« L’hospitalité est à la portée de tous »
À l’occasion de la Journée mondiale du migrant et du réfugié, dimanche 27 septembre 2020, Antoine Paumard, jésuite,
directeur de JRS France (Jesuit Refugee Service), nous invite à pratiquer l’hospitalité avec une joyeuse créativité.
Comment pratiquer l’hospitalité envers les personnes migrantes ?
Spontanément, on associe l’hospitalité au fait d’ouvrir sa porte. Plus globalement, l’hospitalité désigne une posture bienfaisante. On parle ainsi de l’hospitalité d’un visage. Je crois qu’il peut y avoir une manière un peu culpabilisante de parler de l’hospitalité et chacun doit faire selon ses forces. Certains ne se sentent pas capables d’ouvrir leur porte à un étranger. Souvent, on peut les rassurer en leur montrant qu’il y a d’autres manières de vivre l’hospitalité évangélique qui ne demande pas forcément d’accueillir quelqu’un chez soi. Beaucoup de petits gestes peuvent précéder l’accueil chez soi. Ils créent un réseau d’hospitalité ou de fraternité.
Quels sont ces petits gestes ?
Dans son message pour la Journée mondiale du migrant et du réfugié 2020, le pape François parle de « nous rendre leurs prochains » comme le bon Samaritain dans la parabole. Cette expression est intéressante. Comment est-ce que je me fais le prochain de quelqu’un ? Par un sourire, une aumône, des maraudes, une manière de me poser et de parler à une personne dans la rue ou dans les transports en commun… Il y a toute une gamme de petits gestes qui sont fondamentaux pour changer la société.
Quels sont les freins à l’hospitalité ?
Aujourd’hui, la crise sanitaire va à l’encontre de ces gestes d’ouverture. Je pense qu’il est important de se demander comment les gestes barrières peuvent me fermer à l’hospitalité, et comment l’éviter. Au tout début, quand je portais le masque, j’avais le regard rivé au sol. Peu à peu, j’ai relevé la tête et commencé à regarder autour de moi. Nous pouvons tous faire ce choix de ne pas fuir du regard. Paradoxalement, le port du masque nous invite à regarder les gens dans les yeux. J’ai vécu ainsi de très beaux échanges de regard, intenses, qui m’ont beaucoup surpris. Quand nous nous asseyons dans une église pour la messe, nous pouvons faire un petit geste de la main ou de la tête aux personnes assises à côté pour leur signifier que nous les avons vues… Cela peut sembler naïf, mais je crois qu’il s’agit de prendre de vraies décisions intérieures pour préserver un esprit d’ouverture et d’hospitalité.
Comment les personnes de votre réseau d’accueil JRS Welcome vivent-elles la pandémie ?
En toute franchise, quand le confinement a été instauré, je me suis dit que c’était la fin de JRS Welcome, notre réseau d’accueil. Mais c’est l’inverse qui s’est produit. Nous comptons 1 700 à 2 000 familles d’accueil et nous accueillons 250 à 300 personnes en ce moment. Les accueillants ont pris conscience que leur monde pouvait se refermer. Étonnamment, cette crise sanitaire les a motivés encore plus pour accueillir chez eux un demandeur d’asile ou un réfugié. C’est une bonne nouvelle car dans la situation actuelle, cet accueil est vital pour les migrants qui sont encore plus perçus comme des personnes menaçantes par la société en général. Or, être accueillis dans une famille, une colocation, une communauté religieuse, est un levier profond pour leur intégration. Comment peut-on se sentir d’un pays si l’on n’est jamais entré chez les habitants de ce pays, si l’on n’en connaît que les centres d’hébergement d’urgence ? On ne peut pas se préparer à l’intégration dans ces conditions-là.
Quel texte de la Bible vous parle plus particulièrement d’hospitalité ?
La Visitation. Marie parcourt plusieurs kilomètres pour partager sa joie avec sa cousine Élisabeth. Ces deux femmes qui se connaissent sont transformées par leur maternité en germe. Je crois que l’accueil de l’autre permet de se découvrir soi-même. Dans ma communauté, nous avons accueilli deux personnes qui ne parlaient pas encore bien français. Nous nous étions mis d’accord pour que tous les jours l’un de nous ait une conversation avec l’un ou l’autre. Certains compagnons non francophones qui apprenaient le français se sont tout à coup retrouvés en position de professeur. Cela les a beaucoup encouragés. Je pense encore à un Iranien qui est resté avec nous pendant tout le confinement. Il avait exercé plusieurs petits boulots, dont celui de professeur de fitness. Tous les deux ou trois jours, il invitait toute la communauté à faire des exercices. Grâce à lui, nous nous sommes rendu compte que notre communauté était un corps sportif !
Jésus lui-même a compris au fur et à mesure que l’étranger faisait partie de sa mission. Est-ce une invitation pour tout chrétien à faire de même ?
Dans la lettre aux Hébreux (chapitre 13), il est écrit : « N’oubliez pas l’hospitalité : elle a permis à certains, sans le savoir, de recevoir chez eux des anges. » Cette hospitalité peut être offerte à une personne âgée, une personne de la rue ou en situation de handicap, un étranger. Parfois, il est plus difficile d’accueillir à déjeuner une cousine que l’on n’aime pas qu’un demandeur d’asile pendant six semaines. Il y aurait un risque de réserver l’hospitalité à l’accueil de l’étranger. En revanche, pourquoi est-il important d’accueillir l’étranger ? Parce que cela nous sort d’une forme de confort et vient interroger les moments où nous ouvrons notre porte sans être hospitaliers, où nous accueillons par convenance, devoir ou politesse. Les migrants nous appellent à une vigilance dans l’accueil de chacun, y compris dans notre propre famille. De la même façon que nous disons au moment du Notre Père « Pardonne-nous nos offenses comme nous pardonnons à ceux qui nous ont offensés », nous pourrions demander : « Accueille-nous comme nous accueillons celui qui nous est le plus étranger. »
Accueillir l’étranger et accueillir Dieu seraient donc liés ?
Oui, l’accueil du plus étranger, dans l’effort et le dépouillement qu’il nécessite, dit quelque chose de notre ouverture à Dieu. Au début de son message pour la Journée mondiale du migrant et du réfugié 2020, le pape François rappelle l’épisode de la fuite en Égypte quand Marie et Joseph ont fui avec Jésus les persécutions d’Hérode… Cette image est puissante. Quand nous accueillons l’étranger, nous accueillons le Christ. Il est présent en chacune des personnes, mais en particulier dans ceux qui fuient, ceux qui ont faim… Il nous est donc demandé de faire preuve d’une ouverture et d’un amour plus grands que vis-à-vis de ceux qui nous ressemblent. Quand nous acceptons de faire ce pas, nous nous conformons au Christ et nous apprenons qui il est. Nous agrandissons notre connaissance de Dieu.
Propos recueillis par Florence Chatel