L’opération Wuambushu, « reprise » en mahorais, a officiellement débuté ce lundi 24 avril à Mayotte, avec pour but l’expulsion d’un grand nombre de Comoriens en situation irrégulière. La population est partagée entre l’espoir suscité par cette mobilisation et la crainte qu’elle ne génère encore plus de violences.
Une voiture s’arrête, puis deux, entre les vastes étendues de végétation qui tapissent les hauteurs du 101e département français. Les automobilistes baissent leurs vitres et se questionnent, « Excusez-moi, la route est bloquée ? » Un habitant avance vers eux à pied pour leur déconseiller d’aller plus loin : tôt dans la matinée, sur la route de Vahibé qui traverse Mayotte d’est en ouest, des jeunes des environs ont dressé plusieurs barrages avec des cailloux et des troncs d’arbres. « Ils ne disent que “Wuambushu, Wuambushu, ils vont détruire nos maisons”… Je n’ai pas pu les raisonner », raconte l’habitant.
Une centaine de mètres plus loin, postés en surplomb des petites maisons de tôle, deux agents casqués et équipés de lanceurs de grenades lacrymogènes tiennent à distance un petit groupe qui s’agite en contrebas. Quand ils repartent après de longues minutes, une dizaine d’adolescents, tee-shirts noués autour du cou en guise de cagoules, sortent des ruelles. L’apparition furtive suffit à provoquer la crainte des adultes alentour, preuve du fort sentiment d’insécurité qui pèse dans les esprits des habitants de l’île.
Entre crainte et espoir
Autre secteur soumis à des violences ce lundi 24 avril : la commune de Tsoundzou, au sud de Mamoudzou. Ici, des groupes de jeunes affrontent les forces de l’ordre depuis trois jours. C’est ce lieu emblématique qu’a choisi le préfet de Mayotte, Thierry Suquet, pour la conférence de presse de lancement de l’opération d’expulsion massive d’étrangers en situation irrégulière, lundi en début d’après-midi. « Quand le gouvernement dit qu’on se bat contre la délinquance à Mayotte, ça se passe d’abord dans ces quartiers-là », martèle-t-il, avant d’être interrompu par une habitante du quartier qui saisit les micros : « On a détruit ma maison ! Vous n’avez pas été capables de nous protéger. Ça suffit maintenant. J’ai rien fait à personne », hurle-t-elle face aux caméras. « Cette dame a raison d’être en colère, car sa maison a été brûlée par des voyous et des délinquants. Ce qu’on a fait cette nuit, c’est protéger des gens comme elle », reprend le préfet.
Si la crainte d’une multiplication des affrontements est palpable, beaucoup de Mahorais gardent espoir quant au succès de l’opération Wuambushu. À commencer par les élus et les collectifs villageois mobilisés contre l’immigration clandestine. « Mayotte avait besoin d’un effort supplémentaire de la part de l’État pour lutter contre ces guérillas urbaines », juge Safina Soula, présidente du Collectif des citoyens de Mayotte 2018. Elle se dit « favorable à 200 % » à cette intervention inédite, pensée par le ministre de l’intérieur Gérald Darmanin et ses services et validée en conseil de défense par le président de la République lui-même.
Le but affiché de ce déploiement massif de forces de l’ordre : raser plusieurs zones touchées par l’habitat insalubre, reloger les Français et étrangers en situation régulière, mais arrêter et expulser les étrangers en situation irrégulière. Pour y parvenir, un renfort de quelque 500 policiers et gendarmes est sur le qui-vive jour et nuit. Ce dimanche, des effectifs de la CRS 8 et du Raid ont même été déployés pour faire revenir provisoirement le calme à Tsoundzou. Dans la soirée, des maisons ont été prises pour cibles dans la commune, visées par de nombreux jets de pierres.
Des Français dans les bidonvilles
Plus au nord, à Majicavo, des gendarmes sont également déployés aux pieds du quartier de Talus 2. Mais ici, ni boucliers ni casques ne sont visibles. « Nous ne faisons que sécuriser la zone », affirme un jeune officier. Dans ce quartier de cases en tôle où vivent de nombreux Français et étrangers en situation régulière, des voix s’élèvent pour dénoncer le manque de solutions de relogement. « Ils proposent des contrats de trois mois. Mais après, les gens, ils vont faire quoi ? », s’interrogeait samedi « Stick », un jeune habitant du quartier. Au cœur des inquiétudes : la crainte de se retrouver à la rue et exposé à la violence, qui augmente inexorablement dans le département.
Chez les plus jeunes, dont les parents ne sont pas toujours en situation régulière, l’angoisse de voir leur famille expulsée est également présente. « Je suis née et scolarisée à Mayotte. Si on expulse ma mère aux Comores, qui va s’occuper de moi et de ma sœur ? », s’inquiétait Talila, une jeune fille du même quartier. Une peur partagée par de nombreux foyers de l’île, qui angoissent à l’idée d’assister à l’augmentation du nombre des mineurs isolés, lesquels sont régulièrement pointés du doigt comme les principaux acteurs de la délinquance sur le territoire.
Quelques kilomètres plus loin dans la commune de Koungou, un arrêté municipal a été placardé dimanche par les services de la mairie. Daté du 20 avril et signé par le maire, il vise à empêcher les véhicules de stationner durant quatre jours à partir du mardi 25 avril, « dans le cadre d’une opération coordonnée ». Dans ce quartier appelé Barakani, ils sont nombreux à avoir vu ces dernières semaines leurs logements marqués à la bombe de peinture. Des numéros et deux mots : « Oui » pour les maisons à détruire et « Non » pour celles qui tiennent encore debout. Certains habitants sont partis d’eux-mêmes et ont détruit leurs cases avant l’arrivée des bulldozers. De leurs maisons, il ne reste plus rien d’autre que des tôles froissées et de l’électroménager hors d’usage. Mais dans d’autres secteurs, ce sont bien les machines de gros œuvre de Wuambushu qui se chargeront de détruire les habitations.
Le refus du président comorien
Selon Gérald Darmanin, 817 places sont d’ores et déjà disponibles pour le relogement des familles françaises ou en situation régulière, ce qui semble faible comparé aux ambitions initialement affichées pour l’opération de « décasage ». Pour les étrangers en situation irrégulière, le centre de rétention étant déjà saturé, un nouveau local de rétention administrative a été créé par arrêté préfectoral le 20 avril. La maison de la jeunesse de la commune de Mtsapéré a été réquisitionnée et devrait bientôt accueillir les premières personnes susceptibles d’être renvoyées aux Comores.
Une question persiste : comment atteindre les objectifs d’expulsions prévus face au refus du gouvernement de l’Union des Comores d’accueillir ses ressortissants ? Le président comorien Azali Assoumani, qui considère historiquement Mayotte comme « une île comorienne occupée par la France », s’est engagé depuis quelques jours dans un bras de fer avec la diplomatie française pour suspendre l’opération. « Je regrette que ce matin un bateau transportant 60 personnes qui partaient voir leur famille ou faire des affaires ait été refoulé d’Anjouan », indique à ce sujet le préfet (voir ci-contre). Si, de ce côté de l’archipel, Wuambushu est bien maintenue, son avenir et ses conséquences sont encore incertains.