Bien qu’ayant accusé un net recul lors des locales du 23 janvier, le parti d’Abdoulaye Wade est resté maître dans la région de Diourbel, en pays mouride. Un électorat convoité désormais par l’opposition comme par le pouvoir, qui multiplie les appels du pied.
Doudou Wade n’a plus très envie de répondre aux questions sur le positionnement du Parti démocratique sénégalais (PDS). Lorsque Jeune Afrique le sollicite le 2 mars pour une rencontre informelle afin qu’il éclaircisse ses propos confus tenus le 27 février dans une émission de grande écoute sur l’éventualité d’un rapprochement entre le PDS et l’Alliance pour la République (APR), le neveu d’Abdoulaye Wade décline aimablement, en nous renvoyant au communiqué publié dans la matinée par Mayoro Faye, le secrétaire général adjoint à la communication du parti.
Le PDS y réaffirme son « ancrage dans l’opposition » et appelle militants et sympathisants « au travail et à la mobilisation en perspective des élections législatives prévues le 31 juillet 2022 ». Le communiqué exhorte par ailleurs tous les membres de la formation « à plus de vigilance afin que le parti continue, plus que jamais, d’incarner une alternative crédible au pouvoir actuel ». Un rappel à l’ordre dont le but était d’éteindre les polémiques nées trois jours plus tôt des propos du candidat de la coalition Wallu Sénégal à la mairie de Dakar. Il avait alors déclaré que Macky Sall « posait les jalons » d’un rapprochement. « Le PDS ne peut pas se rapprocher de Macky Sall. […] Mais il faut que nous reconnaissions que Macky Sall a changé de voie », avait ajouté Doudou Wade.
Il n’en fallait pas plus pour que la presse sénégalaise voie en ces mots les prémices d’une alliance entre le chef de l’État et Abdoulaye Wade, dont le nom trône désormais sur le stade flambant neuf de Diamniadio. Un hommage rendu à l’ancien président de 95 ans non dénué de calcul. « Par cette opération séduction, Macky Sall tente de ramener dans son giron le PDS parce qu’il manque désormais de partenaires forts, affirme un observateur de la vie politique. L’Alliance des forces de progrès (AFP) de Moustapha Niasse et le Parti socialiste (PS), qui sont ses deux plus grands alliés au sein de la majorité présidentielle, sont sortis affaiblis de ces élections locales. Et Rewmi, la formation d’Idrissa Seck, n’a pas pu gagner la ville de Thiès. Le chef de l’État cherche donc à se renforcer devant la montée en puissance de la coalition de l’opposition Yewwi Askan Wi. »
Relations tumultueuses
Bien que le PDS ait accusé un net recul, il a pu remporter, grâce à l’appui de partis satellites regroupés au sein de Wallu Sénégal, près d’une trentaine de communes, principalement dans la région de Diourbel. Cet électorat, composé en grande partie des disciples de la puissante confrérie mouride, échappe au président depuis son arrivée au pouvoir, en 2012. Ce n’est d’ailleurs pas la première fois que Macky Sall tente d’honorer Abdoulaye Wade, qui dirige encore le PDS malgré son âge avancé.
À GUÉDIAWAYE, UN MÉLODRAME POLITIQUE A ALIMENTÉ LES SUSPICIONS
En novembre 2017, le chef de l’État avait déjà voulu donner son nom au nouvel aéroport international. Mais l’intéressé avait finalement décliné la proposition : leurs relations étaient tumultueuses après la condamnation de Karim Wade en 2015. « Abdoulaye Wade avait aussi refusé parce que la construction de l’aéroport avait été entamée sous sa présidence. Et il avait déjà choisi de lui donner le nom de Blaise Diagne. Il a eu l’impression que Macky Sall voulait s’arroger la paternité de cet édifice, explique Cheikh Dieng, secrétaire général adjoint du PDS chargé des élections. Si, cette fois, Abdoulaye Wade a accepté que le stade porte son nom, c’est parce qu’en vertu de son combat pour la démocratie et de tout ce qu’il a fait pour le Sénégal, il mérite tous les honneurs. Mais on ne peut pas y voir des signes de rapprochement. »
Du côté de Yewwi Askan Wi, la grande coalition de l’opposition portée par Ousmane Sonko et Khalifa Sall, cette séquence a toutefois été observée avec circonspection. D’autant qu’à 20 km de Dakar, à Guédiawaye, un mélodrame politique a alimenté les suspicions à l’encontre du PDS. Le 2 mars, Ahmed Aidara, le nouveau maire de cette commune qui a défait Aliou Sall, le frère cadet du président, pensait pouvoir contrôler le bureau municipal avec une majorité d’adjoints grâce à un jeu d’alliance entre les coalitions Yewwi Askan Wi (39 conseillers), Wallu Sénégal (4 conseillers) et Gueum Sa Bopp (3 conseillers).
Mais, à la surprise générale, certains conseillers du PDS ont, malgré les directives d’Abdoulaye Wade, préféré lors du vote rallier Aliou Sall, le maire sortant, qui a donc raflé la majorité des postes d’adjoints au maire, imposant ainsi une cohabitation à Ahmed Aidara au sein du bureau municipal. « Il ne faut cependant pas conclure à un rapprochement entre le pouvoir et le PDS à la lumière de ce qui s’est passé à Guédiawaye, temporise Malick Gakou, président du Grand Parti et membre fondateur de Yewwi Askan Wi. Ce genre de choses arrive souvent. Lors des élections locales, les appareils politiques ont toujours des difficultés à maîtriser leurs conseillers et à faire respecter leurs directives. »
Double jeu du PDS ?
Ce n’est pourtant pas ce que pense un important cadre de Yewwi Askan Wi, pour qui tous ces événements cumulés laissent planer le doute sur les réelles intentions du PDS. « C’est bien curieux qu’on veuille nous faire croire que Doudou Wade a dit des choses qui n’ont jamais existé. Il n’est pourtant pas un nain en politique », souffle notre interlocuteur. La formation d’Abdoulaye Wade jouerait-elle double jeu ? « Le parti au pouvoir veut semer la confusion dans les rangs de l’opposition afin de la diviser », avance un membre de la coalition Wallu Sénégal. Pour Malick Gakou, « l’opposition a pleinement conscience qu’elle doit rester unie et se renforcer. Nous travaillons à une grande alliance entre Yewwi Askan Wi et le PDS. Mais nous savons qu’il y aura des tentatives de déstabilisation de la part du pouvoir ».
Les cadres de la coalition Benno Bokk Yakaar (au pouvoir) ne cachent plus d’ailleurs leur volonté de voir Abdoulaye Wade et son parti rejoindre la majorité présidentielle. « Cela serait tout à fait naturel. Avec le PDS, nous pourrions reconstruire la famille libérale », affirme Moise Sarr, secrétaire d’État chargé des Sénégalais de l’extérieur et ancien militant du PDS. Après tout, beaucoup de choses lient Abdoulaye Wade à Macky Sall et Idrissa Seck. Ceux-ci n’ont-ils pas bâti leur carrière politique sous son aile ?