Le président des États-Unis Joe Biden, à la Maison blanche, le 30 novembre 2022. © JIM WATSON/AFP.
Il y aura bien sûr des photos de groupe, des accolades chaleureuses et des messages de félicitations enthousiastes. Mais durant trois jours, du 13 au 15 décembre, il y aura surtout des centaines réunions parallèles, plus au moins discrètes. Car pour les dirigeants africains invités à prendre part au sommet États-Unis – Afrique à Washington, c’est une occasion unique de s’entretenir avec leurs homologues américaines – voire avec le président Joe Biden lui-même –, même si la Maison blanche n’a pas confirmé qu’il y aurait des rencontres en tête-à-tête.
Chacun tentera donc de se faire entendre sur ses dossiers prioritaires, et les lobbyistes se préparent à une intense semaine de rendez-vous et de bousculades, dans l’espoir d’obtenir pour leurs clients africains des entrevues avec ceux qui comptent.
« Le problème avec les sommets est que tout le monde y est présent, ce qui fait que personne ne peut obtenir un véritable tête-à-tête », explique Paul Ryberg, président de la Coalition africaine pour le commerce, un groupe basé à Washington qui fait du lobbying au nom des associations d’entreprises du continent. « Tout le monde essaie de rencontrer [le secrétaire d’État] Antony Blinken, et tout le monde essaie de rencontrer [la représentante américaine au Commerce] Katherine Tai, et ce n’est pas possible pour tous. »
« Qui ne tente rien n’a rien, poursuit-il. Les chances sont assez minces que des progrès majeurs puissent être réalisés lors d’une réunion de 20 minutes. Mais d’un autre côté, si votre ministre du Commerce est en ville et que vous pouvez mettre la main, même pour 20 minutes, sur [la représentante adjointe au Commerce chargée de l’Afrique] Connie Hamilton ou sur quelqu’un de plus haut placé, foncez ! » Et voici les dossiers qui, à n’en pas douter, feront l’objet d’un intense lobbying :
• Les accords commerciaux
L’administration Biden a fait du commerce une pièce maîtresse de son engagement avec le continent. Le deuxième jour du sommet sera d’ailleurs entièrement consacré à un forum commercial États-Unis – Afrique, organisé conjointement par le département américain du Commerce, la Chambre de commerce américaine et le Corporate Council on Africa.
Soucieuse de contrer l’influence de la Chine sur le continent, l’initiative Prosper Africa, qui regroupe plusieurs organismes, organisera une « salle des marchés » dans le cadre du sommet : y seront annoncés, toutes les heures, les nouveaux engagements et contrats passés entre les uns et les autres. Parmi les priorités, le financement de l’énergie et des infrastructures, l’agroalimentaire et l’économie numérique.
• La Russie
Washington est déterminé à obtenir le soutien des pays africains à la campagne diplomatique et économique menée contre la Russie depuis l’invasion de l’Ukraine. Depuis des mois, l’administration américaine envoie des diplomates de haut niveau pour tenter de convaincre les dirigeants africains de prendre leurs distances avec Moscou et de respecter le régime de sanctions en dépit des conséquences du conflit sur les prix des denrées alimentaires et de l’énergie sur le continent.
Si la Maison blanche ne compte sans doute pas sur une condamnation pure et simple de la Russie lors du sommet, elle pourrait chercher à obtenir une déclaration de soutien à la souveraineté de l’Ukraine. Il est également fort probable que l’administration Biden déconseillera aux dirigeants africains de travailler avec le groupe Wagner.
• RDC – Rwanda
Félix Tshisekedi et Paul Kagame seront tous deux à Washington, le premier étant bien décidé à obtenir des États-Unis et, d’une manière générale, de la communauté internationale une condamnation du second, qu’il accuse d’apporter son soutien militaire à la rébellion du M23. Le président congolais espère aussi obtenir la levée des dernières mesures qui, selon lui, l’empêche de s’armer pour défendre son territoire et ramener la paix dans l’Est.
« L’essentiel est que [les Congolais] veulent faire pression sur Kagame pour qu’il élimine le M23 », commente Joseph Szlavik, un lobbyiste du gouvernement congolais. Plusieurs membres du Congrès, ajoute-t-il, ont demandé à rencontrer Kagame pendant sa visite – sans succès jusqu’à présent. Selon lui, le président rwandais pourrait chercher à tirer parti d’une éventuelle libération de Paul Rusesabagina pour atténuer la position des États-Unis.
• Éthiopie
Addis-Abeba, qui a été suspendu de l’African Growth and Opportunity Act (Agoa) au mois de janvier, continuera à faire pression pour retrouver un accès facilité au marché. Ces dernières semaines, le Premier ministre Abiy Ahmed a mis en avant le cessez-le-feu conclu le 2 novembre avec les rebelles du Tigré pour demander aux Occidentaux de lever un certain nombre de sanctions imposées à l’Éthiopie depuis le début de la guerre, au mois de novembre 2020.
Les lobbyistes embauchés par Addis-Abeba ont notamment fait circuler une lettre adressée le 18 novembre par le démocrate Don Beyer, membre du Congrès, à la représentante au Commerce, Katherine Tai, dans laquelle il exhorte cette dernière à lancer un examen immédiat de l’éligibilité de l’Éthiopie aux avantages commerciaux. « Nous espérons que la récente trêve négociée par l’Union africaine [UA], qui permet l’acheminement sans entrave de l’aide humanitaire au Tigré, permettra à l’Éthiopie de réintégrer rapidement l’Agoa », a déclaré Don Beyer.
• Tarifs douaniers
Katherine Tai accueillera justement une réunion de l’Agoa au premier jour du sommet, le 13 décembre, avec les ministres du Commerce des pays éligibles. Des représentants de l’UA, de la Zone de libre-échange continentale africaine (Zlecaf), de la Banque africaine de développement (BAD) et de la Commission économique des Nations unies pour l’Afrique (CEA) y participeront également.
Lancée en 2000 sous la présidence de Bill Clinton, l’Agoa représente la pierre angulaire des relations entre les États-Unis et l’Afrique depuis plus de deux décennies. Toutefois, le programme devant être renouvelé en 2025, la pression s’accroît pour que la politique commerciale des États-Unis à l’égard du continent soit plus ambitieuse et aille au-delà des préférences unilatérales.
« L’Agoa a été un fondement des relations commerciales entre les États-Unis et l’Afrique, explique Aubrey Hruby, conseillère en investissement pour l’Afrique. Étant donné son expiration prochaine et la nécessité de définir une voie à suivre, le sommet arrive à un moment critique. Trouver des moyens concrets pour encourager les investissements américains et renforcer les liens commerciaux entre les États-Unis et l’Afrique apparaît essentiel à la réussite du sommet. »
• Migration
Amy Pope, actuellement directrice générale adjointe de l’Organisation internationale pour les migrations (OIM) chargée de la gestion et de la réforme et candidate américaine au poste de directrice générale, sera à Washington pour y présenter son programme et ses priorités en ce qui concerne l’Afrique. L’élection aura lieu au mois de juin 2023.
• Kenya
William Ruto a certes pris part à l’Assemblée générale des Nations unies au mois de septembre, mais c’est à Washington qu’il s’apprête à faire ses débuts officiels. Parmi ses priorités : l’avancement des négociations commerciales et l’indemnisation des victimes kényanes des attentats à la bombe de 1998 contre l’ambassade des États-Unis.
Avant qu’il ne quitte le pouvoir, Donald Trump avait entamé des négociations en vue d’un accord de libre-échange complet avec le Kenya – cela aurait été le premier avec un pays d’Afrique subsaharienne. Toutefois, l’administration Biden a abandonné cette option au profit de partenariat d’un autre type, portant sur le commerce et les investissements.
William Ruto devrait également plaider en faveur de l’ouverture du fonds d’indemnisation des victimes du terrorisme créé par le Congrès, afin que les victimes kényanes de l’attentat perpétré par Al-Qaïda à Nairobi puissent obtenir réparation.
• Zimbabwe
Il y a huit ans, lors de la première édition du sommet, Barack Obama avait boudé le régime de Robert Mugabe. Le Zimbabwe est cette fois invité, et c’est pour lui une première victoire diplomatique. L’invitation a été adressée au ministre zimbabwéen des Affaires étrangères, Frederick Shava, le président Emmerson Mnangagwa restant sous le coup de sanctions imposées pour la première fois il y a vingt ans en raison de son rôle présumé dans l’affaiblissement des processus démocratiques dans le pays, à l’époque où il dirigeait le Parlement.
Dans sa quête d’un assouplissement des sanctions, Frederick Shava peut compter sur l’appui de l’Afrique du Sud, qui affirme depuis longtemps que les sanctions contre le Zimbabwe ont contribué à une crise migratoire et miné l’économie de toute la région. Harare aurait eu des chances de plaider sa cause, mais toute chance de progrès rapide sur la question a été compromise il y a quelques mois, lorsque des responsables de la sécurité ont harcelé des assistants du Sénat en visite au Zimbabwe, exaspérant le Congrès et Washington.
« Le département d’État est sérieusement préoccupé par une manœuvre d’intimidation aussi effrontée contre des fonctionnaires américains, confirme l’un de ses porte-parole. Et plus largement, nous sommes profondément préoccupés par le nombre croissant de faits de harcèlement, d’intimidation, de répression et de violence à motivation politique au Zimbabwe [à l’approche des élections de 2023]. »
• Climat et énergied.
• Les droits de l’homme
Enfin, des défenseurs des droits de l’homme venus de tout le continent sont attendus dans la capitale américaine. Ils veulent s’assurer que l’engagement du président Biden en faveur de la démocratie ne pâtira pas des accords commerciaux. À la veille du sommet, Amnesty International, Human Rights Watch, Humanity United et le Project on Middle East Democracy (Pomed) organiseront leur propre sommet sur les droits de l’homme, avec des militants de premier plan originaires du Cameroun, du Liberia, du Mali, du Soudan et du Zimbabwe.
Le gouvernement américain accueillera pour sa part un forum de la société civile au premier jour du sommet, afin de refléter plusieurs aspirations de l’Agenda 2063 de l’UA en matière de bonne gouvernance et de démocratie. L’administration Biden invite également deux douzaines de journalistes à couvrir les débats.
« Pour promouvoir la liberté de la presse, la transparence et la responsabilité, le département d’État, par l’intermédiaire de ses ambassades en Afrique, a proposé de fournir une aide au voyage, consistant en un billet d’avion, pour 25 journalistes indépendants, explique un porte-parole du département d’État. Ces journalistes sont distincts de tous les membres de la presse inclus dans les délégations officielles des pays. »