En réalisant des prélèvements dans plus de 250 rivières et fleuves du monde entier, une équipe internationale a montré une pollution aux molécules pharmaceutiques sur plus d’un quart des sites étudiés. Avec des conséquences pour la biodiversité et l’antibiorésistance.
Des eaux bleu glacier de l’Antarctique aux méandres urbains du Tibre de Rome, plus de 250 fleuves, rivières et autres cours d’eau répartis dans 104 pays ont été analysés par des équipes internationales. Le projet, lancé en 2018 par l’université britannique de York, visait à connaître la concentration en actifs pharmaceutiques dans les eaux du monde.
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Pour s’assurer de la fiabilité des résultats, tous les prélèvements ont été réalisés selon le même protocole et analysés selon les mêmes méthodes. Une soixantaine de produits étaient recherchés : des antihistaminiques, des antibiotiques, des antidépresseurs, des analgésiques, etc. Au final, d’après les résultats publiés dans la revue scientifique Pnas, pour plus de 25 % des sites échantillonnés, la concentration était au-delà des valeurs recommandées pour la vie aquatique ou pour éviter la résistance antimicrobienne.
La rivière la plus polluée se trouve au Pakistan
Les zones les plus touchées sont celles où la gestion des eaux usées est la moins bonne : l’Afrique subsaharienne, l’Asie du Sud et l’Amérique du Sud. Des lieux à proximité des usines pharmaceutiques sont aussi contaminés, par exemple l’agglomération de Barisal au Bangladesh, pourtant connue pour ses nombreux cours d’eau. Entre les usines et les échanges de marchandises, les eaux de la « Venise du Bangladesh » sont largement polluées. La concentration en métronidazole, un antiparasitaire, y est 300 fois plus élevée que la limite.
Dans le détail, la plus forte concentration, toutes molécules confondues, revient à la rivière Ravi, à Lahore au Pakistan, avec un taux moyen de 70 microgrammes par litre (µg/L) et un record sur un site de prélèvements à 189 µg/L. À titre de comparaison, le Manzanares qui traverse Madrid affiche une concentration moyenne en produits pharmaceutiques de 17 µg/L. Et c’est la rivière la plus contaminée en Europe, devant celles de Sofia en Bulgarie et du Luxembourg. Dans le monde, le triste podium derrière Lahore est complété par La Paz, en Bolivie, et Addis-Abeba, en Éthiopie.
Féminisation des poissons
Ces molécules peuvent avoir des effets nocifs sur la biodiversité des cours d’eau, provoquant par exemple une féminisation des poissons au contact des œstrogènes ou un comportement altéré en raison des molécules psychotropes. Dans ces zones déjà touchées par la pollution industrielle, les rejets pharmaceutiques mettent à mal la croissance et la reproduction des espèces. Les chercheurs s’inquiètent notamment des éventuels « effets cocktail », car certaines régions concentrent de fort taux pour plusieurs molécules. À Hong Kong, 34 éléments différents ont été détectés dans la rivière Kai Tak.
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À cela s’ajoute le risque d’antibiorésistance : à force d’être au contact de médicaments, les bactéries évoluent pour s’en accommoder, ce qui, en bout de chaîne, peut rendre la molécule inefficace chez les malades. D’après les estimations de l’OMS, l’antibiorésistance était responsable de plus de 700 000 décès en 2019. Un article paru dans la revue médicale The Lancet en janvier dernier évoquait même le chiffre de 1,27 million de décès.