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Sucre : au Sénégal, poker menteur entre la CSS et l’État

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Selon la Compagnie sucrière sénégalaise (CSS), les importations autorisées par Dakar ont mis en péril sa survie. Des tensions exacerbées par la volonté de vendre du propriétaire.

«Nous avons été contraints de vendre à perte pendant presque un mois. » Louis Lamotte se lamente. En creux, une nouvelle fois, le directeur des ressources humaines de la CSS et conseiller spécial de la direction regrette le sort réservé par l’État sénégalais à son entreprise. Une posture devenue presque habituelle depuis quelques années.

Avec 98 milliards de F CFA (150 millions d’euros) de CA en 2017 et 7 500 collaborateurs, la Compagnie, deuxième employeur du pays après l’État, se débat pour garder le contrôle du marché national. Seul producteur de sucre au Sénégal (144 000 tonnes lors de la campagne 2017-2018), mais incapable de satisfaire la demande locale (autour de 190 000 t, en moyenne), elle doit composer avec les nécessaires autorisations d’importation octroyées par l’État et calculées, selon Dakar, en fonction des réserves de la CSS. Un « calcul » qui est le théâtre d’un jeu de dupes, tant chacune des parties joue sa partition sans en révéler tous les secrets.

Mi-novembre, le ministère du Commerce a décidé de délivrer des autorisations d’importation équivalentes à 60 000 t de sucre. Une mesure qui a eu le don de crisper l’opérateur national. Détentrice d’un peu plus de 11 000 t (environ trois semaines de consommation nationale), le 19 novembre, à deux jours de l’ouverture de la campagne 2018-2019, – période pendant laquelle elle pourvoit à 100 % des besoins du pays –, la CSS s’est insurgée contre une décision qu’elle considère comme une menace pour sa survie.

Un acteur privé qui défend ses intérêts

Elle a alors multiplié les déclarations catastrophistes sur son endettement – mais sans jamais en révéler le montant – et laissé planer la menace d’une fermeture. Une communication qui a conduit, début décembre, à l’organisation d’une manifestation de plusieurs milliers de personnes dans la ville de Richard-Toll, où est implanté le complexe agro-industriel depuis 1975, pour dénoncer la « mise à mort programmée » de la compagnie.

Le ministre du Commerce, Alioune Sarr, s’était alors contenté d’assurer que « toutes les dispositions [avaient] été prises pour protéger la CSS et l’écoulement de sa production ». Selon le directeur du commerce intérieur, Ousmane Mbaye, que nous avons contacté, « l’État doit sécuriser les approvisionnements en sucre du pays. Il ne peut pas prendre le risque que les stocks descendent trop bas ».


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Il ajoute : « Bien sûr, la CSS est dans son rôle. C’est un acteur privé qui défend ses intérêts. » In fine, environ 30 000 t de sucre seulement ont été écoulées sur le marché local. La CSS n’ayant pas hésité à casser ses prix (de 535 F CFA à 490 F CFA le kg) « par besoin de trésorerie », mais aussi pour couper l’herbe sous le pied aux importateurs.

L’État moins enclin à satisfaire aux intérêts de Jean-Claude Mimran ?

Les divergences entre la CSS et l’État n’ont cessé de grandir depuis le nouvel effondrement du prix du sucre sur le marché international à l’été 2017. En effet, lorsque les cours sont très bas, les importateurs sénégalais parviennent à concurrencer le sucre de la CSS, et ce, malgré l’acquittement des droits de douane et des taxes destinés à protéger la production nationale.

Une compétition nouvelle que la compagnie supporte d’autant moins qu’elle a engagé depuis 2015 un plan d’investissement en deux phases de près de 240 milliards de F CFA afin d’étendre ses capacités de production à 200 000 t annuelles d’ici à 2021 et de parvenir ainsi à couvrir les besoins du marché local tout au long de l’année. La première phase, de 2015 à 2018, a permis à la compagnie d’atteindre une capacité de près de 150 000 t annuelles, mais a parallèlement creusé sa dette. Quant à la seconde phase, son financement n’est pas encore bouclé.

« Cette situation est intenable, regrette Louis Lamotte. Il y a un problème de régulation au Sénégal. Certaines décisions d’importation sont prises pour des raisons électoralistes ou inavouables, en contradiction avec nos besoins réels. » Il semble aussi que l’État sénégalais soit moins enclin qu’auparavant à satisfaire aux intérêts de son producteur national, et surtout à ceux de son propriétaire historique, Jean-Claude Mimran.

À vendre

S’il n’a jamais communiqué sur le sujet, l’homme d’affaires, poussé par ses fils, que l’Afrique n’intéresse pas, souhaite vendre l’entreprise. Selon nos informations, il a confié cette mission à la banque d’affaires britannique Stanhope Capital. Deux industriels se sont même déjà manifestés : le marocain Cosumar et le français Somdiaa.

Mais, pour l’heure, le prix demandé – autour de 400 millions d’euros – a refroidi leurs ardeurs. Dans ces conditions, l’État est moins sensible aux plaintes de l’industriel qui a d’ailleurs cédé, en janvier 2018, les Grands Moulins de Dakar et les Grands Moulins d’Abidjan à l’américain Seaboard Corporation pour la somme de 350 millions d’euros.


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« Jean-Claude Mimran a longtemps bénéficié de conditions de marché avantageuses de la part du gouvernement, commente ainsi un spécialiste du secteur. Dakar n’a pas vraiment dû apprécier de le voir vendre les Grands Moulins pour un prix stratosphérique. Et puis, si la CSS va si mal que ça, son propriétaire n’a qu’à la vendre sans barguigner… » Il y a peu à parier cependant que ce soit la solution imaginée par Jean-Claude Mimran.


L’arroseur arrosé

Début 2017, alors que les cours du sucre se sont envolés, la CSS demande à trois reprises (mars, mai et juillet) des droits d’importation pour un total de 75 000 tonnes de sucre afin de « faire face à une recrudescence de la demande » (quand les cours sont hauts, les grossistes de pays frontaliers viennent au Sénégal pour bénéficier du prix administré).

L’industriel fait alors valoir son rôle de régulateur du marché. Quelques mois plus tard, alors que les cours s’effondrent, ce sont les importateurs sénégalais qui réclament à leur tour un droit à importer. Par souci d’équité, Dakar leur accorde environ 100 000 t.

C’est la catastrophe pour la CSS, qui, faute d’être compétitive, ne peut plus écouler ses stocks pendant six mois. Alerté, le Premier ministre, Mahammed Dionne, promet un gel des importations jusqu’en juin 2019… avant finalement d’accorder de nouveaux droits aux importateurs en novembre 2018.

Mali: l’attaque meurtrière contre la Minusma revendiquée

Soldats de la Minusma (photo d'archives).
© AFP/Sebastien Rieussec

Dix morts et 25 blessés, c'est le bilan de l'attaque la plus meurtrière qui a visé la Minusma, la Mission de maintien de la paix au Mali. Ça s'est passé dimanche matin, à Aguelhok, à 250 kilomètres au nord de Kidal, dans le nord-est du Mali. Des hommes armés ont pris d'assaut des points de contrôle et la base du contingent tchadien de la Minusma. Cette attaque complexe a été revendiquée dans la soirée par Aqmi, al-Qaida au Maghreb islamique.

C'est à l'aube que les assaillants sont passés à l'action. Des dizaines d'hommes à bord de plusieurs véhicules, des habitants d'Aguelohk parlent de 4X4 ainsi que de motos.

Après avoir coupé les communications, trois groupes, venus de destinations différentes auraient convergé sur le lieu de l'attaque. Les deux premiers prenant d'assaut les points de contrôle quand le dernier se serait posté sur le chemin de la base pour ralentir l'arrivée des renforts.

Les casques bleus devront attendre l'arrivée d'hélicoptères quelques heures plus tard afin de repousser l'assaut. Trois des assaillants sont tués et un capturé.

« Les jiadistes sont repartis comme ils sont arrivés, explique une source sur place. Ils se sont dispersés en différentes directions comme si c'était préparé. »

Qui est responsable et pourquoi ?

Aqmi affirme avoir mené cette attaque en réaction à la visite, ce 20 janvier, du Premier ministre israélien au Tchad. C’est vrai que les jihadistes, à cause du dossier palestinien, considèrent Israël comme leur pire ennemi.

Mais même si cette visite était plutôt une coïncidence, la mettre en avant permet d’abord de faire plus que la Une de l’actualité dans certains pays, mais aussi de gagner davantage de sympathie dans la galaxie jihadistes.

D’autres observateurs notent que l’opération  intervient le jour même de la fête de l’armée malienne créée il y a 58 ans. Jour donc symbolique et peut-être une manière aussi pour les jihadistes de tenter de gâcher la fête.

Mais le lieu de l’attentat représente au Mali un autre symbole : en janvier 2012, les forces armées coalisées (MNLA et groupes jihadistes) ont pris le contrôle du camp de l’armée régulière à Aguelhok, en tuant atrocement des soldats.

L’attaque de ce dimanche à Aguelhok s’est déroulée avec de gros moyens, ce qui fait dire à des sources bien informées qu’aux côtés des combattants d’Aqmi, ceux  du Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans (GISM) de Iyad Ag Ghaly ont probablement  participé aux opérations. Des passerelles existent entre les deux mouvements jihadistes.

Burkina Faso: le gouvernement a démissionné

Le Premier ministre du Burkina Faso Paul Kaba Thieba a remis sa démission au président Roch Marc Kaboré, le 18 janvier 2019. (Photo d'illustration)
© ISSOUF SANOGO / AFP

Le Premier ministre burkinabè Paul Kaba Thieba a présenté sa démission et celle de son gouvernement, vendredi soir.

Le Premier ministre burkinabè Paul Kaba Thiéba a présenté vendredi la démission de son gouvernement au président Roch Marc Christian Kaboré qui l'a acceptée, selon un communiqué de la présidence du Burkina Faso.

En attendant qu'un nouveau Premier ministre soit nommé, les anciens ministres sont chargés d'expédier les affaires courantes. Paul Kaba Thieba avait été nommé en janvier 2016 pour conduire la toute première équipe gouvernementale de Roch Marc Christian Kaboré.

Selon une source proche de la présidence du Burkina Faso, cette démission a pour but de redonner un nouveau souffle à l'action gouvernementale. Le pays fait face à de nombreuses crises depuis quelques mois maintenant.

Sur le plan sécuritaire, chaque semaine connaît son lot d'attaques contre les forces de défense et de sécurité. La dernière attaque a visé un camp d'une société d'exploration minière avec la mort d'un géologue canadien.

Selon d'autres sources, le président du Burkina Faso trouve impératif de donner une nouvelle dynamique à l'action gouvernementale dans un contexte où la demande sociale est forte. Les syndicats sont déjà sur le pied de guerre, précise l'interlocuteur de RFI, ce qui avait poussé le président Roch Marc Christian Kaboré à demander une trêve lors des voeux à la nation en fin d'année. Cette source indique qu'il y aura des changements à la tête des ministères clés, sans d'autres précisions.

La date de la nomination d'un nouveau Premier ministre n'est pas encore connue, mais cela devrait intervenir rapidement vu la situation dans laquelle se trouve le Burkina Faso, souligne un proche de la présidence.

Mali: violente attaque contre le contingent tchadien
de la Minusma

Un soldat tchadien de la Minusma en opération à Konna dans la région de Mopti au Mali le 20 décembre 2018.
© MINUSMA/Gema Cortes

Une attaque a eu lieu très tôt ce matin à Aguelhok au nord du Mali contre le contingent tchadien de la force onusienne déployée dans le pays, la Minusma. Le bilan est très lourd : au moins huit morts, selon des militaires tchadiens. Le représentant de l'ONU dénonce une attaque « ignoble ».

L’attaque a commencé ce dimanche matin vers 6h15 (heure locale). Des hommes armés ont surgi devant un checkpoint de la mission de l’ONU au Mali, à Aguelhok dans la région de Kidal, mais également devant le camp de la Minusma de la même localité.

Nombreux assaillants

Des bruits d’armes automatiques ont été entendus de loin par les populations. Les assaillants étaient, semble-t-il, nombreux. Les positions des casques bleus tchadiens qui tiennent la ville d’une main de fer ont été attaquées. Il y a eu riposte. Des hélicoptères de la mission de l’ONU sont venus en renfort, notamment en provenance de la localité de Tessalit.

Selon différentes sources évoquant « un bilan provisoire qui risque d’être beaucoup plus lourd », au moins huit casques bleus ont été tués, dix-neuf autres blessés. Et dans les rangs des assaillants, il y a eu également de nombreuses victimes. Un habitant de Aguelhok témoigne : « A Aguelhok, depuis plusieurs mois, c’est la première grande bataille entre les terroristes qui se font appelés jidahistes et les casques bleus. »

Les habitants inquiets

Un autre habitant de Aguelhok, interrogé par RFI, se dit inquiet : « Comment les assaillants pouvaient-ils être aussi nombreux dans la ville ? ». Certains d’entre eux scandaient « Allah Akbar », (« Dieu est grand »). A la mi-journée, les casques bleus de l’ONU semblaient reprendre le contrôle de la situation.

« Cette attaque complexe et lâche illustre la détermination des terroristes à semer le chaos ; elle exige une réponse robuste, immédiate et concertée de toutes les forces pour anéantir le péril du terrorisme au Sahel », a déclaré le représentant du secrétaire général de l'ONU au Mali, Mahamat Saleh Annadif.

Mali : la révision de la Constitution de nouveau
à l’ordre du jour

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Après avoir reculé face aux manifestants mi-2017, Ibrahim Boubacar Keïta entend relancer son projet de révision constitutionnelle. Un comité d’experts ad hoc a été nommé le 14 janvier et les discussion ont été entamées avec les partis politiques et les organisations de la société civile afin d’aboutir, cette fois, à un texte « consensuel ».

« Il est indispensable de procéder à une révision constitutionnelle proposant les justes aménagements à partir de notre vécu institutionnel, de nos fragilités, de nos silences, de nos imprécisions. » C’est en ces termes que le président malien a remis à l’ordre du jour la question de la révision de la Constitution, lors de son message à la Nation à l’occasion du Nouvel an. Et cette tâche, c’est à Soumeylou Boubeye Maïga, son Premier ministre reconduit après sa réélection en septembre 2018, qu’il l’a confiée. Le comité d’experts pour la réforme constitutionnelle, qui sera présidé par le professeur Makan Moussa Sissoko, devra proposer une nouvelle Constitution au gouvernement.

Un référendum avant juin 2019

Une fois validé par l’Assemblée nationale, ce projet de nouvelle loi fondamentale devrait être soumis à référendum « avant les futures législatives en juin 2019 », selon un collaborateur du président. « Un calendrier serré mais tenable », estime notre source.

Cette fois, Koulouba mise sur le caractère « inclusif » de la réforme pour éviter les fortes tensions de la mi-2017. À l’époque, IBK avait été contraint de reculer face aux manifestations de la plateforme « Ante a Bana » (« Touche pas à ma Constitution », en bambara), qui regroupait l’opposition et des organisations de la société civile. Sous pression populaire à un an de la fin de son mandat, le président avait enterré son projet de révision constitutionnel, présenté comme indispensable à la modernisation des institutions et à la mise en oeuvre de l’accord de paix d’Alger.

Le texte controversé prévoyait notamment la création d’un Sénat, dont un tiers des membres devait être nommé par le président de la République et les deux autres tiers élus, la nomination du président de la Cour constitutionnelle par le chef de l’État, ou encore l’interdiction pour les députés de changer de parti en cours de mandat.

Nouveau contexte politique

Le 21 janvier, les partis politiques de la majorité ont organisé leurs premières assises sur la révision de la Constitution à Bamako. Soumeylou Boubeye Maïga y était présent et a assuré qu’il était en contact avec l’opposition sur la question.

Nous sommes mieux préparés et le projet a été mieux expliqué aux Maliens

Dans l’entourage présidentiel, on estime que le contexte politique a changé et que le climat est désormais favorable à une modification de la loi fondamentale, maintenant que l’élection présidentielle est passée. « Nous ne craignons pas de nouvelles manifestations, car nous sommes mieux préparés et le projet a été mieux expliqué aux Maliens », explique un collaborateur d’IBK.

Pour le moment, ce nouveau projet de réforme ne suscite pas de débats houleux au sein de la classe politique malienne. La mise en place du comité d’experts est appréciée par certains acteurs et critiquée par d’autres.

Ras Bath, membre du Collectif pour la défense de la République (CDR) et un des ex-porte parole de la plateforme « Antè A bana » se dit « ouvert à participer aux échanges. » Le leader des CDR voit en cette réforme l’occasion de « corriger les insuffisances du processus électoral à la lumière de la présidentielle ».

Il demande ainsi que l’organisation des prochains scrutins ne fasse plus partie des attributions du gouvernement, mais plutôt de celles de la Ceni. Autre point important pour Ras Bath : le renforcement de l’implication des populations sur la gestion des affaires au niveau local, sans créer un Sénat qu’il estime « budgétivore ».

Tiébilé Dramé, opposant et président du Parti pour la renaissance nationale (Parena), lui, émet des réserves. « Comme en 2017, le régime met encore la charrue avant les bœufs car toute tentative de révision de la Constitution doit survenir après un dialogue politique, estime-t-il. Il n’ y a pas de début de commencement de dialogue. Le comité d’experts a été créé et ses membres nommés sans aucune concertation. »