En relançant son Haut conseil le 5 janvier, le Congrès pour la démocratie et le progrès (CDP), ex-parti au pouvoir, marque une nouvelle étape dans sa préparation pour la présidentielle de 2020.
Affaibli par la chute de Blaise Compaoré, suite à l’insurrection populaire des 30 et 31 octobre 2014 au Burkina Faso, le Congrès pour la démocratie et le progrès (CDP) se reconstruit peu à peu et occupe désormais une place importante au sein de l’opposition politique. Désormais, l’objectif pour les cadres du parti est clair : revenir aux affaires. Et cela passe par la reconquête du pouvoir lors de la présidentielle de 2020.
Après la chute
En décembre 2014, quelques mois après la chute de Blaise Compaoré, le CDP est suspendu par un décret du ministre de l’Administration territoriale, Auguste Denise Barry. Les autorités de la transition reprochent alors à l’organisation de mener des « activités incompatibles avec la loi portant charte des partis et formations politiques au Burkina Faso ».
Après son rétablissement, quelques semaines plus tard, le CDP a subi un sérieux revers aux législatives. Et pour cause, une modification du code électoral par le Conseil national de la transition (CNT) rend inéligibles des candidats de l’ancien régime, accusés d’avoir participé à la tentative de modification de l’article 37 de la Constitution ayant abouti à l’insurrection. Plusieurs cadres passeront également par la case prison, et feront face à des démêlés judiciaires. D’autres fuiront le pays pour échapper à la colère des manifestants.
Comparé à d’autres partis politiques qui ont perdu le pouvoir en Afrique, le CDP a fait montre d’une forte résilience
Mais cette traversée du désert semble désormais appartenir au passé. « Les résultats des élections générales de 2015 [législatives et présidentielle, ndlr], montrent que le CDP fait partie des trois principales forces sur la scène politique nationale aux côtés du MPP au pouvoir et de l’UPC du chef de file de l’opposition Zéphirin Diabré », analyse Abdoul Karim Saïdou, politologue et professeur à l’université Ouaga 2.
En effet, le CDP compte 18 députés sur 127 à l’Assemblée nationale, après l’UPC (33 députés) et le MPP (55 députés). « Comparé à d’autres partis politiques qui ont perdu le pouvoir en Afrique, le CDP a fait montre d’une forte résilience. Il a montré son ancrage au niveau social, ce qui explique qu’il ait survécu à toutes ces difficultés », ajoute le politologue.
Le poids du contexte sécuritaire
Dans un contexte sécuritaire de plus en plus marqué par des attaques terroristes, ces trois dernières années, le CDP se pose en rempart. D’abord concentrées dans le nord du pays, les violences se sont ensuite étendues à d’autres régions, dont celle de l’Est. Les attaques ont fait plus de 270 morts depuis 2015. Ouagadougou, la capitale, a également été frappée à trois reprises par des attentats. Plus de 600 écoles sont également fermées dans les régions du Nord, du Sahel et de l’Est. Face à l’ampleur de la crise sécuritaire, le président Roch Marc Christian Kaboré a décrété l’état d’urgence le 31 décembre dans plusieurs provinces.
Dans ses vœux aux Burkinabè relayés dans la presse locale, Eddie Komboïgo, président du CDP, a été très critique envers ses anciens camarades désormais au pouvoir. « Il n’y a pas de fatalité par rapport à la situation difficile que vous rencontrez actuellement. Il n’y a que des choix inadaptés et inopportuns d’une gouvernance sans vision et sans stratégie que nous démontre le pouvoir MPP et ses alliés », a-t-il écrit, en promettant que son parti ira vers les Burkinabè afin de réaliser « un projet de société ».
Un procès en incompétence que balaie du revers de la main Lassané Savadogo, secrétaire exécutif national du MPP, qui pointe plutôt la responsabilité de l’ancien régime. « Dès notre arrivée au pouvoir, nous avons été accueillis par des attentats terroristes à Ouagadougou et par la suite dans le nord du pays. Peut-être que l’ancien pouvoir est bien informé de l’origine de ces attaques », explique-t-il. Pour lui, « de nombreux analystes s’accordent à dire que le terrorisme dont le pays est victime trouve ses origines dans certaines politiques du passé. Mais nous travaillons à garantir la sécurité de tous les Burkinabè. »
Le CDP est de retour et prêt pour la reconquête du pouvoir
Réorganisation, clarification et quête de cohésion
Depuis mars 2017, le CDP s’est lancé dans une réorganisation de ses structures. Pour Léonce Koné, un poids lourd du parti à la tête de la commission chargée de cette tâche, l’objectif était entre autres de refaire un bon maillage à travers le renouvellement des sections et sous-sections. L’organisation réussie du 7e congrès ordinaire du CDP qui a réuni près de 5 000 militants au palais des sports de Ouagadougou en mai 2018 a conforté le parti dans son ambition.
« Qui aurait cru que le CDP se reconstruirait après les événements de 2014 ? Le CDP est de retour et prêt pour la reconquête du pouvoir », a lancé aux milliers de militants euphoriques Eddie Komboïgo, réélu président du parti avant d’ajouter : « le CDP vient de loin et ambitionne d’aller très loin ».
Toujours dans cette lancée de reconstruction du parti, le CDP a réinstallé son Haut conseil le 5 janvier. Composé d’anciens cadres du parti, d’anciens Premiers ministres, ministres et présidents d’institutions – tous des caciques du pouvoir sous le régime Compaoré -, le conseil aura pour rôle de contribuer à la réconciliation au sein de la formation politique et de donner son avis sur les questions liées à la vie du parti.
Il compte 79 membres, dont le coordinateur Mélégué Traoré, ancien président de l’Assemblée nationale, Paramanga Ernest Yonli et Luc Adolphe Tiao, anciens Premiers ministres, Yéro Boly, ancien ministre ou encore Assimi Kouanda, ancien responsable du parti. « Après 2014, nous avons subi une saignée. Ce Haut conseil permet de prendre en compte tous ceux qui étaient dans l’ombre et de renforcer la cohésion du parti », confie Judicaël Compaoré, deuxième secrétaire adjoint chargé des structures du CDP à l’étranger. Une structure qui permet donc au parti de compter ses forces, et de clarifier la position de ces personnalités.
Cooptation ou participation ?
Pour Abdoul Karim Saïdou, la mise en place du Haut conseil montre que le parti a réussi à dépasser les dissensions internes après son dernier congrès. « Des personnalités comme Mélégué Traoré ont menacé publiquement de quitter le CDP si les cadres ne s’accordaient pas pour parler d’une seule voix. Le fait que le parti ait réussi à mettre en place cette structure montre que la redynamisation est en cours et qu’ils ont pu obtenir l’adhésion de ces hautes personnalités pour la reconquête du pouvoir. »
Le candidat qui sera désigné lors d’un congrès en 2019 devra être obtenir la bénédiction de Blaise Compaoré
Pour le CDP, le prochain défi à relever sera le choix de son candidat. « Par le passé, il y avait un candidat naturel au CDP. Mais aujourd’hui Blaise Compaoré ne pouvant plus être candidat, certains cadres réclament un processus de désignation plus transparent et participatif. Deux logiques s’affrontent donc. Une qui veut qu’il y ait une cooptation et que Blaise Compaoré, qui est le père spirituel du parti, puisse participer au choix du candidat. Et il y a ceux qui estiment que les militants doivent avoir leur mot à dire. »
Quelle que soit la méthode retenue, le candidat qui sera désigné lors d’un congrès en 2019 devra être accepté par les militants de base et avoir la bénédiction du fondateur du parti, Blaise Compaoré, désormais président d’honneur de la formation politique.
Le jeu des alliances
L’autre point important reste la capacité du parti à nouer des alliances. Comme le souligne Abdoul Karim Saïdou, « il est beaucoup plus difficile dans le contexte actuel de remporter une présidentielle au premier tour. »
Pour le chercheur, depuis la chute de Blaise Compaoré, le Burkina a basculé d’un système de parti dominant à un système pluraliste. Il n’exclut donc pas une alliance entre le CDP et l’UPC en cas de second tour, ni une alliance entre le CDP et le MPP. « La logique des acteurs politiques, c’est d’aller vers la conquête du pouvoir et les aspects idéologiques ou les antécédents ne sont pas des critères importants. Ce qui compte, c’est avec qui on peut garder le pouvoir ou le conquérir », explique-t-il.
Marginalisé après l’insurrection, le CDP a, de fait, su trouver sa place au sein de l’opposition politique. Le 29 septembre 2018, des milliers de manifestants sont descendus dans les rues à l’appel de plusieurs organisations de la société civile et des partis de l’opposition, dont le CDP, pour dénoncer une mauvaise gestion du pays. Mais pour Vincent Ouattara, professeur à l’université de Koudougou et auteur d’essais sur la vie politiques du Burkina, cela reste « uniquement des compromis de situation ». « Par la suite, je ne pense pas que ces forces politiques puissent réellement travailler ensemble. »