Justice et Paix

" Je suis homme, l'injustice envers d'autres hommes révolte mon coeur. Je suis homme, l'oppression indigne ma nature. Je suis homme, les cruautés contre un si grand nombre de mes semblables ne m'inspirent que de l'horreur. Je suis homme et ce que je voudrais que l'on fit pour me rendre la liberté, l'honneur, les liens sacrés de la famille, je veux le faire pour rendre aux fils de ces peuples l'honneur, la liberté, la dignité. " (Cardinal Lavigerie, Conférence sur l'esclavage africain, Rome, église du Gesù)

 

NOS ENGAGEMENTS POUR LA JUSTICE T LA PAIX
S'EXPRIMENT DE DIFFÉRENTES MANIÈRES :

En vivant proches des pauvres, partageant leur vie.
Dans les lieux de fractures sociales où la dignité n'est pas respectée.
Dans les communautés de base où chaque personne est responsable et travaille pour le bien commun.
Dans les forums internationaux pour que les décisions prises ne laissent personne en marge.

Dans cette rubrique, nous aborderons différents engagements des Missionnaires d'Afrique, en particulier notre présence auprès des enfants de la rue à Ouagadougou et la défense du monde paysan.

 

Togo: mutinerie à la sinistre prison de Lomé

La prison de Lomé souffre d'une surpopulation carcérale
La prison de Lomé souffre d'une surpopulation carcérale Carine Frenk/ RFI

La mutinerie a éclaté ce mardi matin, mais a rapidement été maîtrisée par les gardiens de l'établissement. La situation est désormais revenue à la normale.

Avec notre correspondant à LoméPeter Dogbé

La situation est maîtrisée depuis quelques heures. C’est ce qu’a confié à RFI une source à l’administration pénitentiaire qui au préalable a confirmé aussi que les prisonniers ont eu un mouvement d’humeur ce mardi matin.

Tout a commencé lundi quand des détenus de la maison d’arrêt ont refusé d’accueillir de nouvelles personnes déférées. On a dû ramener ces personnes déférées dans les brigades. Pour cause : 19 cas positifs de la maladie au coronavirus ont été détectés dimanche sur 283 détenus testés. Pris de peur, les détenus réclament leur libération ou du moins leur délocalisation afin de se mettre à l’abri de la contamination.

Les conditions d'incarcération au sein de la prison de Lomé, la plus grande du pays, sont régulièrement dénoncées. La maison d’arrêt de Lomé est un vieux bâtiment colonial censé n’accueillir que 600 détenus. Aujourd’hui, ils sont plus de 1 500 détenus. « Plusieurs dizaines de personnes occupent une salle parfois d'à peine 20 m². Ils sont entassés, ont parfois difficilement accès aux toilettes et tout ce qui va avec l'hygiène corporelle dans les cellules de détention. C'est une situation catastrophique sur le plan sanitaire ou dans les conditions d'alimentation », décrit Aimé Adi, directeur d’Amnesty International au Togo. 

Autres problèmes pointés du doigt : l’absence de séparation entre catégories de détenus, le manque de soins pour les personnes malades et la vétusté des bâtiments...

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Cette prison a fait l’objet de plusieurs rapports des organisations des droits de l’homme. La dernière en date est celui du Comité des Nations unies contre la torture. Il estime que cette prison est inappropriée aux normes de détention, il a recommandé aux autorités, en août dernier, de la fermer la prison et ce définitivement et sans délais. Une recommandation qui n’a donc toujours pas été suivie d’effets.

C’est aussi dans cette prison que se trouve Kpatcha Gnassingbé, le demi-frère du président Faure Gnassingbé, qui y purge ses 20 ans de réclusion pour atteintes à la sureté de l’État depuis plus de 10 ans. Aux dernières nouvelles, Kpatcha Gnassingbé aurait été exfiltré ce matin pour une destination inconnue.

 
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La crise laitière européenne menace l'Afrique de l'Ouest

Audio 02:15

La région UEMOA plus la Mauritanie, le Tchad et le Nigeria, produisent plus de 6 millions de litres de lait par an. (Image d'illustration)
La région UEMOA plus la Mauritanie, le Tchad et le Nigeria, produisent plus de 6 millions de litres de lait par an. (Image d'illustration) ©care.dk

Plusieurs ONG européennes et africaines craignent une aggravation de la concurrence du lait en poudre européen à la production locale en Afrique de l’Ouest. Une menace qui plane sur la filière dans les prochains mois, à cause de la crise du secteur en ce moment en Europe. La filière laitière en Afrique de l’Ouest pourrait donc être doublement pénalisée.

La crise laitière en Europe ne date pas d’hier. Les surproductions se sont aggravées depuis 2015 avec la fin des quotas qui limitait la production. La pandémie du nouveau coronavirus a amplifié une crise structurelle. Pascal Erard, responsable du plaidoyer du Comité français pour la solidarité internationale.

« Cette nouvelle crise vient prolonger celle du passé. Elle est liée au fait que la fermeture d’un certain nombre de marchés, comme la restauration collective, a limité l’utilisation de produits laitiers et qu'il faut trouver une solution pour les éleveurs laitiers européens et français. Il y a différentes propositions qui sont faites, comme par exemple limiter la production ; mais il y a aussi une proposition qui a été adoptée finalement par la Commission européenne, qui est de stocker le lait, le beurre et le fromage. »

Cette solution du stockage inquiète particulièrement les organisations européennes et africaines signataires du plaidoyer. Hindatou Amadou, coordinatrice de la campagne, « Mon lait est local » en Afrique de l’Ouest, une région qui absorbe aujourd’hui 20% des exportations européennes de lait en poudre.

« Cette situation va influencer la production laitière en Afrique de l’Ouest, en ce sens que, qui parle de stockage parlera de déstockage de ces quantités-là, pour lesquelles il faut chercher des débouchés et (la destination convoitée) c’est vers l’Afrique de l’Ouest. Donc, nous voyons se pointer à l’horizon des problèmes pour la filière lait local, qui peine déjà à survivre. »

Le lait en poudre exporté d’Europe arrive en Afrique de l’Ouest à des prix très bas pour diverses raisons, notamment parce qu’il est vendu en dessous de ses coûts de production grâce aux subventions de la politique agricole commune. La crainte donc d’une exacerbation de la concurrence, qui est déjà très forte contre la production laitière locale en Afrique de l’Ouest. Comme ailleurs, la filière laitière subit les conséquences de la crise sanitaire actuelle, témoigne Sidibé Moumouni, propriétaire de la laiterie Kossam de l’Ouest près de Bobo Dioulasso au Burkina Faso

« Le couvre-feu déjà a beaucoup joué sur nous, parce qu’il se trouve que nos clients sont des boutiquiers ouverts jusqu’à minuit et une heure, qui n’arrivent plus à atteindre ces heures parce qu’il y avait le couvre-feu à partir de 19 heures, alors que c’est le moment où les fonctionnaires qui rentrent de leur travail font les achats. Il y a eu encore la mise en quarantaine de certaines villes du Burkina Faso. Bobo Dioulasso était concernée et nous on est dans cette région. Donc, ça nous a causé énormément de difficultés ; on est toujours dedans mais ça commence à aller. »

Sur treize commerciaux qui déposent habituellement les produits de la laiterie Kossam de l’Ouest dans les boutiques clientes, seuls les trois qui fournissent la région de Bobo Dioulasso ont continué leurs tournées au mois de mars et une partie du mois d’avril. Pour le mois de mars, la laiterie Kossam de l’Ouest a enregistré une perte de six millions de francs CFA, soit plus de 9 000 euros.

 
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Jacob Zenn : « Ben Laden a inspiré et financé Boko Haram »

| Par
Le chef de Boko Haram, Abubakar Shekau, dans une vidéo diffusée sur YouTube le 12 avril 2012.

Guerre civile algérienne, camps sahéliens, réseaux saoudiens… L’universitaire américain décrit un jihad nigérian à vocation régionale, bien avant l’émergence de l’État islamique en Afrique de l’Ouest.

Boko Haram a-t-il été un mouvement jihadiste local et nigérian ? Ou est-il, depuis son origine, tourné vers l’étranger, et notamment vers l’Afrique de l’Ouest ? L’universitaire américain Jacob Zenn, spécialiste du jihad ouest-africain à l’université de Georgetown, est remonté aux origines de la « secte », aujourd’hui affiliée à l’État islamique.

Dans un ouvrage paru le 30 avril (Unmasking Boko Haram: Exploring Global Jihad in Nigeria, Lynne Rienner Publishers Inc), le chercheur dévoile l’influence étrangère ayant contribué à forger Boko Haram, du Soudan au GIA algérien, en passant par l’Al-Qaïda d’Oussama Ben Laden. Il répond à nos questions.

Jeune Afrique : On présente souvent Boko Haram comme une création purement nigériane. Pourquoi soutenez-vous que ses racines sont également sahéliennes ?

Jacob Zenn : Les fondateurs du mouvement jihadiste nigérian ont développé leur mouvement grâce à des interactions avec les jihadistes algériens et les premiers représentants d’Al-Qaïda au Soudan, dans les années 1990. Ce sont ces influences extérieures et ces combattants qu’ils ont ensuite rapportés au Nigeria. De plus, il ne faut pas oublier que l’idéologie jihadiste est intrinsèquement transnationale. Elle cherche à éliminer les frontières dites « westphaliennes » au profit d’États islamiques en expansion et sans frontières.

Deux pays semblent avoir fortement influencé le destin de Boko Haram dans les premières années : l’Algérie et le Soudan. Comment ?

Les jihadistes algériens sont arrivés au Nigeria à partir de 1994 pour y acheter des armes. Ils ont été accueillis par des salafistes locaux et ont recruté des étudiants, qui sont devenus leurs militants. De la même façon, on sait aujourd’hui que l’un des fondateurs du groupe qui est plus tard devenu Boko Haram a rencontré des lieutenants d’Oussama Ben Laden au Soudan. Ses combattants nigérians ont ensuite reçu de l’argent des réseaux religieux et financiers saoudiens d’Al-Qaïda pour établir le mouvement jihadiste au Nigeria.

Mohamed Yusuf, qui a officiellement créé en 2002 le groupe qu’on appellera par la suite Boko Haram, était donc sous influence étrangère ?

Il a en effet été influencé par deux prédicateurs nigérians très tournés vers le Moyen-Orient : Ibrahim al-Zakzaky, un prédicateur chiite pro-iranien, et Jaafar Mahmud Adam, un partisan du salafisme saoudien. Yusuf a pioché des éléments dans ces deux visions, bien qu’il ait toujours cherché à adapter son idéologie au contexte local nigérian.

Aux côtés de Yusuf, on retrouve deux autres personnages centraux : « Oncle Hassan » et « Muhammad Ali ». Quel rôle ont-ils joué ?

Le vrai nom d’« Oncle Hassan » était Hassan Allane. Il était membre du GIA algérien et aurait combattu en Afghanistan dans les années 1980. Il s’est retiré au Niger en 1994 pour fournir le GIA en armes et a travaillé avec une organisation caritative islamique sur ordre de Ben Laden. Mais il a dû quitter le Niger pour ne pas être arrêté, et il a finalement trouvé refuge auprès des salafistes nigérians. C’est comme ça qu’il a commencé à y recruter des combattants, tout comme Muhammad Ali, lui aussi proche d’Al-Qaïda. Ce sont eux qui ont opéré le recrutement et « peuplé » le mouvement que Mohamed Yusuf dirigera et qui sera appelé plus tard Boko Haram.

Oussama Ben Laden peut-il être considéré comme le parrain de cette première génération de combattants nigérians ?

Il a en tout cas contribué à les inspirer et à les financer, au point qu’il arrive qu’on les surnomme les « talibans nigérians ». Surtout, il a conseillé leurs premiers dirigeants, comme Muhammad Ali. Mais cela ne veut pas dire que les « fantassins » avaient connaissance de l’étendue des liens d’Ali ou d’Oncle Hassan avec Ben Laden et les Saoudiens.

Le Nigeria et le Sahel ont longtemps été considérés comme des bases arrière du jihad en Algérie

Vous expliquez que beaucoup de combattants nigérians ont reçu une formation dans des camps au Sahel et au Soudan. Avons-nous des détails ?

Nous savons par exemple, en ce qui concerne les formations dispensées par Aqmi en 2009, qu’elles étaient supervisées par Yahya Djouadi et que l’entraînement quotidien était sans doute assuré par Abou Zeïd. Nous savons également que Khalid al-Barnawi, le futur commandant d’Ansaru, a participé à la formation des Nigérians dans des bases au Sahel au milieu des années 2000. Dix ans plus tôt, Barnawi était passé lui-même par le Soudan, où plusieurs camps paramilitaires contribuaient notamment à la formation des combattants nigérians.

Le Nigeria et le Sahel ont longtemps été considérés comme des bases arrière du jihad en Algérie. Ce n’est qu’après le 11 septembre 2001 que les jihadistes nigérians ont eu pour but de faire de leur pays un champ de bataille à part entière, et ils n’y parviendront en réalité qu’après 2010.

À la mort de Yusuf, en 2009, les dirigeants d’Al-Qaïda ont notamment permis à nombre de ses partisans de fuir le Nigeria et de se réfugier au Sahel. 

Oui. Abubakar Shekau, le successeur de Yusuf, a d’ailleurs envoyé des « vagues » de jihadistes nigérians au Sahel pour qu’ils puissent s’entraîner avec Aqmi en 2009 et se réfugier quelques temps hors du Nigeria. Ce sont en partie ces combattants qui sont revenus et ont contribué au lancement du jihad, qui se poursuit jusqu’à présent.

Yusuf

Arrestation de Mohamed Yusuf par les troupes nigérianes, le 30 juillet 2009. © HO / AFP

Shekau a pourtant fini par « quitter » les réseaux d’Al-Qaïda pour rejoindre ceux de l’État islamique…

La relation entre Shekau et Aqmi s’est effectivement compliquée. Le Nigérian a progressivement adopté certaines doctrines de l’État islamique. Il a été séduit par la notion de conquête d’un califat que véhiculait l’EI, et il a fini par prêter allégeance à l’ISWAP, l’État islamique en Afrique de l’Ouest, en 2015.

Bien sûr, aujourd’hui, des divergences subsistent. Shekau, même affilié à l’État islamique, a tendance à opérer un recrutement plus local, chez les Kanuris et les chez Bornoans, tandis que l’ISWAP met en avant une portée plus large, plus panafricaine, avec des combattants venant des États de Sokoto, de Kogi ou de Lagos, mais aussi des pays voisins du Tchad et du Niger. Mais les idéologies ouest-africaines des deux groupes sont en réalité très similaires.

Peut-on dire que l’ISWAP a hérité ses ambitions ouest-africaines des précurseurs de Boko Haram, eux-mêmes très influencés par Al-Qaïda dans les années 1990 ?

Oui, même si les fondateurs de Boko Haram n’imaginaient sans doute pas que, deux décennies plus tard, un groupe comme l’ISWAP aurait pu unir des combattants du Nigeria, du Mali et du Burkina Faso et causer autant de problèmes aux gouvernements de la région. Oussama Ben Laden lui-même ne voyait en l’Afrique de l’Ouest qu’une base arrière pour le grand théâtre du jihad en Afrique : l’Algérie.

Mais, depuis, on voit bien que les ambitions des anciens de Boko Haram et d’Al-Qaïda rejoignent celles de l’État islamique, à qui beaucoup ont prêté allégeance. Si Ben Laden était encore en vie et observait l’ISWAP, il serait sans doute satisfait de voir que l’Afrique de l’Ouest est devenu un champ de bataille jihadiste majeur.

 
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Justice : quand les États tournent le dos à la Cour africaine des droits de l’homme

| Par et
Sylvain Oré, président de la Cour africaine des droits de l'homme et des peuples

La Cour africaine des droits de l’homme et des peuples, bras judiciaire de l’Union Africaine, a rendu coup sur coup deux ordonnances aux implications très politiques pour le Bénin et la Côte d’Ivoire, qui ont réagi par un retrait. Un nouveau désaveu pour une juridiction qui peine à faire respecter ses prérogatives.

La Cour africaine des droits de l’homme et des peuples (CADHP) pourra-t-elle surmonter ces coups d’éclat successifs ? En l’espace de quelques jours, deux des derniers États qui en étaient encore membres ont annoncé avec fracas leur décision de retirer leur signature au bas de la déclaration au protocole de la Cour : le Bénin, le 23 avril, et la Côte d’Ivoire, le 29 avril.

À l’origine de ces retraits, les ordonnances prises par la CADHP en avril, relatives à deux affaires concernant les opposants Sébastien Ajavon au Bénin et Guillaume Soro en Côte d’Ivoire. Les autorités des deux pays ont dénoncé une « immixtion » de la Cour dans des affaires intérieures et une « atteinte à la souveraineté nationale ».

En attaquant le fond des décisions rendues, ils remettent en cause la légitimité des ordonnances de cette Cour, chargée de veiller au respect des droits de l’homme sur le continent. Certes, Abidjan et Cotonou continuent de reconnaître la compétence de la juridiction africaine, mais il n’est désormais plus possible pour leurs citoyens et ONG de saisir directement la Cour d’Arusha.

Atteinte à la souveraineté

Alors que les critiques envers la Cour pénale internationale (CPI) sont récurrentes sur le continent, où les appels à ce que « les Africains soient jugés par des Africains » se multiplient, la CADHP, qui aurait pu faire figure d’alternative, est aujourd’hui plus fragile que jamais. Le Rwanda et la Tanzanie ayant déjà jeté l’éponge, respectivement en 2016 et 2019, la courte liste des pays africains ayant accepté d’adhérer au protocole de la CADHP se réduit comme une peau de chagrin.

Au Bénin, la Cour a ordonné, le 17 avril, la suspension des élections communales et municipales prévues le 17 mai, au motif que Sébastien Ajavon, condamné en octobre 2018 à vingt ans de prison pour trafic de drogue, dit avoir été privé de son droit à y participer. La Cour n’a pas encore tranché sur le fond, mais en attendant qu’elle rende son jugement, elle estime indispensable de suspendre le processus électoral.

Cinq jours plus tard, la CADHP ordonnait à la Côte d’Ivoire de « surseoir à l’exécution du mandat d’arrêt » émis contre Guillaume Soro. Malgré cela, le candidat à l’élection présidentielle d’octobre 2020 a été condamné, mardi 28 avril, à vingt ans d’emprisonnement pour corruption par le tribunal correctionnel d’Abidjan.

« Sous prétexte de sauvegarder les intérêts formulés par un requérant, [la CADHP] pourrait mettre en péril les intérêts de toute une nation et les devoirs d’un gouvernement qui a la responsabilité d’organiser ses élections à bonne date », a déclaré Alain Orounla, ministre de la Communication et porte-parole du gouvernement béninois.

Ces critiques ont trouvé un écho à Abidjan, où le gouvernement ivoirien a estimé que les « agissements » de la Cour étaient « de nature à entraîner une grave perturbation de [son] ordre juridique interne », selon le porte-parole du gouvernement Sidi Tiémoko Touré.

Des décisions non exécutées

Cette « immixtion » de la Cour des droits de l’homme sur le terrain politique pourrait-elle porter le coup de grâce à cette institution qui se bat pour exister ? Si les États africains lui tournent aujourd’hui le dos, ce sont pourtant eux qui ont acté le principe de sa création, dès 1998.

Chargée de veiller au respect de la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples, la Cour a pour mission de renforcer la défense des droits humains sur le continent. Dotée d’un budget de près de 12 millions de dollars, elle est composée de onze juges, dont le président (au salaire payé par l’UA), qui exerce ses fonctions à titre permanent et qui est tenu de résider à Arusha.

Depuis son entrée en vigueur, seuls 30 pays sur les 55 que compte l’UA ont ratifié le protocole portant sa création. Surtout, elle peine à faire exécuter ses décisions, qui ont pourtant un caractère contraignant, reconnu par les États parties.

La création d’une Cour pénale africaine est au point mort.

Là réside le paradoxe de cette Cour : créée pour l’Afrique par les États africains, ses injonctions restent bien souvent lettre morte. « La CADHP n’a malheureusement pas le pouvoir de faire exécuter ses décisions », explique Fatsah Ouguergouz. Juge à la CADHP de 2006 à 2016, cet Algérien y a exercé les fonctions de vice-président de 2012 à 2013.

« Sur le papier, les États africains adoptent un langage pro-droits de l’homme. Mais il existe un hiatus entre le discours et la pratique, que l’on retrouve au niveau de l’exécution des décisions de la Cour, affirme Fatsah Ouguergouz. Comme tous les États du monde, les pays africains n’aiment pas être stigmatisés par un organe de protection des droits de l’homme. Ils restent relativement solidaires car ils sont tous dans la hantise de voir ce qui est arrivé à leur voisin leur arriver. C’est valable pour la dimension pénale et c’est aussi valable pour les droits de l’homme. »

Il semble alors peu étonnant que la mise en place d’une Cour pénale africaine soit au point mort. Depuis 2014 et l’adoption du protocole de Malabo, l’Union africaine a pourtant ouvert la voie à la création d’une nouvelle Cour africaine de justice et des droits de l’homme (CAJDH), conçue pour juger au moins 14 crimes distincts. Soit bien plus que la tant décriée Cour pénale internationale (CPI), à laquelle elle est censée constituer une alternative « 100% africaine ». Comme cela avait été le cas pour la CADHP, 15 pays membres doivent ratifier le protocole pour qu’il entre en vigueur. Aucun ne l’a encore fait.

Le Bénin « plaide toujours pour l’instauration ďune vraie Cour africaine de Justice », affirme pourtant à JA Aurélien Agbenonci, le ministre béninois des Affaires étrangères. Selon lui, son pays ne ferait que « revenir sur une déclaration de compétence accordée en 2016, qui permet aux individus et ONG de poursuivre le Bénin. Ce n’est donc pas une remise en cause du principe de préservation du multilatéralisme, que nous défendons toujours ».

Bras de fer

En retirant leur déclaration au protocole, le Bénin et la Côte d’Ivoire privent pourtant leurs citoyens d’un outil de dernier recours en cas de violation de leurs droits. Une décision qui n’a rien d’anecdotique : depuis son entrée en vigueur en 2004, la Cour a majoritairement eu à se pencher sur des requêtes adressées par des individus (256 requêtes sur 272). Douze seulement ont émané d’ONG et trois de la Commission africaine des droits de l’homme et des peuples, moyen de saisine indirecte pour les citoyens.

Sur les trente États qui reconnaissent la compétence de la Cour, ils ne sont donc plus que six aujourd’hui à donner à leurs citoyens cette possibilité : le Burkina Faso, le Mali, le Malawi, le Ghana, la Gambie et la Tunisie.

Contacté par Jeune Afrique, le président de la CADHP, Sylvain Oré, livre cet aveu d’impuissance : « C’est une décision souveraine des États. Vous pouvez entreprendre toutes les démarches, mais s’ils ont pris leur décision, ils iront jusqu’au bout de leur logique. » Le juge ivoirien, réélu en 2018 à la tête de la juridiction pour un mandat de deux ans, évoque des retraits « regrettables ».

Peu disposé à « engager un bras de fer » avec les membres de l’UA, il craint de voir d’autres pays s’engouffrer dans la brèche ouverte par le Bénin et la Côte d’Ivoire. « C’est un mauvais exemple, qui peut freiner l’engouement des États qui sont sur le point de nous rejoindre », déplore Sylvain Oré, citant les Comores et le Nigeria, et l’éventuelle adhésion du Zimbabwe au protocole de la Cour.

Le président se retrouve dans une position délicate : une partie importante du travail de son équipe consiste en effet à faire du lobbying auprès des pays africains pour leur faire reconnaître la compétence de la Cour. Un difficile plaidoyer, sérieusement mis à mal par les critiques qui pleuvent sur celle-ci, et pas uniquement dans des dossiers politiques.

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Séverin Quenum, le ministre béninois de la Justice, lors d'un entretien avec Jeune Afrique,
à Cotonou le 23 janvier 2020. © César Gaba pour JA

Ainsi, dans le cas béninois, la décision de se retirer de la déclaration du protocole est en réalité antérieure à l’arrêt du 17 avril relatif à l’affaire Ajavon, selon le ministre de la Justice Séverin Quenum. « La décision qui a motivé ce retrait est celle que la CADHP a rendue dans le cas d’un litige opposant un opérateur économique béninois à la Société générale, en juillet [2019]. Sa décision portait atteinte aux intérêts du pays, à un moment où nous essayons de rendre le Bénin plus attractif », explique-t-il.

Le Bénin a en effet fait part de son intention de se retirer du protocole de la CADHP dès le 24 mars, soit avant que celle-ci ne se prononce dans l’affaire Ajavon. Selon le ministre béninois de la Justice, c’est ce dernier dossier qui aurait été la goutte d’eau faisant déborder le vase. « Dans cette affaire, la Cour a outrepassé ses prérogatives. Compte tenu de la manière dont elle intervient sur des domaines qui ne sont pas les siens, on peut s’interroger sur la compétence, voire sur l’intégrité de ses membres, ajoute-il. Voyez l’affaire Ocampo [ex-procureur de la CPI, accusé de malversations]. Qui pouvait s’imaginer cela ? »

Vers un mécanisme de sanctions ?

Le discours offensif en public vis-à-vis de la Cour d’Arusha se fait encore plus véhément en coulisses. Un autre membre du gouvernement béninois n’hésite pas à viser directement Sylvain Oré, qui n’a pas siégé dans le cadre de l’affaire Soro en vertu du règlement de la Cour : « Nous savons que le juge ivoirien a été fait président à une époque où il fallait chercher à caser les pro-Gbagbo. C’est son incompétence qui a affaibli la Cour. Le non-dit derrière cette affaire, c’est qu’au-delà de la question de la compétence juridique de la Cour se pose la question de l’intégrité des juges. »

La Cour n’a jamais pris de décision allant à l’encontre des affaires intérieures des États

« Quand on veut tuer son chien, on dit qu’il a la rage », réagit Sylvain Oré, qui qualifie ces accusations d’«inacceptables» : « La Cour n’a jamais pris de décision allant à l’encontre des affaires intérieures des États. Lorsque vous examinez le fond de la question et les décisions qui sont prises, celle-ci n’a fait qu’assurer son mandat, qui est celui de la protection des droits de l’homme. »

Sous le feu des critiques, la CADHP, en lien avec la Commission de l’UA, est en train de réfléchir à un moyen de mieux faire respecter ses ordonnances et ses arrêts. « Nous avons fait le constat que la plupart des décisions n’étaient pas appliquées, reconnaît Sylvain Oré. Il faut mettre en place un mécanisme de sanctions plus efficace, pour que les décisions de la Cour soient considérées comme des décisions de l’UA. »

Ce mécanisme peut-il voir le jour ? Fatsah Ouguergouz évoque des « rapports devenus difficiles » entre la Cour et les organes politiques de l’Union africaine, qui se sont dégradés avec le temps. Évoquant une « absence de culture démocratique » sur le continent, il décrit une « marginalisation de la Cour » par la branche politique de l’UA.

De fait, si le conseil exécutif de l’organisation continentale a le pouvoir d’ordonner des sanctions contre les pays récalcitrants, il n’a jusqu’à présent jamais réagi lorsqu’une décision n’était pas appliquée.

 
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Les évêques appellent l’Europe à ne pas négliger le sort des migrants durant la pandémie|La Croix Africa

La Commission des épiscopats de la commission européenne (Comece) demande instamment aux États de l’Union de prendre des mesures concertées pour éviter la mort de nombreux migrants en Méditerranée |La Croix Africa

La formule entend marquer les esprits et elle y parvient. « La pandémie ne doit pas être une excuse pour laisser des êtres humains mourir en Méditerranée », écrit le père Barrios Prieto, secrétaire général de la Commission des épiscopats de la commission européenne (Comece), dans un communiqué publié vendredi 24 avril. Mesurant que la crise mondiale liée au Covid-19 occupe les esprits autant que les efforts des États européens pour coordonner leur action, les évêques européens ont décidé de hausser le ton pour accélérer la mise en œuvre d’une solution commune pour la prise en charge de ce qu’ils appellent les « migrations forcées ».

Dans son communiqué, la Comece affirme partager les préoccupations de la Conférence des évêques de Malte concernant le sort des 47 migrants bloqués pendant plusieurs jours sur un navire de sauvetage d’une ONG dans une situation extrêmement précaire et finalement ramenés en Libye…. Lire la suite: Les évêques appellent l’Europe à ne pas négliger le sort des migrants durant la pandémie|La Croix Africa , La Croix Africa (avec Vatican News), Bruno Bouvet, 24.04.20.

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Les évêques appellent l’Europe à ne pas négliger le sort des migrants durant la pandémie|La Croix Africa

La Commission des épiscopats de la commission européenne (Comece) demande instamment aux États de l’Union de prendre des mesures concertées pour éviter la mort de nombreux migrants en Méditerranée |La Croix Africa

La formule entend marquer les esprits et elle y parvient. « La pandémie ne doit pas être une excuse pour laisser des êtres humains mourir en Méditerranée », écrit le père Barrios Prieto, secrétaire général de la Commission des épiscopats de la commission européenne (Comece), dans un communiqué publié vendredi 24 avril. Mesurant que la crise mondiale liée au Covid-19 occupe les esprits autant que les efforts des États européens pour coordonner leur action, les évêques européens ont décidé de hausser le ton pour accélérer la mise en œuvre d’une solution commune pour la prise en charge de ce qu’ils appellent les « migrations forcées ».

Dans son communiqué, la Comece affirme partager les préoccupations de la Conférence des évêques de Malte concernant le sort des 47 migrants bloqués pendant plusieurs jours sur un navire de sauvetage d’une ONG dans une situation extrêmement précaire et finalement ramenés en Libye…. Lire la suite: Les évêques appellent l’Europe à ne pas négliger le sort des migrants durant la pandémie|La Croix Africa , La Croix Africa (avec Vatican News), Bruno Bouvet, 24.04.20.