L’histoire et la géographie du continent africain en font un carrefour, un espace à la confluence des intérêts de puissances rivales en Occident (États-Unis, Union européenne, Royaume-Uni) et en Orient (Chine, Russie, Turquie). Si la géographie reste à peu près statique, l’histoire, elle, s’accélère et la stabilité et la prospérité de l’Afrique de l’Ouest, notamment, dépendent en partie du substrat de ses relations avec ces différents partenaires extra-africains.
L’accélération de l’histoire, c’est à la fois le refus du déclassement de l’influence de l’Occident en Afrique, les grandes ambitions africaines des émergents d’Orient – qui font croître leur influence aux plans économique, culturel, politique… et même directement sur les opinions publiques – et surtout, le énième rendez-vous manqué des États africains, dont l’attrait stratégique n’apporte jusqu’à présent qu’un supplément de chantage affectif et une redistribution des cartes toujours au détriment de la région.
L’appétence des nouveaux partenaires n’a pas d’incidence sur le volume des investissements directs étrangers (IDE) vers l’Afrique de l’Ouest qui, avant la crise sanitaire, a diminué de 21% en 2019 et de 18% en 2020 pour atteindre 9,8 milliards de dollars.
Volonté de ne rien choisir
Ce qui a changé, depuis plusieurs années maintenant, c’est que la Chine est devenue le premier partenaire commercial de la région, que la Turquie fait progresser ses parts de marchés, que la Russie est le premier fournisseur d’armes et l’un des plus importants exportateurs de blé vers la l’Afrique de l’Ouest. Inversement, les pays occidentaux ont perdu des parts de marchés en proportion, mais ils continuent d’investir dans la région pour se maintenir dans la compétition.
DANS LA PRATIQUE, LA “REALPOLITIK” L’EMPORTE SOUVENT SUR LE DISCOURS “DROITDELHOMMISTE”
On aurait pu conclure que les nouveaux grands partenaires ne sont pas fondamentalement différents des autres si la stratégie politique qui porte les investissements et le commerce n’avait pas été tout autre. Sur la politique des prêts et sur les exigences liées au respect de l’État de droit et de la démocratie, la Chine, la Russie et la Turquie sont peu regardantes. Comme certains Occidentaux pour lesquels dans la pratique et dans des contextes de violence politique, la “realpolitik” l’emporte souvent sur le discours “droitdelhommiste”.
L’influence économique des uns et des autres, marquée en Afrique de l’Ouest par la diversification des partenariats, se duplique dans l’espace politique avec des singularités. Sans antécédent colonial ou impérialiste sur le continent, la Chine, la Russie et la Turquie affichent leur volonté de se démarquer des Occidentaux, quand bien-même leurs méthodes ne sont pas toujours exemptes de reproches. Les Occidentaux, eux, s’efforcent de préserver leurs espaces d’influence en discréditant leurs rivaux. Quant aux Ouest-Africains, ils veulent ne pas choisir. Ne rien choisir ! Ni entre les partenaires ni parmi leurs offres, encore moins entre leurs conditions.
Au Mali, une aventure politique solitaire
Car si les partenaires anciens et nouveaux ont leur agenda africain renouvelé à l’occasion des sommets États-Unis-Afrique, Europe-Afrique, Chine-Afrique, Russie-Afrique et Turquie-Afrique, pour ne citer que ceux-là, l’Afrique de l’Ouest, comme l’Afrique subsaharienne tout entière, peine à définir une véritable stratégie pour capter d’importants dividendes de ses relations avec les puissances extra-africaines.
Au contraire, la région est divisée. Au Mali, l’alliance militaire avec la Russie et Wagner comme la rupture avec la France et les Occidentaux reste une aventure politique solitaire dans laquelle la Cedeao et le gouvernement de transition ont été incapables de trouver un modus vivendi dans l’intérêt du pays et de la région. Les tensions ont été entretenues sur fond de reproches, de menaces, de volonté de libération, d’affirmation de souveraineté mais également de compromissions vis-à-vis de ce qui aurait dû être l’intérêt régional.
LES NOUVEAUX PARTENAIRES DÉPLOIENT UNE VÉRITABLE DIPLOMATIE PUBLIQUE, AVEC UNE STRATÉGIE DE CONQUÊTE DES CŒURS, POUR CAPITALISER SUR LES RESSENTIMENTS
Surfant sur cette division et sur la sensibilité de l’opinion publique ouest-africaine, majoritairement jeune, à un discours neuf, décomplexé et pragmatique, les nouveaux partenaires déploient une véritable diplomatie publique, avec une stratégie de conquête des cœurs, pour capitaliser sur les ressentiments, justifiés ou non.
Variabilité des rapports de force
Pour l’heure, ce que révèlent les enquêtes d’Afrobaromètre sur la perception des influences étrangères en 2021, c’est une appréciation positive à la fois de la Chine et des États-Unis. En moyenne, presque deux-tiers (63 %) des Africains estiment l’influence de la Chine dans leur pays « quelque peu positive » ou « très positive », tandis que 14% la considèrent négative. Les opinions quant à l’influence américaine sont à peu près similaires (60% d’opinions favorables contre 13% d’opinions défavorables).
L’ANGÉLISME DES NOUVEAUX VENUS ET LE STATU QUO IMPOSÉ PAR LES ANCIENS RECÈLENT DES RISQUES D’INSTRUMENTALISATION
Cet équilibre des forces cache cependant la complexité et la variabilité des rapports de force et d’influence dans la région. Quand, le 2 mars dernier, l’Assemblée générale de l’ONU a adopté la résolution qui « exige que la Russie cesse immédiatement de recourir à la force contre l’Ukraine », il n’aura échappé à personne que la configuration des votes dispersés montre une fois de plus l’influence relative de chaque catégorie d’acteurs, les uns neutralisant les autres avec leurs alliés.
Le Burkina Faso, la Guinée et le Mali dirigés par des juntes militaires se sont abstenus ou n’ont pas pris part au vote. Leurs situations de transition politique et, à certains égards, géostratégique, exige d’eux prudence et non alignement.
Mais au fond, c’est toute l’Afrique de l’Ouest qui se trouve en transition. Une transition qui requiert lucidité et maîtrise car l’angélisme des nouveaux venus et le statu quo imposé par les anciens recèlent des risques d’instrumentalisation. Si les Russes et les Turcs se sont indirectement affrontés en Libye, ils peuvent encore le faire en Afrique de l’Ouest !