Vu au Sud - Vu du Sud

Ouattara, Gbagbo, Bédié… Les locales, tour de chauffe avant la présidentielle

Derniers scrutins avant la course à la magistrature suprême de 2025, les élections régionales et municipales du 2 septembre prochain représentent un test majeur pour les partis politiques. Et pour tous les Ivoiriens.

Mis à jour le 31 mai 2023 à 08:02
 
 

 rci

 

Photo de famille avec les membres du Parlement réunis en Congrès, le 25 avril 2023, à Abidjan. Autour d’Alassane et Dominique Ouattara : Jeannot Ahoussou Kouadio, président du Sénat, et Adama Bictogo, président de l’Assemblée nationale (à g.), et Tiémoko Meyliet Koné, vice-président du pays (d.). © ISSOUF SANOGO/AFP

 

 

La campagne électorale n’est pas encore officiellement ouverte en Côte d’Ivoire, pourtant tous les ingrédients en sont déjà réunis. Sur le terrain, les alliances se font et se défont, des rapprochements se précisent, les dons aux plus démunis et les cadeaux aux associations locales se multiplient, des concerts pour les jeunes s’organisent, les promesses s’entrechoquent… Et les appétits politiques s’aiguisent.

Le 2 septembre, des millions d’Ivoiriens seront appelés à renouveler leurs représentants locaux dans le cadre d’élections régionales et municipales couplées. Un tour de chauffe pour les partis, à deux ans de la prochaine course à la magistrature suprême, prévue en 2025.

Qui contrôlera les mairies et les conseils régionaux ? En 2018, le camp présidentiel s’était imposé dans 18 régions sur 31 et avait raflé 92 mairies sur 201. Cette année, sa stratégie, planifiée bien en amont de celles de ses concurrents, tient en quelques mots : étendre un peu plus son maillage territorial et confirmer son hégémonie. Nombreux sont les observateurs qui parient sur une nouvelle percée de la majorité, face à une opposition qui peine, pour l’heure, à se rassembler, malgré des tractations visant à aboutir, dans certaines circonscriptions, à des listes communes.

Grande offensive du RHDP

Le Rassemblement des houphouëtistes pour la démocratie et la paix (RHDP, au pouvoir) a dévoilé les noms de ses candidats le 20 avril. Mais, dès novembre 2022, le camp présidentiel s’était positionné dans les régions et dans les plus grandes villes du pays, s’octroyant une avance sur ses concurrents.

Ainsi, depuis plus de six mois, Adama Bictogo, le président de l’Assemblée nationale, fait activement campagne dans les dédales de Yopougon, immense et précaire commune de 1,5 million d’habitants dans l’ouest d’Abidjan, acquise à la majorité depuis 2013, mais où la liste commune du Parti démocratique de Côte d’Ivoire (PDCI, de l’ex-président Henri Konan Bédié) et de la plateforme Ensemble pour la démocratie et la souveraineté (EDS, pro-Gbagbo) s’était imposée lors des législatives de mars 2021. Le député d’Agboville y déploie des moyens importants et fait tourner à plein régime ses réseaux. Dernier coup d’éclat : la visite à « Yop » de la star congolaise Koffi Olomidé, en avril.

À LIRECôte d’Ivoire : Yopougon, le pari risqué d’Adama Bictogo

Alassane Ouattara sera, on le sait, très vigilant quant aux résultats de ces scrutins locaux. Il s’est personnellement impliqué dans le choix des candidats, réclamant la mobilisation de tous les poids lourds de la majorité.

Ainsi, le Premier ministre, Patrick Achi, brigue à nouveau la tête du conseil régional de La Mé (Sud-Ouest), qu’il dirige depuis bientôt dix ans. Son épouse, Florence Achi, est candidate pour la première fois à Adzopé, chef-lieu de la région et village de son époux.

Une dizaine de ministres sont sur la ligne de départ, à l’instar de Téné Birahima Ouattara, ministre de la Défense et frère cadet du président, dans la région du Tchologo (Nord), de Kobenan Kouassi Adjoumani, ministre de l’Agriculture, dans le Gontougo (Nord-Est), d’Anne Désirée Ouloto, ministre de la Fonction publique, dans le Cavally (Ouest), ou encore de Mamadou Touré, ministre de la Promotion de la jeunesse, porte-parole adjoint du RHDP, candidat dans le Haut-Sassandra (Centre-Ouest).

À LIREAmadou Koné, pièce maîtresse d’Alassane Ouattara dans le Centre

Le chef de l’État déploie aussi les membres de son cabinet. Fidèle Sarassoro, son directeur de cabinet depuis 2017, est en lice dans la région du Poro (Nord) – jusqu’à présent dirigée par un doyen du RHDP, Coulibaly Tiémoko Yadé, 82 ans –, tandis qu’Éric Taba, chef du protocole de la présidence, se présente dans la commune abidjanaise de Cocody.

Ralliements opportuns

Le RHDP fait feu de tout bois pour empêcher les candidatures indépendantes et peut compter sur les ralliements d’élus locaux. En novembre 2022, Bonaventure Kalou, ex-attaquant du Paris-Saint-Germain (PSG), élu en 2018 en tant qu’indépendant à Vavoua – une commune de plus de 500 000 habitants du centre du pays, très pauvre et dépourvue de toute infrastructure de base –, annonçait rejoindre la majorité.

À LIRECôte d’Ivoire : pourquoi Bonaventure Kalou rejoint le RHDP

Un mois plus tard, Richard Yara, conseiller régional dans la Nawa (Sud-Ouest) et membre du bureau politique du PDCI, et Raymond Yapi N’Dohi, ancien maire de Koumassi, prenaient le même chemin. Ils seront suivis par N’Cho Acho Albert, le maire d’Agboville, Narcisse N’Dri, l’ancien directeur de cabinet d’Henri Konan Bédié, Kouamé Kouakou Lacina, ancien maire de la commune de Bocanda (Centre), ou encore Zézé Souassou Nicole Gohourou, élue maire en indépendante à Guibéroua (Centre-Ouest) la ville natale de Charles Blé Goudé.

À LIRECharles Blé Goudé : « Tôt ou tard, Laurent Gbagbo et moi allons nous voir »

Cette dernière qualifiait ce virage de « logique pour améliorer les conditions de vie des populations ». Bitumage des routes, travaux de voirie, etc., les élus locaux le savent, mieux vaut se rapprocher de l’appareil d’État pour bénéficier de ses moyens. Une expression a même été popularisée par un député, lui-même transfuge : « aller au restaurant ».

Le PPA-CI à l’épreuve du terrain

À la grande question « qui pèse quoi aujourd’hui ? » répondront les résultats du Parti des peuples africains de Côte d’Ivoire (PPA-CI), de Laurent Gbagbo, particulièrement attendus. L’ancien président ivoirien a mis sur pied cette formation « panafricaniste et souverainiste » en 2021, à son retour en Côte d’Ivoire, après son acquittement définitif par la Cour pénale internationale (CPI) alors qu’il était inculpé pour crimes contre l’humanité durant la crise postélectorale de 2010-2011.

Exit le Front populaire ivoirien (FPI), laissé à Pascal Affi N’Guessan après des années de bras de fer juridique. Le PPA-CI, nouvel instrument politique de Gbagbo, prépare son baptême du feu. Il tentera de se faire une place dans 22 des 31 régions du pays et dans 129 communes sur 201.

À LIREEn Côte d’Ivoire, le PDCI dévoile ses candidats pour les locales

Aux régionales, à l’exception du Poro, à la frontière malienne, où le parti présente Seydou Soro, alias « Soro Coton » (président du conseil d’administration de l’Intercoton sous Laurent Gbagbo), le PPA-CI évite le nord du pays. Dans ce septentrion traditionnellement acquis au camp présidentiel, le PPA-CI le sait, ses chances de victoire sont extrêmement minces. Mais ce n’est pas la raison qui aurait poussé sa direction à concentrer ses efforts dans la moitié sud du pays.

Justin Koné Katinan, le porte-parole du parti, avance « la fracture sociopolitique […] encore forte » en Côte d’Ivoire et accuse les autorités d’« institutionnalisation de la violence comme mode de conservation du pouvoir », ce qui empêche son déploiement dans le Nord.

Plus au sud donc, elle a choisi Stéphane Kipré, vice-président exécutif du parti, chargé de l’implantation, et ex-gendre de Gbagbo, pour ferrailler dans le Haut-Sassandra. Le député Hubert Oulaye, président exécutif du PPA-CI, se positionne pour sa part dans le Cavally. Quant à Assoa Adou, compagnon de route historique de Gbagbo et président du conseil stratégique du parti (CSP), il se lance dans l’Indénié-Djuablin (Sud-Est).

À LIRECôte d’Ivoire : le PPA-CI de Laurent Gbagbo choisit de voir le verre à moitié plein

Dans la région voisine du Sud-Comoé, Georges Armand Ouégnin, également membre du CSP, fera face au président de région sortant, Aka Aouélé, qui préside aussi le Conseil économique, social, environnemental et culturel. L’ancien ministre de Gbagbo Sébastien Djédjé Dano, lui, est attendu dans le Gôh (Sud).

 

rci2

 

Le député Michel Gbagbo, candidat désigné par le PPA-CI pour défendre ses couleurs dans l’immense commune abidjanaise de Yopougon, où il affrontera Adama Bictogo, le président de l’Assemblée, qui y mène campagne pour le RHDP. © ISSOUF SANOGO/AFP

Sans surprise, à Yopougon, Michel Gbagbo, député et fils de l’ancien président a été choisi pour affronter Adama Bictogo. Il pourrait bénéficier d’un accord avec le PDCI, qui y présente le député Dia Houphouët Augustin Yohou. C’est à « Yop », considéré comme l’un de ses fiefs, que le septuagénaire Laurent Gbagbo a tenu un grand meeting le 31 mars dernier, dans le cadre de sa « fête de la renaissance ». L’occasion pour le Woody, relativement discret depuis son retour à Abidjan, de rassurer ses partisans « sur son envie et sa volonté de faire du PPA-CI le principal parti d’opposition et sur sa détermination en vue des prochaines élections locales », avait alors confié Katinan.

Où en est le PDCI ?

Du côté du PDCI, de longues tractations ont finalement accouché des noms de 27 candidats aux régionales, parmi lesquels l’ex-secrétaire général du parti, Alphonse Mady Djédjé, dans le Haut-Sassandra, et Simon Doho, président du groupe parlementaire du parti, dans le Guémon (Ouest) .

À LIRECôte d’Ivoire : Simon Doho, l’homme au cœur de la stratégie d’Henri Konan Bédié ?

Dans la capitale, Yamoussoukro, le parti a finalement désigné Patrice Kouamé Kouassi, au détriment du maire sortant, Jean Kouacou Gnrangbé Kouadio, édile depuis une vingtaine d’années et qui souhaitait se représenter. Il affrontera, côté majorité, Souleymane Diarrassouba, le ministre de l’Industrie et du Commerce.

À Grand-Bassam, Linda Diplo représentera l’ancien parti unique, malgré le soutien exprimé par la base à Georges-Philippe Ezaley, secrétaire exécutif en chef adjoint de Bédié. Enfin, dans la commune abidjanaise de Cocody, le PDCI a désigné le maire sortant, Jean-Marc Yacé. Quant à la députée de la commune, Yasmina Ouégnin, qui convoite ce mandat, elle a déjà fait savoir qu’elle se présenterait, mais en indépendante : un coup dur pour le parti, qui, comme le RHDP, tente à tout prix de limiter l’éparpillement des voix.

Le FPI, partenaire particulier du RHDP

Après des mois de négociations, le FPI, dirigé par Pascal Affi N’Guessan, s’est pour sa part entendu avec le RHDP sur « un accord de partenariat » pour « la réconciliation nationale, la cohésion sociale et la démocratie ». À Cocody, son candidat, Issiaka Sangaré, secrétaire général du parti, a d’ores et déjà fait part de son soutien au RHDP.

À LIREEn Côte d’Ivoire, le FPI d’Affi N’Guessan en campagne partout, mais avec des moyens limités

Le camp présidentiel n’a cependant pas manqué d’aligner des candidats dans le Moronou (Centre-Est), l’unique région acquise au FPI. Et c’est Mathias Ahondjon N’Guessan qui a été désigné pour y affronter Pascal Affi N’Guessan, candidat à sa réélection. Le FPI sera cependant dans la course sur l’ensemble du territoire, sans cacher le manque de moyens financiers dont pâtiront ses candidats pour faire campagne.

Bola Tinubu prend les rênes du Nigeria

Le « faiseur de rois » a prêté serment ce lundi 29 mai à Abuja pour devenir officiellement le nouveau président du Nigeria. De la dette à l’insécurité, le pays est confronté à de nombreux défis, auxquels le dirigeant va devoir faire face.

Par Jeune Afrique
Mis à jour le 29 mai 2023 à 17:27
 
 
bola
 

 

Bola Tinugu salue les invités lors de sa cérémonie d’investiture comme nouveau président du Nigeria, place de l’Aigle à Abuja, le 29 mai 2023. © KOLA SULAIMON / AFP

 

« En tant que président de la République fédérale du Nigeria, je m’acquitterai de mes devoirs et de mes fonctions honnêtement, au mieux de mes capacités, fidèlement et conformément à la Constitution », a déclaré le nouveau président, Bola Ahmed Tinubu, lors de sa cérémonie d’investiture à Abuja, la capitale fédérale. Il a également appelé à l’unité du Nigeria et a promis de faire de la sécurité « sa priorité ». De nombreux chefs d’État africains ont fait le déplacement pour la cérémonie, comme les présidents Nana Akufo-Addo(Ghana), Cyril Ramaphosa (Afrique du Sud) ou Paul Biya (Cameroun). Un important dispositif sécuritaire était déployé dans la capitale.

À LIREÀ peine élu, Bola Tinubu tend la main à ses rivaux après la présidentielle au Nigeria

L’investiture s’est tenue trois mois après la présidentielle du 25 février, dont le résultat est contesté par les deux principaux candidats de l’opposition, Atiku Abubakar et Peter Obi, qui dénoncent des fraudes massives du parti au pouvoir. Leurs recours en justice sont en cours d’examen. Le nouveau président est aussi visé par des accusations de corruption, qu’il a toujours niées, mais n’a jamais été condamné. Sa santé est également un sujet de préoccupation.

Différence de style

Surnommé « le faiseur de rois » ou « le parrain », du fait de son immense influence politique, Bola Tinubu avait fait campagne en soulignant que c’était « son tour » de diriger la première économie du continent. Il avait mis en avant son expérience à la tête de Lagos, locomotive du Nigeria, qu’il a gouvernée de 1999 à 2007. Nombreux sont ceux qui affirment que cet habile homme politique et d’affaires a contribué à moderniser et sécuriser la capitale économique de 20 millions d’habitants. Ils espèrent qu’il aura un impact similaire sur le reste du pays.

Âgé de 71 ans, le dirigeant d’ethnie yorouba, originaire du sud-ouest du pays, succède ainsi à Muhammadu Buhari, du même parti que lui. Cet ancien général de 80 ans, un peul du Nord, se retire après deux mandats, comme le prévoit la Constitution, et un bilan jugé très décevant. La première élection de Muhammadu Buhari, en 2015, avait suscité un grand espoir, en termes de lutte contre la corruption et l’insécurité rampante. Mais il a a largement déçu. Après huit années au pouvoir, il laisse le Nigeria face à d’immenses difficultés économiques (inflation à deux chiffres, explosion de la dette et de la pauvreté) et aux violences massives de groupes jihadistes et criminels.

À LIRECinq questions pour comprendre les enjeux de la présidentielle au Nigeria

Sa présidence a montré « qu’il était possible pour un individu perçu par beaucoup comme incorruptible de diriger une administration qui est néanmoins définie par la corruption et l’incompétence », selon le chercheur Ebenezer Obadare, du groupe de réflexion Council on Foreign Relations, basé à Washington. « Avec le nouveau gouvernement de Bola Tinubu, les Nigérians verront bientôt si un dirigeant largement considéré comme corrompu peut présider une administration relativement exempte de malversations et raisonnablement compétente ».

Les deux hommes diffèrent en termes de style et de réputation, mais tous deux sont musulmans dans un pays divisé à parts presque égales entre chrétiens et musulmans, et tous deux ont un âge avancé. Durant ses deux mandats, Muhammadu Buhari s’est rendu à plusieurs reprises au Royaume-Uni pour raisons médicales, et Bola Tinubu a passé du temps à l’étranger pendant la campagne électorale et avant son investiture. Avec les spéculations sur sa santé, les regards se sont tournés vers son vice-président, Kashim Shettima, ancien gouverneur de l’État de Borno (nord-est) âgé de 56 ans.

Redresser l’économie

Bola Tinubu devra s’atteler à redresser l’économie du pays. L’un des principaux défis du Nigeria, riche en pétrole, est qu’il échange du brut valant des milliards de dollars contre du carburant importé (en raison des défaillances de ses raffineries) qu’il subventionne ensuite pour son marché. Cette situation a entraîné une énorme perte de revenus et de devises, contribuant à l’explosion de la dette.

À LIREAu Nigeria, pénurie de billets et vague de violences à deux semaines de la présidentielle

Selon la Banque mondiale, plus de 80 millions des 215 millions de Nigérians vivent en dessous du seuil de pauvreté. Les Nations unies ont prévenu que plus d’un quart d’entre eux seraient confrontés à un risque élevé d’insécurité alimentaire cette année. Le géant anglophone a beau être l’un des pays les plus dynamiques du continent, notamment grâce à sa florissante industrie culturelle (entre le Nollywood et l’Afrobeats), il fait aussi face à une grave fuite des cerveaux.

Une autre priorité du nouveau gouvernement sera de lutter contre l’insécurité. Le pays fait face à une insurrection jihadiste vieille de 14 ans dans le nord-est, à des bandes criminelles qui ravagent le nord-ouest et le centre, qui pratiquent tueries de masse et enlèvements contre rançon, et à une agitation séparatiste dans le sud-est.

(avec AFP)

En Côte d’Ivoire, une saison amère pour la filière cacao

Alors que commence la campagne intermédiaire de commercialisation 2022-2023, le volume de fèves disponibles et les prévisions de récolte sont en baisse. Les conséquences pourraient être graves pour certains exportateurs ivoiriens s’ils ne parvenaient pas à honorer leurs engagements auprès des acheteurs internationaux.

Par  - À Abidjan
Mis à jour le 26 mai 2023 à 10:18

 cacao

 

Décorticage de fèves de cacao torréfiées au sein de la coopérative du Bélier (Coopbel), à Toumodi, dans la région du Bélier (centre de la Côte d’Ivoire), en juin 2022. © Andrew Caballero-Reynolds/The New York Times

 

Premier pays producteur de cacao au monde, la Côte d’Ivoire a entamé le 1er avril sa campagne intermédiaire de commercialisation pour la récolte 2022-2023, qui se clôturera le 30 septembre. Pour cette période, le gouvernement annonce des prévisions de récolte de 450 000 tonnes, voire 500 000 t. Un volume en baisse, comparé aux 600 000 t de la campagne intermédiaire 2021-2022. L’heure n’est donc pas à la fête chez les professionnels, et l’entrain habituellement de mise chez les cacaoculteurs en début de récolte n’y est pas.

Il faut dire que le contexte de cette campagne intermédiaire cacaoyère, appelée petite saison, est particulier. « Cette année, le grainage est très élevé, et cela a entraîné une décote de 75 F CFA par kilo [0,114 euro/kg], entraînant une perte de 33,7 milliards de F CFA. En réalité, c’est cela qui devait être retranché du montant global », a prévenu Kobenan Kouassi Adjoumani, le ministre ivoirien de l’Agriculture.

À LIRE[Vidéo] Guerre du cacao : la Côte d’Ivoire et le Ghana face aux multinationales

Petite saison, petite récolte

En général, pendant la petite saison, les fèves sont petites ou de moins bonne qualité, rendant difficile leur exportation. La récolte est alors destinée prioritairement aux industriels locaux pour l’approvisionnement de leurs usines. D’ailleurs, depuis le 1er avril, les livraisons de cacao dans les ports de San Pedro et d’Abidjan restent faibles, en particulier celles en provenance de l’extrême-ouest du pays. Les opérateurs espèrent cependant que les pluies vont augmenter les rendements et permettre d’atteindre un pic de production en juin et en juillet – même si demeure la problématique de qualité inhérente à la campagne intermédiaire.

À LIRE[Série] Producteurs contre multinationales, la guerre du cacao

Le fait que plusieurs acteurs nationaux aient accumulé un grand retard dans leurs achats donne aussi à cette saison cacaoyère un accent particulier. En effet, à la fin de la campagne principale, le 31 mars, de nombreuses entreprises nationales n’avaient pas encore honoré tous leurs contrats (plusieurs estimations ont ainsi évalué que les contrats en retard représentaient un volume de 100 000 t de fèves) et elles ont depuis sollicité le Conseil café-cacao (CCC) pour trouver une solution.

Au cours de la dernière campagne principale (1er octobre 2022-31 mars 2023), selon les prévisions, plus de 1,8 million de t de fèves ont été acheminées vers les ports de San Pedro et d’Abidjan. Et, durant cette période, les négociants ivoiriens ont éprouvé de nombreuses difficultés d’approvisionnement, dues à une grave pénurie de fèves, mais aussi à la contrebande vers des pays frontaliers comme le Liberia et la Guinée. Certaines multinationales sont aussi suspectées d’avoir « retenu » une partie de la récolte à travers leurs relais dans les régions de production, négociant ensuite la cession gratuite de contrats des nationaux à leur profit.

« Aucun péril en la demeure »

Des mesures ont été prises par le Conseil café-cacao pour contrôler la situation. Le 21 février, il a fermé l’accès à l’achat des fèves à une vingtaine d’acteurs, dont les multinationales Cargill, Barry Callebaut et Olam. En outre, une règle spécifique à la filière, qui interdit le stockage de fèves pendant plus de vingt jours dans les magasins des coopératives et des unités de traitement, a été activée – assortie d’éventuelles sanctions pécuniaires pour les contrevenants.

À LIRECacao : l’alliance Côte d’Ivoire-Ghana durcit le ton face aux multinationales

« Nous avons mis tout en œuvre pour que les nationaux, tout comme les multinationales, puissent s’approvisionner convenablement », explique Yves Brahima Koné, le directeur général du CCC, qui assure qu’il n’a aucun péril en la demeure. Le CCC est en effet loin de la situation qu’il a traversée en 2016-2017, pendant laquelle de nombreux négociants n’avaient pas pu honorer leurs contrats, ce qui avait entraîner une grave crise. Laquelle a abouti au limogeage de l’ancienne direction du CCC, à la suite d’un audit.

Aujourd’hui, la configuration est bien différente. « Nous avons un tableau de bord que nous observons régulièrement pour faire un point entre les contrats et les achats physiques », souligne Yves Brahima Koné. Les opérateurs, dont beaucoup sont issus du Groupement des négociants ivoiriens (GNI), espèrent avoir accès aux fèves pendant la saison intermédiaire en cours. Cependant, l’approvisionnement reste difficile compte tenu du très faible niveau de la récolte.

Les experts d’Achi

Le gouvernement ivoirien s’est donc saisi du dossier et cherche des solutions. En mars, deux spécialistes, fins connaisseurs du négoce de cacao, ont été nommés au cabinet du Premier ministre, Patrick Achi, afin de mener des réflexions et de trouver une réponse satisfaisante aux attentes des acteurs locaux. Une volonté de muscler son équipe qui souligne l’importance du secteur pour l’exécutif. Mais ces experts, Jean-Marie Delon, ancien du géant Cargill, et Moustapha Konaté, qui a officié pour Armajaro, n’inspirent pas confiance aux négociants ivoiriens.

À LIREEn Côte d’Ivoire, quand le Conseil café-cacao ferme les vannes

« Il n’y a aucun agenda caché au profit des multinationales. Et il ne s’agit pas non plus de contourner le CCC. Les nouveaux consultants accompagneront le gouvernement dans la prise de décision rapide », explique un proche du dossier à la primature. Le cabinet du Premier ministre a beau tenter de rassurer, le doute persiste.

De son côté, le CCC observe la situation et n’envisage pas de pénaliser les entreprises qui ne rattraperont pas leur retard dans les achats. Une opportunité sera donnée aux négociants locaux de reporter leurs contrats sur la prochaine campagne principale, qui démarrera le 1er octobre. Mais aucune décision formelle n’a été arrêtée.

Mali: un rassemblement pour demander le départ de la Minusma

Plusieurs milliers de personnes se sont rassemblées jeudi à Bamako pour exiger la fin de la présence onusienne. C'était au Palais des sports de la capitale malienne. Parmi les organisations qui ont appelé à ce rassemblement, on peut citer le M5-RFP, qui est le parti du Premier ministre de transition Choguel Maïga, ainsi que des organisations de la société civile qui soutiennent les autorités de transition, comme Yerewolo-Debout sur les remparts ou encore Sentinelles Mali-Kura.

 

« La Minusma doit partir du Mali, parce que le peuple malien, le gouvernement malien attendent depuis dix ans des résultats de la Minusma. Au lieu que la Minusma travaille avec les autorités, avec le peuple malien, la Minusma est en train de travailler à discréditer notre armée, qui est notre colonne vertébrale et le symbole de notre unité nationale. Le dernier exemple, c'est l'exemple de Moura : tout le monde sait que Moura était un sanctuaire de terroristes », assène Mohammed Kassoum Djiré, le président de Sentinelles Mali-Kura.

 

Des propos qui font référence à la publication récente d'un rapport onusien qui accuse l'armée malienne et ses supplétifs russes d'avoir exécuté plus de 500 civils dans ce village du centre du pays, au cours d'une opération menée en mars 2022.

« Moura est un sanctuaire terroriste, martèle Mohammed Kassoum Djiré, tout le monde le sait depuis presque sept ans ! Maintenant que l'armée malienne est montée en puissance, on accuse cette armée de violations du droit international humanitaire. Nous sommes de ceux qui pensent qu'on ne doit pas instrumentaliser le droit international humanitaire. Sur ce, nous demandons tout simplement à la Minusma de faire comme d'autres pays, comme Barkhane (la force militaire française qui a dû quitter le Mali en août dernier, Ndlr), comme Takuba (force européenne qui a mis fin à ses opérations au Mali en juin dernier, Ndlr) : de rentrer chez eux ! »

La Minusma condamne les appels à la violence

De son côté, la Minusma ne commente pas les motivations des manifestants. En revanche, la porte-parole de la mission onusienne au Mali, Fati Kaba, dénonce des débordements et des appels à la violence.

« Il y a un vrai débat en cours aux Nations unies sur comment rendre les opérations de maintien de la paix plus efficaces. Pour nous, à la Minusma, évidemment que nous sommes attentifs à tous les points de vue exprimés là-dessus, et nous restons tout à fait ouverts à la critique constructive, explique Fati Kaba. Par contre, nous jugeons totalement inacceptable et dangereux tout appel à la violence contre la Minusma et son personnel. Parce que cela a forcément un impact sur les actions que nous menons en appui aux autorités et au peuple malien, ça met en danger la sécurité de notre personnel, y compris d'ailleurs nos collègues maliens, et puis il ne faut pas oublier que nous sommes déployés au Mali à l'invitation du gouvernement et que nous opérons avec son consentement. Au-delà même du Mali, ce qui se passe sur le plan de la paix et de la sécurité ici a un impact sur l'ensemble de la sous-région. Donc la violence n'a vraiment pas sa place dans ce débat. Les Casques bleus sont des soldats de la paix, et les appels à attaquer le personnel et les installations de la Minusma doivent donc cesser immédiatement. »

Afrique de l’Ouest-Sahel: vers une présence modulable et légère des troupes françaises

 

Lors d’une interview exclusive donnée à RFI et à l’AFP depuis Ndjamena lundi 15 mai, le général de division Bruno Baratz, commandant des forces françaises au Sahel depuis 10 mois, décrypte l’évolution du dispositif militaire français en Afrique. Une présence qui, après une décennie d’opération Barkhane, se veut désormais légère et modulable. Entretien avec notre envoyé spécial au Niger, Franck Alexandre.

RFI : L’armée française a tourné la page de l’opération Barkhane et de sa présence au Mali au début de votre mandat, à l’été 2022, et vous avez reçu pour mission d’élaborer avec le Niger un partenariat de combat rénové ou revisité, qui fait partie de la stratégie générale de « l’Afrique autrement ». Quelle est la nouvelle philosophie à l’œuvre au Sahel ?

Bruno Baratz : Au Niger, et de façon même globale partout en Afrique, la position philosophique est différente de ce qui se faisait au Mali. Aujourd’hui, notre aide part d’abord du besoin du partenaire. Le principe est de ne pas conduire d’opération à notre niveau, mais plutôt de venir amener des capacités pour que les armées africaines réalisent leurs propres opérations. Quand on me demande quel est le nom de cette nouvelle opération, puisque Barkhane a disparu, j’ai l’habitude de dire qu’il n’y a pas d’opération française ! Nous, on n’a plus d’opération, il y a uniquement celles de nos partenaires nigériens, tchadiens. Et nous, nous ne faisons qu’amener des capacités qu’ils n’ont pas encore, qu’ils sont en train d’acquérir et pendant un temps limité où ils estiment avoir besoin de notre soutien et de notre appui.

Exemple au Niger où les Forces armées nigériennes (FAN) sont en pleine montée en puissance. Ils espèrent avoir un effectif de 50 000 hommes à l’horizon 2025 pour pouvoir assurer seuls leur sécurité et la stabilité du Niger. Cette montée en puissance va se faire en deux temps, avec un objectif de 50 000 soldats dans deux ans et de 100 000 en 2030. Nous ne faisons que leur fournir certaines capacités pour leur permettre de faire face aux menaces terroristes, car ils ont quatre fronts à tenir en même temps, le long de la frontière malienne et celle du Burkina, la frontière libyenne et la région du lac Tchad. Pour faire face, ils ont besoin de notre aide, mais nous ne sommes pas les seuls, puisque d’autres partenaires occidentaux sont également à leurs côtés. En 2025, les FAN auront déjà de solides capacités pour endiguer les menaces sur leur sol, et ce, d’autant plus que le Niger a une stratégie de contre-insurrection qui est particulièrement efficace et qui a de bons indicateurs. L’objectif de leur lutte, c’est bien de sécuriser les populations et de permettre le retour de l’État dans les zones contestées par les groupes armés terroristes. Une stratégie simple et efficace, une approche globale avec le retour de l’État, des instances de dialogue entre communautés.

C’est tout l’intérêt de la Haute autorité de la consolidation de la paix, qui est là pour justement permettre ce dialogue et faire en sorte que les tensions qui, localement, peuvent apparaître, s’estompent. Le Niger a connu une rébellion touarègue, ce qui a poussé les autorités à trouver des solutions pour rétablir la concorde nationale. Aujourd’hui, les Nigériens connaissent leur fragilité, ils savent très bien qu’il faut promouvoir ce dialogue. Ce qu’ils font régulièrement, y compris avec les gens qui sont passés du côté obscur en rejoignant des groupes armés. Ils maintiennent le dialogue avec ces populations qui ont été tentées par l’aventure djihadiste. C’est beaucoup plus simple pour les armées françaises et les partenaires occidentaux de venir appuyer cette stratégie très claire. Et les objectifs atteints sont très pertinents, puisque, par exemple, l’année dernière, l’objectif numéro 1 de l’opération Almahaou (opération militaire nigérienne) était de faire en sorte que, dans le Liptako nigérien, tous les champs qui étaient à l’abandon en 2021 puissent être cultivés en 2022 et que les populations reviennent. Cet objectif a été atteint. Donc, on est bien dans cette logique de contrôle de l’espace. Et c'est là qu'on nous attend : aider les Nigériens à contrôler leur espace de façon à ce que les populations reprennent leur vie normale et que les services de l'État se remettent en place. Cela facilite notre appui.

Il y a une véritable résilience du Niger, qui est finalement inquiété sur toutes ses frontières et qui, malgré tout, parvient à tenir. C’est bien qu’ils ont réussi à trouver cet équilibre interne entre les communautés et éviter ainsi des luttes fratricides, comme on peut l’observer au Mali. Le Niger assume également pleinement d’avoir demandé le soutien de la France. Les Nigériens ne cachent pas du tout le fait d’avoir demandé l’appui d’autres pays occidentaux comme les Italiens ou les Américains. Ils savent parfaitement ce qu’ils veulent obtenir de tel ou tel partenaire. Ils ne demandent pas la même chose aux uns et aux autres, c’est toujours très complémentaire.

>> À lire aussi :Forces françaises au Sahel: l'anti-Barkhane

Quels sont les défis de cette nouvelle approche et les écueils à éviter ?

Il faut reformater les esprits de nos militaires. Beaucoup de nos unités sont passées au Mali, ont connu Barkhane. Or, ce que font les forces françaises aujourd’hui au Niger et au Tchad, ça n’a rien à voir en terme d’état d’esprit. On se met vraiment à la disposition du partenaire. Il n’y a pas de plan de campagne français, ça n’existe pas. C’est bien leurs opérations et on se cale sur leur rythme opérationnel.

Je ne vous cache pas que ça demande un peu de pédagogie ! C’est le changement culturel entre Barkhane et notre nouvelle mission qui est le premier point d’attention pour moi. Le second point d’attention, c’est l’approche éthique qui, parfois, n’est pas identique selon les troupes. On vient apporter un appui pour les populations et les armées locales. Or, pour eux, c'est une guerre existentielle, totale. Mais il est hors de question d’enfreindre nos règles et nos valeurs, c’est une ligne rouge.

Par ailleurs, nos partenaires ont parfois du mal à exprimer leur besoin. C’est pour cela qu’il est important de beaucoup les écouter et de beaucoup dialoguer.

L’évolution du dispositif militaire français en Afrique est en discussion depuis un an. La France envisage-t-elle de réduire drastiquement ses effectifs pré-positionnés, et quels sont les besoins exprimés par les pays partenaires ?

Le dialogue est toujours en cours. Récemment, notre ministre des Armées (Sébastien Lecornu, NDLR) s’est déplacé au Gabon, au Sénégal et en Côte d’Ivoire pour entamer justement les premières discussions sur l'organisation du dispositif. Aujourd'hui, le contour n’est pas complètement arrêté. L'idée, c'est de vraiment répondre aux besoins et aux souhaits des pays partenaires et d’établir une nouvelle forme de présence française, sachant que l’idée est de les appuyer seulement quand ils en ont besoin. Mais ça peut se faire aujourd'hui de façon différente.


On n'est pas obligé d'être très nombreux pour répondre à leurs besoins du moment, et ce, d'autant plus que certaines armées sont très développées et possèdent un très bon niveau opérationnel. Ils sont plus demandeurs d'exercices et d’entraînements conjoints avec nous, sur des courtes périodes, plutôt que d’avoir de gros contingents permanents de soldats français chez eux. Selon les pays, il y a des niveaux de maturité et des besoins très différents. Et donc, tout ça, ça va se définir petit à petit, progressivement, dans un dialogue entre ministères.

L'idée générale, bien entendu, est d’être le plus léger possible puisque finalement, aujourd'hui, avec les moyens de projection dont on dispose, avec les avions gros porteurs comme l’A400M, on peut assez facilement renforcer un dispositif. Les parachutistes français viennent par exemple de mener une opération de quelques jours au Niger et ils repartent immédiatement en France. Donc c'est un peu le modèle que l’on veut promouvoir, ne plus être visible sur le temps long.

Ce sera du sur mesure à chaque fois. Pour le Tchad, on est dans la même logique d'approche. Le besoin actuellement est plus dans le domaine aérien que terrestre. Le Tchad a bien compris l’intérêt de l’appui aérien et du renseignement aussi. Ce sont les deux axes d’effort souvent demandés. Au Tchad, le dispositif évoluera dans le temps. Le dialogue n’est pas terminé et on verra en fonction de leurs demandes, de leurs besoins, comment et sous quelle forme on pourra y répondre. 

Autre ligne de front : la guerre informationnelle menée par les mercenaires de Wagner pour entretenir le sentiment anti-français. Quel est l’état des lieux ?

La guerre informationnelle est généralisée par la Russie, qui attaque toutes les positions françaises. Eux se permettent de mentir et raconter n'importe quoi sur la France et ses agissements, de façon totalement éhontée. Cette campagne touche non seulement les pays où la France a été engagée, mais aussi les autres pays de la région où tout ce qui peut déstabiliser peut créer des marchés potentiels pour Wagner, qui est un système économique. On les voit très actifs au Burkina Faso, au Mali, en Centrafrique… Ils ont aussi fait croire à un coup d'État en cours au Niger. Ils essayent de cibler ce qu’ils estiment être les points faibles des pays, comme la stabilité politique, l’image de la France un peu partout.