Après plusieurs reports, la mise en service du train urbain d’Abidjan est prévue pour 2025. © DR / montage JA
LE DÉCRYPTAGE DE JA – D’abord attendu en 2017, puis en 2019 et en 2022, le train urbain d’Abidjan, baptisé le « métro d’Abidjan », ne sera finalement pas opérationnel avant 2025. Et les premières rames, au nombre de 26, seront visibles dans la capitale économique ivoirienne à partir de 2024, selon le nouveau chronogramme communiqué par le gouvernement. Sorti des cartons en 2011 par Alassane Ouattara dès son arrivée au pouvoir, ce projet, conçu dans les années 1970 par la Direction et contrôle des grands travaux, l’ancêtre du Bureau national d’études techniques et de développement (BNETD), met plus de temps que prévu à se mettre en place.
1. Pourquoi le chantier tarde à démarrer ?
D’abord pénalisé par la sévère crise économique des années 1980 en Côte d’Ivoire, avec la fin du miracle ivoirien, le métro d’Abidjan qui, à ses origines, était censé devenir réalité dans les années 1990, pâtit depuis son exhumation de nombreuses contraintes. Le tracé de la ligne de métro devait, par exemple, entraîner la destruction d’une partie de la forêt du Banco, une aire luxuriante de près de 3 500 hectares en plein cœur d’Abidjan. Cela n’a pas manqué de provoquer une levée de boucliers des écologistes. Le président Alassane Ouattara a dû modifier par décret les limites de cette forêt, qui abrite dans son sous-sol une partie de la nappe phréatique qu’utilise Abidjan.
Par ailleurs, le déguerpissement des emprises sur le tronçon du métro a été l’objet de négociations houleuses. Les occupants des immeubles de bureaux et d’habitations qui se trouvaient sur le parcours de la ligne ont été priés de partir contre un dédommagement pécuniaire. Les indemnisations, initialement estimées à 52 milliards francs CFA (79 millions d’euros) par le gouvernement ivoirien, sont passées à 100 milliards de dommages et intérêts pour les personnes morales et physiques. Désormais « les emprises ont été libérées à plus de 95 %. C’est un pas déterminant. Tous ceux qui sont impactés par le projet seront dédommagés. Tout le monde a coopéré. Des milliers de personnes ont déjà quitté les sites concernés », soutient le ministre des Transports, Amadou Koné.
Le cheminement a été d’autant plus long que l’attribution de la réalisation de ce chantier a connu, lui aussi, diverses péripéties. Un appel d’offres lancé en mai 2013 a été finalement abandonné quelques mois plus tard, faute de candidatures suffisamment qualifiées aux yeux du gouvernement, lequel a finalement opté pour des négociations de gré à gré en incitant les entreprises à former un consortium.
18 STATIONS ENTRE ANYAMA, DANS LE NORD DE LA VILLE, ET PORT-BOUËT, DANS LE SUD
Porteur de ce projet emblématique de la présidence de Ouattara depuis plus de dix ans, Patrick Achi, l’actuel Premier ministre, continue de son côté de mobiliser ses équipes et les membres du gouvernement pour un démarrage prochain du chantier. « Des études complémentaires sont encore en cours pour lever les dernières difficultés. Mais nous pouvons considérer que les [nouveaux] délais seront tenus », explique Amadou Koné.
Bruno Le Maire, le ministre français de l’Économie, des Finances et de la Souveraineté industrielle et numérique est attendu à Abidjan courant décembre pour le lancement effectif des travaux. Il avait déjà effectué un parcours symbolique sur le tracé du métro lors de son précédent voyage, fin avril 2021. L’exploitation est prévue pour 2025, avec 18 stations entre Anyama, dans le nord d’Abidjan, et Port-Bouët, dans la partie sud.
2. Le projet coûte-t-il trop cher ?
Initialement, les autorités ivoiriennes tablaient sur un chantier d’environ 500 millions d’euros pour un tronçon de quelque 37 kilomètres pouvant transporter plus de 300 000 Abidjanais par jour. En décembre 2019, à l’occasion de la visite du président français Emmanuel Macron, Abidjan s’est accordé avec un consortium composé des groupes français Bouygues Travaux publics, Alstom, Colas Rail et Keolis sur une offre technique et financière estimant le coût des travaux de construction à 1,36 milliard d’euros.
Depuis, le projet a encore été remodelé pendant les tractations entre le gouvernement et les bénéficiaires du contrat, pour aboutir aujourd’hui à un coût global de 2 milliards d’euros pour le même tronçon, mais avec l’objectif de transporter 540 000 personnes quotidiennement. À titre de comparaison, le train urbain de Dakar (36 km et 115 000 passagers par jour), inauguré en décembre 2021, a couté environ 1 milliard d’euros (plus de 1,5 milliard d’euros selon l’opposant Ousmane Sonko).
Mais à Abidjan, on estime que le coût du train urbain ivoirien n’est pas exorbitant, compte-tenu du niveau élevé des risques et des exigences de qualité. Sur ce dernier point, « ce métro sera inspiré du Gautrain de Johannesburg en Afrique du Sud, de Bombardier, et de la ligne 9 du métro de Séoul, construit par Hyundai », confie à Jeune Afrique un expert du BNETD impliqué dans le projet qui a requis l’anonymat.
Le 28 octobre dernier, lors de sa visite à Abidjan, Olivier Becht, le ministre délégué français chargé du commerce extérieur, a signé avec Adama Coulibaly, le ministre de l’Économie de Côte d’Ivoire, un accord de prêt de 250 millions d’euros du Trésor français pour financer les rames du métro que fournira le groupe industriel Alstom. Cette convention donne un coup d’accélérateur au projet, dont les travaux ont été officiellement lancés fin 2017 par les présidents Emmanuel Macron et Alassane Ouattara. Le mécanisme et la structuration du financement déjà bouclé s’articulera autour du contrat de désendettement et de développement (C2D) de l’Agence française de développement (AFD) et d’un crédit à l’export de la Banque publique d’investissement (BPI). Des concours directs du Trésor sont prévus, ainsi que celui de l’État ivoirien.
3. Quelles sont les spécificités du « métro d’Abidjan » ?
Le « métro d’Abidjan » sera aérien et connectera les réseaux routiers et de transports lagunaires avec la construction d’un nouveau pont ferroviaire sur la lagune Ébrié, la principale étendue d’eau, qui couvre un peu plus de 26 % de la superficie de la capitale économique. Le train urbain utilisera, sur 32,5 kilomètres, les rails de la ligne de chemin de fer Abidjan-Ouagadougou de la Sitarail, la société commune détenue par le groupe Bolloré et les États de Côte d’Ivoire et du Burkina Faso. La vitesse sera plafonnée à 90 km/h.
4. Quelles sont les entreprises impliquées ?
Dans un premier temps, Alstom, qui portait le projet, s’est retiré au profit du sud-coréen Dongsan Engineering et du français Sytra, en 2015. Deux années plus tard, nouveau coup de théâtre, les Coréens sont mis hors de course au profit de la société de transport abidjanaise par rail Star, un consortium français composé de Bouygues travaux publics, Colas, Alstom et Keolis.
Le groupe Bouygues s’occupera des infrastructures, du génie civil et des ouvrages d’art, tandis qu’Alstom livrera le matériel roulant, les signalisations et les rames. Colas rail fournira les chemins de fer, les approvisionnements en énergie, la traction et le caténaire. Keolis, qui intervient en bout de chaîne, bénéficiera du contrat de pré-exploitation, d’exploitation et de maintenance. Et le BNETD ivoirien supervisera le contrôle qualité des travaux.
5. Que va changer la mise en service du train urbain ?
Selon le Chef de l’État ivoirien, la mise en service du « métro » sera synonyme de « révolution » et de « fluidité » dans le transport urbain à Abidjan. La qualité de vie sera améliorée. L’offre de transport collectif augmentera quantitativement et qualitativement sur les 37 kilomètres. Les nuisances environnementales et sociales liées à la pollution et aux accidents de véhicules seront réduites. Cette infrastructure de transport impactera l’économie ivoirienne grâce à la création de 2 000 emplois et réduira les embouteillages et bouchons qui font perdre annuellement près de 12 milliards F CFA à l’économie nationale.
Par ailleurs, le train urbain d’Abidjan devrait contribuer à réduire les dépenses des ménages qui sont obligés de faire plusieurs trajets depuis les quartiers dortoirs du nord d’Abidjan pour rejoindre le sud de la ville, où sont concentrées les administrations et les entreprises. Leurs dépenses pour le transport sont estimée aujourd’hui à quelque 1 200 milliards de F CFA par an, ce qui représente 30 % de leurs charges domestiques. La ligne directe de « métro » permettra aussi aux 540 000 usagers qui l’emprunteront quotidiennement de gagner du temps en évitant des trajets non directs.