" Je suis homme, l'injustice envers d'autres hommes révolte mon coeur. Je suis homme, l'oppression indigne ma nature. Je suis homme, les cruautés contre un si grand nombre de mes semblables ne m'inspirent que de l'horreur. Je suis homme et ce que je voudrais que l'on fit pour me rendre la liberté, l'honneur, les liens sacrés de la famille, je veux le faire pour rendre aux fils de ces peuples l'honneur, la liberté, la dignité. "(Cardinal Lavigerie, Conférence sur l'esclavage africain, Rome, église du Gesù)
NOS ENGAGEMENTS POUR LA JUSTICE T LA PAIX S'EXPRIMENT DE DIFFÉRENTES MANIÈRES :
En vivant proches des pauvres, partageant leur vie. Dans les lieux de fractures sociales où la dignité n'est pas respectée. Dans les communautés de base où chaque personne est responsable et travaille pour le bien commun. Dans les forums internationaux pour que les décisions prises ne laissent personne en marge.
Dans cette rubrique, nous aborderons différents engagements des Missionnaires d'Afrique, en particulier notre présence auprès des enfants de la rue à Ouagadougou et la défense du monde paysan.
Le Tchad toujours là
Tchad: Ndjamena ne se désengagera pas des instances militaires régionales
Selon le ministère des Affaires étrangères, le pays est toujours membre à part entière de la force multinationale mixte pour lutter contre Boko Haram, du G5 Sahel et de la Minusma au Mali. Cette mise au point diplomatique intervient alors que le président Déby avait annoncé jeudi à la télévision nationale le retrait de ses hommes des opérations anti-jihadistes.
Le retrait des soldats concernera seulement l’engagement militaire individuel des Tchadiens et uniquement la zone du bassin du lac Tchad. Pas de retrait donc, ni de la force multinationale mixte, ni du G5 Sahel, ni de la Minusma, indique un communiqué du ministère des Affaires étrangères tchadien. Une mise au point diplomatique qui intervient dimanche, quatre jours après la déclaration télévisée d’Idriss Déby, où le président assurait qu’aucun soldat ne participerait plus à une opération militaire en dehors du Tchad.
Ces quatre jours ont-ils été nécessaire pour s’accorder ou négocier en coulisse avec les partenaires internationaux ? Avec la France et/ou les pays voisins ? « Le Tchad ne peut pas être le seul gendarme de la région », assure Jean-Bernard Padaré, porte-parole du parti présidentiel, le MPS.
Mais à Niamey, on assure que le Tchad n’a jamais été seul. L’opération tchadienne lancé le 31 mars dans les îles du lac Tchad à la frontière avec le Nigeria et le Niger, « s’est déroulée en collaboration avec l’armée nigérienne qui a fourni, côté Niger, la logistique, le carburant, l’alimentation », assure une source sécuritaire nigérienne.
L’économiste en chef de la Banque mondiale pour l’Afrique estime que la récession qui va frapper l’Afrique cette année pourrait avoir des conséquences désastreuses, si la communauté internationale n’agit pas. Un moratoire sur le remboursement des intérêts de la dette est essentiel, selon lui.
RFI : Pourra-t-on éviter une récession en Afrique en 2020 ?
Non, nous vivons un moment d’une extrême gravité pour l’Afrique. La croissance risque de passer de + 2,4% en 2019 à - 2%, voire - 5% en 2020, ce qui sera la première récession depuis vingt-cinq ans. L’impact se fera sentir sur le bien-être social, c’est-à-dire sur les revenus et la consommation des populations en Afrique.
Comment expliquer une telle ampleur ?
Il y a quatre canaux de transmission de cette crise mondiale à l’Afrique. Le premier, c’est la baisse du commerce international et la chute des cours des matières premières qui s’ensuivit. Le pétrole a perdu 50% de son prix et les pays dépendant des recettes pétrolières sont plongés en pleine crise budgétaire.
Le deuxième canal de transmission, ce sont les flux financiers des pays avancés vers l’Afrique subsaharienne. Cela va des investissements directs étrangers, l’aide, le tourisme – qui s’est effondré – et les transferts d’argent de la diaspora vers les familles. Le troisième canal de transmission, c’est le choc sur le secteur de la santé. Beaucoup de gens vont être malades et il faudra les prendre en charge. Le dernier canal, c’est la perturbation des activités économiques induite par les politiques de confinement que sont en train d’adopter les pays.
Faut-il redouter une crise alimentaire ?
Notre rapport établit qu’il faut s’attendre à une baisse de la production agricole de 2,6% en 2020. Il faut savoir que cette crise frappe au moment où approchent les récoltes en Afrique de l’Est, et à un moment où l’on commence à planter dans les régions proches de l’équateur, donc il y aura un impact sur les productions agricoles.
À cela s’ajoute une baisse de l’importation des produits alimentaires. Or, l’Afrique importe pour 35 milliards de dollars de denrées chaque année. Avec les entraves au commerce provoquées par le Covid-19, nous observons que plusieurs pays ont déjà des difficultés à s’approvisionner en denrées de base. Donc, oui, une possible crise alimentaire pourrait s’ajouter à cette crise économique.
Qu’est-ce que la Banque mondiale va faire pour atténuer cette crise en Afrique ?
La Banque mondiale travaille avec les pays africains pour mettre en place une réaction basée sur deux piliers. Le premier pilier consiste à sauver des vies… Mettre en place des programmes d’urgence sanitaire et de renforcement des systèmes de santé. Le deuxième pilier, c’est celui qui consiste à protéger le bien-être social, les activités des hommes et des entreprises, pour qu’il n’y ait pas une explosion du chômage et un arrêt brutal des activités. Il est important de ne pas opposer la santé à l’économie, mais de travailler sur les deux fronts.
Par ailleurs, il est nécessaire pour les gouvernements africains de ne pas se contenter de recopier ce qui se fait ailleurs, mais de s’adapter à la structure des économies et aux ressources à notre disposition. Comme vous le savez, les économies africaines sont caractérisées par un grand secteur informel qui regroupe parfois 90% de la force de travail. Donc les politiques de confinement doivent s’accompagner de politiques d’assistance sociale directe aux populations, y compris au niveau des denrées de base.
Il y a déjà de nombreux pays qui ont pris le taureau par les cornes. L’Afrique du Sud, le Sénégal, la Côte d’ivoire, le Rwanda, l’Éthiopie, le Burkina Faso… Les gouvernements sont en train de mettre en place des programmes qui peuvent permettre aux ménages de garder un peu de pouvoir d’achat et aux entreprises d’éviter de licencier massivement. Il faut prendre des mesures pour soutenir les travailleurs du secteur informel et cela pourrait passer par des transferts directs d’argent, comme on le fait déjà au Kenya par exemple. Certains pays assistent les ménages et les entreprises en retardant le paiement de taxes et de factures.
Sur la question de la dette et des mesures de soutien, que fait la Banque mondiale ?
Elle a mobilisé près de 160 milliards de dollars pour aider les pays dans le monde à faire face. Avec les pays africains, nous travaillons à mettre en place des programmes d’urgence, aussi bien dans le domaine de la santé, que pour les budgets nationaux des pays afin de recréer un peu de marge de manœuvre. La Banque mondiale a déjà approuvé des programmes d’urgence pour une dizaine de pays africains.
Nous travaillons aussi avec le FMI pour nous assurer qu’au niveau de la communauté internationale, on puisse s’accorder pour une sorte de moratoire pour le paiement des intérêts de la dette. Parce que ces intérêts représentent un montant important. Si vous prenez l’année 2018, les intérêts de la dette des pays africains se sont élevés à 35 milliards de dollars, dont neuf milliards sont dus à des pays au terme de la dette bilatérale. Il est important que l’on puisse tous comprendre que cette crise nécessite une réponse globale et qu’il faut aider les pays africains à recréer un peu d’espace budgétaire pour en affronter les conséquences.
Moratoire ou annulation?
L’Afrique subsaharienne pourrait avoir besoin de cent milliards de dollars cette année pour faire face à cette crise. Toute solution serait donc la bienvenue. Mais il faut aussi se rendre compte que la structure de la dette a changé et qu’une bonne partie est désormais privée. Ce sont des émissions par les pays d’eurobonds ou d’obligations. Donc il faudra trouver un mécanisme pour discuter avec le secteur privé et voir dans quelle mesure il pourrait aussi contribuer à l’effort général.
Coronavirus: l'OMS alerte sur la prolifération de médicaments falsifiés
Publié le :
Texte par : Christine Siebert
L'Organisation mondiale de la santé alerte sur des médicaments falsifiés qui circulent dans plusieurs pays d'Afrique. Il s'agit de diverses chloroquines, ce médicament contre le paludisme actuellement testé pour établir s'il est efficace dans le traitement du Covid-19. Neuf produits falsifiés ont été signalés au Cameroun, en République démocratique du Congo et au Niger.
Ils s'appellent Samquine, Niruquine ou encore Chloroquine Phosphate et les boîtes et flacons qui les contiennent ont l'air plus vrai que nature. Mais en réalité ces produits sont falsifiés. Certains n'ont pas été produits par le fabricant dont le nom figure sur les étiquettes. Ou alors le fabricant inscrit sur la boîte n'existe tout simplement pas. Et surtout, ils ne contiennent pas la bonne quantité d'ingrédient actif pharmaceutique.
C'est grâce à un « système mondial de surveillance et de suivi des produits médicaux de qualité inférieure et falsifiés » que l'OMS est en mesure d'émettre ces alertes. Et ce sont les hôpitaux, dispensaires, centres de santé, grossistes, distributeurs et pharmacies qui contribuent à mettre à jour les alertes sur les faux médicaments, par leurs analyses et signalements.
Liste et photos sur le site de l'OMS
L'Organisation mondiale de la santé publie les photos et la liste détaillée de ces médicaments falsifiés sur son site internet et demande aux patients en possession de ces produits de ne pas les utiliser, et si c'est déjà fait, de s'adresser à un professionnel de santé. Enfin, il est important, souligne l'OMS, que l'incident soit bien signalé aux autorités publiques.
C'est déjà la quatrième alerte que l'OMS émet en 2020 sur des faux médicaments. La dernière, émise fin mars, porte sur « un nombre croissant de produits médicaux falsifiés qui prétendent prévenir, détecter, traiter ou guérir le Covid-19 ». Les deux autres concernent des tests de dépistage rapide du VIH et des antipaludéens falsifiés.
Communiqué de presse de la Commission des épiscopats de la communauté européenne, 09/04/2020
La COMECE lance une plateforme de streaming de messes en direct
Dans le contexte de la pandémie actuelle de Covid-19 et de l’impossibilité pour beaucoup de participer physiquement aux célébrations et aux moments de prière dans les églises, le jeudi 9 avril 2020, quelques jours avant Pâques, la COMECE lance “SanctuaryStreaming.eu“, une plateforme en ligne offrant des services de streaming en direct depuis des sanctuaires et églises catholiques en Europe.
La plateforme a été mise en place pour répondre aux besoins de nombreux fidèles qui – en raison des mesures de précaution prises par les gouvernements pour contenir la propagation de la pandémie de Covid-19 – ne peuvent se rendre dans les églises et les sanctuaires, où ils avaient l’habitude d’aller pour prier et demander de l’aide.
Le site web, qui compte désormais 28 sanctuaires de 17 pays européens et du Vatican, est la concrétisation d’un désir de montrer la solidarité, la communion et l’unité de l’Église, en aidant les Européens à grandir dans un esprit de solidarité et à mieux faire face aux défis posés par la pandémie actuelle.
La mission de Sanctuarystreaming.eu n’est pas censée s’arrêter une fois l’épidémie de Covid-19 terminée. La COMECE est ouverte à la collaboration éventuelle de nos partenaires afin d’améliorer le projet au fil du temps, en y ajoutant de nouveaux services de streaming en direct et de nouvelles langues.
L’idée de Sanctuarystreaming.eu est née dans les premières semaines de mars 2020 lors d’une conversation entre le Cardinal Jean-Claude Hollerich sj et Son Excellence Mgr. Alain Paul Lebeaupin, respectivement président de la Commission des Épiscopats de l’Union européenne (COMECE) et Nonce apostolique auprès de l’Union européenne, à un moment où plusieurs gouvernements européens ont pris des mesures de précaution strictes pour contenir la propagation de la pandémie de Covid-19.
Qu’il s’agisse de terrorisme, d’insurrections ou de banditisme, l'Afrique de l'Ouest et le Sahel en particulier sont confrontés à la présence de nombreuses armes et munitions en circulation qui menacent la sécurité. D’où viennent ces armes ? Comment les groupes armés, qui ne font pas partie des forces nationales et internationales, se dotent en armements et en munitions dans le contexte actuel ? Réponses avec le chercheur Georges Berghezan. Entretien.
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Georges Berghezan est chercheur au Groupe de recherche et d’information sur la paix et la sécurité (GRIP). Un centre de recherche et d'information indépendant belge sur les problèmes de paix, de défense et de désarmement dans la perspective de l'amélioration de la sécurité internationale en Europe et dans le monde.
RFI : Que sait-on du volume d’armes et du type d’armement en circulation en Afrique de l’Ouest?
Georges Berghezan : Le volume des armes est un sujet à caution. Sur toute l’Afrique, les estimations donnent environ quarante millions d’armes détenues par des civils, en grande majorité de façon illicite, et une douzaine de millions d’armes sur l’Afrique de l’Ouest. Il s’agit d’armes à feu de petit calibre que l’on peut classer en deux catégories : les armes industrielles, où le modèle Kalachnikov domine très nettement, et les armes artisanales, du type fusil de chasse à un ou deux coups. Les groupes catalogués comme « terroristes » n’utilisent pas d’armes artisanales, mais ces armes ne sont pas à négliger. En plus des chasseurs, elles sont principalement utilisées par les milices communautaires, par la criminalité urbaine, les coupeurs de route et les voleurs de bétail. Par exemple à Bamako (Mali) ou à Accra (Ghana),ce sont essentiellement des pistolets artisanaux qui sont utilisés dans les attaques à main armée. La République centrafricaine est l’un des rares pays en conflits où ce sont essentiellement les armes artisanales qui sont utilisées par les milices qui s’affrontent.
D’autre part, quand on parle d’armes illicites, il faut être conscient que la plupart de ces pays n’ont pas de réglementation ou de processus pour délivrer des permis de port ou d’utilisation d’armes, donc beaucoup de gens qui ont des armes sont dans l’illégalité simplement parce qu’il y a un vide législatif ou administratif.
Un pays qui fait exception en Afrique de l’Ouest, c’est le Ghana. C’est un pays qui a fait des efforts pour enregistrer les producteurs et les détenteurs d’armes et qui a une législation opérationnelle. Au Ghana, l’évaluation donne environ un million deux cent quarante mille armes licites enregistrées chez des civils et un million d’armes illégales. D’après les données disponibles du Small Arms Survey, un institut de recherche indépendant basé à Genève, le troisième pays qui aurait le plus d’armes parmi la population est la Côte d’Ivoire (plus d’un million). Mais le pays d’Afrique de l’Ouest qui a le plus d’armes, c’est le géant de la zone, le Nigéria, où l’on parle de plus de six millions d’armes détenues par des civils.
Quelles sont les origines de ces armements ?
Il y a depuis très longtemps des armes dans la région. Il y a eu tout d’abord la pénétration arabe, puis au sud du Sahel, la pénétration française, la colonisation. C’est à ce moment-là que des forgerons ont commencé à produire eux-mêmes des armes en copiant des fusils de chasse français, donc la première source a été la production locale. En général, ce sont des armes non automatiques qui utilisent des cartouches de chasse, mais apparemment certains artisans sont capables de copier des Kalachnikovs, en particulier au Mali, pays dont l’expertise en matière de production d’armes est la plus reconnue.
Sur la proportion d’armes automatiques, les statistiques sont assez rares. On sait, par exemples qu’au Niger, entre 2014 et 2016, sur 462 armes saisies, 56% étaient des fusils d’assaut dont 95% du type AK (Kalachnikov), 26% des armes de poings, pour majorité des pistolets d’alarme reconvertis pour tirer des projectiles, quelques armes traditionnelles artisanales et 12% toute sorte d’armes légères, allant des mitraillettes aux lance-roquettes.
Concernant les origines des armes industrielles, elles sont très diverses. Par exemple, pendant la guerre civile en Côte d’Ivoire, le président Blaise Compaoré [ancien président du Burkina Faso, ndlr] soutenait les rebelles nordistes [de Côte d’Ivoire] et il y a eu de gros flux d’armes du Burkina Faso vers la Côte d’ivoire. D’après les rapports de l’ONU, la majorité des armes qui ont été transférées depuis les arsenaux de l’armée du Burkina Faso vers la Côte d’Ivoire étaient des « Types 56 », c’est-à-dire la version chinoise de la Kalachnikov. Il y avait aussi des modèles AK (Kalachnikov) provenant de Pologne, des pistolets HK (Heckler & Koch) d’origine allemande mais produits aux Etats-Unis, et des munitions fabriquées en Serbie et en Roumanie.
On sait qu’après la chute du président libyen Mouammar Kadhafi, il y a eu un flux important d’armes en provenance de Libye sur le Sahara et le Sahel. Ce flux est-il toujours d’actualité et quelles sont aujourd’hui, les principales sources d’approvisionnement?
Entre 2011 et 2013, c’était vraiment l’inondation d’armes en provenance de Libye : des armes anti-aériennes, des lance-roquettes, mais surtout des armes à feu de petit calibre qui étaient de très loin les plus nombreuses. Même si une partie de ces armes arrivées au Sahel est partie vers d’autre destinations comme la République centrafricaine, l’essentiel est resté au Sahel. Depuis, la part libyenne semble avoir fortement diminué, surtout quand la guerre civile a recommencé en Libye et on a même assisté à des retours d’armes du Mali vers la Libye.
Donc ce flux a décru. Mais en 2011, c’était aussi la fin de la guerre civile en Côte d’Ivoire, quelques années après la fin des combats en Sierra Leone et au Liberia. On a alors assisté à d’importants transferts illégaux d’armes de ces pays, et en particulier par des commandants de zone du nord de la Côte d’Ivoire vers le Mali et le Niger, mais aussi vers la République centrafricaine où la guerre commençait. Cette situation a entrainé une diminution des transferts transcontinentaux tels qu’ils existaient à l’époque des guerres du Liberia et de la Sierra Leone, comme le racontait le film Lord of War. Ces transferts transcontinentaux existent toujours mais ils se sont fortement réduits et leurs arrivées se concentrent sur quelques ports : Dakar, Conakry, Abidjan et Lagos.
Il y a aussi des réseaux de trafic avec des groupes hautement organisés qui opèrent dans le Sahara ou sur un axe est-ouest et qui se caractérisent par ce qu’on appelle les « poly-trafics » car ils combinent les armes avec d’autres produits, comme les stupéfiants, par exemple le haschisch marocain à destination de l’Égypte et du Moyen-Orient, ou la cocaïne d’Amérique du Sud qui transite par le Sahel à destination de l’Europe.
Enfin, il y a le petit trafic, qu’on appelle le « trafic de fourmis », qui souvent se mêle au trafic de migrants, très actif dans les zones frontalières. Ces zones sont souvent des centres du trafic d’armes, comme par exemple dans le nord de la Côte d’Ivoire sur les frontières avec le Mali et le Burkina Faso.
Mais de mon point de vue, la principale source d’approvisionnement, celle qui compte au moins pour moitié dans certains pays, c’est le trafic provenant des arsenaux des forces de sécurité. Evidemment, il y a eu la Libye, où les arsenaux gouvernementaux libyens se sont vidés. Mais dans des pays comme le Mali et le Niger, les forces de sécurité perdent ou vendent leurs armes au profit de groupes armés, de criminels et de jihadistes. Les arsenaux des armées de ces pays sont sans doute la source majeure d’approvisionnement en armes illicites.
Qui sont les grands acteurs du trafic transnational?
Les grands trafiquants, qui étaient connus il y a une vingtaine d’années, sont inactifs maintenant. Viktor Bout est en prison aux États-Unis, Arcadi Gaydamak [condamné notamment en France dans l’affaire des ventes d'armes vers l'Angola] ou le Belge Jacques Monsieur, qui pendant des dizaines d’années ont été pratiquement sur tous les grands conflits du monde, sont aujourd’hui neutralisés. Mais même si ces grandes figures du trafic d’armes ne sont plus actives, il faut aussi souligner la responsabilité de certains chefs d’État qui ont beaucoup contribué au trafic d’armes. Quelqu’un comme Blaise Compaoré, l’ancien président du Burkina Faso, a alimenté en armes et munitions à peu près tout ce qui était sous embargo en Afrique à l’époque : la Sierra Leone, le Liberia, la Côte d’Ivoire et encore avant l’Unita [l'Union nationale pour l'indépendance totale de l'Angola] en échange de diamants, d’où l’expression des « diamants du sang ».
Certains pays ont joué un rôle très important dans la fourniture d’armes : l’Ukraine, la Bulgarie, avant qu’elle ne rentre dans l’Union Européenne, l’Iran, plutôt actif vers l’est de l’Afrique, ou la Chine dont les munitions et les fusils d’assauts se retrouvent un peu partout en Afrique. Récemment par exemple, il y a eu une très grosse saisie à Lagos (Nigéria) de fusils turcs, la Turquie semble devenir elle aussi un gros exportateur d’armes.
Les transferts d’armes entre Etats peuvent aussi être officiellement autorisés par les gouvernements au profit d’autres gouvernements, et détournés vers d’autre destinations, comme cela a été le cas par exemple au Burkina Faso. Officiellement, les armes étaient envoyées au Burkina Faso qui était un pays stable et elles étaient détournées vers le Liberia ou la Côte d’Ivoire en guerre.
Avoir des armes, c’est une chose mais encore faut-il pouvoir s’approvisionner en munitions. Y-a-t-il des logistiques particulières pour les munitions?
Quand je parle de trafic d’armes, je parle aussi de trafic de munitions. C’est vrai que les munitions sont des « consommables » alors que les armes, si elles sont bien conservées, on peut les garder des dizaines d’années et elles seront toujours en état de marche. J’ai vu récemment dans la presse malienne que l’armée mauritanienne avait intercepté un convoi d’armes destiné aux jihadistes du Mali et ce qu’on a saisi, c’étaient des mitrailleuses, de la drogue mais aussi des munitions. Les flux se confondent et il y a peu d’indications et d’études sur le trafic spécifique de munitions. Je pense que ce qui se passe au Sahel, c’est à peu près la même chose que ce qui se passe dans une autre zone, en République Démocratique du Congo (RDC). Dans ce pays, les forces armées nationales alimenteraient à 80% les groupes armées congolais ou étrangers actifs au Congo tandis que, au niveau des munitions, le pourcentage serait encore plus élevé, probablement du fait de la forte demande.
À Bamako (Mali), il y a une usine de production de munitions, de cartouches « calibre 12 » pour les fusils de chasse et on retrouve ces cartouches dans toute l’Afrique de l’Ouest, donc leur commerce est très mal encadré. En Côte d’Ivoire, une cartouche coûte au détail entre 300 et 600 FCFA, c’est-à-dire entre un demi euro et maximum un euro. Ce sont des cartouches pour équiper les armes artisanales ou les fusils de chasse importés, mais sur les balles pour Kalachnikov, on n’a pas beaucoup d’information.
Combien coûte une arme automatique au Sahel?
Une Kalachnikov au Sahel coûte entre 100 et 200 euros. Si on compare avec d’autres zones, c’est beaucoup moins cher qu’en Europe de l’Ouest où le prix varie entre 500 et 1 000 euros, mais c’est nettement plus que dans certaines régions comme en RDC où cela coûte entre 25 et 50 dollars à Goma ou à Bukavu (entre 22 et 45 euros). Le prix dépend de l’offre et de la demande. La RDC est maintenant sur-saturée en armes et donc il n’y a plus besoin d’en importer parce qu’il y a tout ce qu’il faut sur place.
La plupart des armes industrielles en Afrique viennent d’Europe de l’Est et de Chine. Cette prédominance s’explique principalement parce que leur prix est beaucoup plus bas que les fusils FAL Belges, HK allemand ou M16 américain. C’est pour cette raison qu’elles ont un tel succès dans les Etats ou auprès des groupes armés non étatiques. Au Sahel, 95% des fusils d’assaut sont des Kalachnikovs, le reste sont des armes de fabrication occidentale.
Au Sahel, l’achat d’une arme automatique représente un coût important. Comment les bandes armées peuvent-elles se doter de tels armements ?
Les sources de revenus sont les trafics. Si on prend l’exemple des jihadistes qui n’ont que des armes automatiques, ils escortent par exemple les trafiquants contre rémunération pour s’autofinancer. Si vous observez le Mali, il y a de nombreux conflits : l’insurrection touareg, les jihadistes et des affrontements inter-communautaires où les armes traditionnelles sont de plus en plus remplacées par des Kalachnikovs et ça, c’est très inquiétant. Dans l’est de la RDC, la production artisanale a disparu des zones frontalières à cause de la « concurrence déloyale » des armes industrielles qui sont beaucoup trop bon marché, cela a cassé le marché des armes artisanales qui s’est replié sur l’intérieur du pays, moins gangrené par la prolifération des armes automatiques.
Aujourd’hui au Sahel, les armes proviennent essentiellement du détournement des forces de défense ou de sécurité de ces pays ou des pays voisins. Il y a eu beaucoup de détournements, volontaires ou involontaires, des arsenaux gouvernementaux du Nigéria, du Niger, du Tchad vers Boko Haram au Nigeria. Parfois, c’est un responsable local qui fait cela pour s’enrichir, mais il y a aussi d’autres suspicions et on peut s’interroger. Pourquoi le Burkina Faso n’a-t-il connu aucun attentat sous Blaise Compaoré ? Depuis qu’il a été renversé, les attentats se multiplient. Pourquoi la Mauritanie n’a-t-elle subi aucun attentat ? Pourquoi le Tchad jusqu’en 2015 a-t-il été à l’abri de Boko Haram ? On peut supposer que certains gouvernements de ces pays ont conclu des accords avec les jihadistes pour qu’on les laisse tranquille et qu’en contrepartie, il y a eu une certaine complaisance, pour leur armement par exemple.
D’autre part, il n’y a pas que les détournements volontaires ou organisés des arsenaux des forces de défense et de sécurité. Il y a bien évidemment aussi les prises au combat. En 2012 au Mali, ça été gigantesque. Les Forces armées maliennes (FAMA) se sont enfuies devant l’avancée des jihadistes et des rebelles touareg et elles ont abandonné leurs arsenaux sur place. Or, les prises continuent, c’est souvent ce qui motive les attaques de ces groupes contre les casernes et les campements de l’armée. En RDC, il y a même le phénomène des attaques simulées. Un officier fait un accord avec un groupe armé « tu simules une attaque tel jour à telle heure, on s’enfuit, tu prends le matériel et pour ça tu me donnes d’abord tant de milliers de dollars… ». Au Congo, j’avais inventorié une dizaine de méthodes comme celle-là, pour faire passer des armes aux bandes armées ou aux criminels. Il y a même des locations d’armes et toute sorte de systèmes. De ce point de vue, la situation au Sahel est quand même moins grave qu’en RDC.
Quelles sont les réponses sur le plan législatif?
Les législations locales sont inadaptées ou absentes, donc les gens s’arment illégalement parce qu’il n’y a pas de loi. Dans certains cas, on a une loi qui précise qu’on peut dans certaines conditions avoir des armes, mais il n’y a pas d’arrêté d’application ou de procédure mise en place. Cela étant, des efforts existent pour lutter contre la prolifération des armes surtout en Afrique de l’Ouest : il y a la convention de la Cédéao sur les armes légères et de petit calibre qui en théorie interdit les transferts internationaux, sauf exemption approuvée par tous les autres États membres de la Cédéao, pour des motifs de sécurité nationale, par exemple. Cette convention contraint aussi les pays à réformer leur législation avec des procédures obligatoires, des définitions, etc. Par exemple, quelles sont les armes de petit calibre pouvant être éventuellement détenues par un civil ? Quelles sont les conditions et formalités pour obtenir un port d’armes ? Ces efforts sont encourageants, mais il reste énormément à faire, tant sur le plan législatif que dans la lutte contre la corruption.
Pour contrôler les armes des forces de défense et de sécurité, la Convention de la Cédéao contraint les États parties à marquer ces armes et les enregistrer. Ainsi, quand on saisit une arme, on peut voir d’où elle vient. Eventuellement cela permet de remonter au moment où elle a été détournée dans le circuit illégal et d’identifier et punir l’auteur du détournement, ce qui aura un effet dissuasif sur les autres. Une autre mesure serait de rapporter les saisies qu’on fait dans un pays aux états voisins et à Interpol. Une personne des renseignements en Côte d’Ivoire me disait, à propos de la dispersion des armes ivoiriennes après-guerre, que « c’étaient des rumeurs de couloir », parce qu’aucun pays ne leur avait notifié officiellement une demande d’enquête sur des armes ivoiriennes qu’ils ont retrouvées chez eux. Il y a un manque de coopération entre les Etats et aussi une formation insuffisante des services de contrôle douaniers et policiers. Il leur est, à mon avis, souvent difficile de reconnaître des armes en pièces détachées et ils manquent d’équipements de type scanners par exemple.
Au niveau politique, les Etats d’Afrique de l’Ouest et les pays occidentaux qui les soutiennent devraient accorder une plus grande attention au phénomène du trafic d’armes. On parle beaucoup du terrorisme, mais ce phénomène est justement très lié au trafic d’armes qui est souvent négligé par les autorités de ces pays.