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Au Mali, Ibrahim Boubacar Keïta prêt au dialogue avec les jihadistes,
au risque de négocier avec le diable

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Le président malien IBK quitte Bamako pour Nouakchott, le 24 février 2020.

Après avoir longtemps refusé tout contact avec les jihadistes, le président malien Ibrahim Boubacar Keïta, entrouvre pour la première fois la porte à des pourparlers. Jusqu’où et à quel prix ?

Son premier cercle l’assure : Ibrahim Boubacar Keïta n’avait pas prévu d’évoquer le sujet durant cette interview. Mais ce 10 février, à Addis-Abeba, quand RFI et France 24 l’interrogent sur les possibilités de négociations avec Amadou Koufa et Iyad Ag Ghaly, le président malien ne se défile plus.

Pour la première fois, il reconnaît que le contact a été établi avec les deux principaux chefs du Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans (GSIM), nébuleuse jihadiste sahélienne affiliée à Al-Qaïda. « J’ai le devoir et la mission de créer tous les espaces possibles et de tout faire pour que, par un biais ou un autre, nous parvenions à un apaisement. Il est temps que certaines voies soient explorées […]. Nous ne sommes pas des gens butés, bloqués ou obtus. »

Ces propos ont de quoi surprendre. Jamais, depuis son entrée au palais de Koulouba, en septembre 2013, il ne s’était montré si ouvert. Récemment encore, il répétait qu’il était hors de question de négocier quoi que ce soit avec ces « terroristes ». N’avait-il pas déclaré en juin 2019 à JA qu’une « mer de sang [le] sépar[ait] de ces gens » et qu’il n’avait « rien à dire » à Iyad Ag Ghaly ?

Des négociations déjà existantes

Malgré cette fermeté de façade, nul n’ignorait les différents canaux plus ou moins officiels qui existaient déjà entre Bamako et les maquis d’Amadou Koufa dans le Centre. Pendant longtemps, le chef de l’État a tâtonné sur la stratégie à adopter sur cette question sensible. Pressé par une opinion publique favorable à l’instauration d’un dialogue avec les jihadistes maliens, il a essayé différentes formules.

En 2017, son Premier ministre Abdoulaye Idrissa Maïga chapeaute directement une « mission de bons offices » de l’imam Mahmoud Dicko auprès des réseaux de Koufa. Mais l’arrivée à la primature de Soumeylou Boubèye Maïga, partisan d’une ligne dure, met brusquement un terme à cette initiative au début de 2018.

Le cap est désormais clairement donné : il faut que nous nous parlions entre Maliens pour trouver des solutions

Dans les mois qui suivent, plusieurs initiatives de médiations locales sont néanmoins lancées. En juillet et en août 2019, des négociations menées par les services de renseignements maliens, validées au plus haut niveau de l’État, aboutissent à l’échange de quelques militaires maliens contre des détenus jihadistes dans le delta intérieur du Niger. Durant ces discussions, Amadou Koufa se dit personnellement « prêt à faire une trêve ».

Décembre 2019. Le Dialogue national inclusif se tient à Bamako. L’une de ses conclusions prône l’engagement rapide de concertations avec les jihadistes de nationalité malienne. Cette fois, IBK s’engage à appliquer cette recommandation – ce qu’il n’avait pas fait en 2017, alors que la Conférence d’entente nationale avait préconisé la même chose.

« Cela a été un vrai tournant, confie l’un de ses proches. Le cap est désormais clairement donné : il faut que nous nous parlions entre Maliens pour trouver des solutions. » À la fin de janvier, Dioncounda Traoré, le haut représentant du chef de l’État pour le Centre, lâche un premier ballon d’essai : en conférence de presse, l’ancien président de la transition indique avoir dépêché des émissaires auprès d’Iyad Ag Ghaly et d’Amadou Koufa pour leur signifier qu’il était « disposé à discuter » avec eux. Quelques jours plus tard, IBK en personne confirme ce changement de stratégie depuis Addis-Abeba.

Pourquoi le président a-t-il fini par changer d’avis ? D’abord parce que, comme il le dit lui-même, le sang a trop coulé. Selon l’ONU, les violences ont fait plus de 4 000 morts au Mali, au Burkina Faso et au Niger en 2019. Dans le centre du Mali, zone d’influence d’Amadou Koufa et de sa katiba Macina, les attaques connaissent un regain depuis le début de l’année.

La dernière en date a été tristement symbolique : le 14 février 2020, 31 personnes ont été tuées dans le village d’Ogossagou, près de Mopti, où près de 160 autres avaient déjà été massacrées il y a un an. Une sinistre répétition de l’Histoire qui a choqué l’opinion et illustré, une nouvelle fois, l’impuissance de l’État.

Le retour à Kidal

Certains ont également vu, dans ce tournant opéré par le régime, un moyen de calmer le jeu avec Iyad Ag Ghaly alors que « l’armée malienne reconstituée » était en route pour Kidal. Figure de la tribu touarègue des Ifoghas, le chef du GSIM est un acteur clé dans la région. Bamako a-t-il tenté d’apaiser les tensions avec lui pour faciliter l’arrivée des Forces armées maliennes (Famas) dans le fief des rebelles touaregs ? Possible.

Quoi qu’il en soit, le 13 février, près de six ans après en avoir été chassés, des soldats maliens y ont fait leur retour sans accroc. Un moment très attendu, tant Kidal était devenu un sujet de crispations aussi bien au Mali qu’à l’étranger.

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« Tout cela a été rendu possible parce que, parallèlement aux efforts de la médiation internationale, nous avons su renouer un contact direct, franc et sans intermédiaire avec nos frères du Nord ces derniers mois », se félicite Tiébilé Dramé, le ministre des Affaires étrangères. À la fin de 2019, les chefs de la Coordination des mouvements de l’Azawad (CMA) ont multiplié les allers-retours à Bamako, où ils ont participé à de longues séances de discussion nocturnes avec quelques ministres, sous la supervision d’IBK.

« Une étape importante a été franchie. Mais il faut maintenant dépasser le symbole et mener un travail politique pour faire en sorte que Kidal sorte de son statut d’îlot qui échappe au contrôle de l’État », prévient Mahamat Saleh Annadif, le chef de la Minusma. « Pour l’instant, il s’agit plus d’une opération de communication qui permet de donner bonne conscience à tout le monde que d’une avancée significative dans le processus de paix. J’attends de voir ce qu’il en sortira concrètement », tempère Soumaïla Cissé, le chef de file de l’opposition.

Sahraoui, le nouvel ennemi

De Kidal, il avait aussi été largement question à Pau (sud-ouest de la France), le 13 janvier, lors du sommet réunissant le président français et ses homologues du G5 Sahel. Emmanuel Macron et António Guterres, le secrétaire général de l’ONU, y avaient encouragé IBK à organiser rapidement le retour des Famas et redit leur disponibilité pour appuyer cette opération.

La question du dialogue avec les jihadistes maliens avait également été évoquée, cette fois au cours du huis clos entre les chefs d’État. Avec l’objectif affiché de tout mettre à plat, IBK et Emmanuel Macron ont pour la première fois abordé le sujet directement, sans se dérober.

Le premier expliquant au second qu’une solution politique passait par une tentative de négociations avec lesdits jihadistes ; le second – parfaitement au courant des différents contacts déjà établis depuis 2017 – répondant que si tel devait être le cas, les autorités maliennes devraient se montrer totalement transparentes avec leurs partenaires sur un sujet de cette importance. Au moment où les Américains reprennent officiellement leurs pourparlers avec les talibans afghans, le sujet n’est plus tabou.

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Il y a une rivalité naissante entre le GSIM et l’EIGS et le gouvernement malien mise dessus

À la sortie du sommet de Pau, un nouvel ennemi prioritaire est désigné : Abou Walid al-Sahraoui. Implanté dans la zone des trois frontières (Mali-Burkina Faso-Niger), l’État islamique au grand Sahara (EIGS) est monté en puissance ces derniers mois et multiplie les attaques meurtrières. Souvent présentée comme plus radicale et plus violente que le GSIM, cette mouvance a désormais des vues sur le Centre malien, où Koufa semble perdre du terrain.

« Il y a une rivalité naissante entre le GSIM et l’EIGS. Et le gouvernement malien mise dessus pour avancer ses pions », croit savoir un responsable de la Minusma. En résumé : faire un pas vers Ag Ghaly et Koufa, considérés comme plus fréquentables, pour mieux isoler et combattre l’ennemi infréquentable, l’étranger Sahraoui.

Échanges de prisonniers

Reste à savoir à quoi pourraient aboutir ces négociations avec les deux chefs du GSIM. IBK lui-même l’a dit : il ne faut pas être naïf ni se faire d’illusions sur leurs intentions. Entre des autorités qui font du caractère laïc et républicain de l’État une ligne rouge et des jihadistes qui réclament l’application de la charia au Mali, difficile de voir quel terrain d’entente pourrait être trouvé. Certains points tout de même pourraient être discutés.

En bon historien, il se soucie de son héritage. Son principal objectif est de laisser un pays en paix et reconstruit après lui

« Le dialogue pourrait notamment porter sur la présence et les exactions parfois commises par les Famas dans le Centre », explique un conseiller à la présidence. Une source onusienne ajoute que les discussions pourraient d’abord porter sur « des enjeux relativement simples, comme la poursuite d’échanges de prisonniers, puis, si tout se passe bien, sur la réouverture des écoles dans certaines zones du Centre et sur le redéploiement de certaines administrations ».

« Certains pensent que ce dialogue pourrait tout arranger mais rien n’est moins sûr. La marge de manœuvre est très réduite », estime Moussa Mara, ex-Premier ministre d’IBK. « À court terme, il n’y a pas grand-chose à attendre de ce dialogue désormais assumé par l’État. En revanche, à plus long terme, il pourrait déboucher sur des négociations plus ambitieuses politiquement, voire sur des accords pouvant amener une résolution durable de la crise. Toute la question est de savoir quelles concessions les uns et les autres sont prêts à faire pour y parvenir », analyse Jean-Hervé Jézéquel, de l’International Crisis Group (ICG).

De son côté, IBK, qui a cité comme exemple la loi sur la concorde civile adoptée par Abdelaziz Bouteflika pour sortir de la « décennie noire » en Algérie, est obsédé par la trace qu’il laissera à son départ du pouvoir en 2023. « En bon historien, il se soucie de son héritage. Son principal objectif est de laisser un pays en paix et reconstruit après lui », assure l’un de ses intimes. Voilà bientôt sept ans qu’il y travaille avec un succès pour le moins mitigé. Il ne lui en reste plus que trois pour inverser la tendance.


Enfin des législatives

Sous la pression de ses partenaires internationaux et de l’opposition, le gouvernement a enfin fixé une date pour les élections législatives : le 29 mars. Maintes fois repoussé depuis 2018, ce scrutin majeur doit permettre de renouveler les 147 députés de l’Assemblée nationale et éclairer le rapport des forces politiques à trois ans d’une présidentielle qui s’annonce très ouverte.

En assumant publiquement des tentatives de contact avec Iyad Ag Ghaly et Amadou Koufa quelques semaines avant ces élections, le gouvernement a sans doute cherché aussi à pacifier la situation pour que le vote se déroule le mieux possible dans un maximum de localités – et en particulier dans le très peuplé Centre, où Koufa et ses hommes dictent leur loi. « Il y a des zones entières où rien ne peut se faire sans l’accord des jihadistes. S’ils s’y opposent, personne n’y fera campagne ou n’y votera », conclut un opposant.

Planor ou la longue marche du Burkinabè Apollinaire Compaoré

| Par - à Ouagadougou
Compaore Appolinaire

Né dans l’informel, Planor talonne désormais les leaders du marché de la finance et des télécoms. Une réussite pour le burkinabè après un parcours du combattant de trente ans.

En avril 2020, Telecel Faso, troisième opérateur de téléphonie au Burkina avec 3 millions de clients, va lancer Telecel Money. Ce service de paiement mobile aura fort à faire pour s’imposer face au leader, Orange Money, et face à Coris Money. Mais pour le groupe Planor Afrique, qui possède Telecel Faso, cette mise en service illustre la réussite du holding dirigé par Appolinaire Compaoré.

En quelques années, cet entrepreneur de 66 ans, président du Conseil national du patronat burkinabè (CNPB) depuis 2018, a su construire un groupe diversifié actif dans la distribution, les assurances, le transport, l’hôtellerie, les télécoms et la banque. Un groupe, employant 2 000 collaborateurs pour un chiffre d’affaires cumulé de plus de 176 milliards de F CFA (268 millions d’euros), qui veut s’étendre en Afrique de l’Ouest.

Avant d’en arriver là, l’entrepreneur natif de Boassa, près de Kombissiri, a su gravir les échelons. « Si j’étais resté vendeur de motos et de vélos, je serais aujourd’hui à la maison. La concurrence est impitoyable, et les jeunes, plus audacieux, vous surpassent rapidement », confie Appolinaire Compaoré, qualifié de « négociant hors pair » par de nombreux observateurs.

Du deux-roues au téléphone mobile

Après avoir fait ses armes dans le commerce des deux-roues et dans celui des hydrocarbures, il devient à la fin des années 1980 distributeur des pneus du japonais Bridgestone à travers des contrats avec la Société burkinabè des fibres textiles estimés à plusieurs centaines de millions de francs CFA. Grâce aux profits générés, il fonde, au début des années 1990, avec six opérateurs économiques locaux, l’Union des assurances du Burkina (UAB). « L’idée était de créer une structure qui rapproche les hommes d’affaires », rappelle le chef d’entreprise. Ayant réussi, à la fin de 2019, une augmentation de capital (de 1 milliard à 3 milliards de F CFA), l’UAB, dirigée par Jean Damascène Nignan, entend redevenir un fleuron des assurances.

Ces activités servent de tremplin à Appolinaire Compaoré pour entrer dans la téléphonie mobile. Revendeur des téléphones satellitaires Thuraya, il en devient le représentant au Burkina Faso et au Niger. Puis, au tournant des années 2000, avec la libéralisation du secteur des télécommunications, il s’allie avec Tunisie Télécom pour décrocher l’une des trois licences. Sans succès. Mais le patron n’a pas dit son dernier mot. Alors que l’indien Airtel décroche la première licence moyennant 10,5 millions de dollars, Compaoré acquiert via l’assureur UAB une participation minoritaire de 44 % chez Telecel, le deuxième opérateur contrôlé par l’ivoirien Dossongui Koné.

À l’époque, la société avait seulement 263 000 abonnés. Aujourd’hui, elle en compte plus de 3 million

Il en devient le président du conseil d’administration jusqu’à ce que la société soit éclaboussée par un scandale de détournement de fonds mettant en cause son associé. Au prix d’une âpre bataille judiciaire, Compaoré devient finalement, en 2008, l’unique actionnaire de l’opérateur de télécoms. « À l’époque, la société avait seulement 263 000 abonnés. Aujourd’hui, elle en compte plus de 3 millions, souligne-t-il. Nous avons dû restructurer Telecel Faso et investir dans les équipements. »

Intuition, diversification, connexions politiques

Mais c’est l’année 2018 qui marque un tournant. En février, Compaoré, qui détient par ailleurs 26 % de MTN Côte d’Ivoire, lance en grande pompe les activités de Telecel Mali. Ce lancement intervient cinq ans après l’obtention de la licence, preuve de la pugnacité du patron, qui a dû surmonter un conflit avec son ex-associé Cessé Komé, des difficultés à trouver des financements et les menaces de retrait de la licence par l’État malien. Quatre mois plus tard, Compaoré crée à Ouagadougou Wendkuni Bank International (WBI), une banque généraliste dotée d’un capital de 12 milliards de F CFA.

À la fin de 2019, le bilan de l’établissement s’élevait à 76,08 milliards de F CFA, avec un bénéfice de 733 millions de F CFA, compensant les pertes du premier exercice. Reste que WBI doit encore faire ses preuves face au leader Coris Bank International (20 % de part de marché), à la filiale du groupe marocain Bank of Africa (17,5 %) et à celle de la banque panafricaine Ecobank (16 %).

Il a eu le soutien de tous les régimes successifs. Beaucoup d’autres en ont bénéficié sans parvenir à une telle réussite

« J’ai toujours évolué en diversifiant mes activités », résume le chef d’entreprise, qui veut développer les synergies entre ses investissements. L’alliance entre la téléphonie et la banque lui confère ainsi un atout pour s’imposer dans la banque mobile, créneau porteur en Afrique de l’Ouest. « L’activité bancaire poursuit son expansion avec la mise en œuvre – en duo avec Telecel Faso – du produit mobile money », insiste Emmanuel Kabré, secrétaire général du groupe Planor. « Appolinaire Compaoré a eu l’intelligence de passer du secteur informel et d’une simple activité de négoce à des secteurs structurés », met en avant Mamady Sanoh, coordonnateur régional d’Industrial Promotion Services West Africa (IPS-WA), holding d’investissement du chef spirituel Aga Khan.

Certains observateurs ne manquent pas de souligner le rôle des connexions politiques dans le succès du patron. « Il a eu le soutien de tous les régimes successifs, de l’ère Lamizana à Roch Marc Christian Kaboré en passant par Blaise Compaoré, commente un connaisseur des milieux économiques burkinabè. C’est une chance, et Appolinaire a le mérite d’avoir fait fructifier ces opportunités. Beaucoup d’autres en ont bénéficié sans parvenir à une telle réussite. »

Admettant qu’il est difficile de faire prospérer ses affaires sans entretenir de bons rapports avec les autorités, Appolinaire Compaoré réfute cependant toute appartenance politique. « Je suis le seul et unique propriétaire des filiales du groupe Planor », répond-il, soulignant l’importance de « l’intuition personnelle ». Et du soutien extérieur. « Je fais régulièrement auditer les comptes des sociétés par des cabinets de renom comme KPMG. Cela nous sert de levier auprès des investisseurs pour obtenir des ressources. » La société Alpha Télécom­munication (Atel), promotrice de Telecel Mali, a par exemple bénéficié du soutien de plusieurs établissements, dont la Banque ouest-africaine de développement, la Banque sahélo-­saharienne pour l’investissement et le commerce Mali et la Banque d’investissement et de développement de la Cedeao.

Investir des dizaines de milliards de francs CFA pour soutenir l’innovation

« Le développement de Telecel Mali, avec son million d’abonnés, et de WBI est satisfaisant », assure le patron des patrons burkinabè. Au Burkina, Telecel veut poursuivre ses efforts pour gagner des parts de marché. Là comme au Mali, l’entreprise se distingue par une politique de prix cassés avec des appels nationaux à 1 F CFA par seconde et à partir de 1,50 F CFA à l’international. Mettant en avant ses forfaits internet attrayants et la qualité de son réseau, l’opérateur estime avoir une carte à jouer face au géant français Orange. « Nous n’avons pas sa force de frappe, mais nous comptons nous faire une place au soleil », avance Appolinaire Compaoré.

Reste que cela suppose plusieurs dizaines de milliards de francs CFA d’investissement pour suivre le rythme d’innovation du secteur. « Nous avons des traites à honorer, et cela ralentit nos investissements, alors que nous devons continuer à investir dans un secteur compétitif et changeant », reconnaît le patron de Planor Afrique. S’il compte étendre Telecel Money au Mali après son lancement au Burkina Faso, Compaoré, qui affirme verser environ 30 milliards de F CFA par an au fisc, appelle les autorités monétaires et politiques à prendre à bras-le-corps le problème de l’accès des opérateurs économiques aux crédits bancaires. D’autant qu’il sait qu’il va devoir mettre la main à la poche pour renouveler la licence de Telecel Faso. Une facture de 80 milliards de F CFA qui pourrait ralentir son élan.


L’empire Planor

• Telecel Faso – 3 millions d’abonnés / 16 % de part de marché

•  Telecel Mali – 1 million d’abonnés / CA mensuel moyen en 2019 : 1,52 million d’euros

•  WBI – Résultat net : 1,12 million d’euros / Total de bilan : 116 millions d’euros

•  UAB-Vie –  CA : 15, 7 millions d’euros / + 24 % sur un an

•  UAB IARDT – CA : 8,4 millions d’euros,+ 3 %

[Édito] Patrice Talon, patron de Bénin Inc.

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Par

François Soudan est directeur de la rédaction de Jeune Afrique.

Le président béninois Patrice Talon, lors de l'ouverture duy dialogue politique, le 10 octobre 2019 à Cotonou.

Quatre ans après son arrivée au pouvoir, et malgré des zones d’ombres, Patrice Talon a fait mentir les cassandres. Sa méthode, certes directive, produit des résultats.

Il y a quatre ans, à la veille du premier tour de l’élection présidentielle de 2016, la plupart des observateurs doutaient des capacités de Patrice Talon à exercer le plus exigeant des jobs : celui de chef d’État. Comment, pouvait-on lire ou entendre, un homme d’affaires, certes doué mais centré sur sa propre réussite, pourrait-il travailler dans une perspective d’intérêt général et placer le service de la chose publique au-dessus de son destin, de sa fortune et de sa vanité personnelles ?

Un mois plus tard, au lendemain du second tour et de l’accession du natif de Ouidah au palais de la Marina, les mêmes se désolaient de voir un électorat jugé décidément bien immature préférer celui qui n’était à leurs yeux qu’un séducteur populiste, sorte d’avatar local de Silvio Berlusconi, plutôt qu’un brillant agrégé d’économie, don, qui plus est, de la France au Bénin.

C’était il y a quatre ans, et les cassandres ont dû, depuis, ravaler leurs prédictions passablement méprisantes, l’intéressé ayant apporté la preuve qu’un manager pouvait être pourvu de convictions, d’un idéal et d’un vrai sens de l’État.

Rationalisation

Certes, Patrice Talon ne peut prétendre à la sainteté. Ce fils de cheminot qui rêva d’être pilote d’avion est un personnage volontiers transgressif, parfois autoritaire, mais il a une idée plutôt claire de ce qu’il veut faire, se fixe un cap et sait s’y tenir. Dans le marigot de la politique béninois, complexe, scissipare, quasi incestueux à force de retournements d’alliances, la navigation à vue est une condition de survie.

Alors, forcément, ce type de personnalité et de gouvernance, déterminées à mettre un terme aux dérives d’une vie publique où le « modèle » démocratique est trop souvent synonyme d’hystérie permanente, cela tranche et cela dérange. C’est donc au forceps et au prix d’une crise postélectorale inédite, en avril-mai 2019, que Patrice Talon a mis en œuvre son projet de rationalisation d’un paysage politique béninois jusqu’alors quasi illisible.

Sa méthode est certes directive, mais il la revendique d’autant plus facilement que, sur les plans économique et social, les résultats du PDG de Bénin Inc. sont peu contestables. Par rapport à 2015, le taux de croissance a bondi de 2,1 % à 6,4 %, et le pays est enfin sorti de la liste des 25 États les plus pauvres de la planète. Au classement de l’indice de développement humain, et même si ses performances restent inférieures à la moyenne continentale, le Bénin est le premier de la zone Uemoa et le quatrième d’Afrique de l’Ouest.

Quinze places gagnées au classement de Transparency International et quatre sur celui de « Doing Business » démontrent que la lutte anti­corruption y est une réalité – certes imparfaite – et un corollaire indispensable des chantiers infrastructurels.

Impulsivité

Des zones d’ombre subsistent, bien sûr, notamment dans le domaine clé de l’éducation, où le Bénin peine à retrouver son statut, patiné, il est vrai, de « Quartier latin de l’Afrique francophone ». Et nul doute que Patrice Talon, qui n’est pas exempt de défauts et auquel il arrive de commettre des erreurs, peut parfois confondre l’engagement avec l’impulsivité.

Mais, à un an de la prochaine échéance présidentielle, le parcours au pouvoir accompli par ce seigneur de l’or blanc devenu chef de l’un des États les moins aisément gouvernables du continent prouve que l’on peut conjuguer ambition personnelle et ambition pour son pays au sein d’une même vision. Ce n’est pas si fréquent.

La Côte d’Ivoire interdit l’importation de sucre pendant cinq ans
pour booster l’industrie locale

| Par - à Abidjan
Usine Sucrivoire

Protéger temporairement l’industrie sucrière locale pour lui permettre d’investir et d’améliorer sa compétitivité. C’est le pari du gouvernement ivoirien pour répondre à une demande toujours croissante.

Le 29 janvier, le gouvernement ivoirien a décidé d’interdire l’importations de sucre dans le pays pour une durée de cinq ans. La mesure, conséquence directe d’une étude commanditée par le ministère du Commerce et de l’Industrie sur « la rentabilité globale et le niveau de compétitivité des entreprises sucrières ivoiriennes, à partir d’une analyse de la structure des prix et de l’évaluation du coût à l’importation », doit permettre aux deux industriels du pays, Sucaf, filiale de Somdiaa, et Sucrivoire, de Sifca, de mettre à niveau leurs installations sans craindre la concurrence.

L’étude a en effet montré la faible compétitivité de l’industrie locale, incapable en l’état de rivaliser avec les importations venues du Brésil, de Chine ou de Thaïlande et de satisfaire une demande croissante.

Des « contrats-plans » entre État et industriels

Alors que la consommation ivoirienne a été estimée à 243 000 tonnes en 2018, la production locale, de 197 270 tonnes, ne couvrait que 80,96 % des besoins nationaux, composés à 75 % des ménages et à 25 % des industries utilisant le sucre comme intrants.

Mais c’est surtout leur manque de compétitivité qui empêche les deux opérateurs de tourner à plein régime, la capacité de production de Sucaf étant estimée à 110 000 tonnes et celle de Sucrivoire à 113 000 tonnes. La performance de leurs usines reste en effet très faible par rapport à l’international, le coût du sucre ivoirien – visé par une TVA à 18 % alors qu’elle s’élève à 7 % au Sénégal ou au Burkina Faso – étant estimé à 419 755 francs CFA (640 euros) la tonne, contre une moyenne de 204 940 F CFA dans l’ensemble des pays producteurs.

Pour relancer la filière, qui n’a pas enregistré d’investissements soutenus au cours des dernières années, le gouvernement envisage de signer des « contrats-plans » avec chacun des sucriers. Ces mesures, présentées fin janvier en conseil des ministres, « visent à permettre aux entreprises d’investir en échange d’avantages fiscaux pour leur assurer une meilleure compétitivité » explique à Jeune Afrique Souleymane Diarrassouba, le ministre du Commerce et de l’Industrie, qui a visité ces dernières années les différents sites de production dans le nord du pays.

Encadrement des prix de vente au secteur agroalimentaire

Si un certain volume d’importation reste nécessaire pour couvrir le gap entre l’offre et la demande, il ne pourra passer que par les industriels du secteur, à charge pour eux d’approvisionner les entreprises agroalimentaires au même prix que si elles s’approvisionnaient sur le marché international. Un mécanisme de péréquation sera mis en place, a promis le gouvernement.

En 2017, Sucaf avait annoncé un plan quinquennal d’investissements de 83,7 milliards de F CFA sur la période 2017-2022 pour passer sa production à 130 000 tonnes. Sucrivoire table quant à lui sur un investissement de 100 milliards de F CFA sur la période 2018-2023.

À l’instar de la Côte d’Ivoire, c’est toute la sous-région ouest-africaine qui souffre de la sous-performance de son industrie sucrière, alors que la consommation de sucre augmente chaque année. Les pays de la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (Cedeao) produisent ainsi annuellement 1,17 million de tonnes de sucre pour des besoins de 2 millions de tonnes.

Coronavirus : quelles conséquences économiques pour l’Afrique ?

| Par
Une raffinerie de pétrole. (Photo d'illustration)

Bien que relativement épargné par l’épidémie, le continent en subit les conséquences économiques, notamment du fait de la limitation au strict minimum des déplacements des personnes et de la chute des cours des matières premières.

L’épidémie chinoise de coronavirus, qui inquiète le monde depuis la fin janvier, n’a touché à ce jour qu’une seule personne – aujourd’hui guérie, selon l’OMS – sur le continent, en Égypte.

Malgré sa quasi-absence du continent, le virus a déjà eu d’importantes conséquences économiques, à commencer par les difficultés de déplacement depuis et vers la Chine, des personnes – en avion –, comme des marchandises – en bateau -, ce qui impacte les échanges commerciaux entre l’Afrique et l’empire du milieu.

Les transporteurs maritimes, obligés d’annuler leurs escales chinoises du fait de l’épidémie, estiment à 350 millions de dollars leur manque à gagner par semaine à l’échelle mondiale. Une perte qui provient en bonne partie de la limitation au strict minimum des dessertes Afrique-Chine, en temps normal cruciales pour remplir les réservoirs des véhicules chinois, et approvisionner l’industrie métallurgique de Tianjin, Shanghai et Guangzhou. Les ports d’Afrique de l’Est – de Djibouti à Dar Dar es Salaam – situés sur les nouvelles routes de la soie, sont les plus affectés.

Du côté du tourisme – de loisir et d’affaires -, des pays comme le Maroc, l’Égypte, l’Afrique du Sud, l’Éthiopie et le Kenya, qui avaient commencé à séduire la clientèle chinoise, souffrent également. En 2019, 150 000 touristes chinois sont venus dans le royaume chérifien, et 250 000 étaient espérés en 2020 selon les prévisions de l’Office national du tourisme (ONMT). Mais les professionnels du secteur savent déjà qu’ils n’arriveront pas à atteindre le chiffre de l’année dernière.

L’or tire parti de son statut de valeur refuge

Les effets indirects de cette crise sanitaire commencent aussi à se faire sentir via les chutes des cours des matières premières clefs du commerce Afrique-Chine, au premier rang desquels on trouve le pétrole, le cuivre, le cobalt, le fer et le zinc.

Le prix du Brent est ainsi passé de 66 à 59 dollars le baril entre le 22 janvier, date où l’épidémie est reconnue officiellement à Wuhan, et le 20 février, avec un creux de la vague à 53 dollars le baril le 10 février. Si tous les grands pays producteurs de brut du continent – Algérie, Nigeria et Angola en tête – sont touchés par cette baisse,  ceux qui ont pour premier client la Chine souffrent davantage que les autres. L’Empire du milieu représente notamment 61 % des exportations de brut de l’Angola et 95 % de celles du Soudan du Sud, où sont installés les chinois CNPC et Sinopec. Il doivent actuellement stocker tout ou partie de leurs productions destinées à Pékin en attendant des jours meilleurs.

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Le Nigeria est moins tourné vers le géant asiatique – à peine 1 % de sa production pétrolière prend cette direction – mais, encore plus dépendant du brut qui représente 94 % de ses échanges commerciaux et plus de la moitié des revenus de l’État. De ce fait, la baisse du cours du baril, liée au coronavirus, le touche aussi de plein fouet. Le FMI a revu d’ailleurs revu à la baisse, le 17 février, ses prévisions de croissance pour Abuja en 2020, passées de 2,5 % à 2 %.

Le même impact est ressenti chez les pays producteurs des minerais prisés par Pékin. Depuis le 22 janvier, le cours du cuivre est passé de 6 300 à 5 700 dollars la tonne le 20 février. Une baisse qui va affecter nécessairement la RDC et la Zambie, qui en sont les deux premiers exportateurs africains, et où sont implantés plusieurs grands producteurs chinois, tel que China Molybdenum, le repreneur de Tenke Fungurume Mining, près de Kolwezi.

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Les cours du zinc – dont l’Afrique du Sud et l’Érythrée sont de grands producteurs – et du fer – crucial pour la Mauritanie – sont également affectés, dans les mêmes proportions que le cuivre. Par ailleurs, s’il n’y a eu que peu de perturbation sur le cours du cobalt, dont la RDC est le premier producteur mondial, et dont les fabricants chinois de batterie sont friands, l’expédition de ce minerai vers Pékin étant quasiment impossible du fait du coronavirus, il en résulte un manque à gagner pour cette filière à Kinshasa.

Reste une filière qui tire son épingle du jeu, celle de l’or, qui profite plus que jamais de son statut de valeur refuge : en progression constante depuis une année, le prix de l’once atteint actuellement des sommets, dépassant les 1600 dollars le 20 février. Une conjoncture qui devrait profiter au Mali, au Burkina Faso, au Soudan, au Ghana et à l’Afrique du Sud.

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