" Je suis homme, l'injustice envers d'autres hommes révolte mon coeur. Je suis homme, l'oppression indigne ma nature. Je suis homme, les cruautés contre un si grand nombre de mes semblables ne m'inspirent que de l'horreur. Je suis homme et ce que je voudrais que l'on fit pour me rendre la liberté, l'honneur, les liens sacrés de la famille, je veux le faire pour rendre aux fils de ces peuples l'honneur, la liberté, la dignité. "(Cardinal Lavigerie, Conférence sur l'esclavage africain, Rome, église du Gesù)
NOS ENGAGEMENTS POUR LA JUSTICE T LA PAIX S'EXPRIMENT DE DIFFÉRENTES MANIÈRES :
En vivant proches des pauvres, partageant leur vie. Dans les lieux de fractures sociales où la dignité n'est pas respectée. Dans les communautés de base où chaque personne est responsable et travaille pour le bien commun. Dans les forums internationaux pour que les décisions prises ne laissent personne en marge.
Dans cette rubrique, nous aborderons différents engagements des Missionnaires d'Afrique, en particulier notre présence auprès des enfants de la rue à Ouagadougou et la défense du monde paysan.
Business otages
[Infographie] Maghreb-Sahel : le business lucratif des otages
Depuis 2003, des dizaines de libérations d’étrangers enlevés au Sahel font l’objet de polémiques. Malgré leurs démentis officiels, les États d’origine des otages sont soupçonnés d’avoir versé des rançons, au risque d’alimenter le phénomène et les caisses des groupes jihadistes. JA a cartographié les compensations financières versées en échange de ces précieux otages.
Depuis 2003, les prises d’otages sont légion au Sahel et au Maghreb. À ce jour, une centaine de ressortissants australiens, sud-coréens, indiens ou issus de pays d’Europe ou d’Amérique du Nord y ont été enlevés par des groupes jihadistes.
Principale source de revenus d’Aqmi
Le rapt de 32 touristes, interceptés par petits groupes entre février et mars 2003 en Algérie, a ouvert la voie à ce commerce lucratif, aux confins du désert. L’opération est alors menée par Abou Zeïd et son Groupe salafiste pour la prédication et le combat (GSPC), devenu Al Qaïda au Maghreb islamique (Aqmi). S’ensuit une escalade, à la faveur d’une rivalité opposant Abou Zeïd à un autre chef jihadiste, Mokhtar Belmokhtar (successivement cadre du GSPC, d’Aqmi et des Signataires par le sang et d’Al-Mourabitoune, avant de faire de nouveau allégeance à Aqmi). Dès lors, des sous-groupes de ravisseurs se mettent au service du plus offrant, au point que ce « business » serait devenu l’une des principales sources de financement d’Aqmi.
Concentré dans un premier temps aux frontières algériennes et tunisiennes, le phénomène gagne le Niger en 2008, le Mali et la Mauritanie l’année suivante. Le GSIM (fusion d’Aqmi avec Ansar Dine et d’autres katibas) se lance dans cette funeste course aux rapts à partir de 2016, tout comme le Mouvement pour l’unicité et le jihad en Afrique de l’Ouest (Mujao), qui rejoint Al-Mourabitoune. Le phénomène s’étend plus au Sud à partir de 2015, quand le Burkina Faso est touché, suivi par le Bénin en 2019.
Les demandes de rançon placent les États face à un dilemme politique, moral et stratégique. Faut-il payer, quitte à alimenter le cercle vicieux des enlèvements ? Ou bien refuser de plier, au risque de voir les otages exécutés ? Londres, par exemple, en a fait les frais. Le Britannique Edwin Dyer, enlevé au Mali en janvier 2009 alors qu’il revenait d’un festival, a été exécuté le 31 mai de la même année après qu’Abou Zeïd eut exigé, en vain, 10 millions d’euros contre sa libération. L’organisation serait allée jusqu’à réclamer 300 000 euros en échange de la restitution de sa dépouille, ce que la Grande-Bretagne assure avoir refusé. Autre option : une intervention armée, mais, là aussi, le dénouement peut être fatal.
Ces dernières années, lors de ces enlèvements visant en priorité des Occidentaux, 13 captifs ont trouvé la mort dans la région, tantôt victimes d’interventions militaires ayant mal tourné, tantôt victimes de problèmes de santé. Sur les 80 rescapés que nous avons recensés, deux ont pu s’évader et cinq autres ont été libérés à la suite d’une opération militaire, que celle-ci ait été destinée ou non à les libérer.
Le sort des autres otages remis en liberté a-t-il été scellé par le paiement de rançons ? Leurs pays d’origine ont intérêt à le démentir, afin de ne pas sembler renier leurs engagements et de ne pas faire monter les enchères. Mais c’est parole contre parole. Des organisations et médias occidentaux font état de contreparties financières, en se fondant sur des sources politiques, sécuritaires ou jihadistes. Cette carte, qui donne à voir des échelles de rançons, se fonde sur les moyennes de leurs estimations.
Rançons versées en échange d’otages depuis 2003 (estimations)
Les suspicions de paiement de rançon sont par exemple fortes dès 2009 concernant le Canada. Ce pays s’est-il acquitté d’une partie des 6 millions d’euros qui auraient été versés en échange d’un groupe d’otages parmi lesquels se trouvaient deux de ses diplomates ?
En 2013, la polémique touche la France s’agissant des sept employés français d’Areva enlevés à Arlit, dont la libération en deux temps aurait été conditionnée au versement de 42 millions d’euros. Le cas d’un autre Français, Serge Lazarevic, a également fait couler beaucoup d’encre. En plus de la libération de quatre jihadistes, des sources de presse évoquent une rançon de 20 millions d’euros, qui aurait été payée en 2014.
La libération conjointe, en octobre 2020, du Malien Soumaïla Cissé, des Italiens Pierluigi Maccalli et Nicola Chiacchio, et de la Française Sophie Pétronin, qui avaient été enlevés séparément, a également soulevé bien des questions. S’ils ont officiellement été échangés contre quelque 200 jihadistes, le ministère algérien de la Défense affirme dans un communiqué avoir mis la main sur 80 000 euros, qui correspondraient à une tranche de la rançon versée dans le cadre de cette transaction. Un jihadiste cité par RFI évoque de son côté 30 millions d’euros.
Dans certains cas, ce sont les ravisseurs eux-mêmes qui se targuent d’avoir été rétribués. Ainsi, le Mujao a affirmé en 2014 avoir touché 15 millions de dollars et fait libérer trois de ses hommes contre trois Européens faits prisonniers à Tindouf.
Diminution des rapts d’Occidentaux
Cinq otages (un Américain, une Colombienne, un Roumain, un Allemand et un Australien) sont toujours en captivité dans le Sahel. Le plus ancien est détenu depuis 2015, le plus récent depuis 2018. Néanmoins, les enlèvements d’Occidentaux sont en déclin, car les cibles potentielles se risquent de moins en moins dans la région, comme le souligne le rapport (daté de fin 2019) de l’ONG Global Initiative against Transnational Organized Crime, qui détaille l’évolution du crime organisé dans l’espace sahélo-saharien.
Afin que l’industrie du kidnapping demeure pour eux une importante source de revenus, nombre de groupes terroristes et criminels se sont adaptés. Ils ont progressivement concentré leurs opérations de prises d’otages au sud du Sahel, vers le Burkina Faso par exemple, et ont multiplié les enlèvements au sein des populations locales.
Racisme bienveillant ?
« Ah ces Chinois, ils travaillent dur !» : quand le racisme se veut «bienveillant» |The Conversation
Ce racisme «bienveillant» n’est pas spécifique aux personnes asiatiques, mais il semblerait que ces formes de racialisation soient particulièrement visibles, car plus faciles à exprimer pour ce groupe minorisé dans les interactions au quotidien.
Cet article a été publié dans la première édition de la newsletter « Les couleurs du racisme », nouveau rendez-vous mensuel pour analyser les mécanismes de nos préjugés raciaux et leurs reproductions. S’inscrire.
J’ai rencontré Juliette (le prénom a été modifié) dans le cadre de ma recherche en thèse sur les formes de gestion sexuée et racialisée des cadres caractérisé·e·s comme asiatiques dans le monde des grandes entreprises en France.
Elle se définit comme Française d’origine chinoise «même si c’est plus complexe que ça». En effet, ses parents sont Teochew (Chinois·e·s de la région du Chaoshan), et ont émigré du Cambodge et du Vietnam vers la France à 18 et 20 ans. Elle a vécu à Kremlin-Bicêtre toute sa vie et habite aujourd’hui dans le 20ème arrondissement de Paris. Elle a trente ans, et travaille en finance dans un cabinet de conseil.
Lorsque je discute avec Juliette, elle admet qu’elle n’a pas le sentiment d’avoir vécu des situations racistes ou de discriminations liées à son origine ethno-raciale, mais elle me confie qu’elle vit parfois des situations qui la mettent mal à l’aise. Son expérience et son récit permettront de revenir sur la notion de «racisme bienveillant», qui semble être exacerbé dans le cas des personnes racialisées comme asiatiques en France.
En sortant du travail, à la Défense, Juliette rejoint des ami·e·s dans un bar. Elle est en retard parce que sa réunion a duré plus longtemps que prévu. En arrivant au bar, elle s’assoit et ses ami·e·s la charrient : «Bah alors t’étais où ?», «Ah ces Chinois, ils travaillent dur !».
Elle sourit et commande à boire. Au cours de la soirée, une amie attrape son bras et compare leur couleur de peau «qu’est-ce que je donnerais pour avoir ta couleur de peau, dorée comme ça, c’est vraiment trop beau».
La soirée avance, et ses ami·e·s discutent de sujets variés. La conversation dérive sur l’immigration et un ami commente :
«Ce que j’admire moi vraiment chez les Asiatiques, c’est qu’ils sont là pour travailler et ils s’intègrent grâce au travail. Ils ont vraiment des valeurs quoi, la famille, le travail, le respect du pays d’accueil. On devrait s’en inspirer au lieu de faire la grève tout le temps !».
«L’agilité chinoise»
Le lendemain, Juliette retourne au travail. En se connectant sur l’intranet de son entreprise, une nouvelle formation en ligne lui est proposée. La formation s’intitule «L’agilité chinoise».
Étonnée, elle décide de cliquer sur le lien. La formation propose d’apprendre le «Yin/Yang dans les affaires» et la «sagesse chinoise», la «culture chinoise» ou encore «comment faire des affaires avec les Chinois·e·s».
On y apprend la nécessité de «manger avec les Chinois pour signer un contrat», de créer de la «chaleur dans le contact avec les Chinois». La formation revient également sur l’héritage confucéen des sociétés de l’Asie du Sud-Est ainsi que leur conception hiérarchique et paternaliste du management. Juliette ne se retrouve pas vraiment dans cette formation, et ressent une gêne qu’elle n’arrive pas à verbaliser précisément.
Plus tard dans la journée, elle croise le directeur financier de son entreprise à la pause café. Comme c’est la première fois qu’elle le rencontre, elle se sent un peu stressée. Il est souriant, avenant et apprécié par tou.te.s. Il la salue et lui demande d’où elle vient. Un peu décontenancée, Juliette répond qu’elle est d’origine chinoise mais que c’est un peu plus complexe que ça. Il la félicite pour son français et lui dit qu’il a de très bons souvenirs de ses voyages d’affaires en Chine. Selon ses dires, les Chinois ont une très bonne réputation en finance et il a immédiatement confiance lorsqu’il voit un Chinois à l’étage. Il quitte la salle de pause en lui disant qu’il est content de l’avoir dans cette entreprise et de voir qu’il y a des gens pour représenter l’Asie au siège. Juliette est assez satisfaite de cette interaction réussie et se dit que malgré tout, son origine a quelques avantages.
Cette notion renvoie à un processus socialement construit de catégorisation fondée sur la prise en compte d’un ensemble d’attributs corporels ou de marqueurs religieux et qui place ces groupes dans un rapport de pouvoir hiérarchisé. Les personnes sont alors assignées racialement, terme que la sociologue Sarah Mazouz définit comme un :
«processus, qui repose sur l’essentialisation d’une origine réelle ou supposée, la radicalisation de son altérité et sa minorisation, c’est-à-dire sa soumission à un rapport de pouvoir».
En effet, essentialiser consiste à réduire une origine à des caractéristiques, des compétences, des comportements figés et immuables. La dimension processuelle du concept d’assignation racialisante est indispensable pour comprendre la manière dont les personnes asiatiques sont racialisées puisqu’elle permet de saisir les évolutions dans la racialisation de ce groupe minorisé et met en lumière les manières dont une société produit du racial.
Une racialisation «positive» ?
Le cas des personnes asiatiques en France est particulièrement intéressant car il semblerait qu’elles se trouvent assignées racialement et ainsi victimes de pratiques qui entretiennent des rapports de domination raciale, alors même que cette racialisation est souvent décrite comme «positive», «avantageuse» ou encore «valorisante».
Avoir un regard critique sur le racisme bienveillant permet de souligner les formes particulières de la racialisation des personnes asiatiques en France. En effet, ce phénomène tend à placer tout un groupe homogénéisé et essentialisé à proximité de la blanchité du fait de stéréotypes «positifs» lui conférant certains privilèges (mythe sur la réussite économique, l’attachement à la tradition, la croyance en la méritocratie ou encore la stabilité matrimoniale et la faible politisation), tout en maintenant une soumission à un rapport de pouvoir racialisé.
Ce racisme «bienveillant» n’est pas spécifique aux personnes asiatiques, mais il semblerait que ces formes de racialisation soient particulièrement visibles, car plus faciles à exprimer pour ce groupe minorisé dans les interactions au quotidien.
En effet, si à première vue les commentaires des ami·e·s de Juliette, sa formation au travail ou encore sa conversation avec son supérieur hiérarchique peuvent paraître positifs ou valorisants, ils participent en réalité à l’essentialisation et par conséquent à la radicalisation de l’altérité de tout un groupe.
Ces formes «bienveillantes» de racisme, cette racialisation positive, permettent d’entretenir un rapport de pouvoir et contribuent à la marginalisation des personnes asiatiques et racisées de manière plus générale.
De l’autre, elles contribuent à l’éternisation de l’altérité de ce groupe puisque ces familles sont dépeintes comme «excessivement strictes et patriarcales», «sans émotion» et comme «des bastions de la tradition sans réflexivité».
Par exemple, lorsque l’ami de Juliette suggère que les Français·e·s devraient s’inspirer des immigré·e·s asiatiques et leurs «valeurs du travail» présentées comme «naturelles» chez les Asiatiques, il se tient à distance et homogénéise les comportements de tout ce groupe minorisé.
La valorisation des «différences culturelles» au travail
L’exemple de la proposition de formation sur «l’agilité chinoise» reçue par Juliette est commun au sein des entreprises françaises. Mon travail de recherche démontre notamment que les formations portant sur «l’agilité chinoise» ou plus généralement le management interculturel participent à la banalisation et l’institutionnalisation du processus de racialisation dans les entreprises.
Ce processus fondé sur une forme d’essentialisation, largement accepté dans le monde des affaires, façonne l’imaginaire collectif et va également de pair avec une forme de valorisation managériale de l’assignation racialisante dans le cas des cadres d’origine asiatique.
Sous couvert de valorisation des «différences culturelles» dans les entreprises, les formations dispensées homogénéisent de façon artificielle et infondée les comportements des personnes issues d’un amalgame de nationalités asiatiques et favorise la racialisation au sein de l’entreprise.
De plus, présenter la société asiatique comme patriarcale, ancrée dans la tradition, participe à la construction d’un imaginaire de l’Orient loin de la modernité prétendument incarnée par l’Occident.
C’est ainsi que les travailleur.se.s racialisé·e·s comme asiatiques sont souvent sommé·e·s de «représenter l’Asie» ou s’exprimer «au nom de l’Asie» dans les entreprises dans lesquelles ils/elles travaillent, comme si on demandait aux Blanc.he.s de représenter les besoins de l’Occident dans leurs activités professionnelles au quotidien.
Cette pratique se base majoritairement sur des compétences présumées chez les personnes asiatiques mais aussi sur la croyance selon laquelle il existerait des cultures subalternes homogènes, stables et statiques, dont il serait possible de représenter tous les besoins, par exemple les goûts, les styles vestimentaires ou encore les façons de travailler lorsque l’on en est issu. Cette pratique enferme les personnes asiatiques dans une exigence de complémentarité avec les personnes blanches et met en lumière le «paradoxe minoritaire» :
«les minorités visibles – tout comme les femmes – sont vouées à prendre la parole en tant que, pour n’être pas traitées en tant que».
Le cas des personnes asiatiques socialisées en France est d’autant plus complexe qu’il révèle une double injonction contradictoire de ces formes de racialisation valorisante : les cadres asiatiques doivent savoir «représenter l’Asie» et parler une langue asiatique dans les entreprises, région du monde à laquelle ils n’ont pas nécessairement eu accès du fait d’une éducation construite dans un effort d’assimilation ; malgré cette demande de compétences racialisées, ces personnes doivent parallèlement prouver leur adhésion aux valeurs républicaines de la population majoritaire.
La réversibilité de la racialisation positive
Il est important de s’attarder sur la réversibilité de ces formes «positives» de racialisation. Ce qui est «positivement» racialisé aujourd’hui ne l’a pas toujours été et ne le sera pas toujours.
Comme le montre l’historienne Liêm-Khê Luguern, la représentation de ce groupe comme une communauté «fermée», «mystérieuse», «trafiquante» jusque dans les années 1980 n’est plus d’actualité. Elle écrit ainsi:
«Les stéréotypes peuvent se décliner selon des axiologies positives ou négatives et un même stéréotype peut être polarisé positivement ou négativement».
Le contexte pandémique de la Covid-19 a par exemple mis au jour le racisme vis-à-vis des personnes racialisées comme asiatiques. Le développement de la pandémie à travers le monde et notamment dans les pays occidentaux est allé de pair avec une intensification des actes racistes contre les personnes perçues comme asiatiques.
La racialisation du virus par les médias, notamment par le Courrier Picard publiant en une du journal, «coronavirus chinois : alerte jaune», a contribué à la revitalisation du fantasme du péril jaune, sur la «barbarie des pratiques culinaires chinoises», «les habitudes alimentaires insalubres» des Chinois. En France, cela a eu une répercussion directe et violente sur les restaurants d’immigré·e·s asiatiques (dégradation des devantures, chute du chiffre d’affaires) et de manière plus générale sur le sentiment d’insécurité très largement partagé par les personnes pouvant être racialisées comme asiatiques. En février 2020, l’Union des cafés, hôtels et restaurants asiatiques (UCHRA) a comptabilisé une baisse de 50 à 60% du chiffre d’affaires de ses membres. Comme l’explique la sociologue Ya-Han Chuang,
«le processus de racialisation et d’altérisation s’est également accompagné d’une déshumanisation des populations chinoises».
Les propos insultants du journaliste Emmanuel Lechypre le démontrent : «ils enterrent les Pokémon» avait-il commenté le 3 avril sur BFMTV.
Le mythe de la minorité modèle
Alors pourquoi ce racisme bienveillant est-il exacerbé dans les interactions au quotidien, au travail, ou encore au sein des familles dans les cas des personnes racialisées comme asiatiques en France ?
Ce groupe minorisé est souvent qualifié de «minorité modèle» ou «minorité entrepreneuriale». Ce mythe semble avoir façonné les formes de racisme que subissent les Asiatiques en France. En effet, ce mythe est d’abord apparu aux États-Unis suite à un article de William Petersen sur «La réussite sociale des Américains d’origine japonaise» en 1966.
En s’appuyant sur des valeurs telles que la patience, la discipline et l’obéissance, présentes dans le confucianisme ou le taoïsme, les médias et les politiques associent cette minorité à la valeur du «travail» et à l’idéal méritocratique, aux États-Unis et en France.
Ce mythe, valorisant aujourd’hui, témoigne d’une part de la réversibilité des formes positives d’essentialisation des groupes minorisés, et d’autre part de sa fonction de production d’un contre-modèle, à savoir le versant négatif de ce mythe sur d’autres groupes minorisés (dans le cas des personnes racialisées comme arabes ou noires en France par exemple). En effet, comme dans le cas de l’article de William Petersen, ou plus récemment dans le discours de Nicolas Sarkozy à l’occasion du Nouvel an lunaire, les qualités exposées de la «communauté asiatique» doivent être mises en regard de la situation d’autres groupes minorisés tels que les Afro-américain·e·s dans les années 1960, ou les immigré·e·s maghrébin·e·s en 2010, qui se voient assigné·e·s le penchant négatif de ces stéréotypes («oisiveté», «inactivité», «délinquance» par exemple).
Comme l’explique le sociologue Daniel Sabbagh à propos de la construction racialisée des Asiatiques et des Noir·e·s aux États-Unis, «la glorification de la première allait de pair avec le dénigrement du second».
La construction des familles asiatiques comme des bastions de la tradition et de la réussite à travers le mythe de la minorité modèle vient confirmer le modèle méritocratique de la population majoritaire mais plus encore, dans une perspective d’analyse intersectionnelle, il vient fortifier le modèle familial blanc et hétérosexuel comme condition de réussite sociale. Dans le cas de la France, cette racialisation «positive» aurait été alimentée non seulement par l’histoire coloniale de l’ex-Indochine Française mais aussi par l’histoire post-coloniale telle que la guerre anti-américaine et l’exode des réfugiés après 1975.
Une forme de racisme qui perpétue les discriminations
En réalité, ces formes de racialisation valorisantes, ce racisme «bienveillant», «sympa» n’empêchent pas un régime discriminatoire. Au contraire, ils favorisent le maintien de ce régime. De la même manière, la valorisation de l’origine asiatique en entreprise coexiste avec le maintien des discriminations ethno-raciales sur le marché du travail. En effet, les écarts de salaire à emploi comparable persistent, en particulier chez les hommes originaires d’Asie du Sud-Est.
Bien sûr, le racisme bienveillant n’est pas spécifique aux personnes racialisés comme asiatiques. Les personnes racisées font toutes l’objet de ces formes de racisme au quotidien. Rohkaya Diallo, par exemple, montre que les personnes noires peuvent se voir prêter des qualités sportives, ou le «rythme dans la peau». Mais ce racisme se donne particulièrement à voir chez les Asiatiques en France puisqu’il est associé à des représentations collectives et banalisées à première vue valorisantes sur ce groupe minorisé.
Un regard faussement sympathique à déconstruire
Le développement de ces formes plus sournoises et plus acceptées du racisme a des conséquences importantes. Un phénomène notable, issu d’enquêtes réalisées sur l’expérience du racisme par les personnes racisées en milieu privilégié, est notamment celui de la minimisation des expériences quotidiennes de racialisation comme dans le cas des bon·ne·s élèves issu·e·s de l’immigration postcoloniale.
Comme le démontre la sociologue Rosalind Chou dans le cas étasunien, le mythe de la minorité modèle pèse considérablement sur les personnes asiatiques aux États-Unis et les amène à minimiser leurs expériences discriminatoires vécues. Il est possible de postuler qu’un phénomène similaire s’est construit en France.
L’analyse du racisme bienveillant amène donc à repenser la façon dont on définit le racisme et les scènes sur lesquelles il se joue. Malgré ses apparences «sympathiques», ce racisme encore peu questionné et largement toléré doit faire l’objet d’un regard critique puisqu’il contribue en réalité au maintien d’un régime discriminatoire et d’un rapport de pouvoir racialisé.
L’autrice réalise sa thèse sous la direction de Sarah Mazouz et Laure Bereni.
Reckya Madougou, Joël Aïvo, Alassane Djimba Soumanou ou encore Ganiou Soglo… Pas moins de vingt dossiers de candidature à la présidentielle ont été déposés devant la commission électorale. Signe que, face à Patrice Talon, il n’y a pas d’union de l’opposition.
L’opposition béninoise a le sens du drame et des coups de théâtre. Les heures qui ont précédé la clôture du délai légal de dépôt des dossiers de candidature à la présidentielle du 11 avril prochain devant la Commission électorale nationale autonome (Cena) en ont apporté une nouvelle preuve éclatante.
Les candidats à la magistrature suprême avaient jusqu’à ce jeudi 4 février, à minuit, pour déposer leurs dossiers. À l’issue d’une folle semaine, alors que la poussière est enfin retombée, on y voit enfin – un peu – plus clair sur le positionnement des différentes composantes de l’opposition béninoise à l’orée de cette campagne électorale. Et le moins que l’on puisse dire, c’est que, face à Patrice Talon qui brigue un second mandat et s’est choisi Mariam Chabi Talata Zimé Yerima comme colistière, elle est profondément divisée.
Le Front pour la restauration de la démocratie, auquel appartiennent pourtant Les Démocrates, présente de son côté un autre duo : le constitutionnaliste Joël Aïvo pour la présidence et l’ancien ambassadeur Moïse Tchando Kerekou pour la vice-présidence.
Quant aux FCBE, elles avaient dès le début de la semaine déposé les candidatures d’Alassane Djimba Soumanou, ancien ministre de Boni Yayi, et de Paul Hounkpè, secrétaire exécutif national du parti.
Première surprise
Au total, ce sont vingt dossiers qui se trouvent désormais sur le bureau de la Cena, dont certains ne comportent qu’un seul nom, comme c’est le cas de celui de Ganiou Soglo, qui n’a pas présenté de candidat à la vice-présidence, pas plus que de parrainages, considérant que la réforme constitutionnelle récente était nulle et non avenue. « Ma candidature est la candidature de la voix du peuple, qui dit qu’on ne transige pas avec les libertés publiques », martèle le fils de l’ancien président Nicéphore Soglo.
Comment en est-on arrivé là ? Mercredi soir, au terme d’un conclave de plusieurs heures, la fumée blanche apparaît enfin chez Les Démocrates. Le parti annonce vouloir présenter le duo Reckya Madougou-Patrick Djivo. Une première surprise, tant les noms d’Éric Houndété, ancien vice-président de l’Assemblée nationale proche de Yayi, et de Nourrenou Atchadé, premier vice-président du parti, revenaient avec insistance ces dernières semaines.
Si la candidature à la vice-présidence de l’ancien député Patrick Djivo ne semble pas avoir créé de remous, la désignation de Reckya Madougou n’a en revanche pas manqué de « réveiller la guerre des chapelles », concède une source proche de cette dernière. Depuis 2016, l’ancienne ministre de Thomas Boni Yayi est conseillère spéciale du président togolais, Faure Essozimna Gnassingbé, sur les questions économiques et sociales. Un temps éloignée du marigot politique béninois, elle signe donc un retour surprise en tête d’affiche, au grand dam de plusieurs membres des Démocrates. « Certains sont immédiatement allés plaider contre sa candidature auprès du Front pour la restauration de la démocratie », affirme notre source.
Le Front, créé mi-janvier, avait en effet prévu de présenter une candidature commune face à Patrice Talon. Mais jeudi, lorsque ses membres non affiliés aux Démocrates découvrent dans la presse que le parti de l’ancien président a d’ores et déjà officialisé son « ticket », la colère gronde. « Le principe était que chaque parti soumette au Front pour la restauration de la démocratie ses propositions de candidats et que l’on s’entende ensuite pour former le duo », souligne un interlocuteur au sein de la coalition.
Quelques heures après que Les Démocrates ont dévoilé leur « ticket », le Front publie donc à son tour un communiqué dans lequel il annonce que le duo sera formé de Joël Aïvo pour la présidence, et de Reckya Madougou pour la vice-présidence.
Duo inacceptable pour Les Démocrates
Inacceptable, pour Les Démocrates. « C’est une coalition dont nous sommes le moteur, le principal parti. Nous en avons été les principaux initiateurs. Les autres ne sont que de petites formations, il était donc naturel que notre duo soit désigné pour porter ses couleurs », estime un collaborateur de Madougou.
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JEUDI MATIN, À 10 HEURES, L’ALLIANCE EST BRISÉE
Jeudi matin, à 10 heures, les cadres des différentes composantes du Front s’enferment pour une réunion qui va durer jusque dans la soirée. Les débats sont âpres, rien ne filtre. Mais à l’issue de la rencontre, l’alliance est, de fait, brisée.
Vers 19 heures, Reckya Madougou rejoint Patrick Djivo, qui l’attendait à la Cena, et dépose son dossier au nom des Démocrates. Une heure et demie plus tard, c’est au tour de Joël Aïvo, accompagné de Moïse Tchambé Kerekou, d’être accueilli à la Cena par Geneviève Boko Nadjo, la vice-présidente de l’institution, qui reçoit leur dossier de candidature.
Aucun des deux n’a cependant présenté un seul des seize parrainages nécessaires à la validation de sa candidature. Ils ont 72 heures pour les apporter.
Les parrainages, un problème de taille
« Les Démocrates ont préféré présenter leur propre offre politique, ce qui va à l’encontre de ce qui avait été convenu, je le regrette. Mais nous allons aller aux devants des Béninois avec, chacun, notre offre politique », commente Joël Aïvo. Sur la question des parrainages absents du dossier il répond, serein : « Je vous assure que notre dossier sera validé », sans vouloir en dire plus.
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LE VRAI COMBAT, C’EST CONTRE PATRICE TALON
« Le vrai combat, c’est contre Patrice Talon qu’il faut le mener », insiste de son côté Reckya Madougou, qui refuse de commenter la fin de l’alliance avec le Front. « Je n’ai pas envie d’être inamicale », glisse-t-elle. Les Démocrates n’ont pas non plus joint leurs parrainages à leur dossier. Et sur ce point, l’ancienne ministre de Thomas Boni Yayi se trouve confrontée à un problème de taille : un duo dissident issu des rangs des Démocrates, formé de Corentin Kohoué et d’Iréné Agossa, a présenté un dossier de candidature qui, lui, comprend les fameux parrainages. Une nouvelle bataille en perspective au sein de l’opposition…
Dans l’entourage de Patrice Talon, dont la candidature a été déposée ce jeudi à la mi-journée par Mariam Chabi Talata – venue entourée d’une forte délégation de soutiens, elle a été accueillie par les vivats d’une petite foule de militants rassemblés pour l’occasion –, on se frotte les mains face à cet étalage de divisions, tout en assurant ne pas y prêter attention.
« On ne s’occupe pas de ce qu’il se passe dans les autres partis. Quelle que soit la carrure du candidat, nous le respectons. Mais nous ne craignons personne », assure un proche du président. Quant à savoir si la barrière des parrainages ne risque pas de remettre en question le caractère inclusif de l’élection à venir, ce conseiller de Patrice Talon balaie l’objection d’un revers de main : « L’objectif des réformes est justement d’éviter une pléthore de candidats, afin de rendre lisibles les projets de société. Mais il devrait y avoir suffisamment de candidats pour que la fête soit belle. » Une affirmation qui devra attendre, pour être vérifiée, que la Cena valide (ou non) les dossiers déposés. La liste définitive doit être publiée entre le 10 et le 12 février prochains.
Dans une déclaration signée lundi 1erfévrier, les évêques de France se sont engagés à s’impliquer dans la lutte contre l’antisémitisme qui progresse. Leur intervention s’inscrit dans la droite ligne des préoccupations du pape François.
«Je ne me lasserai jamais de condamner fermement toute forme d’antisémitisme», a-t-il déclaré au début de l’année 2020, à l’occasion du 75eanniversaire de la libération du camp de la mort d’Auschwitz-Birkenau.
Au cours des dernières décennies, des progrès importants ont été faits dans les relations entre juifs et chrétiens. Le travail historique et théologique a permis de rompre avec des siècles d’enseignement chrétien contre les juifs et de redécouvrir que «le christianisme est lié au judaïsme comme la branche au tronc», comme le soulignaient les évêques de France en 1997 à Drancy.
Mais face à la résurgence de l’antisémitisme, une meilleure intelligence des Écritures, les gestes de repentance, la bonne entente, voire l’amitié, entre responsables juifs et chrétiens ne suffisent pas. «La lutte contre l’antisémitisme doit être l’affaire de tous», affirment les évêques dans leur déclaration du 1erfévrier. Une lutte qui incombe particulièrement aux chrétiens en raison de leur «lien spirituel unique avec le judaïsme». Encore faut-il comprendre ce qui nous lie à nos frères aînés dans la foi. Il y a donc urgence, pour tous les disciples de Jésus, à connaître et aimer nos racines juives. Pour que l’antisémitisme nous soit vraiment insupportable.
Sécurité en France ?
Assa Traoré : « Les hommes noirs et arabes ne sont pas en sécurité en France »
À la tête du collectif La Vérité Pour Adama, la militante anti-racisme dénonce les violences policières, qu’elle estime orientées tout particulièrement contre les personnes issues de l’immigration.
Regard fixe, visage fermé, la jeune femme de 36 ans ne laisse rien transparaître de ses émotions. Une carapace, sans doute, que s’est construite cette éducatrice devenue en peu de temps une icône de la cause antiraciste. Elle a fait la une de nombreux magazines, dont celle de Time, à la fin de 2020.
Après plusieurs échanges avec son attachée de presse, elle nous reçoit, seule, dans l’appartement où elle vit avec sa famille en banlieue parisienne, et d’où elle dirige le collectif La Vérité Pour Adama.
Au milieu d’effluves d’encens et de livres sur le colonialisme, Assa Traoré dénonce haut et fort ce que certains osent à peine murmurer : le racisme profond de la société française et de l’État, que le pouvoir soit de droite ou de gauche. « À la limite, avec la droite, c’est mieux, c’est clair, on sait à quoi s’attendre », lance-t-elle en rappelant que son frère est mort sous la présidence du socialiste François Hollande. Ce dernier n’a, selon elle, eu aucun égard pour la famille du jeune homme, décédé à 24 ans dans des circonstances toujours non élucidées, après un contrôle d’identité musclé.
Cet entretien a été réalisé le 28 janvier. Assa Traoré y exprime, avec ses mots, certains jugements – notamment à l’égard de la police et du président français – qui n’engagent qu’elle. NDLR
Jeune Afrique : Plus de quatre ans après la mort d’Adama, avez-vous fait votre deuil ?
Assa Traoré : Aujourd’hui, le deuil n’est envisageable ni pour moi ni pour ma famille. Nous voulons avant tout rendre à mon frère son
honneur et sa dignité. Nous faisons face à un obstacle de taille, à cette machine de guerre qu’est l’État français, à sa police et à son appareil judiciaire. Cette situation a fait de moi une soldate engagée en faveur de la vérité et de la justice.
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TOUS LES JEUNES DES QUARTIERS POPULAIRES PEUVENT POTENTIELLEMENT MOURIR ENTRE LES MAINS DE LA POLICE
On ne demande qu’une chose : que les gendarmes soient mis en examen. Qu’il y ait un procès public, que le monde entier puisse voir et entendre les hommes qui ont causé la mort de mon petit frère. Et que justice soit faite, qu’ils soient condamnés pour leurs actes.
De nombreuses zones d’ombre entourent le décès de votre frère. Pensez-vous que les circonstances exactes de sa mort seront connues un jour ?
Pour moi, il n’y a aucune zone d’ombre. La vérité est là, mais on est dans un pays, la France, qui ne l’accepte pas et qui est dans un déni de justice s’agissant de la mort d’Adama Traoré. Je dis : « Adama Traoré », mais c’est valable pour tous les jeunes des quartiers populaires, qui tous peuvent potentiellement mourir entre les mains de la police, en toute impunité.
Plusieurs versions circulent. Quelle est votre vérité ?
La vérité est qu’Adama est mort d’un plaquage ventral à la suite d’un contrôle très musclé, le 19 juillet 2016, le jour de ses 24 ans. Cela a été démontré par plusieurs experts indépendants que notre famille a mandatés.
Sous le poids des gendarmes, mon frère suffoquait : lors de leur première déposition, ceux-ci ont d’ailleurs raconté qu’Adama avait dit : « Je n’arrive plus à respirer ». Cela ne les a pas arrêtés. Ils l’ont traîné ensuite dans leur véhicule. Là, il a uriné sous lui et a « piqué de la tête » sans qu’aucun d’eux ne lui porte secours.
Pis, lorsque les pompiers sont intervenus dans la cour de la gendarmerie, les gendarmes ont refusé de lui ôter ses menottes. Résultat, aucun secours n’a pu lui être réellement prodigué, il n’a pas pu être mis en position PLS [position latérale de sécurité]. Contrairement à ce qui a été dit, les pompiers n’ont pas pu lui prodiguer les premiers soins car il est resté menotté dans le dos. Ce jour-là, les gendarmes ont eu droit de vie et de mort sur mon frère. Ils avaient décidé qu’il mourrait, et c’est ce qu’il s’est passé.
Avez-vous confiance dans la justice française ?
Je n’ai évidemment aucune confiance en elle. Le 16 juillet prochain, cela fera cinq ans qu’Adama est mort dans les locaux de la gendarmerie de Beaumont-sur-Oise. Cinq ans de combat. Je n’aurais jamais pensé un seul instant que, cinq plus tard, on en serait encore là.
Au début, pourtant, je croyais en la justice de ce pays. J’ai grandi avec la conviction que la justice est un droit. Je réalise aujourd’hui que, si ce droit existe, il n’est pas le même pour tous. Nous, on doit se battre pour renverser cette machine, ce système. Mon petit frère Bagui, qui est le témoin principal dans l’affaire d’Adama, est en prison depuis quatre ans.
La justice française m’a mise en examen pour avoir dit : « Adama, les gendarmes t’ont tué, mais ils ne tueront pas ton nom… ». Cette phrase, et le fait d’avoir rendu publics les noms des gendarmes, m’ont valu deux mises en examen.
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IL N’Y A PAS EU D’ENQUÊTE IMPARTIALE : AU CONTRAIRE, DES GENDARMES PROTÈGENT D’AUTRES GENDARMES ET TENTENT DE MASQUER LA VÉRITÉ
Si on s’était fié à la justice française, Adama serait mort d’une affection cardiaque, de drépanocytose, sous l’emprise de l’alcool ou de la drogue. La dernière thèse soutenue par la justice française est qu’il serait mort en raison de la chaleur, c’est dire !
À chaque fois que la France a mandaté des expertises, c’étaient des « expertises bidon », où mon frère n’était même pas nommé, mais désigné par l’expression « homme de race noire ». Nous avons réussi à les faire annuler et nous continuerons tant que la vérité n’éclatera pas au grand jour.
Y a-t-il en France une impunité policière ?
Pour moi, cette expression est presque trop faible. Nous sommes face à un problème systémique, à une violence policière qui remonte à très loin. Nous vivons encore aujourd’hui les conséquences de l’esclavagisme et du colonialisme.
Il est très important que le monde entier le sache : dans les faits, cette France qui se dit patrie des droits de l’homme ne considère pas ses citoyens issus de l’immigration comme des individus utiles, pouvant participer à la construction du pays. Ni même qu’ils sont maîtres de leur propre vie, puisque le système a droit de vie et de mort sur eux.
Les Noirs, les Arabes, les immigrés, les gens du voyage n’ont aucune importance aux yeux de l’État, qui se veut pourtant démocratique et dont la devise est « liberté, égalité fraternité ».
La France doit reconnaître le crime contre l’humanité qu’ont subi nos parents et nos aïeux. L’Histoire a commencé bien avant 2016 et la mort d’Adama Traoré, à qui l’on reprochait, en réalité, de ne pas avoir sa pièce identité sur lui. Les premiers documents d’identité attribués aux Noirs remontent au temps de l’esclavage : quand un esclave noir sortait sans avoir sa pièce d’identité officielle sur lui, on avait le droit de l’abattre.
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ON SUBIT ENCORE LES CONSÉQUENCES DU COLONIALISME ET DE L’ESCLAVAGISME
La philosophe et historienne Elsa Dorlin a fait un vaste travail de recherche sur ce sujet. Mon frère est mort car il n’avait pas son bouclier, son gilet pare-balles : à savoir sa pièce d’identité, un document que les esclaves noirs devaient porter sur eux. On s’inscrit dans le prolongement de cette histoire.
On subit les conséquences du colonialisme et de l’esclavagisme, les conséquences de la violence policière française qui, au XVIIIe et XIXe siècles, surveillait et contrôlait les Noirs. La mort d’Adama s’inscrit dans le prolongement direct de cette manière de faire. Et quand un président de la république dit que la France ne s’excusera pas pour ces actes, c’est grave.
Votre existence a été bouleversée par la disparition de votre frère. Comment avez-vous vécu ces dernières années ?
La mort d’Adama nous a tous détruits, moi, mes frères… Sur les photos, la peine est gravée sur les visages des membres de ma famille, on voit la mort d’Adama sur leurs traits, la tristesse… Pourtant, jamais personne ne nous demande : « Comment allez-vous, la famille Traoré ? » On n’est même pas reconnus dans notre statut de victimes. Il y a une déshumanisation totale dans les rapports entre l’État, la machine judiciaire, et nous, la famille Traoré.
C’est cette machine de guerre, qui n’a ni remords ni sentiments et où tous les coups sont permis, qui a tué mon petit frère et qui a fait de nous les soldats que nous sommes devenus.
Moi-même j’ai changé, et ma vie a entièrement changé aussi. Je me bats pour l’honneur et la dignité de mon frère. Et c’est précisément pour cette dignité que j’ai tenu à écrire un livre, avec Elsa Vigoureux, Lettre à Adama (éd. du Seuil). J’avais le sentiment qu’on parlait d’Adama comme d’un délinquant, qu’on montait des dossiers contre lui, et je me suis dit : « Ce n’est pas possible, je ne “les” laisserai pas écrire l’histoire d’Adama ».
Vous êtes très critiquée par une partie des médias, ainsi que sur les réseaux sociaux. Pourquoi, selon vous ?
Tous ces gens qui me menacent, qui écrivent sur moi, sur Adama, sur la famille Traoré, sont une minorité : des racistes, des gens d’extrême droite… Ils ne me font pas peur une seule seconde. Ils ont déjà tué mon frère.
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NOUS SOMMES SOUTENUS PAR ÉNORMÉMENT DE GENS, AUX QUATRE COINS DE LA PLANÈTE
En revanche, quand je vois le nombre d’insultes qui me sont adressées, je me dis que j’ai un pouvoir sur leurs esprits, que je les hante. Cela signifie que le combat est fort.
En réalité, nous sommes soutenus par énormément de gens, aux quatre coins de la planète. Quand on fait la une du magazine Time, qu’on est désignée comme l’une des personnalités de l’année, ce n’est pas la France, c’est le monde. Le combat pour mon frère a dépassé les frontières. Ce combat, aujourd’hui, on l’a gagné.
Les médias français rappellent régulièrement que vous êtes issue d’une famille polygame. Que pensez-vous personnellement de la polygamie ?
Personnellement, je n’ai pas de point de vue sur la polygamie. J’ai un point de vue sur ma famille. J’ai grandi dans une famille heureuse et aimante. Et je ne permets à personne de parler de la vie de mon père, cela ne regarde que lui. Autrement, il faudrait parler de tous les pères des personnalités publiques, de ces pères violeurs, incestueux, ou qui ont participé à des crimes de guerre… Pour quelles raisons, parce que nous sommes Noirs ou de confession musulmane, nous ramène-t-on toujours à ce type de questions ? C’est très réducteur.
Adama a été enterré au Mali. Pourquoi ce choix, alors que vous, sa famille, vivez tous en France ?
Adama repose auprès de notre père, décédé, lui, en 1999. C’était important pour nous symboliquement. Le Mali est notre pays d’origine, on y va très régulièrement.
Nous avons fait ce choix dans un contexte particulier, celui de la mort d’Adama, où des réflexes coloniaux ont très vite ressurgi : mon frère venait à peine de mourir que la préfecture de Cergy-Pontoise nous appelait pour organiser le rapatriement de sa dépouille vers le Mali par un vol Air France depuis l’aéroport Charles-de-Gaulle. Et rapidement, puisque nous sommes musulmans et qu’on a pour coutume d’enterrer nos morts dans un délai de trois jours.
Les fonctionnaires de la préfecture se sont permis d’entamer les procédures pour un rapatriement en omettant complètement que nous sommes d’abord Français et que le choix du Mali n’était pas automatique, que c’est une décision qu’il fallait prendre en concertation avec ma famille.
Nous l’avons vécu comme un rejet, et on n’a pas manqué de leur signifier : Adama Traoré est français. Respectez-nous, et le choix viendra de nous.
Les autorités maliennes vous ont-elles soutenu dans votre combat ?
Au moment de la mort d’Adama, il y a eu une grosse défaillance de la part de l’ambassade du Mali en France et du consulat, qui n’ont eu aucune réaction et n’ont été d’aucune aide. Mais, lorsque nous sommes allés au Mali pour enterrer Adama, le président IBK – qui était en déplacement à notre arrivée – nous a reçus : ma famille, ma mère, qui est née au Mali, et moi-même.
Avec le plus grand des respects, il nous a présenté ses condoléances et a pris le temps de nous écouter. Nous avons notamment évoqué avec lui la nécessité d’un soutien des autorités consulaires maliennes en France quand un ressortissant rencontre un problème d’une telle gravité. Ne serait-ce qu’un soutien juridique ou de conseil.
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LE FAIT QUE MA MÈRE AIT ÉTÉ REÇUE AVEC HONNEUR ET DIGNITÉ PAR LE PRÉSIDENT DE SON PAYS DE NAISSANCE L’A AIDÉE À RELEVER LA TÊTE
Comme je le lui ai expliqué, moi, je parle français, je peux me défendre. Mais combien de personnes issues de l’immigration sont en mesure de le faire ? Il y a énormément de familles victimes d’injustices… Et ça, comme je l’ai dit au président IBK, il faut que ça change.
Cette rencontre a été un moment très important pour moi et pour ma mère. Elle a perdu son fils. Ici, en France, le pays où son fils est mort, on ne lui a pas témoigné le moindre égard. Seulement du mépris.
On a accusé Adama, on l’a déshumanisé, il n’était plus une victime mais un coupable. Le fait que ma mère ait été reçue avec honneur et dignité par le président de son pays de naissance l’a aidée à relever la tête. Ce jour-là, elle est ressortie du palais présidentiel la tête haute.
Comment analysez-vous la chute du président Ibrahim Boubacar Keïta et son remplacement par une junte militaire ?
Je ne suis pas sur place, au Mali, pour émettre un jugement fondé. En tout cas, mon affection va vers le président IBK.
Comment expliquez-vous que le sentiment anti-français soit de plus en plus prégnant au Mali ?
Cette question doit être posée aux Maliens de l’intérieur, qui trouveront les mots justes. Je dirais cependant que ce sentiment va bien au-delà du Mali, c’est un problème africain.
Dans l’une de ses chansons, Tiken Jah Fakoly exprime une idée très forte et très juste : « L’Afrique a pris son indépendance, mais la France a donné la photocopie [aux Africains] ». Tiken Jah a raison : il faut que les pays africains récupèrent l’original de leur indépendance. Et c’est ce qui est en train de se construire. J’y crois, car nous avons aujourd’hui une jeunesse qui avance et qui n’a plus peur.
En quelques années, vous êtes devenue l’un des porte-drapeaux de l’antiracisme en France, aux côtés de figures telles que Lilian Thuram, Rokhaya Diallo, Aïssa Maïga ou Françoise Vergès. Quel regard portez-vous sur leur combat ?
Je ne me vois pas comme une porte-parole ou un porte-drapeau. Je ne veux pas tomber dans ce piège que l’État a tendu ces vingt dernières années : nous enfermer dans le statut de porte-parole. C’est une manière de mettre en sourdine la parole des autres.
Je suis juste la sœur d’Adama Traoré et je me bats pour demander la vérité et la justice pour lui. Je ne suis pas une porte-parole, mais, avec le nom de mon petit frère, si je dois renverser tout un système je le ferai. Je veux qu’on parle de mon frère dans vingt ans, dans cinquante ans, qu’on sache qu’il y a eu un combat en France et que ce combat a contribué à la survie d’hommes issus de l’immigration.
En tant que citoyenne française musulmane, mais aussi en tant que militante, qu’avez-vous pensé du discours d’Emmanuel Macron sur le séparatisme ?
Je le prends comme une victoire. Il survient après les marches du 2 et du 13 juin 2020. C’était la première fois qu’il y avait autant de monde dans la rue, sans distinction d’âge ni de couleur. Le président Macron a peur, car il voit qu’il se passe quelque chose en France qu’il ne contrôle pas. Et qu’il doit agir pour faire reculer ce peuple, ce mouvement du Comité Adama qui a été très suivi.
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EN PARLANT DE SÉPARATISME, LE PRÉSIDENT MACRON MONTE LES FRANÇAIS LES UNS CONTRE LES AUTRES
Il veut diviser pour mieux régner. Il construit donc un « séparatisme », ou du moins il en parle, sans doute pour faire en sorte qu’on n’évoque plus certains sujets et en réaction à ces marches successives où est dénoncé le racisme. Il monte les Français les uns contre les autres, une religion contre une autre, certaines couleurs contre d’autres.
Cela montre la défaillance du pays dans lequel on vit. Un pays sans justice ni équité est un pays qui appelle à la révolte. Le peuple français est au bord de la révolte, et cette révolte est légitime.
Vous êtes mère de trois enfants. Avez-vous peur pour eux ?
Bien sûr. Et je ne suis pas la seule : demandez aux parents issus de l’immigration combien de fois ils appellent leurs enfants quand ceux-ci tardent à rentrer à la maison et ce qu’il leur passe par la tête à ce moment-là. D’ailleurs, le plus souvent, leur réflexe est d’appeler le commissariat. Demandez-vous pourquoi.
Il faut voir comment on cherche nos fils dehors parce qu’on a peur dès qu’on ne les voit pas rentrer. C’est une peur qui dépasse les craintes habituelles d’un parent : une peur de cette police qui, par son comportement, loin d’insuffler un sentiment de sécurité et de protection, fait craindre le pire. On se dit que nos enfants ont peut-être croisé un policier violent, un policier raciste.
Aujourd’hui, je suis là pour protéger mes garçons. Qu’en sera-t-il à l’avenir ? Quelqu’un peut-il me garantir que leurs droits seront respectés ? Qu’ils seront en sécurité et qu’ils auront le travail qu’ils méritent, à la hauteur de leurs compétences ? Aujourd’hui, il est très compliqué en France d’avoir un job à sa juste valeur quand on est Noir ou Arabe.
Quand on est issu de l’immigration, on a deux fois plus de chances de mourir ou de subir une violence qu’un homme blanc ou qu’une femme blanche. Mes enfants savent comment Adama est mort, dans quelles conditions. Je leur explique qu’ils ne doivent jamais accepter une injustice, mais qu’ils doivent faire plus attention que d’autres, parce qu’ils sont noirs et qu’ils peuvent être soumis à un contrôle d’identité.
Il faut avoir un discours de prévention, pour que les jeunes issus de l’immigration sachent comment réagir face à un contrôle de police, même s’ils ne sont pas dans une situation irrégulière : « Reste calme, ne cours pas, n’oublie pas de sortir avec tes papiers… » Je suis une femme noire, je ne sors jamais sans mes papiers, même pour aller à la boulangerie.
Selon vous, les Noirs et les Arabes ne sont pas en sécurité en France ?
Je veux que le monde entier sache qu’il existe un pays qui se dit démocratique, où des gens meurent car ils sont noirs ou arabes ou issus de l’immigration. Ce pays, c’est la France. Le monde entier doit savoir que les Noirs et les Arabes n’y sont pas en sécurité. Oui, les Noirs, les Arabes, les personnes issues de l’immigration ou des communautés sont en danger… Ils meurent régulièrement du fait des violences et des coups de cette police extrêmement raciste.
À votre avis, existe-t-il un racisme anti-Blanc ?
Pourquoi, à chaque fois qu’on évoque le racisme anti-Noir et anti-Maghrébin, se croit-on obligé de l’opposer à un racisme anti-Blanc ? Pourquoi, à chaque fois qu’un Noir, un Arabe ou une personne issue de l’immigration rencontre un problème, faut-il tout de suite l’opposer à un problème rencontré par un Blanc ? C’est comme si on justifiait encore le racisme qu’il y a envers nous.
Pourquoi ce racisme doit-il être justifié ? Il est là, il faut que la France l’assume. On ne peut pas justifier le comportement discriminatoire et raciste envers les populations issues de l’immigration par le racisme anti-Blanc.
Au Maghreb, les migrants subsahariens sont parfois confrontés à un racisme virulent, peut-être pire qu’en France…
Bien évidemment, ce racisme au Maghreb est inadmissible, intolérable. Des femmes noires sont violées, maltraitées, des hommes bafoués dans leurs droits les plus élémentaires… C’est inacceptable. Mais, au-delà de ces mots, il faut penser à des moyens concrets pour que cesse cette violence.
Envisagez-vous de vous engager en politique ?
Pour le moment, je suis encore dans le combat pour mon frère. Aujourd’hui, ma vision [de l’avenir] va jusqu’à la mise en examen [des gendarmes]. On verra le moment venu, quand ils auront été condamnés et que la vérité éclatera. « L’après » se construira tout seul.
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