Les récits que je retiens de ma récente visite à Katsina, au Nigeria, sont extrêmement violents. Des hommes armés sèment la désolation dans les villages, opérant des kidnappings pour de l’argent. Résultats : les agriculteurs ne peuvent plus se rendre dans leurs champs et les familles sont obligées de fuir. Selon le projet ACLED (Armed Conflict Location & Event Data Project) de collecte de données, d’analyse et de cartographie des crises, l’année dernière, en moyenne dix personnes ont été tuées quotidiennement dans le nord-ouest nigérian et 48 % de toutes les personnes kidnappées au Nigéria l’ont été dans cette partie du pays.
Indicateurs préoccupants
Les mères empruntent des routes dangereuses pour que leurs enfants malnutris, toujours plus nombreux, puissent être pris en charge. Même durant les mois de février et de mars, généralement considérés comme la basse saison de la malnutrition, nous avons continué d’admettre environ un millier de nouveaux enfants par semaine dans notre programme nutritionnel à Katsina.
SANS UN RENFORCEMENT RAPIDE ET SIGNIFICATIF DE LA PRÉVENTION ET DU TRAITEMENT DE LA MALNUTRITION, LA SITUATION VA SE DÉTÉRIORER
L’enquête nutritionnelle réalisée en décembre 2021 par le ministère nigérian de la Santé et l’Unicef faisait déjà état de plus de 100 000 enfants souffrant de malnutrition sévère dans le nord-ouest nigérian. À l’approche de la période de soudure – qui débute généralement en juin –, sans un renforcement rapide et significatif des activités de prévention et de traitement de la malnutrition, la situation sur place va se détériorer.
On pourrait penser que tous les ingrédients sont réunis pour constituer une urgence humanitaire à laquelle les autorités, les Nations unies et d’autres organisations répondent en mettant des moyens financiers, logistiques, humains et opérationnels intensifiant les soins destinés à sauver des vies, notamment celles des enfants. À Katsina et dans d’autres États du nord-ouest nigérian, il n’en est rien pour l’instant.
SELON DES AGENCES DE L’ONU, UNE INTERVENTION HUMANITAIRE INTERNATIONALE NE SERAIT PAS NÉCESSAIRE CAR LA SITUATION N’EST « PAS UN CONFLIT INTERNE ». IL DEVIENT URGENT DE RÉVISER CETTE APPROCHE
Cela est en partie dû à l’approche des agences humanitaires onusiennes. Leur analyse des besoins dans le pays fait apparaître que le nord-ouest a récemment connu plus de décès que le nord-est et présente des indicateurs préoccupants, mais la conclusion est déroutante : une intervention humanitaire internationale ne serait pas nécessaire car la situation n’est « pas un conflit interne » et les causes ont principalement trait à « un manque de développement ». Est aussi invoquée la nécessite de « ne pas diluer » les ressources consacrées aux efforts humanitaires dans le nord-est du pays. En conséquence, le nord-ouest a été largement négligé et exclu du plan de réponse humanitaire coordonnée par les Nations unies au Nigeria pour l’année en cours. Il devient urgent de réviser cette approche.
Saison catastrophique
L’année dernière, plus de 30 000 femmes résidant à Katsina ont traversé la frontière pour que leurs enfants bénéficient d’une prise en charge dans les structures médicales de la région de Maradi au Niger. Nos équipes y prêtent main-forte aux soignants du ministère de la Santé pour démultiplier chaque année les capacités hospitalières face à l’afflux massif d’enfants malades durant les mois les plus critiques du pic et améliorer l’accès aux soins pédiatriques tout au long de l’année.
AU NIGER, JUSQU’À 3,6 MILLIONS DE PERSONNES POURRAIENT ÊTRE EN SITUATION DE CRISE ALIMENTAIRE EN JUIN ET PRÈS DE 1,3 MILLION D’ENFANTS EN MALNUTRITION AIGUË
Cette année, déficit agricole, sécheresse, violences et hausse des prix font aussi craindre une saison particulièrement catastrophique au Niger : jusqu’à 3,6 millions de personnes pourraient être en situation de crise alimentaire en juin 2022, soit 15 % de la population, et près de 1,3 million d’enfants en malnutrition aiguë.
Dans ce pays, si l’attention des bailleurs se concentre à raison sur le sort des populations en zones de conflit à Tillabéri et Diffa, la réponse humanitaire ne devra pas délaisser les régions plus au sud densément peuplées et considérées comme plus stables, telles que Maradi et Zinder, qui représentent en volume les foyers de malnutrition aiguë les plus importants du pays et nécessiteront des moyens conséquents.
PARMI LES MESURES À PRENDRE, LE RENFORCEMENT DU SOUTIEN AUX STRUCTURES DE SANTÉ LOCALES SERAIT UNE DES PRIORITÉS
Nous devons agir et travailler ensemble pour éviter une nouvelle crise nutritionnelle majeure à Katsina, mais aussi dans le sud du Niger, dans quelques mois. Lors de la réunion entre gouvernements, bailleurs et organisations internationales, ce mercredi, il est nécessaire que des moyens à la hauteur des besoins soient mobilisés. Contrairement à Médecins sans frontières (MSF), dont les activités sont financées presque exclusivement par des dons privés, de nombreuses organisations humanitaires dépendent de ces engagements pour pouvoir déployer des opérations d’envergure.
Parmi les mesures à prendre, le renforcement du soutien aux structures de santé locales, en particulier pour assurer leur approvisionnement en aliments thérapeutiques prêts à l’emploi dans le nord-ouest du Nigéria, serait une des priorités. Actuellement dans l’état de Katsina, seulement 12 districts sur 34 font l’objet d’un tel soutien de la part d’Unicef. Face au risque de crises alimentaires et nutritionnelles particulièrement aiguës en 2022, la réponse doit être significative, et se mettre en place rapidement. Mais surtout, elle doit être guidée par l’importance des besoins, y compris au nord-ouest du Nigeria et au Sud du Niger.