Justice et Paix

" Je suis homme, l'injustice envers d'autres hommes révolte mon coeur. Je suis homme, l'oppression indigne ma nature. Je suis homme, les cruautés contre un si grand nombre de mes semblables ne m'inspirent que de l'horreur. Je suis homme et ce que je voudrais que l'on fit pour me rendre la liberté, l'honneur, les liens sacrés de la famille, je veux le faire pour rendre aux fils de ces peuples l'honneur, la liberté, la dignité. " (Cardinal Lavigerie, Conférence sur l'esclavage africain, Rome, église du Gesù)

 

NOS ENGAGEMENTS POUR LA JUSTICE T LA PAIX
S'EXPRIMENT DE DIFFÉRENTES MANIÈRES :

En vivant proches des pauvres, partageant leur vie.
Dans les lieux de fractures sociales où la dignité n'est pas respectée.
Dans les communautés de base où chaque personne est responsable et travaille pour le bien commun.
Dans les forums internationaux pour que les décisions prises ne laissent personne en marge.

Dans cette rubrique, nous aborderons différents engagements des Missionnaires d'Afrique, en particulier notre présence auprès des enfants de la rue à Ouagadougou et la défense du monde paysan.

 

Le monde se penche sur la dette africaine

                                   Billets de​ 500, 1000 et 5000 francs CFA​.
                                               
                                                               Billets de​ 500, 1000 et 5000 francs CFA​. 
RFI/Pierre René-Worms
5 mn

Ce fut l’un des sujets marquants de l’année 2020 en Afrique, la question de la dette. Dès le début de la pandémie de Covid-19 les pays riches se sont penchés sur la manière d’alléger le fardeau qui pèse sur les finances des Etats. Des pas ont été faits mais beaucoup reste à accomplir pour permettre aux pays africains de retrouver des marges de manœuvres budgétaires et financer ainsi la relance. 

Le Covid-19 a poussé le monde à la solidarité. Dès le début de la pandémie, les pays riches ont plaidé pour que les Etats africains disposent des moyens financiers pour répondre à la crise sanitaire. En avril dernier, le président français Emmanuel Macron évoquait la question de la dette africaine dans une allocution télévisée : « Nous devons aussi savoir aider nos voisins d’Afrique à lutter contre le virus, à les aider aussi sur le plan économique en annulant massivement leur dette. Oui, nous ne gagnerons jamais seuls. »

►À écouter aussi: Pourquoi le coronavirus doit conduire à l’annulation de la dette africaine

La prise de conscience n’est pas seulement française, elle est mondiale. À la mi-avril, le G20, le club regroupant les pays riches et les émergents adopte un moratoire sur la dette des pays pauvres. Il concerne d’abord l’année 2020 et sera prolongé en octobre jusqu’en avril 2021. Soixante dix, pays dont une trentaine en Afrique, bénéficient d’un gel des remboursements de leur dette. L’Ivoirien Tidjane Thiam, émissaire de l’Union africaine pour la crise Covid, saluait à l’époque cette initiative sur notre antenne. « Tout le monde voit maintenant que c’est la manière la plus rapide de mettre de l’argent immédiatement sur le terrain pour agir au profit des populations, plutôt que d’attendre des décaissements qui dans le meilleur des cas mettront des semaines à arriver dans les différents pays. »

Moratoire portant sur 5,7 milliards de dollars de créances

Le moratoire porte sur 5,7 milliards de dollars de créances. Mais au vu l’ampleur de la crise, il est loin de suffire à régler tous les problèmes notamment pour les pays africains. Ce moratoire ne porte en effet que les dettes détenues par des créanciers publics membres du club de Paris. L’immense dette détenue par la Chine, premier créancier de l’Afrique et la tout aussi immense dette aux mains des créanciers privés ne sont pas concernées. Le G20 a donc cherché des solutions. Mais si la Chine a accepté le principe d’un mécanisme commun destiné à mettre en place des rééchelonnements de dette, en revanche les créanciers privés font toujours la sourde oreille. Il est donc vite apparu qu’on ne pourrait pas élargir le moratoire, encore moins annuler toute les créances africaines. Rappelons que la dette globale du continent atteint 1800 milliards de dollars.

►À lire aussi: La dette africaine envers la Chine et sa part d'opacité

Cependant, les grandes puissances et les pays émergents sont tombés d’accord sur le principe de corriger une injustice qui frappe l’Afrique, celle des taux d’intérêts prohibitifs payés par les pays africains quand ils ont recours aux marchés financiers. Là où l’Europe emprunte à un demi, voire à zéro pour cent, l’Afrique emprunte à six ou sept pour cent.

L’idée qui circule entre les capitales de la finance mondiale, et les institutions de type FMI est de permettre aux Etats de troquer leurs dettes à taux élevés contre des dettes à bas taux, ce qui permet d’énormes économies sur les remboursements. Une proposition notamment mise sur la table par le Comité économique pour l’Afrique des Nations unies, et que salue Shegun Adjadi Bakary, conseiller économique du président togolais, Faure Gnassingbé.

 

 « Il y a une proposition qui est sur la table, qui est de dire, essayons de voir s’il est possible de construire un véhicule (financier NDLR) supranational qui soit abondé par des grandes banques et des grandes institutions multilatérales internationales, et auprès duquel chaque Etat viendra refinancer tout ou partie de sa dette à des taux et des maturités intéressantes en fait. »

Blocage des États-Unis

Le FMI réfléchit aussi à une autre hypothèse pouvant permettre aux pays africains d’accéder à d’immenses liquidités. Il s’agirait de lancer une émission extraordinaire de DTS, les fameux droits de tirage spéciaux, cet instrument financier créé par le Fonds monétaire international. Les DTS sont en fait des créances que les Etats peuvent convertir en monnaie : 500 milliards de dollars en DTS pourraient suffire à l’Afrique. 

Reste à convaincre tout le monde à commencer par les États-Unis comme l’explique Benoît Chervalier, spécialiste de la dette et enseignant à SciencePo Paris. « C’est un débat qui, jusqu’à présent, a fait l’objet d’un blocage de l’administration américaine, c’est-à-dire de l’administration Trump. Donc le point d’interrogation que l’on a sur 2021, c’est de savoir quelle va être l’attitude de l’administration démocrate, par rapport à cette augmentation des DTS. Puisque si les États-Unis levaient leur veto sur cette augmentation, elle aurait lieu, ce qui permettrait de dégager un certain nombre de ressources supplémentaires au bénéfice des économies africaines. 

Ces solutions actuellement en débat seront sur la table en mai prochain, date à laquelle se tiendra à Paris une grande conférence internationale sur la dette africaine et le financement des plans de relance pour le continent.

Pacte de l’UE sur les migrations: ne pas faire de l’homme un numéro|Vatican News

La Commission des conférences épiscopales de la Communauté européenne réagit dans un document publié ce mercredi au Pacte européen sur les migrations et le droit d’asile proposé par la Commission européenne. La Comece insiste sur trois points: la solidarité, la coopération internationale et la gestion des frontières.

La proposition de Pacte européen vise à mettre en place un cadre commun pratique en matière de migration et d’asile. Le groupe de travail de la Commission des conférences épiscopales de la Communauté européenne (Comece) dans son évaluation reconnaît les efforts de la Commission européenne pour prendre en compte les intérêts de tous les États membres de l’UE afin de sortir de l’impasse. Toutefois, les circonstances actuelles exigent une attention urgente, peut-on lire, car la pandémie a aggravé la pauvreté, l’exclusion sociale et la stigmatisation de ceux qui migrent et cherchent une protection.

Les épiscopats européens expriment leur préoccupation «quant à la véritable efficacité du Pacte à atténuer la situation difficile, aggravée par la COVID-19, dans laquelle se trouvent les migrants et les réfugiés». Ils jugent nécessaire de créer un système durable et humain de solidarité et de responsabilité partagée qui ait pour principal souci la personne humaine, la dignité et le bien commun. Le Pacte «devrait promouvoir un contexte favorable à l’accueil ainsi qu’une approche juste et équitable envers les nécessiteux». La Comece plaide ainsi pour un chemin commun vers une fraternité universelle et une amitié sociale, qui sont inséparables et vitales pour qu’une société puisse construire la paix, en renforçant la confiance et la cohésion sociale et en promouvant la rencontre.

Lire la suite: Pacte de l’UE sur les migrations: ne pas faire de l’homme un numéro, Vatican News, 16.12.20

[Tribune] Agribusiness : l’impératif du « made in Africa »

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Par  Rabah Arezki

Économiste en chef et vice-président chargé de la gouvernance économique et de la gestion des connaissances de la BAD

Unité de transformation de cacao de l’usine Choco Ivoire à San Pedro (Côte d’Ivoire) en mars 2016.

Unité de transformation de cacao de l'usine Choco Ivoire à San Pedro (Côte d'Ivoire) en mars 2016. © Jacques Torregano pour JA

 

Mettre en œuvre des politiques proactives de transformation des produits agricoles est le seul moyen de répondre au défi de la création d’emplois, souligne le chef économiste de la BAD, Rabah Arezki.

Le continent s’est engagé dans une ambitieuse zone de libre-échange (Zlecaf) pour stimuler le commerce. Cet accord devrait tirer parti de la demande croissante des consommateurs du continent pour stimuler les investissements en Afrique afin de répondre à cette demande.

Approfondir l’accord conclu en se concentrant sur la transformation des produits agricoles est la meilleure façon de commencer. L’agrobusiness est en effet crucial pour le continent – plus que pour tout autre – en ce qu’il participe à la sécurité alimentaire et à la création d’emplois.

C’est aussi un levier capital pour accélérer la transformation de l’Afrique. Par transformation, on entend ici le traitement physique des matières premières (dont le continent dispose en abondance) qui ajoute de la valeur. Et on évoque souvent la nécessité de remonter la chaîne de valeur pour atténuer les aléas provoqués par la fluctuation des prix des matières premières.

Absence de transformation généralisée

Or, qu’il s’agisse de cacao, pétrole, métaux ou bois, l’absence de transformation est aujourd’hui généralisée et elle a nui à la capacité du continent à créer de bons emplois. Dans le secteur primaire, ces derniers sont trop peu nombreux et beaucoup sont mal payés.

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LE CONTINENT CONTINUE D’IMPORTER DES MILLIARDS DE DOLLARS D’ALIMENTS TRANSFORMÉS ET DE PRODUITS RAFFINÉS

Résultat, malgré de forts taux de croissance au cours des dernières décennies, l’Afrique abrite aujourd’hui 60 % des pauvres du monde. En 1990, ce chiffre était de 15 % seulement. A titre de comparaison, cet indicateur pour l’Asie de l’Est est passé de plus de 50 % des pauvres du monde en 1990 à seulement 5 % aujourd’hui.

En outre, malgré l’abondance des ressources, le continent continue à importer chaque année des milliards de dollars d’aliments transformés et de produits raffinés. Les producteurs de produits de base ont essayé plusieurs approches pour y remédier et maximiser les recettes liées à l’exploitation de leurs ressources naturelles.

On pense en particulier au cartel, dont l’exemple le plus évident est l’Organisation des pays exportateurs de pétrole (OPEP). Certes, la constitution d’un cartel permet d’obtenir des prix plus élevés pour le produit primaire et donc d’accroître les revenus atterrissant dans les coffres des gouvernements.

Cartels vs fournisseurs alternatifs

Mais, dans la pratique, les acheteurs, c’est-à-dire les économies avancées, finissent toujours par trouver des fournisseurs alternatifs (par exemple des producteurs non-membres de l’OPEP) ou par développer des produits alternatifs (tels que le biocarburant synthétique ou l’huile de schiste).

De plus, le cartel ne résout pas le problème de l’exposition d’un producteur aux flambées des prix des matières premières ni celui de la nécessité de créer un grand nombre de bons emplois.

Après les indépendances, de nombreux pays en développement ont tenté de sortir de cette impasse en adoptant des politiques de substitution des importations. Mais ces dernières ont largement échoué, en partie à cause du manque d’avantages comparatifs et de l’inefficacité des entreprises publiques.

Depuis, le paradigme est passé de la substitution des importations à la promotion des exportations. Là encore, cette stratégie a rencontré peu de succès malgré les efforts des gouvernements, notamment via la création de zones spéciales prévoyant des avantages fiscaux, entre autres, pour les entreprises exportatrices.

Favoriser le secteur privé et la concurrence

Une politique centrée sur la transformation, en permettant qu’une plus grande part de la valeur ultime des matières premières reste sur le continent, apparaît donc comme la meilleure approche. Elle consiste à favoriser le secteur privé afin qu’il crée de bons emplois avec des salaires décents tout établissant une réglementation pour lutter contre les pratiques anticoncurrentielles.

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LE « MADE IN AFRICA » EST LA RÉPONSE À L’URGENCE DE LA CRÉATION D’EMPLOIS

Une concurrence loyale au sein du secteur privé permet de stimuler l’innovation et l’investissement d’une manière efficace, le secteur public restant à la manœuvre dans les domaines stratégiques, de monopoles naturels ou encore en présence d’externalités.

Les politiques proactives visant à favoriser le contenu local, comme celle du Gabon dans la transformation du bois, du Botswana dans la taille du diamant et du Nigéria dans l’extraction du pétrole, montrent qu’il est possible de progresser dans cette voie. Le « made in Africa » est la réponse à l’urgence de la création d’emplois.

Podcast : « Les Sauvages » ou l’impossible ascension d’un Franco-Algérien à l’Elysée |The Conversation

Dans le cadre de notre série « Les Couleurs du racisme », nous recevons aujourd’hui Julien Talpin, maître de conférences en sciences politiques à l’Université de Lille et chargé de recherche au CNRS.

Les Sauvages, roman en quatre tomes, paraît chez Flammarion entre 2011 et 2016. Au cœur d’une puissante intrigue politique, deux familles émergent : les Nerrouche et les Chaouch.


Pour l’adaptation télévisée, Roschdy Zem incarne Idder Chaouch, candidat à la Présidence de la République, peint par l’écrivain Sabri Louatah dans les Sauvages. Allociné

Julien TalpinUniversité de Lille

Ce podcast vous est proposé dans le cadre de notre série mensuelle « Les couleurs du racisme », un nouveau rendez-vous pour analyser les mécanismes de nos préjugés raciaux et leurs reproductions. S’inscrire à la newsletter.

L’écrivain Sabri Louatah, natif de Saint-Etienne a imaginé un personnage fort en la personne d’Idder Chaouch, un homme politique de convictions, plutôt issu de la gauche bourgeoise, candidat à l’élection présidentielle, capable de réconcilier la France prise dans des débats identitaires de plus en plus clivants. https://player.acast.com/5f9ace4de40fec5b6e4f0adf/episodes/les-sauvages-ou-limpossible-ascension-dun-franco-algerien-a-?theme=default&cover=1&latest=1

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Chaouch est économiste, professeur à Harvard, élu engagé à Grogny ville fictive de Seine Saint-Denis. Il incarne une image « modèle » et apaisée du Maghrébin « intégré ». Mais son accession au pouvoir, dans une France crispée par des attentats extrémistes de tous bords, ne se fait pas sans heurts. L’œuvre de Louatah a été adaptée par son auteur avec la réalisatrice Rebecca Zlotowski pour une série diffusée par Canal+ en 2019.

Le personnage et la trajectoire d’Idder Chaouch, porté à l’écran par Roschdy Zem interrogent : les élites politiques françaises sont-elles prêtes à accueillir des candidats issus des minorités ?

Extraits sonores :


Conception : Clea Chakraverty. Montage : Kina Vujanick Beck

Julien Talpin, Chargé de recherche en science politique au CNRS, Université de Lille

This article is republished from The Conversation under a Creative Commons license. Read the original article.

[Tribune] Sommes-nous devenus esclaves d’internet ?

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Par  Umar Timol

Poète et photographe mauricien

(image d’illustration)

En deux décennies, internet est devenu une nouvelle drogue, et un outil de domination exploités par des géants néo-libéraux comme Google, Facebook ou Netflix ainsi que par un nombre croissant d’États.

On ne fera pas l’éloge du monde pré-internet. Ceux qui y ont vécu savent que cet outil technologique a tout changé, et souvent pour le meilleur. On se souvient encore, parmi mille autres difficultés, des obstacles à franchir pour accéder aux informations les plus élémentaires, du plus que pénible télécopieur ou du temps fou que prenait une lettre pour parvenir à un destinataire étranger.

Non ce n’était pas mieux avant, du moins pour cet aspect de notre vie. Internet l’a radicalement altérée, il nous permet, entre autres, de travailler, de communiquer, de nous divertir d’un seul clic sur un bouton. Il réalise, par ailleurs, l’utopie du savoir accessible à tous et à tout moment. Que peut-on désirer de plus ?

Mais, aujourd’hui, après un cheminement de plus de deux décennies avec internet, nous sommes amenés à nous poser une question fondamentale : est-ce qu’il sert à nous libérer ou à nous asservir, à nous transformer en des esclaves consentants ? Cet outil de libération s’est-il mué en outil de domination ?

Drogue virtuelle

Il faut lire à ce sujet un brillant et important ouvrage, Irresistible: The Rise of Addictive Technology and the Business of Keeping Us Hooked d’Adam Alter, professeur de marketing à l’université de New York. Il nous démontre qu’internet est une nouvelle drogue, immatérielle, virtuelle mais aux conséquences tout aussi néfastes. Ainsi, plus de la moitié des habitants du monde développé sont dépendants à l’égard de leur smartphone, de leur e-mails, des jeux vidéos, de Facebook, Instagram ou Netflix…

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LES RÉSEAUX SOCIAUX SONT UNE VÉRITABLE FOIRE DU PIRE, ENTRE VOYEURISME ET EXHIBITIONNISME

Les conglomérats propriétaires de ces produits mettent sur pied des stratégies sophistiquées exploitant des failles dans le psyché humain (narcissisme, quête de validation, etc.) et les rendant, en conséquence, littéralement irrésistibles. Ils créent ce que les psychologues appellent la « dépendance comportementale », c’est-à-dire « les addictions dans lesquelles l’objet de la dépendance n’est pas un produit psychotrope, mais un comportement ». Ainsi, le « drogué » ne peut plus se passer d’internet et de ce qui y est associé, cela devient sa raison d’être, il n’arrive plus à se contrôler. Et les effets peuvent être désastreux : isolation, dépression, mal-être ou encore ruine financière pour ceux qui sont dépendants aux jeux en ligne.

Le mot « drogue » peut sembler excessif, mais il est celui qui convient. Il suffit de surfer pendant quelques heures sur les réseaux sociaux pour réaliser qu’ils sont en train de nous rendre « fous ». Il y a ceux qui changent de photo de profil tous les jours ou ceux qui éprouvent le besoin de commenter l’actualité toutes les dix minutes, ou encore ceux qui l’utilisent comme un défouloir. C’est une véritable foire du pire, entre voyeurisme et exhibitionnisme, le carnaval des ego impudiques qui se déploient dans une quête, jamais satisfaite, des vivats de pseudo-admirateurs.

Les réseaux sociaux nous font penser à ce roman de Simone de Beauvoir, Les belles images, qui explore avec finesse le paradoxe de ces vies faites d’images conçues pour les autres qui nous glorifient mais qui masquent le désespoir et la solitude. Ces images qui cherchent l’écho du désir de l’autre sont, dans un sens, des divinités contemporaines, une idolâtrie du narcissisme, la transcendance de l’instant dans le regard subjugué de l’autre.

Colonisation néolibérale

Mais il y a pire. Cette drogue ne tue certes personne, du moins directement. On peut, à la limite, la trouver anodine. Mais il faut inscrire cette manipulation des esprits dans le cadre d’une économie néolibérale fondée sur le désir.

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CETTE COLONISATION DE L’IMAGINAIRE ET DES CORPS EST INSCRITE DANS LE CŒUR MÊME DU PROJET DE L’ÉCONOMIE NÉOLIBÉRALE

Désir que des conglomérats comme Google, Facebook ou Netflix maîtrisent et utilisent. Une personne qui passe l’essentiel de son temps dans un écosystème virtuel cède son imaginaire, ce qu’il a de plus intime et de plus profond, à des machines. Il leur livre les clés de son âme. Et ces conglomérats utilisent ces informations précieuses pour se faire de l’argent.

Désir, aussi, qu’il faut libérer : il faut faire de l’individu un consommateur, un activiste zélé de la société marchande. Savoir son désir, ce qui se trame dans son cœur, c’est pouvoir l’aiguiller vers d’autres désirs. Nous pourrions nous demander si, finalement, nous sommes libres de nos choix. Qui décide de notre rapport au monde puisqu’on parvient ainsi à le dompter et à le modifier ? Il est clair que cette colonisation de l’imaginaire et des corps est inscrite dans le cœur même du projet de l’économie néolibérale.

Dystopies sécuritaires

Et il y a plus grave. Nous assistons, aujourd’hui, à la montée en puissance d’une véritable dystopie sécuritaire, dans laquelle les États élaborent des systèmes de contrôle carrément totalitaires. Il s’agit, par l’entremise de l’intelligence artificielle notamment, de ficher, de superviser les moindres mouvements, les moindres inflexions de l’individu. Il faut, comme l’a écrit Foucault, surveiller et punir. Et il ne suffit désormais plus d’espionner les corps, il faut aussi espionner les âmes, s’y insérer, pénétrer dans l’intimité de l’être, voler littéralement ses rêves.

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IRONIE TRAGIQUE, NOUS SOMMES LES VICTIMES CONSENTANTES DE CES ASSERVISSEMENTS

Et ce n’est pas de la science-fiction. Le sort des Ouïghours, dont plus d’un million sont détenus dans des camps de « rééducation » en Chine, en est l’illustration parfaite. Selon la journaliste Sylvie Lasserre, citée dans un article publié par le site d’information français Mediapart, « l’État a créé des bases de données énormes, gigantesques, où il recense les données ADN, les visages et les profils de chaque personne. » Pour le journaliste allemand Kai Strittmatter, cité dans le même article, « le Xinjiang est un laboratoire. L’un des plus puissants instruments de surveillance de masse est la Plateforme intégrée pour opérations communes (IJOP), un système bâti sur l’intelligence artificielle, qui collecte des données sur tous les citoyens et dont les algorithmes préviennent ensuite de la présence de suspects potentiels. »

Il ne faut pas croire que ces dystopies sont le fait exclusif de pays totalitaires. Elles sont à nos portes. Elles nous guettent. Le temps de l’homme-machine est arrivé. Nous sommes tous virtuellement des Joseph K., coupables d’un crime dont nous ne savons rien et pourtant condamnés à mourir. On l’a dit plus haut, internet est une évolution globalement positive et nous ne pouvons pas revenir en arrière. Mais cet outil merveilleux est désormais un moyen pour établir de nouvelles formes de domination, subtiles et moins subtiles.

De tout temps, l’homme a eu un fantasme de pouvoir absolu, qui lui permettrait de dominer et domestiquer l’autre entièrement, mais il lui restait une frontière apparemment impossible à franchir, celle de notre conscience, irréductible et résolument libre. La réalisation de ce fantasme est désormais à portée de main. Ironie tragique, nous sommes les victimes souvent consentantes de ces asservissements. Nous sommes les camés des nouveaux esclavages.