Une église au bord de la rivière nun près de Yenagoa, dans le Sud du Nigeria © Akintunde Akinleye/REUTERS
Alors que Boko Haram monopolise l’attention des politiques et des spécialistes, au sud du Nigeria, des insurgés chrétiens s’inspirent de plus en plus des méthodes du groupe terroriste, dans une quasi indifférence.
Le Nigeria est souvent présenté comme un pays situé sur la « ligne de front » entre un Sahel à dominante musulmane, au nord, et un littoral majoritairement chrétien, au sud. Dans une telle perspective, les observateurs qui s’inquiètent des violences à caractère religieux se préoccupent surtout des épisodes sanglants du jihad de la mouvance de Boko Haram dans la région du Lac Tchad. Obnubilés par la question du terrorisme en Afrique, ils ne prêtent guère attention aux insurgés qui, dans le sud du Nigeria, se réclament aussi de Dieu lorsqu’ils prennent les armes.
Comme les Juifs guidés par Moïse
Les nostalgiques de la République du Biafra, pourtant, mobilisent souvent des arguments religieux pour justifier leur rébellion. Ils ont en effet repris à leur compte l’héritage des sécessionnistes qui, entre 1967 et 1970, s’étaient posés en victimes (essentiellement catholiques) d’un génocide commis par des musulmans… alors même que le chef de l’État nigérian, à l’époque, était chrétien.
Encerclés par un ennemi supérieur en nombre et alimentés en armes par des pays arabes, les Ibo de la région du Biafra avaient eux aussi tourné le regard vers la Terre sainte, et pas seulement vers Rome. Depuis lors, quelques-uns se sont ainsi présentés comme appartenant à l’une des tribus perdues d’Israël.
Un moment détenu par le gouvernement du président Muhammadu Buhari en 2015, un des leaders de la contestation ibo, Nnamdi Kanu, dit par exemple s’être converti au judaïsme pendant qu’il était en prison. D’autres ont, quant à eux, fondé un mouvement sioniste du Biafra, le Biafra Zionist Movement.
D’une manière générale, les invectives des protestataires de tous bords contre les méfaits des musulmans au pouvoir dans le nord du Nigeria ont rencontré un certain écho dans la diaspora ibo outre-mer. Elles ont en effet une audience globale sur les réseaux sociaux ou sur les ondes courtes de la « Voix du Biafra », la radio pirate de Nnamdi Kanu, qui émet depuis la Grande-Bretagne.
https://www.jeuneafrique.com/wp-content/themes/ja-3.0.x/assets/img/mondial2018/quote-article.png") left top no-repeat;">LES « VENGEURS DU DELTA » CONSPUENT LA « TYRANNIE » D’ABUJA ET TRAITENT LE PRÉSIDENT BUHARI DE « PHARAON ÉGYPTIEN »
Plus au sud, en direction de la côte Atlantique du Nigeria, les insurgés qui combattent le gouvernement dans les zones pétrolifères du delta du Niger n’ont pas non plus été en reste. Comme les Ibo, des Ijaw de la région se sont par exemple comparés aux Juifs qui, suivant les traces de Moïse, se sont libérés des chaînes de « l’esclavage » — du joug des musulmans du nord, dans leur cas. Apparus en 2016, les « Vengeurs du Delta » (Niger Delta Avengers) ont notamment conspué la « tyrannie » d’Abuja et traité le président Muhammadu Buhari de « pharaon égyptien », un discours qui n’est pas sans rappeler celui des salafistes jihadistes critiquant les dictateurs au pouvoir dans le monde arabe.
Sur un mode plus pacifique, les Ogoni du delta ont également ancré leur lutte dans une rhétorique très religieuse. Avant d’être pendu en 1995 par une junte à l’époque dirigée par un musulman du nord, l’écrivain Ken Saro-Wiwa a ainsi monté les premières marches de protestation du Mouvement pour la survie du peuple Ogoni, le Mosop, organisant des messes, des veillées de prières et des lectures de la Bible la nuit.
En référence directe au judaïsme, il devait notamment évoquer le Livre des Lamentations du prophète Jérémie pour assimiler la répression du régime militaire, et la pollution des compagnies pétrolières, à la destruction de Jérusalem et à la persécution des Juifs.
Califat et appât du gain
La différence, dira-t-on, est que les protestataires du sud du Nigeria ne cherchent pas à imposer un État chrétien, contrairement aux jihadistes de Boko Haram avec leurs rêves de califat. Plusieurs éléments témoignent cependant d’une forte imprégnation du politique par le religieux. Les cités célestes qui se sont développées dans des enclaves à l’orée des grandes villes du sud ont en effet fini par présenter les caractéristiques de proto-États dans l’État. En 1990, des mutins financés par des Églises évangéliques du delta avaient par ailleurs tenté un putsch qui visait à « épurer » le Nigeria en expulsant de la fédération les États majoritairement musulmans du nord.
Aujourd’hui, même les trafiquants de drogue et les syndicats de gangsters appelés « cultists » imitent les pratiques des jihadistes. En pays ibo, par exemple, des groupes rivaux déposent les têtes coupées de leurs ennemis devant les parvis d’églises pour impressionner la population.
Leurs motivations criminelles les éloignent certes de tout agenda religieux. Cela n’est pas très étonnant : de nombreux combattants de Boko Haram sont aussi animés par l’appât du gain, bien plus par que des idéaux islamiques. Les rebelles et les mafieux du sud, eux, utilisent la religion pour masquer des préoccupations bassement matérialistes. Mais on finit par s’y perdre. Fondateur d’un des principaux groupes armés du delta au début des années 2000, Asari Dokubo vient ainsi de s’autoproclamer chef d’un gouvernement virtuel du Biafra alors qu’il s’est converti à l’islam au cours des années 1990…