Se convertir à l’écologie, ça veut dire quoi ?
À l’occasion de la saison de la Création, La Croix a recueilli le témoignage de trois chrétiens issus d’horizons divers, pour comprendre comment peut s’effectuer une conversion écologique, à la lumière de la foi.
Des aubergines, des courges, des poivrons et des tomates qui s’élèvent sur un pied d’un mètre cinquante, dans des espaces de 1,80 m sur 1,20 m… Avec une rigueur mathématique, Philippe Simon détaille les foisonnantes parcelles en permaculture qu’il a conçues dans le jardin de sa maison à Carquefou, près de Nantes. Sa première conversion spirituelle, l’ingénieur désormais retraité l’a vécue lorsqu’il a reçu le baptême des protestants évangéliques, pendant ses années étudiantes. Sa carrière au ministère de l’industrie, à Paris, à l’époque où le charbon était roi, l’a ensuite poussé à une seconde conversion, écologique cette fois, et à un déménagement dans la campagne nantaise.
Mais contrairement à son baptême protestant, la conversion écologique de Philippe n’a rien d’officiel ou d’acté. Au contraire, l’ancien ingénieur, qui a travaillé auprès d’industries souvent très polluantes, sait qu’il s’agit d’un cheminement personnel, d’une réflexion sans fin, pour tendre vers un idéal d’écologie intégrale. En cette « Saison de la création », événement œcuménique du 1er septembre au 4 octobre, les communautés chrétiennes du monde entier sont justement invitées à célébrer la beauté de la nature et à mettre cette année l’accent sur la sauvegarde de la planète, avec un « Jubilé pour la terre ». L’initiative s’inscrit dans les pas du pape François, qui invite les communautés catholiques à s’engager, à l’occasion de l’anniversaire de son encyclique Laudato si’.
Mais comment s’émerveiller de la beauté de la nature, cultiver notre rapport au monde et à Dieu, lorsque nous faisons face à des réalités parfois bien décevantes ? Chez Philippe Simon, la Bible a servi de guide : « C’est en me penchant sur l’histoire de la destruction de la Terre, dans l’Apocalypse, que j’ai mesuré qu’on ne pouvait pas transmettre à nos enfants une planète pillée de ses ressources », explique-t-il. À son échelle, Philippe a donc appris à aérer la terre de son potager, plutôt que de la retourner, puis il a installé de grandes cuves dans le jardin pour récolter l’eau de pluie et nourrir ses plantes. Désormais, le potager est une petite célébrité à Carquefou, et son église, ses voisins et ses amis profitent des distributions gratuites de légumes en tous genres.
À défaut de pouvoir cultiver des plantes sur le balcon de son appartement parisien, Isabelle Priaulet cultive, quant à elle, son jardin intérieur par la philosophie. Aujourd’hui, elle est enseignante à l’Institut catholique de Lyon et auteure d’une thèse sur la conversion écologique. Pour la chercheuse, le premier acte fort de ce cheminement vers l’écologie intégrale a été le passage d’une vie professionnelle à une autre. Sensible à la question du développement durable depuis les études, elle a occupé un poste de directrice du développement durable au sein d’une entreprise financière. « Mais j’ai compris que la part consacrée à l’écologie intégrale, dans une société conçue pour faire de l’argent, ne pouvait être que dérisoire », confie-t-elle.
Alors Isabelle a voulu « faire le grand saut » et reprendre ses études en sciences des religions, avant de se lancer dans sa thèse et d’enseigner à l’Institut catholique les interconnexions entre religion et écologie à des élèves en quête de spiritualité. « Le premier acte fort de ce processus de conversion, je l’ai vécu comme un arrachement, témoigne-t-elle. Il m’a fallu la foi pour marcher sur un fil très mince, et faire le pari d’un changement de vie. »
Pour ne pas se retrouver démunie, Isabelle s’est constitué un socle spirituel et s’est replongée dans les textes de la foi chrétienne sur la beauté de la création. Car pour la philosophe, la conversion à l’écologie intégrale passe d’abord par une conversion de l’esprit avant de mener aux actes. « Si on ne se met pas en état de recevoir quelque chose de la nature, on ne saura pas la préserver, défend-elle. C’est là que la spiritualité joue un rôle, elle nous permet de prendre conscience de l’importance de notre environnement, dans une démarche d’empathie et d’authenticité ». Dans sa thèse, l’enseignante a ainsi créé des ponts entre les traditions asiatiques ou amérindiennes, proches de leur environnement, et la philosophie chrétienne de l’incarnation, pour relier le corps à la nature.
Mais si Isabelle enseigne la conversion écologique à des élèves en quête de spiritualité, elle admet aussi que ses propres enfants la bousculent dans son rapport à la planète : « La jeunesse est pressée de faire bouger les choses, face à l’urgence climatique et mes filles m’interpellent sur mes contradictions, elles me forcent à la remise en question, observe-t-elle. En fait, elles m’obligent à agir plus vite, de même que je leur apprends à réfléchir plus profondément. »
Cette nécessité de l’action, Emma Beaudoin, militante au sein du Mouvement rural de jeunesse chrétienne (MRJC), l’a ressentie à la lecture de plusieurs passages de l’encyclique Laudato si’ de François. Selon la jeune femme, qui s’apprête à faire le grand saut à son tour dans la vie professionnelle, l’appel du pape à l’écologie intégrale « à faire bouger la paroisse près de chez nous et à prendre conscience qu’il ne s’agit pas d’un simple bâtiment appartenant au clergé, mais à tous les catholiques de bonne volonté ».
Dans les pas de son père, autrefois membre du MRJC, Emma prend part depuis l’âge de douze ans à ce mouvement de jeunes issus des milieux ruraux, plutôt classé du côté de ceux qu’elle nomme les « cathos de gauche ». Critique vis-à-vis du clergé et de son fonctionnement qu’elle estime trop rigide et traditionnel, la jeune militante voit la conversion écologique comme une manière de se réconcilier avec l’Église. « Le message Laudato si’ du pape François n’est pas culpabilisant, il n’a pas de connotation morale comme on pourrait se le représenter pour un texte théologique », relève-t-elle.
Pour Emma, cette humilité chrétienne permet justement de considérer l’écologie, non pas comme un dogme, une vérité, qui impliquerait que les uns jugent les autres et se montrent du doigt, mais avec humilité et ouverture d’esprit. « Certains peuvent tomber dans le piège d’un militantisme radical, très fermé, constate-t-elle. Pourtant, la vérité sur la question de la préservation de la nature et de l’importance des relations humaines, c’est qu’il n’y a aucune vérité. On est amenés à se remettre en question et à changer, durant toute notre vie. »
Caroline Celle, La Croix