou, Koro, Kayes et Koulikoro. Il faut dire que le gouvernement avait battu le rappel. Un courriel de la direction générale de l’Administration du territoire daté du 13 janvier, que Jeune Afrique a pu consulter, invitait en effet les gouverneurs de région à « faciliter la mobilisation des forces vives […] pour une réussite de la transition et contre les sanctions de la Cedeao et de l’UEMOA ».

Les autorités maliennes ont-elles remporté la première manche dans le bras de fer qui les oppose à la communauté internationale, exaspérée par la prolongation annoncée de la transition ? « La mobilisation va certes les conforter dans leur position face à la Cedeao, mais elle ne pèsera pas dans les négociations », estime Mohamed Maïga, analyste et directeur du cabinet Aliber Conseil, qui indique que les « dirigeants des pays voisins du Mali ne vont pas se laisser faire non plus ».

Réagissant à l’annonce des sanctions le 10 janvier, le colonel Assimi Goïta avait rappelé la « disponibilité [de son gouvernement] au dialogue en vue de trouver un compromis avec la Cedeao sur le chronogramme des élections ». Le dialogue, a martelé Choguel Maïga à la tribune, « est l’arme des forts ». Avant de prévenir : « Le Mali est une digue. Si le Mali saute, personne n’aura la paix dans la Cedeao . »

« Avec le Mali, la Cedeao a voulu faire jurisprudence, conclut l’analyste Mohamed Maïga. Mais quelqu’un sortira détruit de ce bras de fer. Comme dans une partie de poker. »

Le féminisme africain n’a pas attendu l’Occident

Mis à jour le 14 janvier 2022 à 17:38
 
Axelle Jah Njike
 

Par Axelle Jah Njike

 

Manifestation contre les inégalités en prévision du Forum économique mondial de Davos, à Nairobi, au Kenya, le 17 janvier 2020 © TONY KARUMBA/AFP

 

Les femmes africaines luttent depuis des décennies pour construire leur identité et faire reconnaître leurs droits. Pourtant, elles se voient encore parfois dénier le statut de féministe. Une hérésie.

«Vous ne pouvez pas proclamer qu’une idée ou un fait a été importé dans une société donnée, à moins donc de conclure aussi qu’à votre connaissance, il n’y a pas et il n’y a jamais eu, de mot ou d’expression qui, dans la langue indigène de cette société, décrit cette idée ou ce fait. » Ces mots de l’autrice et dramaturge féministe ghanéenne Ama Ata Aidoo illustrent parfaitement le procès inlassablement fait au féminisme, dès lors qu’il se rapporte aux filles et femmes subsahariennes ou afropéennes. Le féminisme serait ainsi une importation de l’Occident, une injonction de femmes blanches assénée aux femmes d’ascendance africaine, et allant à l’encontre des « vraies » valeurs – évidemment traditionnelles – de ces dernières.

Oppression et désirs d’émancipation

Comme si leur appartenance subsaharienne les dispensait de désirs d’émancipation. Qu’il y avait confusion. Et qu’il s’agissait d’une démarche inconnue pour elles. D’ailleurs, de qui pourraient-elles bien prétendre à s’affranchir, leur situation est si enviable ! Personnellement, j’aime à croire que de tout temps, dans toutes les régions – et pas seulement sur le continent –, des femmes africaines ont aspiré à régner sur elles-mêmes, à être libres et à utiliser cette liberté pour en libérer d’autres. Dans une perspective internationaliste panafricaine, c’est d’ailleurs ce que me semblent traduire les rencontres continentales qui suivront les indépendances, et qui verront le rassemblement des divers mouvements de femmes africaines de tout le continent.

LES FÉMINISMES AFRICAINS ET LES FÉMINISMES DU SUD GLOBAL N’ONT PAS COMMENCÉ AVEC LE COLONIALISME

Continuer à présenter le féminisme incarné par les femmes africaines comme l’émanation du féminisme des femmes blanches, quand on sait que, historiquement, l’oppression des femmes n’a connu aucune frontière ethnique ou raciale, c’est leur dénier toute singularité. C’est réfuter l’idée qu’elles aient pu être responsables, aspirer à prendre leur destinée en main, penser par elles-mêmes leurs oppressions, leurs problèmes, et envisager d’elles-mêmes les solutions possibles.

Dès lors qu’il s’agit de liberté, d’échappées, de refus de l’autorité patriarcale – quelques-unes des caractéristiques du féminisme –, j’ai franchement peine à croire que les Subsahariennes n’aient pas eu elles aussi leur lot de griefs. Que les féminismes africains et les féminismes du Sud global aient commencé avec le colonialisme. Que les femmes de ces espaces ont attendu les Occidentales pour fédérer, lutter, soutenir, se solidariser entre elles, pour leur propre compte. Et ça tient de l’insulte d’imaginer qu’il ait pu en être autrement. Du mépris et de l’affront de considérer les récits de l’émancipation des Subsahariennes comme consécutifs à ceux d’autres femmes.

Au cœur de la question du féminisme, il y a celle de l’autodétermination, celle de la réappropriation de sa narration : disposer de soi-même pour concevoir ou non des enfants, vivre librement sa sexualité, affirmer son humanité. Par sa prétention à l’individualisme, le féminisme fait de la femme un individu, un sujet, une citoyenne désireuse de faire ses propres choix. Et c’est peut-être parce qu’il est synonyme d’autodétermination qu’il est perçu comme un « truc de femme blanche ». Que ses détracteurs mentent et prétendent qu’il n’aurait pas d’histoire sur le continent, pas lieu d’être revendiqué.

À l’encontre de l’ordre patriarcal établi

Le féminisme africain n’a attendu personne. Et il est même possible qu’il ait été en vigueur parmi les femmes africaines avant même qu’il existe un terme pour le définir car de tout temps, partout, il a existé des êtres luttant contre le sexisme et le patriarcat qui leur était imposé. Des êtres ne tolérant pas les inégalités existantes, en particulier dans la sphère intime et familiale. S’étant rebiffés à l’idée que leur participation à la vie de la collectivité devait passer par un homme interposé et leur identité, être circonscrite à « filles, épouses, et mères de citoyens ».

Vilipendé quasiment partout par ses adversaires parce qu’il va à l’encontre de l’ordre patriarcal établi, et particulièrement au sein de nos cultures où le groupe prévaut sur l’individu – surtout quand cet individu est une femme, le féminisme apparaît comme l’ennemi de la communauté, pour cette raison.

AUCUN ÊTRE SUR CETTE PLANÈTE NE SERA VÉRITABLEMENT LIBRE TANT QU’UNE SEULE FEMME, UNE SEULE FILLE SERA ASSERVIE

Hier comme aujourd’hui, toute l’argutie autour de sa pertinence pour les femmes africaines illustre en vérité l’adage suivant lequel lorsque le ou la sage montre la lune, l’imbécile regarde le doigt. Car s’évertuer à prétendre que le problème résiderait dans l’occidentalité du terme, et non dans la situation des femmes et les inégalités qu’elles vivent, c’est regarder par le petit bout de la lorgnette. C’est faire diversion. Perdre de vue l’ensemble. Et refuser de comprendre que peu importe le nom qu’on lui donne, aucun être sur cette planète ne sera véritablement libre tant qu’une seule femme, une seule fille sera asservie. Que l’oppression des femmes, quelle que soit la culture dans laquelle elle est de mise, ampute aussi les hommes de leur humanité.

Le féminisme est l’affaire de toutes et de tous. Il exprime un désir de vie pour autre chose. Celui d’un monde où chacun et chacune d’entre nous peut être qui il ou elle est, un monde de paix et de possibilités. Réactualiser le discours sur l’émancipation à partir de soi et en ses propres termes appartient à toutes les femmes. Y compris aux Subsahariennes et leurs descendantes.

Mali : le Sénégal, grand « perdant » des sanctions de la Cedeao ?

Mis à jour le 13 janvier 2022 à 09:18
 

 

Port autonome de Dakar, Sénégal. DP World vise pour le port en eau profonde de Ndayane une capacité de 1,5 million de conteneurs par an. © Sylvain Cherkaoui pour Jeune Afrique

 

La suspension du commerce de biens – et de son financement – depuis et à destination du Mali imposée par l’organisation régionale se fera-t-elle au détriment du Sénégal ? Et, par là même, au bénéfice de la Guinée et de la Mauritanie ? Pas si sûr. Explications.

« Avec ses sanctions, la Cedeao a voulu frapper fort. Néanmoins, aucun des États de la communauté n’a intérêt à ce que cette situation dure. L’interdépendance entre le Mali et les autres pays de la zone fait que la fermeture des frontières terrestres et maritimes – excepté pour les produits de premières nécessités – touche par ricochet les pays voisins », avertit un haut cadre de banque au Mali, interrogé par Jeune Afrique, à la suite de l’annonce le 9 janvier de plusieurs mesures punitives imposées par les chefs d’État ouest-africains contre le régime de Bamako.

EN SANCTIONNANT LE MALI, ON SANCTIONNE LE SÉNÉGAL AUSSI

« Le Mali est un pays enclavé qui trouve un débouché maritime vers les autres pays. Le port de Dakar vit, à plus de 50 %, des produits qui doivent aller vers le Mali. La fermeture des frontières impactera donc Dakar. Il en va de même pour la Côte d’Ivoire, qui vit du bétail malien. Si la situation perdure, le kilo de viande risque d’augmenter en Côte d’Ivoire », complète notre interlocuteur.

Le Mali, premier client du Sénégal

« Le Sénégal se tire une balle dans le pied. En sanctionnant le Mali, on sanctionne le Sénégal aussi », ont embrayé sur les réseaux sociaux et les médias locaux divers commentateurs de l’économie et de la politique sénégalaises. Ces derniers pointent un fait indiscutable : la place prépondérante du Mali, premier client du pays, dans le commerce extérieur du Sénégal.

En 2020, le Mali a accueilli 21 % des exportations de marchandises du Sénégal, soit plus que l’ensemble du continent asiatique (18 %) et dix fois le montant des ventes à destination de la France (2 %), selon les derniers chiffres de l’Agence nationale de la statistique et de la démographie (ANSD).

Exportations du Sénégal vers les pays de la Cedeao en 2020

Exportations du Sénégal vers les pays de la Cedeao en 2020 © ANSD

 

En valeur, les exportations de biens du Sénégal vers le Mali ont atteint 474,8 milliards de F CFA (724 millions d’euros), contre à peine 1,6 milliard de F CFA d’importations, en 2020. L’excédent commercial du pays de la Teranga vis-à-vis de son voisin enclavé a dépassé 473 milliards de F CFA l’an dernier, une force d’appoint non négligeable, sans laquelle le déficit commercial global du Sénégal (-2 233 milliards de F CFA en 2020) serait, toutes choses égales par ailleurs, supérieur d’au moins 20%.

Déséquilibres pétroliers et demandes de ciment

Faut-il en conclure pour autant que les sanctions contre le Mali handicaperont lourdement le commerce extérieur du Sénégal ? Pas nécessairement. Les principales exportations du Sénégal vers le Mali – les produits pétroliers – sont explicitement exemptées de l’embargo commercial décrété par la Cedeao le 9 janvier. Selon les données de l’ANSD, le Mali absorbe 64,7 % des exportations de produits pétroliers du Sénégal, soit environ 309 milliards de F CFA selon nos estimations. Cette somme représente les deux tiers des ventes totales du Sénégal à destination du Mali.

Autre poste important d’exportations depuis le Sénégal vers le Mali : « les préparations pour soupes, potages et bouillons ». Le Mali a absorbé 30 % des ventes de ces produits réalisées par le Sénégal, pour environ 23 milliards de F CFA. Peu de raisons de craindre une disruption ici : « les produits alimentaires de grande consommation » sont eux aussi exemptés des sanctions de la Cedeao.

La principale incertitude concerne le ciment ; le Mali absorbant pas moins de 87 % des exportations du Sénégal. Malgré le net recul ces dernières années de la valeur de ces exportations (-12 % de recul moyen entre 2016 et 2020), cela représente toutefois 64,2 milliards de F CFA de ventes entre Dakar et Bamako en 2020. L’impact des sanctions sur ce segment dépendra, pour l’essentiel, de la durée des sanctions, que la Cedeao a promis de lever de façon « progressive lorsqu’un chronogramme acceptable et agréé par la Cedeao aura été finalisé et que des progrès satisfaisants auront été enregistrés dans la mise en œuvre du chronogramme des élections ».

 

Le Président Macky Sall et son homologue ghanéen Nana Akufo-Addo, le 17 mai 2017, à Diamniadio.

 

Le Président Macky Sall et son homologue ghanéen Nana Akufo-Addo, le 17 mai 2017, à Diamniadio. © Lionel Mandeix/Présidence Sénégal/Flickr

Approvisionnements alternatifs

À l’annonce des sanctions de la Cedeao, l’exécutif de Bamako a promis que « des dispositions ont été prises pour assurer l’approvisionnement normal du pays par tous les moyens appropriés ». De son côté, le Comité national du rassemblement pour le développement, chargé de l’exécutif guinéen à la suite du coup d’État du 5 septembre 2021 et lui-même sous le coup de sanctions de l’institution ouest-africaine, a tenu à rappeler que « les frontières aériennes, terrestres et maritimes de la République de Guinée restent toujours ouvertes à tous les pays frères, conformément à sa vision panafricaniste ».

LE MALI N’A PAS DE FAÇADE MARITIME, MAIS IL DISPOSE D’ENTREPÔTS DANS LES PRINCIPAUX PORTS DE LA CÔTE OUEST-AFRICAINE

La possibilité que Conakry, Nouakchott ou Alger (voir encadré ci-dessous) puissent se substituer à Dakar comme porte d’approvisionnement et de sortie des biens du Mali reste possible, mais cela représente un défi logistique colossal.

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Dans un premier temps, les voies de dessertes du Mali restent assez limitées en raison de l’étendue du pays mais aussi de la faiblesse des infrastructures existantes. En 2012, derniers chiffres d’analyse comparative disponibles, le Mali comptait à peine 5 700 km de routes revêtues sur un réseau de 89 024 km. « La densité routière est actuellement de 1,80 km/100 km², l’une des plus faibles d’Afrique (3,1 km/100 km² pour la Cedeao et 4,7 km/100 km² pour l’africain) », souligne une étude de la Banque africaine de développement (BAD).

« Le Mali n’a pas de façade maritime, mais il dispose d’entrepôts dans les principaux ports de la côte ouest-africaine : Nouakchott, Dakar, Banjul, Conakry, Abidjan, Tema, Lomé et Cotonou », rappelle cependant le rapport de la BAD. Mais près de 84 % du volume de marchandises exportées vers le Mali transitent par les ports de Dakar (57 % en 2012) et d’Abidjan (26,8 %). Les alternatives évoquées telles que Conakry (1,9 %) et Nouakchott (0,7 %) sont loin derrière les autres ports des pays de la Cedeao, tels que Tema au Ghana (4 % en 2012), Lomé au Togo (9 %) et Cotonou (3,4 % en 2011).

Voies de dessertes du Mali.


Voies de dessertes du Mali. © BAD

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Si le port de Conakry est « le port maritime le plus proche de la capitale du Mali », rappelle la BAD, à une distance de seulement 980 km par voie routière, et qu’il accueille « une part importante du fret au départ et/ou à destination du Mali », l’intégration guinéo-malienne demeure « entravée par une série de contraintes ». L’institution panafricaine relève par exemple, « la vétusté du réseau routier reliant les deux pays et qui nécessite des gros efforts d’entretien et, par endroits, la rectification du tracé » ; « l’interruption de la navigation fluviale en raison de l’ensablement du fleuve » ; « le manque d’une liaison aérienne fiable et régulière ».....

Offensive diplomatique à Alger et Nouakchott

La possibilité que d’autres voisins du Mali que le Sénégal puissent saper le régime de sanctions décidées par la Cedeao, ou en tirer tout simplement profit n’a pas échappé aux autorités régionales. Aussi, dès le 10 janvier, le président mauritanien Mohamed Ould Cheikh El Ghazouani a été appelé par son homologue ghanéen Nana Akufo-Addo, président en exercice de la Conférence des chefs d’État de la Cedeao et l’une des voix les plus sévères envers le régime de Bamako, qui a tenu à « l’informer des décisions prises par la Communauté ».

Selon l’agence de presse officielle mauritanienne, le président Ghazouani a « écouté les explications de son homologue ghanéen » et rappelé « le souci de la Mauritanie de voir les frères maliens surmonter les difficultés actuelles ». Les deux chefs d’État sont convenus de « poursuivre les consultations sur cette question ».

Dans son communiqué du 9 janvier, la Communauté avait « invité » les pays frontaliers du Mali « non-membres de la Cedeao, notamment l’Algérie et la Mauritanie », à soutenir la mise en œuvre de ces sanctions et indiqué qu’elle conduirait « incessamment une mission d’information dans ces pays dirigée par la présidente du Conseil des ministres ».

Si ni Alger ni Accra n’ont indiqué d’échanges entre les deux exécutifs depuis le 9 janvier, il est à noter que les deux gouvernements ont multiplié les discussions au sommet ces derniers mois. Le 24 septembre dernier, la ministre ghanéenne des Affaires étrangères Shirley Ayorkor Botchwey, s’est entretenue avec son homologue Ramtane Lamamra, à New York, « sur les voies et moyens d’insuffler une nouvelle dynamique aux relations bilatérales et les question de paix et sécurité en Afrique. En octobre, le président Akufo-Addo s’est entretenu avec le Premier ministre algérien Aïmene Benabderrahmane, à Belgrade, en marge du 60e anniversaire de la première conférence du Mouvement des non-alignés. Début décembre, Accra a agréé la nomination d’Ali Redjel comme nouvel ambassadeur d’Alger. 

Guinée: la Coalition guinéenne pour la CPI demande justice pour les crimes commis sous la présidence d'Alpha Condé

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Guinée: affiche lacérée du président Alpha Condé, Conakry, septembre 2021. JOHN WESSELS AFP

La Coalition guinéenne pour la Cour pénale internationale attire l’attention des autorités guinéennes sur le cas Alpha Condé. L’ancien président est actuellement en résidence surveillée à Conakry et les autorités l’ont autorisé à suivre des soins médicaux à l’étranger pendant un mois. Cela suscite une part de doute sur son éventuel retour dans la capitale.

Me Hamidou Barry représente la coalition guinéenne pour la Cour pénale internationale. Joint par Bineta Diagne de la rédaction Afrique, il attire l’attention des autorités afin de s’assurer que l’ancien président puisse effectivement revenir après ses soins et être éventuellement mis à la disposition de la justice.

« En principe on n’est pas contre le fait que l’ex-président effectue des voyages pour des raisons sanitaires ; ce que nous souhaitons, c'est que les nouvelles autorités se penchent sur les crimes de sang qui ont été commis pendant le règne du professeur Alpha Condé.

Vous vous rappelez qu’avec le troisième mandat il y a eu beaucoup de morts, il y a eu beaucoup de blessés, il y a eu beaucoup d’arrestations et de rétentions illégales… Donc notre souci, c’est que les nouvelles autorités, avec le ministère de la Justice, prennent les dispositions afin que ces crimes soient jugés et que les auteurs soient poursuivis conformément à la loi.

Surtout, les anciens membres de son gouvernement ! Beaucoup sont responsables de ces crimes qui ont été commis du temps du professeur Alpha Condé. Il y a d’anciens ministres, il y a d’anciens hauts cadres de la police, de la gendarmerie et de l’armée qui ont commis des crimes ! Donc il faut que ces personnes-là soient poursuivies ! » 

Maître Hamidou Barry est également avocat des victimes du massacre du 28 septembre 2009 dans le stade de Conakry.

► À lire aussi : Massacre du 28 septembre 2009: la CPI à Conakry pour accélérer la tenue d’un procès

Brahim Oumansour (chercheur): «Les dirigeants maliens ont besoin de la médiation algérienne»

 

 paix

 

Signature officielle de l'accord de paix d'Alger à Bamako, le 15 mai 2015. AFP PHOTO / HABIBOU KOUYATE

 

L'Algérie a appelé à la retenue dans la crise malienne. Elle a annoncé sa « pleine disponibilité » à accompagner le Mali pour relancer le dialogue. Pour prolonger sur cette question, nous avons invité Brahim Oumansour chercheur à l’IRIS, expert en stratégie internationale, sécurité et géopolitique. Il répond à Houda Ibrahim. 

Brahim Oumansour : Aujourd’hui sur le dossier malien, l’Algérie revient après quelques années de repli. Notamment ces deux dernières années avec le Hirak et la chute du régime Bouteflika. Donc les nouveaux dirigeants essaient de revenir sur la scène régionale et de s’imposer comme un acteur incontournable et surtout comme un médiateur sur le dossier malien.

Les dirigeants algériens visent à renforcer l’accord de 2015, à accélérer les réformes prévues par l’accord, donc le récent coup d’État pourrait déstabiliser en quelque sorte cet accord, certes fragile, mais nécessaire pour relancer le processus de paix au Mali.

RFI : L’Algérie, qui cherche toujours à renforcer son influence dans la région du Sahel, a-t-elle les moyens de ses ambitions ?

Alger a des liens forts avec les différents acteurs locaux, dont les rebelles Azawad par exemple, mais également avec les dirigeants maliens. Plusieurs officiers de l’armée malienne ont été formés soit en Algérie ou en Russie où ils ont côtoyé les officiers algériens. 

Il y a aussi les liens historiques entre le Mali et l’Algérie. Les liens tissés entre les deux pays dans la cadre de la lutte pour la libération qui s’est poursuivi sur le plan continental représentent un héritage. Et l’Algérie jouit encore de ce respect qu’elle a hérité de cette période auquel on peut rajouter le geste récent que l’Algérie a fait notamment par l’effacement des dettes de plusieurs pays africains, dont le Mali.

La junte militaire a-t-elle besoin d’Alger pour sortir de la crise ? Aucune perspective pour apaiser la situation n’a été proposée.

Oui, les dirigeants actuels au Mali ont besoin de l’Algérie parce que historiquement l’Algérie a joué à plusieurs reprises un rôle de médiateur dans les années 1990, en 2014. Aujourd’hui, les dirigeants maliens à Bamako ont besoin de l’Algérie qui était cheffe de file de la médiation internationale à cette époque. Ils ont besoin de la médiation algérienne pour arriver à un consensus des groupes rebelles, des groupes armés avec lesquels l’Algérie maintient des relations, voire peut obtenir des concessions.