« Cela va être une année record, y compris par rapport aux bonnes saisons réalisées avant la pandémie de Covid-19, tant pour le tourisme d’affaires que de loisirs. » Tel est le pronostic de Mamadou Sow, le patron du Palm Beach, l’un des hôtels historiques de Saly, cité balnéaire située sur la Petite-Côte, à 1 h 30 au sud de Dakar. Actif dans le secteur depuis plus de trente ans, l’hôtelier sénégalais, également président du Syndicat national des agences de voyages et de tourisme (SAVT), n’est pas le seul à se montrer optimiste.
« Depuis la mi-octobre, nous assistons à une véritable relance grâce au retour des visiteurs européens et à l’arrivée de nouveaux venus d’Amérique du Nord, avec un taux d’occupation de plus de 80 % », se félicite Solène Martin, à la tête du Lamantin, autre établissement phare de Saly, qui est passé à la fin de 2022 sous la gestion du groupe français Accor. Pour elle, aucun doute, « le tourisme au Sénégal a de très beaux jours devant lui ».
Potentiel sous-exploité
Si d’autres acteurs se montrent plus modérés, tous confirment le fort potentiel touristique du pays. Un atout identifié de longue date mais largement sous-exploité. Chantre de la Teranga (« hospitalité » en wolof), le Sénégal offre du soleil toute l’année et sans décalage horaire pour les Européens, tout en ayant développé le tourisme d’affaires et en présentant de belles perspectives d’écotourisme grâce à sa richesse naturelle, culturelle et patrimoniale.
« Il reste l’un des rares pays d’Afrique de l’Ouest qui peut offrir, en dehors du balnéaire, autant de produits écologiquement et culturellement riches », souligne Sokhna Sabara, à la tête du cabinet de conseil Africa Dreaming.
Érigé en objectif prioritaire du Plan Sénégal émergent (PSE) par le président Macky Sall depuis 2013, l’essor du tourisme – secteur qui contribue à hauteur de 7,6 % au produit intérieur brut (PIB) – doit permettre de générer 750 milliards de F CFA (1,14 milliard d’euros) de recettes en 2022 via l’accueil de 1,8 million de visiteurs. Comptant quelque 1 100 établissements d’hébergement, plus de 330 agences de voyage et une capacité d’accueil de 41 500 lits, le pays, qui a accueilli en moyenne un million de touristes par an entre 2011 et 2015, vise la barre des 3 millions de visiteurs à l’horizon 2035, selon le ministère du Tourisme.
Reprise économique
Le violent coup d’arrêt provoqué par la pandémie de Covid-19 désormais passé, tous les voyants sont au vert. La forte croissance de l’économie – 8,3 % cette année selon le Fonds monétaire international (FMI) –, doit se poursuivre avec l’exploitation prochaine du pétrole et gaz, générant visites et besoins en hébergement.
À l’heure où le tourisme d’affaires se relance avec la reprise des conférences en présentiel (voir encadré), les Jeux olympiques de la jeunesse prévus à Dakar en 2026 doivent booster le tourisme sportif autant que l’image du pays.
Les efforts de l’exécutif pour constituer des pôles touristiques (Dakar, Saint-Louis, Casamance, Sine Saloum, Sénégal oriental) et développer les infrastructures routières et aéroportuaires offrent de nouvelles possibilités de circuits aux voyagistes, sachant que le crédit hôtelier, mesure de soutien aux acteurs nationaux durant la pandémie, doit être prolongé.
Frénésie des investisseurs
Résultat, les investisseurs de tout bord se bousculent. Après la réouverture à la fin de 2021 du Club Med de Cap Skirring en Casamance (propriété de la société mauricienne Grit Real Estate Income Group), le groupe hôtelier espagnol Riu a lancé en avril 2022 un hôtel 5 étoiles all inclusive à Pointe-Sarène sur la Petite-Côte qui doit compter 1 000 chambres dans deux ans.
Toujours sur le volet balnéaire, il y a la transformation du Lamantin en établissement Mövenpick à Saly par Accor (propriétaire de cette marque), ou encore la finalisation d’un Club Med à Nianing et d’un hôtel Aloft sur la pointe des Almadies à Dakar par l’entrepreneur Amadou Loum Diagne, et c’est sans compter les projets du patron du groupe Teyliom, Yérim Sow…
On observe une même frénésie sur le tourisme d’affaires – avec les visées de l’américain Mariott à Dakar, de Yérim Sow et d’autres acteurs à Diamniadio, entre autres – et un fort dynamisme sur les créneaux montants : écohébergements (ecolodges) et parcs animaliers en dehors de Dakar, petite hôtellerie de luxe dans la capitale sénégalaise.
Le Riu Baobab a été inauguré le 26 février 2022. Papa Matar Diop / Présidence du Sénégal
L’ombre de la stabilité politique
Malgré ce contexte porteur, plusieurs défis demeurent. « Les planètes sont alignées pour un bel essor sous réserve du maintien de la stabilité politique du pays et de l’absence de crises géopolitiques dans la région », met en garde Alain Noël, directeur général de Nouvelles frontières, agence de tourisme historique, aujourd’hui filiale de TUI Group, faisant écho à une crainte largement partagée au sein du secteur.
« Si l’embellie est nette, elle doit être consolidée en renforçant la gestion paritaire État-acteurs privés qui est à l’œuvre et en poursuivant certaines réformes, dont l’augmentation du budget consacré à la promotion de la destination Sénégal et à l’établissement de statistiques touristiques solides », expose Mamadou Racine Sy, patron du King Fahd Palace et président des fédérations des organisations patronales du tourisme au Sénégal (Fopits) et au niveau de la Cedeao (Copitour). À cela, s’ajoutent trois autres chantiers : la modernisation du parc hôtelier, la formation de personnels qualifiés et l’accès au financement auprès de banques, publiques comme commerciales.
Des billets d’avion très chers
Tout en sachant qu’il reste un obstacle de taille à l’essor du tourisme au Sénégal, régulièrement pointé par les acteurs privés. Les prix élevés des billets d’avion, principalement en raison des taxes aéroportuaires, rendent le pays de la Teranga bien moins compétitif que le Maroc (qui a accueilli 10 millions de visiteurs en 2022), la Tunisie, l’Égypte ou encore le Cap-Vert.
Si des discussions sont ouvertes depuis un certain temps, il y a toutefois peu de chance de voir l’exécutif infléchir sa position, tant sur les taxes – qui assurent le financement d’infrastructures comme l’aéroport international Blaise-Diagne –, que sur une éventuelle libéralisation du ciel – qui viendrait fragiliser le pavillon national Air Sénégal.
Pour réussir son pari, le pays, même s’il a la chance de disposer d’une offre touristique diversifiée, doit encore construire son propre modèle. Les codes du tourisme et de l’investissement ont bien été adoptés pour organiser l’essor du secteur, mais il reste au Sénégal à affermir sa stratégie sur deux principaux points.
D’une part, il lui faut conquérir davantage de visiteurs nationaux et africains – ils représentent 20 % du total selon Mamadou Racine Sy – afin d’éviter la trop forte dépendance aux flux de touristes balnéaires issus de pays développés. Ses efforts, symbolisés durant la pandémie par la campagne « Taamu Sénégal » (« je préfère le Sénégal » en wolof), méritent d’être renforcés.
D’autre part, alors qu’il entend booster l’écotourisme, il lui faut trouver des solutions pour concilier essor économique et préservation de l’environnement. L’exemple du lac Rose, site touristique historique en périphérie de Dakar aujourd’hui dégradé par l’arrivée des eaux de la capitale, montre que la tâche est ardue.
Le rôle moteur du tourisme d’affaires
Séminaires d’entreprise, conférences ouest-africaines, Forums mondiaux de l’eau et de l’économie sociale et solidaire, visites officielles de délégations étrangères, tournages de films… « Le tourisme d’affaires se porte bien », résume Mamadou Racine Sy, le patron du King Fahd Palace, l’un des hôtels de luxe de Dakar.Abritant les sièges régionaux de nombre d’organisations des Nations unies, de sociétés internationales et d’organisations non gouvernementales (ONG), la capitale sénégalaise a su développer ce segment ces dernières années. Elle dispose d’une demi-douzaine d’établissements 5 étoiles (Pullman, Terrou-Bi, Novotel, Radisson Blu, en plus du King Fahd) et d’un solide portefeuille de 4 étoiles, n’ayant rien à envier à son concurrent sur ce créneau en Afrique de l’Ouest, la capitale économique ivoirienne, où Sofitel, Noom, Radisson, Pullman et Mövenpick sont présents.
Pour le public européen, il n’y a pas besoin de visa pour venir à Dakar, à l’inverse d’Abidjan. C’est un plus, sachant que la capitale sénégalaise bénéficie de davantage de liaisons aériennes vers l’Europe et les États-Unis que son compétiteur ivoirien », rappelle Alain Noël, le directeur général de l’agence de tourisme Nouvelles frontières, agence de tourisme historique, aujourd’hui filiale de TUI Group. Depuis la fin de la pandémie de Covid-19 et la reprise des événements en présentiel, l’essor du segment business se confirme, jouant un rôle moteur dans la relance du secteur.
Un tourisme d’affaires qui n’est plus seulement dakarois. La ville nouvelle de Diamniadio, qui compte un Radisson 5 étoiles, veut s’imposer sur ce créneau, quand la cité balnéaire de Saly accueille de plus en plus de clients venus dans le cadre de leur travail, ce qui incite les hôtels de la place à investir dans des salles de conférences modernes et modulables. Présents pour affaires, ces visiteurs restent souvent quelques jours pour le plaisir, illustration de la tendance observée au niveau mondial au développement du bleisure (combinaison de business et de leisure).