Sans grande surprise, le nom de Laurent Gbagbo n’est pas apparu sur la liste électorale publiée ce samedi 20 mai par la Commission électorale indépendante (CEI). Cette exclusion de l’ancien président avait été anticipée par sa formation, le Parti des peuples africains – Côte d’Ivoire (PPA-CI), qui a boycotté la réunion de l’organe électorale en signe de protestation. « Nous trouvons cela injuste », avait alors regretté Sébastien Dano Djédjé, l’un des lieutenants de l’ex-chef de l’État.
Face aux critiques des pro-Gbagbo, Ibrahim Kuibiert Coulibaly, le président de la CEI, a tenté de justifier la démarche de son institution : « Le président Gbagbo a été radié de la liste électorale en 2020. Son avocat a saisi la Commission électorale pour nous demander des comptes. Nous leur avons expliqué qu’une décision de justice a été mise à la disposition de la Commission, laquelle stipule que le président Gbagbo est déchu de ses droits civiques et politiques. Le tribunal du Plateau les a déboutés. Voilà pourquoi il ne se trouve pas sur la liste. »
Condamné à vingt ans de prison
Bien qu’acquitté par la Cour pénale internationale (CPI), qui le jugeait pour crimes contre l’humanité commis pendant la crise post-électorale de 2010-2011, Laurent Gbagbo reste sous le coup d’une condamnation à vingt ans de prison par la justice ivoirienne dans l’affaire dite du casse de la Banque centrale des États de l’Afrique de l’Ouest (BCEAO) en 2011.
Des arguments rejetés en bloc par le PPA-CI qui, depuis samedi, mène une offensive médiatique tous azimuts. « Je mets au défi toute personne détentrice de la décision de justice qui dit que Laurent Gbagbo est déchu de ses droits civiques de la publier afin que les Ivoiriens voient. Nous, nous n’en avons pas connaissance », martelait Me Habiba Touré, avocate et cheffe de cabinet de l’ancien président, lors d’un récent débat télévisé. « Le fait d’être adversaire politique ne doit pas retirer à son opposant les droits élémentaires attachés à sa citoyenneté. »
Entre ceux qui estiment que la CEI n’a fait que respecter la loi et les partisans de l’ancien président, les positions semblent irréconciliables. Car derrière la radiation de Gbagbo des listes électorales se joue aussi son éventuelle candidature à la présidentielle de 2025.
Une « coutume politique ivoirienne »
Lors d’une conférence de presse organisée samedi, Justin Katinan Koné, le porte-parole du PPA-CI, était monté au créneau pour « exiger le rétablissement du droit de vote » de l’ancien président. Quand il avait (déjà) été radié des listes électorales en 2020 et que sa candidature à la présidentielle avait été rejetée, les proches de Laurent Gbagbo avaient saisi la Cour africaine des droits de l’homme et des peuples (CADHP).
Celle-ci avait demandé à l’État ivoirien de « prendre toutes mesures nécessaires en vue de lever immédiatement tous les obstacles empêchant le requérant (Laurent Gbagbo) de s’enregistrer sur la liste électorale ». Face au maintien de sa radiation, le PPA-CI a donc rappelé cette décision en estimant qu’elle s’impose toujours à la Côte d’Ivoire. « Nous rendons le gouvernement entièrement responsable des risques de troubles que la décision de rejet de l’inscription du président Laurent Gbagbo fait courir au pays », a insisté Justin Katinan Koné.
Pour l’analyste politique et essayiste Julien Kouao, « l’exclusion électorale est une coutume politique ivoirienne ». « Alassane Ouattara avait été exclu du jeu électoral pour raison de nationalité, Henri Konan Bédié a été quant à lui exclu de la présidentielle de 2000 pour non présence en Côte d’Ivoire et aujourd’hui, c’est Laurent Gbagbo qui l’est pour des raisons judiciaires. Tout ceci n’honore pas le personnel politique », déplore-t-il.
Sur la scène politique, cette décision fait également beaucoup réagir. Lors d’une conférence de presse, Soumaïla Bredoumy Kouassi, le porte-parole du Parti démocratique de Côte d’Ivoire (PDCI), a demandé la réintégration de l’ancien président sur les listes et a affirmé que son parti était « contre toutes les injustices ». « Le pays entre dans une phase de stress et d’incertitudes. (…) Nous n’avons pas intérêt, dans le contexte actuel, à mettre de l’huile sur le feu », a-t-il ajouté.
Tensions accrues
Après l’échec de leur « désobéissance civile » à la présidentielle de 2020, le PDCI et les pro-Gbagbo avaient noué des alliances pour les législatives de 2021 et remporté plusieurs dizaines de sièges. Pour les locales – municipales et régionales – prévues le 2 septembre, les formations politiques des deux anciens présidents travaillent à de nouveaux accords.
La radiation de Laurent Gbagbo des listes électorales aura-t-elle une incidence sur la participation de son parti à ces scrutins ? Pour l’heure, aucune décision n’a été annoncée. Contacté par Jeune Afrique, Justin Katinan Koné a confié que le comité politique du parti s’était réuni lundi 22 mai et que sa stratégie sera définie dans les jours à venir, après consultation des différentes instances.
La marge de manœuvre de Gbagbo semble relativement étroite. « Pour qu’il retrouve ses droits civiques, il lui faut bénéficier d’une loi d’amnistie. L’amnistie peut être prise par le parlement, mais également par le président de la République à travers une ordonnance, explique Julien Kouao. Dans le cas de Laurent Gbagbo, la solution n’est pas juridique, elle est politique. »
L’opposition a beau marteler que l’acquittement de l’ancien président et des autres prisonniers dans le cadre de la crise post-électorale fait partie des résolutions du dialogue politique initié par le pouvoir, cette option ne semble pas encore être à l’ordre du jour.
Le 6 août dernier, lors de son discours à la nation, Alassane Ouattara avait accordé une grâce à son prédécesseur. Dans la foulée, il avait également annoncé d’autres mesures d’apaisement du climat politique, dont le dégel des avoirs de Laurent Gbagbo. Depuis, plus rien ou presque, et des tensions ressurgissent à l’approche des élections locales. Le PPA-CI donc, mais aussi le PDCI ou encore le Mouvement des générations capables (MGC) de Simone Gbagbo que le PPA-CI dénoncent la partialité de la CEI, le découpage électoral et émettent déjà des doutes sur la transparence du scrutin.