Figure de proue du Mouvement du 5 juin, Sy Kadiatou Sow n’a pas de mot assez durs pour critiquer les autorités de la transition, qu’elle accuse d’être soumise aux militaires qui ont mené le coup d’État contre IBK.
Le Mouvement du 5 juin – Rassemblement des forces patriotiques (M5-RFP), principale composante de la contestation qui a précédé la chute d’Ibrahim Boubacar Keïta (IBK), fait figure de grand perdant de la transition. Ses principaux membres exclus du gouvernement comme du Conseil national de transition (CNT), qui fait office d’organe législatif en attendant l’élection d’une nouvelle Assemblée nationale, le M5 a engagé le bras de fer avec les nouvelles autorités de Bamako dès les premières semaines suivant la prise du pouvoir par la junte.
Une posture que le mouvement maintient encore aujourd’hui. Dimanche 21 février, deux jours après que le Premier ministre, Moctar Ouane, a dévoilé son plan d’action gouvernemental devant le CNT, le M5-RFP a ainsi dénoncé « une complicité objective et une convergence d’intérêts et d’objectifs entre l’ancien régime officiellement déchu et les autorités militaires de la transition ». Une déclaration de défiance qui, si elle vise le chef du gouvernement et son équipe, cible tout particulièrement les « hauts gradés des Forces de défense et de sécurité qui ont usurpé la victoire du peuple », selon les termes de ce communiqué au vitriol.
Figure de la scène politique malienne – elle a notamment été l’une des principales actrices du mouvement An tè a banna ! (« Touche pas à ma Constitution ! »), qui, en 2017, avait fait échouer le projet d’IBK de réviser la Constitution – Sy Kadiatou Sow a été l’une des porte-voix du M5-RFP dès le début du mouvement. Pour l’ancienne ministre des Affaires étrangères, la mainmise des militaires sur le CNT rend sa dissolution nécessaire.
Regrettant l’absence d’un cadre de dialogue avec les autorités, elle doute de la réelle marge de manœuvre dont bénéficient les civils au sein du gouvernement de transition, dont elle juge qu’il « privilégie le soutien de la communauté internationale et, donc, la politique de la France plus que celle du Mali ».
Jeune Afrique : Que pensez-vous du Plan d’action présenté par Moctar Ouane ?
Sy Kadiatou Sow : Les annonces du Premier ministre constituent un catalogue de tout ce qui a déjà été évoqué lors des différentes assises, sans réelle vision.
Il ne suffit pas de dire ce qu’il faut faire, il faut savoir comment on le fait et avec qui. Même s’il y a eu un effort pour classer les propositions en axes prioritaires, les questions évoquées ne sont pas véritablement approfondies.
Rationalisation des dépenses publiques, lutte contre la corruption, assainissement du processus électoral… Plusieurs des annonces du Premier ministre ne vont-elles pourtant pas dans le sens des revendications du M5-RFP ?
On se demande de quels délais le gouvernement dispose pour mettre en œuvre ces actions et il semble difficile de tenir le délai des dix-huit mois après le début de la transition impartis pour organiser des élections.
Il aurait fallu associer les principaux acteurs politiques et la société civile au processus dès le mois d’août. Là, on leur propose de discuter des réformes électorales ou de la réorganisation territoriale sur la base de documents qui ont été préparés sans qu’ils aient été associés à la réflexion. Il y a des gens qui réfléchissent à ces questions depuis longtemps, et il aurait été utile de les mettre à contribution dès septembre. Cinq mois après le début de la transition, on navigue encore à vue.
L’équipe gouvernementale n’est-elle pas à la hauteur des enjeux, selon vous ?
Je ne doute pas qu’il y a au gouvernement des individus de bonne foi. Mais le pouvoir est aux mains des militaires et la transition ne peut pas se faire de cette manière.
Si les Maliens ne se sentent pas inclus dans l’élaboration des réformes, leur mise en œuvre sera compliquée et le gouvernement, même s’il est de bonne volonté, s’expose à une nouvelle gronde populaire.
Le M5-RFP a saisit la Cour suprême pour réclamer la dissolution du CNT. Pourtant, le mouvement y a obtenu huit sièges. N’est-ce pas paradoxal ?
Il faut être très clair : les personnes issues du M5-RFP qui siègent au CNT n’y sont pas au nom de notre mouvement. Ils ont pris une décision individuelle et se sont démarqués de la position du M5-RFP. Et ils s’en sont eux-mêmes exclus. Ils ne participent d’ailleurs plus à nos activités.
Dès le début des discussions, les militaires ont mis cartes sur table et ont proposé de nous laisser la primature s’ils obtenaient la présidence et quelques postes stratégiques. Ils souhaitaient la Défense et la Sécurité, ce qui peut sembler logique, mais également les Mines, les Transports ou l’Administration territoriale. Nous, nous n’avons pas combattu le régime d’IBK pour obtenir des postes, mais pour changer de gouvernance. Or les militaires font la même chose que ceux qu’ils sont prétendument venus renverser.
Que reprochez-vous concrètement aux militaires dans la conduite de la transition ?
En premier lieu, le procédé de désignation des membres du CNT n’a pas été respecté. Il est préoccupant que ce soit le vice-président, Assimi Goïta, qui ait choisi les futurs membres parmi les noms soumis par les différents mouvements ou partis. Ce n’était pas aux militaires de choisir les représentants du CNT. Plusieurs grands partis, comme l’Adéma ou le Rassemblement pour le Mali (RPM, le parti d’IBK, ndlr) ont d’ailleurs désapprouvé la méthode.
Quels sont aujourd’hui les cadres de discussions entre le M5-RFP et le CNT ?
Il n’y en a absolument plus aucun !
Participerez-vous aux concertations annoncées sur les différentes priorités de la transition ?
Si l’on nous appelle pour valider un programme élaboré sans nous, comme cela a été fait jusqu’ici, nous n’irons pas. Le M5-RFP ne servira pas de faire-valoir aux autorités de la transition.
Les militaires ont menti aux Maliens. Ils promettaient de parachever les propositions du M5-RFP, mais le mouvement a été mis de côté. Ils promettaient une transition civile, elle est militaire.
Il y a pourtant bel et bien des civils au sein du gouvernement. Leur nombre n’est pas suffisant ?
À la présidence et à la primature, les militaires ont choisi des personnalités qui ne les dérangeraient pas trop. Les membres du CNT ont été cooptés et la plupart des membres du gouvernement ont été désignés par les militaires.
Lorsque l’on doit sa nomination à quelqu’un, on lui rend davantage de comptes qu’au chef du gouvernement lui-même. Je ne suis pas sûre que le Premier ministre soit considéré comme le véritable chef d’équipe. Après la chute d’Amadou Toumani Touré, les militaires et les civils co-géraient la transition. Il n’y a personne, au sein de la transition, pour tenir tête aux militaires.
Moctar Ouane a évoqué la possibilité de discuter avec les « groupes radicaux maliens ». Quel est le point de vue du M5-RFP sur la question du dialogue avec les jihadistes ?
De la même façon que l’on a accepté de parler avec les rebelles touaregs, il faut parler avec les Maliens qui ont pris les armes. Il faut d’ailleurs souligner qu’il est étonnant que le Premier ministre fasse cette annonce à peine quelques jours après le sommet de N’Djamena.
Quand Emmanuel Macron a assuré qu’il n’y aurait pas de dialogue avec les jihadistes, le président malien était présent et on ne l’a pas entendu contredire le chef de l’État français. Les autorités de la transition, comme les régimes précédents, privilégient le soutien de la communauté internationale et, donc, la politique de la France plus que celle du Mali.
Ce dialogue doit-il déboucher sur la réinsertion d’anciens combattants des groupes armés dans les forces militaires ou dans la fonction publique comme cela a été annoncé par Moctar Ouane ?
La réinsertion des anciens combattants est une autre question. Le Mali a une expérience malheureuse en la matière. Beaucoup d’anciens combattants réinsérés ont déserté et ont retourné les armes contre l’armée. Il faut en tirer les leçons et se demander si, dans certains cas, la réinsertion ne fait pas la promotion de l’impunité. Je ne suis pas contre la réinsertion en soi, mais il faut pouvoir filtrer le processus et, en premier lieu, avoir un calendrier de désarmement et de réintégration tenable.