Justice et Paix

" Je suis homme, l'injustice envers d'autres hommes révolte mon coeur. Je suis homme, l'oppression indigne ma nature. Je suis homme, les cruautés contre un si grand nombre de mes semblables ne m'inspirent que de l'horreur. Je suis homme et ce que je voudrais que l'on fit pour me rendre la liberté, l'honneur, les liens sacrés de la famille, je veux le faire pour rendre aux fils de ces peuples l'honneur, la liberté, la dignité. " (Cardinal Lavigerie, Conférence sur l'esclavage africain, Rome, église du Gesù)

 

NOS ENGAGEMENTS POUR LA JUSTICE T LA PAIX
S'EXPRIMENT DE DIFFÉRENTES MANIÈRES :

En vivant proches des pauvres, partageant leur vie.
Dans les lieux de fractures sociales où la dignité n'est pas respectée.
Dans les communautés de base où chaque personne est responsable et travaille pour le bien commun.
Dans les forums internationaux pour que les décisions prises ne laissent personne en marge.

Dans cette rubrique, nous aborderons différents engagements des Missionnaires d'Afrique, en particulier notre présence auprès des enfants de la rue à Ouagadougou et la défense du monde paysan.

 

[Tribune] Panafricanisme : la panne africaniste

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Par  Gauz

Écrivain ivoirien, auteur de "Debout payé" (2014), "Camarade papa" (2018), et "Black Manoo" (2020).

Fresque murale des Pères fondateurs, au siège de l’Organisation de l’unité africaine, ayant précédé à l’Union africaine.

Fresque murale des Pères fondateurs, au siège de l'Organisation de l'unité africaine, ayant précédé à l'Union africaine. © Vincent FOURNIER/JA

 

Il est de bon ton de se dire panafricaniste, mais soixante ans après la création de l’OUA, le concept n’est plus qu’une coquille vidée de sa substance et de son idéal par l’incurie de nos dirigeants et les ingérences des Occidentaux.

Peut-on encore critiquer le panafricanisme ? Le sujet est clivant, souvent défendu par des ayatollahs au verbe mystique et à la fatwa facile. On s’imagine bien un Gauz, dramatiquement héroïque, se dressant face à une meute de « panafricanistes » enragés, lançant ses arguments tranchés contre des incantations cabalistiques directement inspirées des pyramides.

Gardez votre imagerie de super-héros, je tremble de peur ! D’autant plus qu’après avoir sorti un roman en plein Covid-couvre-feu (oui, la promo est bancale), je viens de voir mon dossier de demande de nationalité malienne rejeté (« du tout cuit », m’avait-on pourtant assuré).

Fantasmes salvateurs

Si je n’avais pas si peur des « panafricanistes », je leur dirais que « pan » est un « tout » grec porté par une civilisation occidentale méprisante, pour laquelle « noir, c’est noir », et qu’« africaniste » renvoie à une spécialité universitaire, au même titre qu’entomologiste ou botaniste.

J’ajouterais qu’il est tellement difficile de définir « africain » que « panafricain » en devient un sophisme. Je rappellerais que cette idée est un bon sentiment perpétuel, né en des milieux ultramarins qui ont eu la poésie de s’inventer une Afrique unique pour résister à l’oppression séculaire, et que cette Afrique a été un foyer de projection de fantasmes salvateurs.

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JE ME MÉFIE D’UNE IDÉOLOGIE QUI N’A QUE DES « PÈRES FONDATEURS » ET PAS UNE SEULE MÈRE CACHÉE DANS UN COULOIR DE L’HISTOIRE

Je continuerais en leur expliquant que les « pères fondateurs » ont peut-être gagné en émancipant les peuples et en créant l’Organisation de l’unité africaine (OUA), mais qu’ils ont aussi définitivement perdu quand la construction du nouveau siège de l’Union africaine (UA) a été confiée aux Chinois. Comment auraient-ils pu imaginer que soixante ans plus tard, les États-Unis et l’Union européenne assureraient les trois quarts du budget de fonctionnement de ce qui est à ce jour la plus grande entité panafricaine ?

Je leur dirais aussi que je me méfie d’une idéologie qui n’a que des « pères fondateurs » et pas une seule mère cachée dans un couloir de l’Histoire ou dans les cuisines enfumées des mémoires. Je leur parlerais de mon ami Bruno Jaffré, qui n’est pas africain, mais qui a compilé en un superbe ouvrage tous les discours de Thomas Sankara, figure africaine et idole « panafricaniste », et je leur ferais remarquer que l’occurrence « panafricanisme » y est rare comme poil sous la plante de pieds africains. Et oui, j’utilise des guillemets parce que les « panafricanistes » ont glissé de l’ordre des idées à l’ordre religieux, et que j’ai conscience d’être un blasphémateur plutôt qu’un contradicteur.

Humiliation suprême

Mais comme j’ai peur, je m’abstiens et préfère me concentrer sur une actualité africaine qui m’a révulsé, moi, sans les toucher eux. Le 10 décembre dernier, sur les bancs de l’Assemblée nationale française, se discutait un projet de loi portant réforme du franc CFA et comportant un seul article visant à approuver un texte qui a été signé en catimini entre deux banquiers, il y a un an, à Abidjan.

Il s’agissait de monnaie, l’outil fondamental avec lequel un peuple pilote son développement économique, de monnaie de pays africains indépendants et souverains. Les peuples concernés n’étaient même pas informés, encore moins instruits de ce qui se tramait dans le ventre de leur futur.

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DES MILLIONS DE DESTINS AFRICAINS ONT AINSI ÉTÉ SCELLÉS À PARIS, EN PLEINE CAPITALE « PANAFRICANISTE »

Leurs dirigeants ? Occupés à les maintenir sous des cieux obscurs qui auront les apparences de la démocratie ! Et comme s’il ne s’était rien passé depuis soixante ans, des millions de destins africains ont ainsi été scellés à Paris, en pleine capitale « panafricaniste » (oui, la France est probablement le plus grand nid de « panafricanistes » au monde).

Pas une seule manifestation, aucune action symbolique d’aucun Africain, avec ou sans préfixe. À peine quelques murmures sur les réseaux sociaux pourtant enflammés par le déboulonnage de statues d’hommes blancs quelques mois auparavant.

Moi, c’est sur internet que j’ai assisté en direct à l’une des plus grandes humiliations des souverainetés d’Afrique d’expression française depuis les indépendances. Je n’imaginais pas ressentir plus grand sentiment de honte que lors de l’arrestation (en direct aussi) de Laurent Gbagbo, président élu de Côte d’Ivoire, par une simple opération de police française.

Seul le Parti communiste a voté contre ce projet de loi. Mais, le processus législatif n’est pas terminé. Si nos dirigeants ne veulent pas bouger de leurs sièges présidentiels, au moins les Afriques peuvent-elles assiéger ces assemblées de France où l’on décide pour eux et sans eux. Sinon, ce sera la panne africaniste totale.

État civil : les enfants fantômes du Burkina Faso

Reportage 

Dans ce pays d’Afrique de l’Ouest, 23 % des enfants de moins de 5 ans ne sont pas déclarés. Sans état civil, ils restent invisibles, exclus et souvent aux portes de la violence.

  • Ludivine Laniepce, correspondante à Ouagadougou (Burkina Faso), 

Lecture en 4 min.

État civil : les enfants fantômes du Burkina Faso
 
À Ouagadougou, 10 000 enfants vivent dans la rue, sans identité pour la plupart.J. ERMINE/DALAM/HANS LUCAS

Quand il y pense, Amado a encore le cœur lourd. Dans son village de Guirgho, à 70 km au sud de Ouagadougou, il était l’an dernier le seul élève de sa classe de CM2 à ne pas pouvoir passer son certificat d’études primaires (CEP). « Il a beaucoup pleuré quand il a vu ses camarades partir en sixième sans lui », se souvient son grand-père Koudaogo Ouédraogo. Sa naissance n’a jamais été déclarée par ses parents. Or sans acte de naissance, impossible de l’inscrire à l’examen, indispensable sésame pour poursuivre ses études. Amado a donc été contraint de redoubler, faute de mieux.

Selon la Direction générale de la modernisation de l’état civil (­DGMEC), sur les 760 000 naissances en 2018, le taux d’enregistrement dans le délai légal de deux mois après la naissance s’élevait à 45,5 %. La condition sine qua non pour se voir remettre l’indispensable copie intégrale de l’acte de naissance.

« C’est un passeport pour la vie, rappelle Jean-Claude Wedraogo, spécialiste de l’état civil à Plan International. Ne pas en avoir est une forme de violence : pas d’accès aux droits fondamentaux, à l’éducation ou aux soins, pas de possibilité de voyager ou d’hériter… Ces invisibles sont condamnés à vivre brimés en marge de la société. » Sans existence légale, les adultes fantômes ne peuvent prétendre à un travail dans le secteur formel. Cette situation s’explique en partie par l’éloignement des centres d’état civil des populations et la méconnaissance des procédures et de l’importance de cet acte. « Il y a également les cas de parents en conflit ou d’enfants handicapés, issus de viol ou d’inceste, que l’on préfère cacher », souligne Jean-Claude Wedraogo.

Régularisation sur la foi de témoignages

Avec le CEP, l’école est le premier révélateur de cette inégalité. « Chaque année, les parents défilent pour me demander de l’aide pour obtenir l’acte de naissance de leur enfant », explique Denis Ouédraogo, le directeur de l’école d’Amado. Il constitue leurs dossiers et se rend plusieurs fois à la mairie et la sous-préfecture de Kombissiri, à 11 km du village. « Une partie de mon salaire passe dans la gestion des élèves. Sinon, c’est fini pour les enfants. » Personne ne sait dire combien d’enfants s’évaporent dans la nature à la fin du primaire faute d’état civil.

→ À LIRE. Au Burkina Faso, la famille élargie est une richesse

Or, si le délai légal d’enregistrement est révolu, il est toujours possible de régulariser une personne privée d’acte de naissance grâce à un jugement déclaratif ou supplétif (lorsque l’acte a été perdu). À la différence d’autres pays, le Burkina Faso n’a pas recours à des expertises médico-légales pour estimer l’âge d’un enfant dépourvu d’état civil. Seules les déclarations de témoins de l’accouchement font foi, parfois estimées au jugé à partir du souvenir de la saison, d’un événement social marquant ou de la naissance déclarée d’un enfant de la même génération.

« Seuls 25 élèves sur 275 avaient un acte de naissance »

La DGMEC favorise aussi la tenue d’audiences foraines à la demande d’associations, d’ONG ou d’organisations internationales. Lors de ces campagnes ponctuelles de régularisations, les agents de la mairie et du tribunal se déportent exceptionnellement dans les localités pour statuer dans la journée sur l’obtention des actes. En 2018, selon la DGMEC, 530 000 personnes ont bénéficié d’un jugement favorable, dont 41 % concernaient des enfants de 5 à 16 ans.

« Dans l’école du village de Biyéné, dans la région du Centre-Ouest, seuls 25 élèves sur les 275 avaient leur acte de naissance », s’étonne encore Moustapha Ouattara, chef de projet état civil à Planète Enfants & Développement. En trois mois, l’association est parvenue à tous les régulariser. « Notre état civil est désuet et embryonnaire. Ce n’est pas toujours la faute des familles. Dans les mairies, il y a des goulots d’étranglement, une charge de travail énorme, un manque de temps, de moyens et de connaissances de la loi. »

Sans la protection que leur confère une identité, ces enfants fantômes deviennent « des proies faciles, déplore Violette Zongo, spécialiste de l’état civil à l’Unicef. Ils sont exposés à la prostitution, au viol, aux trafics, au mariage ou au travail forcé, notamment dans les sites aurifères, ou encore à l’enrôlement dans des groupes armés. Et malheureusement, la situation sécuritaire rend les enregistrements plus difficiles. »

« En cas de contrôle, elles peuvent être assimilées à des terroristes »

En proie à des attaques terroristes depuis 2015, le Burkina Faso compte désormais plus de 1 million de personnes déplacées internes. « Plus de 60 % d’entre elles ont perdu leurs papiers d’identité en cours de route », s’alarme Shelubale Paul Ali-Pauni, représentant adjoint du Haut-Commissariat pour les réfugiés. « En cas de contrôle, elles peuvent être assimilées à des terroristes. Mais elles ne peuvent faire aucune démarche en dehors de leur lieu de naissance. Il y a un vide juridique et un risque d’apatridie. » Et lorsque les enfants s’égarent sans leurs papiers, la réunification familiale s’avère délicate.

À Ouagadougou, près de 10 000 enfants vivent dans la rue. « La quasi-totalité n’a pas de documents d’état civil. Ils ne savent dire ni leur âge, ni leur origine. Il y a de réels traumatismes liés à ce problème identitaire, un manque d’estime de soi et le développement de complexes de personnalité », rapporte le psychologue Patrice Palm qui tente de réhabiliter ces enfants avec l’ONG Keoogo. Jetés dans la rue à un âge où ils devraient construire leur identité, ces enfants fantômes peinent à s’adapter aux normes sociales et sont davantage concernés par la consommation de stupéfiants et la délinquance, dont ils deviennent parfois les acteurs.

À Guirgho, en ce début du mois de janvier, Amado, lui, « a eu de la chance ». Le directeur de son école est venu annoncer la bonne nouvelle à son grand-père : « Amado aura son acte de naissance pour pouvoir passer son certificat cette année. »

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166 millions d’enfants sans état civil

En 1989, la convention internationale relative aux droits de l’enfant prévoit que tout nouveau-né doit être enregistré à sa naissance. Cette inscription dans les registres d’état civil est un préalable au respect de ses droits civils, politiques, économiques, sociaux et culturels.

D’ici à 2030, tous les enfants devraient être enregistrés à la naissance selon les objectifs du développement durable de l’ONU.

27 % des enfants de moins de 5 ans dans le monde n’ont pas d’état civil. L’Afrique subsaharienne a les taux les plus bas, oscillant en moyenne entre 49 et 60 %.

166 millions d’enfants de moins de 5 ans ne sont pas enregistrés dans le monde, et 237 millions ne disposent pas d’un acte de naissance, selon les données Unicef de 2019.

Le fonds Urgence identité Afrique (UiAfrica) a été créé en septembre 2019 pour développer une culture de l’état civil, accompagner les collectivités locales et les acteurs sociaux et lever des fonds. Il prévoit de labelliser des communes « zéro enfant fantôme ». Des opérations pilotes sont menées au Sénégal et au Togo.

Les Gafam, des entreprises-États

Editorial 

Il faut limiter la puissance des géants du numérique.

  • Guillaume Goubert, 

Lecture en 1 min.

Les Gafam, des entreprises-États
 
Guillaume GoubertMAXIME MATTHY

L’histoire nous a familiarisés avec la notion de cité-État : depuis les villes italiennes de la Renaissance jusqu’à, aujourd’hui, Singapour, Monaco ou… le Vatican. L’époque actuelle fait émerger une nouvelle catégorie d’acteurs : des entreprises si puissantes que l’on peut comparer leurs capacités à celles d’un État. Cela est particulièrement vrai des géants du numérique, ceux que l’on désigne désormais par l’acronyme Gafam (GoogleAppleFacebookAmazon, Microsoft). Deux indices en témoignent. Le fait que certains pays aient nommé des diplomates pour entretenir des relations avec ces sociétés. Ou le projet de Facebook de créer une monnaie.

→ DÉBAT. Les réseaux sociaux sont-ils légitimes à censurer un élu ?

Désormais, le poids de ces entreprises fait peur. Il faut dire qu’elles ont peu fait pour démontrer leur volonté de civisme. Elles sont connues pour pratiquer à très grande échelle l’optimisation fiscale, autant dire l’évasion voire la fraude fiscale. Elles jouent sans scrupule de leur position dominante (Google et Facebook captent à eux seuls 25 % des recettes publicitaires mondiales). Elles n’ont pas pris les dispositions nécessaires pour éviter que leurs réseaux ne soient utilisés à des fins contraires aux usages de la démocratie.

Paradoxe, lorsque, finalement, elles agissent en coupant les comptes de Donald Trump, elles ne font que démontrer la réalité d’un pouvoir devenu exorbitant : celui de faire taire l’homme le plus puissant au monde, si controversé soit-il. C’est désormais une des urgences majeures de la vie publique que de fixer des règles limitant la puissance des Gafam. Cela sera très difficile car l’affaire ne peut se régler qu’à une échelle internationale. Un beau chantier à mener en commun par la nouvelle administration américaine et l’Union européenne.

[Tribune] Et si on en finissait avec l’évasion fiscale ?

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Par  Léonce Ndikumana

Léonce Ndikumana est professeur d’économie et directeur du Programme de politique de développement de l’Afrique à l’Institut de recherche économique de l’Université du Massachusetts. Il est membre de la Commission indépendante pour la réforme de l’impôt international sur les sociétés (ICRICT) et est co-auteur de La Dette Odieuse d'Afrique : Comment l'endettement et la fuite des capitaux ont saigné un continent.

Photo d’illustration

Photo d'illustration © Filip Radwanski / SOPA Images/ZUMA/REA

 

Pour financer la relance des économies africaines, les ressources existent. Le problème est qu’elles sont détournées des caisses des États pour grossir les comptes offshore des multinationales et des plus riches, soutient l’économiste Léonce Ndikumana.

En juillet dernier, 83 autoproclamés « millionnaires de l’humanité » ont publié une lettre ouverte demandant à leurs gouvernements d’augmenter les impôts des plus riches « immédiatement, substantiellement et de façon permanente », afin de financer la lutte contre l’épidémie de coronavirus.

Si l’initiative est louable, elle ne concerne qu’une poignée de personnes, comparé aux quelque 513 244 d’individus qui, dans le monde, étaient, avant la pandémie, à la tête d’une fortune supérieure à 30 millions de dollars. Depuis, comme l’a révélé la banque suisse UBS, le patrimoine des plus riches a encore augmenté : de plus d’un quart entre avril et juillet, quand la première vague de la pandémie faisait rage.

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LA JEUNESSE PAIERA LE PLUS LOURD TRIBUT : LES PREMIERS TOUCHÉS SONT LES TRAVAILLEURS ÂGÉS DE 15 À 24 ANS

Déjà scandaleuse, cette situation est devenue insupportable alors que l’économie mondiale est plongée dans la plus grave crise qu’elle ait connue depuis la Grande Dépression de 1929.

Certes, en Afrique, le virus a moins tué qu’ailleurs, mais son impact économique a des conséquences dramatiques : ralentissement de l’activité, effondrement du tourisme, baisse des envois de fonds des migrants, réduction de la demande de matières premières…

En juin 2020, le FMI annonçait une contraction de 3,2% du PIB du continent. Pour l’Afrique subsaharienne, c’est même la première récession depuis vingt-cinq ans.

La Banque mondiale estime qu’au moins cinq années de progrès seront effacées, avec le basculement de 40 millions d’Africains dans l’extrême pauvreté. La jeunesse paiera le plus lourd tribut : les premiers touchés sont les travailleurs âgés de 15 à 24 ans qui, pour 95% d’entre eux, sont dans le secteur informel. Ce qui, selon l’UA, pourrait faire disparaître 20 millions d’emplois. Et si la fermeture des écoles semble temporaire, c’est en réalité un coup d’arrêt définitif dans la scolarité de beaucoup d’enfants, en particulier des filles.

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LE MANQUE À GAGNER CORRESPOND PAR EXEMPLE À 20 % DU BUDGET DE LA SANTÉ DU MAROC

Comme partout dans le monde, remettre sur pied les économies africaines aura un coût. Cela signifie injecter plus d’argent dans les services publics, notamment dans la santé et l’éducation. Cela suppose également que les pays dépensent davantage pour stimuler l’emploi et aider les PME, tout en investissant dans la prévention de futures pandémies ainsi que dans la lutte contre le changement climatique.

Une perspective qui sème la panique dans de nombreux gouvernements, qui ont vu leurs dettes exploser, la fuite des capitaux s’accélérer, et qui sont plutôt tentés par des programmes d’austérité.

Artifices comptables

Pourtant, comme le rappellent les « millionnaires de l’humanité », ces ressources existent. Le problème est qu’elles continuent à être détournées des caisses des États pour grossir les comptes offshore des multinationales et des plus riches. Selon un rapport sur « l’état de la justice fiscale en 2020 » (publié par Tax Justice Network, l’Alliance mondiale pour la justice fiscale et l’Internationale des Services publics), les États du monde entier sont ainsi privés de plus de 360 milliards d’euros chaque année.

L’impact de ce pillage est impressionnant. Le manque à gagner correspond par exemple à 20 % du budget de la santé du Maroc. Cette proportion grimpe à 45% en Côte d’Ivoire, 70% au Sénégal et 472% au Nigeria.

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LES CHAMPIONS TOUTES CATÉGORIES DE L’OPTIMISATION FISCALE SONT LES GÉANTS DU NUMÉRIQUE

À l’origine de ces pertes, l’on trouve, certes, les milliardaires qui dissimulent leurs actifs dans des paradis fiscaux. Mais les premières responsables sont les multinationales qui multiplient les artifices comptables – le plus souvent légaux ! – afin de déclarer une grande partie de leurs bénéfices dans des pays à très faible fiscalité, même si elles n’y ont aucune activité, et de payer des montants d’impôts dérisoires.

Les champions toutes catégories de cette optimisation fiscale sont les géants du secteur numérique, du fait de leur facilité à manipuler les transactions virtuelles entre leurs filiales. Comble du cynisme, ce sont aussi ceux qui ont le plus profité de la pandémie, puisque leurs activités nécessitent moins d’échanges entre les personnes.

Les capitalisations de Facebook, Google, Apple et Amazon se sont respectivement envolées de 66 %, 41 %, 84 % et 72 % après compensation des pertes subies en mars sous le choc du Covid-19. C’est pourquoi les pays africains devraient suivre les traces de l’Inde, du Royaume-Uni, de la France, et introduire des taxes progressives sur les services numériques.

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OPTER POUR LE STATU QUO, EN AFRIQUE ENCORE PLUS QU’AILLEURS, C’EST CHOISIR L’INSTABILITÉ

C’est d’ailleurs l’une des cinq mesures que la Commission indépendante pour la réforme de la fiscalité internationale des entreprises (ICRICT), dont je suis membre, a identifiées pour que les États puissent faire face à la pandémie. Nous recommandons aussi la mise en place d’un impôt plus élevé sur les entreprises en situation de monopole ou d’oligopole, en particulier celles qui profitent de la crise, comme le secteur pharmaceutique.

C’est aussi le moment d’instaurer un impôt minimum ambitieux – à l’échelle de la planète – sur toutes les entreprises, en profitant du changement d’administration à Washington, puisque le président élu Joe Biden y est favorable.

En 2030, un tiers des jeunes travailleurs dans le monde seront Africains. L’extrême jeunesse de l’Afrique a sans doute été sa force face à l’épidémie de Covid-19. Mais elle fait aussi montre de plus d’impatience, alors que sa vitalité est déjà réprimée par le chômage, la violence, les inégalités, la corruption, et, aujourd’hui, par cette récession. Opter pour le statu quo, en Afrique encore plus qu’ailleurs, c’est choisir l’instabilité.

Fin des séjours Erasmus au Royaume-Uni : les étudiants vont-ils payer le prix du Brexit ?

L’annonce par le Royaume-Uni du retrait du programme de mobilité Erasmus+ a été accueillie avec consternation et émotion dans tous les pays de l’Union européenne.

                                             

                                  Le Royaume-Uni parie sur sa capacité à maintenir son excellence et son influence mondiale par ses propres moyens. Shutterstock

 

Alessia LefébureÉcole des hautes études en santé publique (EHESP)

Parmi les diverses conséquences du Brexit, cette décision a sans doute une portée symbolique plus forte que d’autres tant, dans l’imaginaire collectif, le Royaume-Uni est indissociable des séjours linguistiques et d’études à l’étranger.

Beaucoup de commentateurs ont exprimé de l’inquiétude quant à l’avenir de la mobilité étudiante, dont on dit qu’elle sera plus chère et plus compliquée vers les universités britanniques.

Le Premier ministre Boris Johnson justifie sa décision par le besoin de réaliser une économie budgétaire en supprimant le coût d’adhésion à un dispositif dont les étudiants britanniques bénéficient peu.

Pourtant, les représentants du monde académique anglais tirent depuis des mois la sonnette d’alarme quant à l’impact économique de la baisse anticipée du nombre d’étudiants européens inscrits, qui serait de 57 % dès la première année selon le think tank HEPI. Le manque à gagner net pour le pays s’estimerait, d’après le groupement d’intérêt University UK, à 243 millions de livres sterling par an.

Vers une destination de niche

Ces estimations se fondent sur l’hypothèse que l’arrêt des bourses Erasmus + donnera un coup d’arrêt de la mobilité vers les universités du Royaume-Uni. En effet, Erasmus – devenu Erasmus+ en 2014 – est un dispositif créé en 1987 précisément pour encourager la circulation des étudiants dans l’espace européen.

En trente-trois ans d’existence, ce programme s’est élargi géographiquement, passant des 11 pays fondateurs (dont le Royaume-Uni) à 34 membres en 2020, incluant des pays qui, comme la Turquie ou l’Islande, ne font pas partie de l’Union. https://www.youtube.com/embed/K_SwqgdS_1Q?wmode=transparent&start=0 En 2017, Erasmus fête ses 30 ans.

Erasmus a également étendu son objet au-delà des séjours d’études (d’une durée comprise entre 6 mois et un an) pour inclure les stages, les apprentissages, les échanges de personnel universitaire. Doté d’un budget annuel de 3 milliards d’euros (chiffre 2019), soit près de 1,5 % du budget de l’Union européenne, le dispositif repose sur l’attribution de bourses aux individus et aux universités, ainsi que sur un mécanisme de validation des crédits, reconnus dans le cadre du diplôme dans le pays d’origine.

Plus récemment Erasmus+ a servi à promouvoir l’enseignement et la recherche sur des sujets liés à l’UE, mais aussi à soutenir les doubles diplômes et les formations européennes intégrées dans le cadre de partenariats stratégiques, visant à faire de l’espace économique européen une zone d’attraction des talents du monde entier.

On pourrait se demander si, au lieu de s’arrêter, cette mobilité ne changera pas simplement de bénéficiaires. Aux étudiants boursiers Erasmus se substitueront autant d’étudiants autofinancés, qu’ils soient en provenance de la zone Erasmus + ou plus largement du reste du monde.

De fait, quand on regarde de près la mobilité actuelle, il est légitime de se demander si la fin de la mobilité Erasmus sera réellement la catastrophe annoncée pour l’industrie de l’enseignement supérieur britannique. En nombres absolus, selon les données de l’Unesco, les quatre premiers pays d’origine de ses étudiants internationaux sont la Chine, l’Inde, les États-Unis et Hongkong, loin devant les pays de l’Union européenne. Sa mobilité entrante dépend donc relativement peu de sa participation à Erasmus.

Quant à la mobilité sortante, les étudiants britanniques ont la particularité – commune à beaucoup de pays anglophones – d’être peu nombreux à partir à l’étranger pour leurs études. Les étudiants en mobilité représentent 0,7 % du total de la population étudiante. Le taux net de flux des étudiants en mobilité, c’est-à-dire le rapport entre le nombre des étudiants entrants et sortants, est de 16,74%, l’un des plus élevés de la zone Europe, indiquant par là le fort déséquilibre entre les deux flux (par comparaison ce taux est de 4,9 pour la France).

De plus, lorsqu’ils partent, les étudiants britanniques choisissent massivement une destination hors périmètre Erasmus, à savoir les États-Unis qui accueillent à eux seuls plus de 10.000 étudiants britanniques par an, soit un gros tiers de la mobilité sortante. En cumulé, les pays membres de l’UE en accueillent 17.000 par an.

Un « soft power » menacé ?

Alors, que change vraiment cette décision de « sortie » d’Erasmus ? Outre les aspects symboliques déjà évoqués, elle est porteuse d’un fort message politique adressé aux autres pays européens. Renoncer à Erasmus c’est renoncer au projet de ses fondateurs, à savoir la création d’une identité commune et partagée, au service de la construction européenne et de la vision de paix des origines.

Paradoxalement, le grand perdant de ce choix de retrait d’Erasmus pourrait être le Royaume-Uni lui-même, plus que les étudiants européens qui se tourneront vers d’autres destinations anglophones – notamment l’Irlande et l’Irlande du Nord – ou continueront d’aller au Royaume-Uni s’ils en ont les moyens.


Read more: Etudiants : le programme Erasmus a-t-il démocratisé les séjours à l’étranger ?


Sans bénéficier du programme Erasmus, une année d’études au Royaume-Uni coûte en moyenne entre 10 000 € et 20 000 €, pour certaines filières encore plus, auxquels s’ajoutent les frais de visa, de logement, de couverture médicale. D’autres bourses existent mais elles sont sélectives et réservées aux meilleurs candidats et qui ont déjà un excellent niveau d’anglais certifié par un test tel que l’IELTS. Le pays, qui en 2019 a accueilli près de 143 000 étudiants en provenance de l’Union européenne, pourrait vouloir devenir une destination de niche, réservée aux plus fortunés.

En se privant du flux entrant des boursiers Erasmus+, le Royaume-Uni risque à long terme de perdre l’un de moteurs les plus puissants de son soft power. Boris Johnson l’a souvent rappelé : son pays est un contributeur net d’Erasmus (tout comme l’Irlande, l’Espagne, le Portugal, les pays scandinaves, les Pays-Bas, la Belgique ou l’Autriche). A la différence de l’Italie ou de la France, il accueille donc plus d’étudiants qu’il n’en envoie, signe du succès et de la capacité d’attraction de ses universités.

Ouverte à tous les étudiants du supérieur, à partir de la 2e année jusqu’au doctorat inclus, la mobilité Erasmus intervient généralement au cours du premier cycle d’études. Constituant souvent le première étape d’un parcours international, elle influence les choix ultérieurs. Ainsi, depuis plus de trente ans, de nombreux étudiants ayant goûté au système éducatif d’outre-Manche grâce à Erasmus y reviennent ensuite à leur frais ou avec d’autres bourses pour poursuivre les études en master ou doctorat.

L’influence des établissements britanniques risque de pâtir aussi de l’arrêt de la mobilité des personnels enseignants et administratifs, et surtout de leur éloignement progressif des divers consortiums, coalitions et groupements d’universités européennes qui se constituent de plus en plus nombreux pour bénéficier des financements de recherche européens.

Le Royaume-Uni parie sur sa capacité à maintenir son excellence et son influence mondiale par ses propres moyens, suivant sans doute le modèle des États-Unis. Avec un financement public qui se réduit constamment depuis le début des années 2000 (Marginson, 2018), le pays ne dispose toutefois pas du même potentiel offert par la philanthropie privée qui permet aujourd’hui aux grandes universités américaines d’entretenir leur prééminence par des bourses, des chaires, des postdocs et des programmes de recherche.

Alessia Lefébure, Directrice des études, sociologue des organisations, École des hautes études en santé publique (EHESP)

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