À la mi-août, la justice américaine a promis 5 millions de dollars à quiconque permettra l’arrestation de cet ancien chef d’état-major bissau-guinéen. Mais qui est vraiment ce putschiste récidiviste considéré par Washington comme un baron de la drogue ?
1. « Wanted »
Il a longtemps été l’un des hommes les plus craints du pays. Et sept ans après sa mise à la retraite, son influence semble à peine s’être érodée : s’enquérir du général António Indjai suscite encore l’appréhension et de nombreux silences gênés. Lorsqu’il s’agit d’éclairer les zones d’ombre de son parcours, difficile de trouver le moindre officiel prêt à s’exprimer à visage découvert.
L’avis de recherche américain émis à son encontre par Washington, qui le considère comme un baron de la drogue, n’a bien sûr rien arrangé. Les proches d’António Indjai gardent en mémoire le piège tendu en haute mer en 2013 par l’Agence américaine antidrogue (DEA) à Bubo Na Tchuto, ancien tout-puissant chef de la Marine, lui aussi accusé par la justice d’avoir régné en maître sur le trafic de cocaïne gangrénant le pays. Visé la même année par un leurre similaire, Indjai ne se laissera pas prendre, mais l’affaire aiguisera sa prudence.
2. Ancien combattant
Militaire de carrière, António Indjai a enfilé le treillis pour la première fois lors de la longue guerre d’indépendance (1963-1974) contre les colons portugais. Mais certains de ses détracteurs mettent en doute sa participation au conflit : né en janvier 1955, n’était-il pas trop jeune pour y avoir pleinement pris part ? Pour ses pairs et dans les registres de l’État, il est en tout cas considéré comme un ancien combattant. « Le PAIGC [Parti africain pour l’indépendance de la Guinée et du Cap-Vert, fondé par les indépendantistes autour d’Amílcar Cabral] ne reculait pas devant l’utilisation de jeunes soldats, souligne Vincent Foucher, chercheur au CNRS. Selon son CV officiel, Indjai a eu un rôle dans l’artillerie aérienne en 1970 et a ensuite été commissaire politique. »
COMMANDANT DU BATAILLON DE MANSOA, IL EST EN PREMIÈRE LIGNE FACE À LA RÉBELLION CASAMANÇAISE
L’indépendance acquise, il part se former en Russie et à Cuba, et reprend les armes lors de la guerre civile, entre 1998 et 1999. Proche du défunt chef d’état-major Tagmé Na Waié, il monte en grade fin 2004, lorsqu’il devient commandant du bataillon de Mansoa, dans la zone militaire Nord. Le poste est stratégique : proche de la capitale Bissau, c’est l’une des plus importantes unités militaires du pays. Elle est aussi en première ligne face à la rébellion casamançaise. Lorsqu’en 2006, des combattants menés par Salif Sadio pénètrent sur le territoire via la localité de São Domingos, c’est António Indjai qui a la charge des opérations militaires. L’épisode lui vaudra d’être promu colonel.
3. Balante
Né à Encheia, dans la région de l’Oio, António Indjai est un Balante du Nord, l’une des principales ethnies du pays. Elle représente aussi le gros des troupes au sein de l’armée bissau-guinéenne. « Les Balantes sont ceux qui se sont le plus engagés dans la lutte pour l’indépendance. La plupart des grandes figures de la guerre en étaient issues, explique un bon connaisseur des dossiers de défense. Cette tradition a perduré et structure toujours l’armée : aujourd’hui, on estime que plus de la moitié des militaires sont balantes. »
4. Putschiste…
La prise de l’état-major sera son premier coup de force revendiqué. Le 1er avril 2010, le général met aux arrêts le Premier ministre Carlos Gomes Junior, dit « Cadogo », et son fidèle chef d’état-major, José Zamora Induta, dont Indjai était l’adjoint. Si le premier sera rapidement libéré, le second sera plus longuement détenu à Mansoa.
Quelques semaines plus tard, Indjai est nommé chef d’état-major par le président Malam Bacaï Sanha. Mais l’épisode lui vaudra d’entrer dans le collimateur de Washington. L’ambassadeur des États-Unis à Dakar refuse d’assister à sa cérémonie d’investiture. Le communiqué se veut cinglant et humiliant : Indjai est jugé « indigne » d’exercer cette fonction.
INDJAI EST L’UN DES PREMIERS BÉNÉFICIAIRES DU PUTSCH DE 2012
5. … récidiviste
Deux ans plus tard, le Premier ministre Carlos Gomes Junior se place largement en tête du premier tour de la présidentielle de 2012 face à son rival Kumba Yala, accusé de tenir des discours ethnicistes. Ses partisans n’ont-ils pas battu campagne en répétant que la réforme de l’armée souhaitée par le chef du gouvernement était en réalité destinée à évincer les balantes de l’armée ? Les casernes grondent. Le 12 avril, des militaires s’emparent de la résidence du Premier ministre, interrompent le processus et le contraignent à l’exil. « Indjai est l’un des premiers bénéficiaires de ce putsch, rappelle Vincent Foucher. Après cet épisode, les militaires regagnent une influence que Carlos Gomes Junior tentait de contenir. »
Le processus électoral ne reprendra que deux ans plus tard. Cette fois, les militaires restent dans leur caserne. José Mário Vaz accède au pouvoir en 2014 sous les couleurs du PAIGC et met fin aux fonctions d’Indjai. « Il semble y avoir eu une sorte d’accord de la part d’Indjai, qui accepte son départ tout en sachant que ses intérêts vont être ménagés « , poursuit le chercheur français.
6. Trafic de cocaïne
António Indjai était-il devenu trop encombrant ? Depuis 2013, le général est sous le coup d’une inculpation de la justice new-yorkaise basée sur des échanges avec des membres de la DEA s’étant présentés comme des représentants des Forces armées révolutionnaires de Colombie (FARC).
« Entre juin et novembre 2012, Indjai a accepté de recevoir et de stocker plusieurs tonnes de cocaïne dont il savait qu’elles seraient vendues au profit des FARC, accuse le Département d’État américain. Indjai et d’autres co-conspirateurs ont accepté d’acheter des armes, notamment des missiles anti-aériens, pour les FARC en utilisant les recettes de la drogue et ont créé une société écran en Guinée-Bissau pour réaliser les transactions illicites d’armes. » Des accusations dont le principal intéressé s’est toujours défendu.
Loin de refermer le dossier, la justice américaine a, au contraire, promis le 19 août « une récompense allant jusqu’à 5 millions de dollars pour toute information menant à son arrestation ou à sa condamnation ».
7. Respecté dans l’armée
António Indjai reste un homme très respecté par l’institution militaire. « L’armée est soumise à de fortes logiques clientélistes. Indjai y a ses “petits” : il a recruté et fait monter en grade toute une série de militaires qui lui restent redevables », analyse Vincent Foucher.
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8. Interdit de voyager
Les États-Unis ne sont pas les seuls à l’avoir dans le collimateur. Ses coups de force de 2010 et 2012 ont poussé les Nations unies a l’inscrire, avec d’autres militaires bissau-guinéens, sur une liste de personnes interdites de voyager. « António Indjai a participé à la planification opérationnelle du coup d’État du 12 avril 2012, note une résolution de l’ONU adoptée la même année par le Conseil de sécurité. Au lendemain de ce coup d’État, le premier communiqué du “commandement militaire” a été diffusé par l’état-major des forces armées, dirigé par le général. » Presque dix ans plus tard, ces sanctions n’ont pas été levées.
9. Défendu par Embaló
Face au mandat américain ou aux sanctions de l’ONU, António Indjai peut se prévaloir du soutien d’Umaro Sissoco Embaló. Le président bissau-guinéen a réaffirmé fin août qu’il s’opposait à l’extradition de l’ancien chef de l’armée. « J’ai du respect pour le général Indjai. Les Américains peuvent bien émettre les mandats qu’ils veulent. Nous aussi, nous pouvons lancer des mandats d’arrêts contre eux ! », affirmait-il lors d’une interview accordée à Jeune Afrique en septembre 2020.
Lors de l’Assemblée générale des Nations unies à New York en septembre, le chef de l’État a par ailleurs directement plaidé auprès d’António Guterres, secrétaire général de l’ONU, pour que les sanctions prises en 2012 soient levées. António Indjai est aussi réputé très proche du Premier ministre, Nuno Nabiam.
10. Gentleman farmer ?
En parallèle de sa carrière militaire, António Indjai a développé des activités agricoles. Il possède une ferme dans la localité de Mansoa, où le général à la retraite cultive avec l’aide de ses fils la noix de cajou, pilier de l’économie bissau-guinéenne, et élève des volailles. C’est non loin de ses champs qu’il est soupçonné d’avoir voulu faire atterrir des avions chargés de drogue en provenance d’Amérique latine.