Sidiki Diakité, ministre de l'Intérieur et de la Sécurité, et Jacques Ehouo, vainqueur de l'élection municipale, se livrent une bataille pour le contrôle du Plateau. Avec, en toile de fond, le bras de fer qui oppose Alassane Ouattara à Henri Konan Bédié.
Un peu moins de trois mois après l’élection municipale du 13 octobre 2018, la féroce bataille pour le contrôle du Plateau s’éternise. Depuis ce 1er janvier, cette commune située au cœur d’Abidjan, symbole du pouvoir politique et financier de la capitale économique ivoirienne, est gérée par un maire un peu particulier. Vêtu d’un uniforme beige et coiffé d’une casquette brodée, Vincent Toh Bi Irié n’est autre que le préfet de la ville d’Abidjan.
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Le 31 décembre 2018, Sidiki Diakité, le ministre de l’Intérieur et de la Sécurité, a en effet décidé de mettre sous tutelle préfectorale cinq communes, dont celle du Plateau. Lui-même ancien préfet d’Abidjan, Diakité était entré au gouvernement lors du remaniement de juillet 2017. Décrit comme proche de son prédécesseur, Hamed Bakayoko, il a depuis pris ses distances avec l’actuel ministre de la Défense.
Un recours possible devant la Cour suprême
Dans un contexte de fortes tensions entre le Parti démocratique de Côte d’Ivoire (PDCI) et le Rassemblement des houphouétistes pour la démocratie et la paix (RHDP), sa décision a suscité la polémique. Car, au Plateau, contrairement aux autres localités concernées, l’élection du maire ne souffre aucune contestation : la victoire de Jacques Ehouo (PDCI) sur le communicant Fabrice Sawegnon (RHDP) a été validée par la chambre administrative de la Cour suprême.
En agissant ainsi, nos autorités fragilisent les institutions de la République
La logique aurait voulu que le nouveau conseil municipal siège avant le 31 décembre pour installer le maire et ses deux adjoints. La date du 13 décembre avait été fixée, mais le préfet a discrètement quitté la salle en pleine cérémonie. Rien n’a ensuite été fait, ce qui a créé une sorte de vacance sur laquelle s’appuie Diakité pour justifier sa décision.
Selon nos sources, le préfet a agi sur ordre direct du ministre de l’Intérieur. « En refusant d’installer Jacques Ehouo, les autorités se sont elles-mêmes placées dans l’illégalité », estime une source diplomatique occidentale. Les avocats d’Ehouo devraient déposer d’ici peu un recours devant la Cour suprême. « En agissant ainsi, nos autorités fragilisent les institutions de la République. Si nous assistons à [de telles pratiques pour des] élections locales, il faut craindre [le pire] pour [la présidentielle de] 2020 », estime Me Claver N’dry.
Détournements présumés
Si Diakité est en première ligne, la décision de ne pas laisser installer le nouveau maire a été prise au plus haut sommet de l’État. Selon une source à la présidence, « elle est directement liée aux suspicions de détournements de fonds qui pèsent sur Ehouo et sur Noël Akossi Bendjo ». Bendjo, l’ancien maire du Plateau, avait été révoqué en août dernier dans le cadre de la même affaire. Il vit désormais à Paris.
Désigné candidat du PDCI à la dernière minute pour pallier l’absence de son oncle, Ehouo n’est autre que le fondateur de Neg-Com, la société impliquée dans ces détournements présumés, dont le montant serait légèrement supérieur à 3 milliards de F CFA (4,6 millions d’euros). Les autorités avaient tenté en vain de faire invalider sa candidature. « Permettre à Ehouo de gérer la mairie du Plateau revient à laisser un système perdurer », poursuit notre source à la présidence.
Convoqué par la police économique, Ehouo, qui dispose d’un passeport britannique, a d’abord refusé de répondre. Puis a fini par céder, sous la pression du PDCI. Il a été inculpé le 10 janvier. Quelques jours plus tard, le 13 janvier, il a reçu un soutien de taille : celui de Guillaume Soro, le président de l’Assemblée nationale. « Il y a la nécessité de la solidarité pour l’institution elle-même », a-t-il déclaré au domicile du vainqueur de l’élection. Protégé par son statut de député, Ehouo peut désormais être jugé, mais pas arrêté.