Le revenu décent pour les planteurs de cacao a fait long feu. Mercredi 31 mars, le conseil café cacao (CCC), l’organe public ivoirien qui régule la production de l’« or brun », a annoncé que le prix payé aux planteurs serait revu à la baisse. Il passe de 1 000 francs CFA (1,52 €) le kilo à 750 francs CFA (1,14 €).
Une surproduction de 100 000 tonnes
Cette réduction de 25 % s’explique, selon le CCC, par des « difficultés » de commercialisation sur le marché mondial dans un contexte de baisse de la consommation due à la pandémie de coronavirus. Par ailleurs, la filière est confrontée à une surproduction estimée à 100 000 tonnes : « Il faut que les planteurs arrêtent de planter [de nouveaux vergers, NDLR] pour limiter la production à son niveau actuel », a déclaré Yves Koné, directeur général du CCC. La Côte d’Ivoire devrait produire plus de 2,1 millions de tonnes de cacao en 2020-2021, soit plus de 40 % de la production mondiale, selon les prévisions de l’Organisation internationale du cacao.
Un prix « juste »
Cette annonce a surpris, la Côte d’Ivoire et le Ghana ayant réussi à s’entendre sur un prix « juste » pour les planteurs en octobre 2020, soit quelques semaines avant des élections présidentielles dans les deux pays. Ces géants du cacao (deux tiers de la production mondiale à eux deux) avaient mis en œuvre une prime de 400 dollars par tonne appelée « différentiel de revenu décent » (DRD), afin d’améliorer les conditions de vie des planteurs. La moitié d’entre eux vit sous le seuil de pauvreté, selon la Banque mondiale.
« Même si le prix au kilo était de 5 000 francs CFA, les planteurs ne seraient pas contents », grince Moussa Sawadogo. Cet acheteur de cacao voit le verre à moitié plein : il estime que ce prix à la baisse « permettra d’écouler les stocks » car « à cause du covid-19, on a du mal à vendre le cacao ».
Des tentatives de contournement
Depuis le début de l’année, des tonnes de fèves sont bloquées dans les deux grands ports ivoiriens, Abidjan et San Pedro. Une source du secteur confie à La Croix que les multinationales essaient de contourner le leadership de la Côte d’Ivoire et du Ghana en encourageant la production de cacao dans d’autres pays.
Dans un communiqué publié vendredi, 28 organisations ont d’ailleurs accusé les multinationales du chocolat de se livrer à un « bras de fer indécent » avec les planteurs. Selon le collectif Commerce Équitable France et ses co-signataires (Réseau ivoirien du commerce équitable et Secours Populaire français), « en coulisses, les multinationales ont fait plier le gouvernement ivoirien », préférant « freiner leurs achats de cacao et puiser dans leur stock, pour faire pression » sur les prix. « À la veille de Pâques, grande période de consommation de chocolat » dans le monde, ils appellent « à un sursaut massif pour dénoncer cette situation intolérable » et réclamer « des prix rémunérateurs pour les producteurs ».
Travail des enfants et pauvreté
Cette baisse de prix est d’autant plus décevante, pour ces organisations, que la hausse des prix payée aux producteurs laissait espérer l’éradication progressive des travers de la cacaoculture : déforestation, travail des enfants et pauvreté des agriculteurs.
« Le Ghana a maintenu le prix de 1 000 francs CFA le kilo, il y a un risque d’augmentation de la contrebande en provenance de Côte d’Ivoire, d’autant que la frontière est poreuse, déplore Ousmane Ouédraogo, journaliste et consultant spécialiste du cacao. Comment faire chemin ensemble avec le Ghana si les deux pays adoptent une stratégie différente ? »
6 % du prix d’une tablette pour les cacaoculteurs
La filière cacao pèse lourd dans l’économie ivoirienne : elle représente 10 % à 15 % de son PIB, près de 40 % de ses recettes d’exportation et fait vivre 5 à 6 millions de personnes, soit un cinquième de la population, selon la Banque mondiale. Or, seulement 6 % du prix d’une tablette de chocolat revient au cacaoculteur. Le secteur souffre d’un trop faible taux de transformation, un quart seulement de sa production, même si le gouvernement ivoirien souhaite atteindre 100 % de transformation locale d’ici à 2025. « Dans cette situation et sans capacité de stockage, la Côte d’Ivoire donne les armes aux multinationales : il leur est très facile de mettre la pression sur la filière ivoirienne », relève Ousmane Ouédraogo.