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Côte d’Ivoire : Yopougon, le pari risqué de Bictogo

Avec sa candidature à la mairie d’une commune réputée favorable au camp de Laurent Gbagbo, Adama Bictogo joue gros. Une défaite serait un revers. Une victoire, un coup d’éclat.

Mis à jour le 12 décembre 2022 à 12:46

 
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Adama Bictogo, lors de son élection au perchoir de l’Assemblée nationale, le 7 juin 2022, à Abidjan. © SIA KAMBOU/AFP

 

Adama Bictogo joue-t-il son avenir politique à la mairie de Yopougon ? Sa candidature dans cette immense commune d’un million et demi d’habitants très précaire de l’ouest d’Abidjan est sans aucun doute la première grande surprise de la séquence politique qui s’ouvre en Côte d’Ivoire, en vue des prochaines municipales dans moins d’un an. Élu il y a six mois président de l’Assemblée nationale, rien ne prédestinait le natif d’Agboville, une ville située à un peu moins d’une centaine de kilomètres au nord d’Abidjan, où il est par ailleurs député depuis 2011, à battre campagne dans les dédales de « Yop ».

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Pourtant, c’est ce haut cadre du Rassemblement des houphouëtistes pour la démocratie et la paix (RHDP) que le président Alassane Ouattara a choisi pour tenter de conserver la commune, acquise à la majorité depuis 2013 mais perdue lors des dernières législatives au profit de la liste commune du Parti démocratique de Côte d’Ivoire (PDCI) et de la plateforme Ensemble pour la démocratie et la souveraineté (EDS) pro-Gbagbo.

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Gilbert Koné Kafana, le maire sortant, également président du directoire du parti présidentiel, a décidé de ne pas rempiler au terme de son second mandat. Une décision prise avant l’échec aux législatives, considérée par la majorité comme « un signal » inquiétant (Kafana était tête de liste). Également ministre d’État, en charge des relations avec les Institutions, ce proche de Ouattara âgé de 71 ans a considéré que sa charge de travail devenait trop lourde. Depuis deux ans déjà, il a très largement délégué ses attributions à la mairie de Yopougon à son premier adjoint, son directeur de cabinet Issifou Coulibaly.

Remous à « Yop »

Au sein des troupes du RHDP de « Yop », une partie des militants, notamment parmi la jeunesse, n’a pas caché son étonnement et son mécontentement devant ce parachutage du président de l’Assemblée nationale. Ils l’ont fait savoir lors de réunions politiques dans la commune, théâtre d’échanges houleux. « Les bases n’ont pas été consultées. Issifou Coulibaly connait le terrain, il est né à Yopougon, il a été de tous les combats avec Gilbert Koné Kafana. Tout le monde se reconnait en lui. Nous ne comprenons pas pourquoi il a été écarté », peste un représentant de la jeunesse, qui a requis l’anonymat.

Le premier adjoint aurait fait les frais de tensions apparues sur le terrain avec les équipes du ministre Adama Diawara, en charge de l’Enseignement supérieur et de la Recherche scientifique au sein du gouvernement, candidat à l’investiture. Selon nos informations, le président Ouattara aurait suivi de très près la situation, dépêchant sur place à plusieurs reprises des délégations pour prendre le pouls avant de trancher en faveur d’un troisième candidat, et surtout d’un poids lourd. Le nom d’Adama Bictogo a été proposé au président par Kafana, qui s’est ravisé après avoir d’abord préféré Coulibaly.

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À peine désigné, le président de l’Assemblée nationale qui aura 60 ans ce mois-ci devra ainsi convaincre jusque dans son propre camp face à un mouvement de grogne restant toutefois très difficile à quantifier. « J’appelle l’ensemble des militantes et militants RHDP à soutenir le premier responsable du RHDP à Yopougon en la personne de Monsieur Adama Bictogo », a fait savoir Issifou Coulibaly sur ses réseaux sociaux.

En visite dans la commune dans le cadre d’une tournée pour la révision de la liste électorale, le secrétaire général du RHDP, Ibrahima Cissé Bacongo, a quant à lui exhorté les cadres et militants du parti à mettre de côté les « querelles intestines » et averti : pas question de perdre l’emblématique « Yop », considérée comme un bastion des Gbagbistes et que Blé Goudé a choisi comme lieu de rassemblement pour célébrer son retour en Côte d’Ivoire.

« Un coup politique » 

Depuis l’annonce de sa candidature, Adama Bictogo, enrôlé sur les listes électorales de la commune le 26 novembre, ne ménage pas ses efforts. Entretien avec l’archevêque du diocèse, dons à une femme atteinte d’un cancer, sensibilisation à l’enrôlement sur les listes électorales dans les quartiers de Yopougon camp militaire, Koweït, Selmer et Toit Rouge, rencontre avec Soum Bill, musicien de « Yop », discussions avec les transporteurs à qui il promet « la plus grande et moderne gare de Côte d’Ivoire », l’homme d’affaires à la tête de la florissante entreprise Snedai arpente la commune au contact des populations.

Une campagne de terrain, auprès de foyers défavorisés, qui tranche avec le cadre feutré de l’Assemblée auquel est habitué le flamboyant politique depuis son élection à la tête de l’institution, dont il était vice-président et avait longtemps assuré l’intérim du président souffrant, Amadou Soumahoro, décédé le 7 mai.

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L’élection s’est tenue un mois plus tard, le 7 juin. Ce jour-là, difficile pour Adama Bictogo de se départir d’un large sourire. Et il y a de quoi. Il vient alors de réaliser ce que l’on appelle « un coup politique ». Il est parvenu à convaincre l’opposition de se rallier à sa candidature. Les députés du Parti des peuples africaines-Côte d’Ivoire (PPA-CI), ceux du Parti démocratique de Côte d’Ivoire (PDCI), de l’Union pour la démocratie et la paix en Côte d’Ivoire (UDPCI) et du Front populaire ivoirien (FPI) n’ont pas présenté de candidat face à lui et lui ont accordé leurs suffrages.

« Nous voulons donner un signal à notre pays pour que le processus de réconciliation tant espéré  devienne enfin une réalité pour tous », expliquent alors ces partis dans un texte commun lu avant le vote.

Le résultat est sans appel : 237 voix pour, contre six seulement pour son seul adversaire, Jean-Michel Amankou du PDCI qui n’a pas reçu l’investiture de la formation présidée par Henri Konan Bédié. L’opposition, minoritaire dans l’hémicycle, n’aurait jamais été en mesure de l’emporter, même en s’alliant, mais elle aurait pu faire le choix de s’abstenir ou de voter contre. Au lieu de cela, elle offre à Adama Bictogo, qui promet de moderniser l’institution, l’occasion d’une belle photo de famille en compagnie des leaders de l’opposition et les félicitations de son camp, en particulier celles du président.

À quitte ou double 

« Leurs liens (entre Bictogo et Ouattara, NDLR) se sont réchauffés », assure un membre du parti. En début d’année, alors qu’il était jusque-là à la tête de la direction exécutive, Bictogo avait pris les rênes d’un secrétariat exécutif et n’apparaissait plus qu’en sixième position au sein du directoire, confié à Kafana. Une chute dans l’ordre protocolaire, certes relative mais notable, liée aux interrogations sur les ambitions de cet homme politique et à des tensions apparues dans ce cadre avec le Premier ministre, Patrick Achi.

Adama Bictogo, businessman et homme de réseaux, profil singulier dans le parti, n’en demeure pas moins un rouage important. « Quand le président Ouattara regarde autour de lui, il sait que Bictogo est une des rares personnalités qu’il puisse envoyer au charbon, au combat, depuis la perte d’Amadou Gon Coulibaly et d’Hamed Bakayoko, respectivement en juillet 2020 et en mars 2021. C’est un homme que l’on choisit pour relever les défis, capable de rallier à lui la jeunesse », analyse un membre du parti.

Bictogo pourrait reprendre à son compte la formule de Bakayoko, qui en 2018, alors député de Séguéla (Centre-Ouest), avait été propulsé candidat aux municipales d’Abobo et qui assumait son parachutage en ces termes : « Oui, commando parachutiste, forces spéciales des ADO boys en mission à Abobo. »

Cependant, sa candidature, ou plutôt le choix de Ouattara, interroge. « Pour certains, cette nomination est un piège qui va fragiliser Bictogo en cas de défaite, poursuit cette source. D’autant que si le PPA et le PDCI décident de faire liste commune, il sera impossible de les battre. D’autres estiment que c’est pour lui un gros défi et que s’il parvient à l’emporter, cela le remettra dans la machine du parti et pourquoi pas dans la course à la présidentielle. »

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De la même manière, Alassane Ouattara regardera avec beaucoup d’attention les résultats d’autres personnalités du parti et de certains ministres candidats aux prochaines locales, notamment celles attendues de Patrick Achi ou son directeur de cabinet Fidèle Sarassoro aux régionales. À trois ans de la prochaine élection présidentielle, « tous ces héritiers putatifs jouent gros ».

Face à un Gbagbo ?

La question centrale pour Bictogo reste donc : Yopougon est-elle prenable ? Au PPA-CI, nouveau parti de Laurent Gbagbo, il ne fait aucun doute que non. Sa candidature ne fait pas trembler les murs du parti qui décidera, en début d’année, du nom de son candidat. Le député Michel Gbagbo a déjà fait savoir publiquement qu’il se tenait prêt.

« Cette candidature est finalement une bonne chose, c’est un challenge et cela va mettre en lumière la commune », se réjouit même un cadre de la formation d’opposition. « Les difficultés ici, c’est la transparence des élections et la motivation des électeurs traumatisés par la crise post-électorale de 2010 qui ne votent plus. Lors des législatives, il a eu ici 17% de participation contre plus de 30 au niveau national. Nous en espérons 40% cette fois. Plus le taux de participation sera important, moins les contestations seront possibles. Yopougon a connu assez de violence. »

Une alliance avec le PDCI de Bédié n’est pas encore actée. « Les échanges continuent, mais il n’y a pas d’accord formel. Au sein du PDCI, un courant ne veut pas d’alliances, mais même sans cela nous avons l’assurance de l’emporter ». Reste à Adama Bictogo un peu moins d’un an pour convaincre la majorité des électeurs de la décidément très convoitée « Yop ».

Côte d’Ivoire : gros cafouillage autour du report du congrès du PDCI

Après une nuit de confusion et d’informations contradictoires, le congrès extraordinaire du PDCI, le parti d’Henri Konan Bédié, est bien reporté « à une date ultérieure », sur fond de tensions internes. 

Mis à jour le 9 décembre 2022 à 18:40
 

 

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Henri Konan Bédié s’est officiellement porté candidat à sa réélection. © Diomande Ble Blonde/AP/SIPA

 

D’abord, un premier communiqué qui tombe en début de soirée, le 8 décembre. Le très attendu congrès extraordinaire du parti prévu le 14 décembre à l’hôtel Ivoire d’Abidjan est reporté « à une date ultérieure ». Le document, signé par le président du Parti démocratique de Côte d’Ivoire (PDCI-RDA) depuis trois décennies, Henri Konan Bédié, précise que ce report est la conséquence « du processus d’enrôlement pour l’inscription sur la liste électorale en cours en Côte d’Ivoire, et [qu’il a été décidé] à la demande pressante des militants du PDCI-RDA qui souhaitent se consacrer à cette tâche ».

Dans la foulée, un autre communiqué commence à circuler, non signé celui-là, mais à en-tête de la formation politique. Le congrès est bien maintenu, est-il annoncé, « toute information contraire est nulle et de nul effet ». Fin de la polémique ? Maintien du congrès ? Pas tout à fait. Après une nuit de confusion et d’informations contradictoires, le service communication du parti assure que le premier communiqué est bien le seul valable et affirme ne pas savoir qui est à l’origine du second. Le congrès, au cours duquel doit être élu le président du parti, est donc bien reporté.

Débats houleux 

Alors que s’est-il passé ? Pourquoi reporter un tel événement à moins d’une semaine de sa tenue, sachant que les dates du processus d’enrôlement sont connues depuis longtemps ? « Le processus a été prorogé jusqu’au 20 décembre, alors qu’il devait initialement prendre fin le 9. Nos équipes sont pleinement mobilisées sur le terrain, il nous a semblé évident qu’il fallait se consacrer à cette tâche. Et surtout, prendre en urgence une décision », explique Soumaila Bredoumy, le porte-parole du PDCI.

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En coulisses en revanche, le processus d’enrôlement ne serait pas l’unique raison de cet immense cafouillage. Depuis la présidentielle de 2020, qui avait été boycottée par l’ensemble de l’opposition, le parti dirigé par Henri Konan Bédié est en proie à des luttes intestines, entre rivalités de personnes et désaccords sur la stratégie à adopter en vue des prochaines échéances électorales, locales en 2023, et présidentielles en 2025.

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Contesté en interne, le numéro deux du PDCI, Maurice Kakou Guikahué, qui est également son secrétaire exécutif en chef, aurait vigoureusement plaidé pour un report du congrès au cours d’une réunion du comité d’organisation plus tôt dans la journée du 8 décembre, arguant de problèmes de légalité liés notamment à l’ordre du jour du congrès. Henri Konan Bédié a finalement tranché en sa faveur.

Mais le communiqué signé de sa main aurait été rendu public sans en informer Niamen N’Goran, en charge de l’organisation de l’événement. Selon nos informations, dans la soirée, une réunion de crise a été convoquée en urgence chez Bédié afin de clarifier les choses. L’atmosphère y était tendue. « Le président est convaincu qu’il fallait reporter. C’est lui le seul décisionnaire dans cette affaire », affirme Soumaila Bredoumy.

Le dernier congrès ordinaire du PDCI, le douzième, remonte à 2013. Après une modification des textes sur la limite d’âge pour se présenter à la tête du parti, Henri Konan Bédié avait été réélu pour cinq ans avec plus de 93 % des suffrages exprimés face à l’actuel ministre de la Réconciliation, Kouadio Konan Bertin (KKB), et face à l’ancien secrétaire général du parti, Alphonse Djédjé Mady.

Le dernier congrès, extraordinaire celui-là, avait eu lieu en 2018 après la rupture avec l’ancien allié, le Rassemblement des Houphouëtistes pour la démocratie et la paix (RHDP, parti présidentiel). Il avait acté la reconduction d’Henri Konan Bédié à son poste de président du PDCI dans l’attente d’une nouvelle élection promise après la présidentielle d’octobre 2020.

Bédié, seul candidat

La toile de fond de ces tensions reste, comme depuis des années, la succession d’Henri Konan Bédié. La désignation de Niamien N’Goran pour organiser ce congrès, homme très proche de Bédié et à qui l’on prête des ambitions au sein du parti, a été vu d’un mauvais œil par certains cadres. C’est déjà lui qui avait présidé le comité d’organisation des obsèques du frère de l’ancien président, Nanan Marcelin Bédié, ainsi que celui du 12e congrès du parti en 2013 et du comité électoral en 2016. Certains de ses proches et lui étaient soupçonnés de vouloir instrumentaliser le congrès du 14 décembre dans le but d’évincer Maurice Kakou Guikaoué.

Le comité continue cependant de préparer l’événement qui devrait se tenir courant janvier 2023. Henri Konan Bédié s’est officiellement porté candidat à sa réélection. Les candidats, invités à s’acquitter d’une caution non remboursable de 20 millions de F CFA, avaient trois jours pour se faire connaître cette semaine au siège, à Cocody, mardi, mercredi et jeudi. Bédié est à ce jour le seul candidat en lice.

 

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Présidence de l’Uemoa : les dessous de la nomination de Mohamed Bazoum

À la surprise générale, le chef de l’État nigérien a été désigné président de l’organisation sous-régionale, le 5 décembre à Abidjan. Patrice Talon, son homologue béninois, était pourtant pressenti depuis plusieurs mois. Que s’est-il passé en coulisses ? Explications.

Par Jeune Afrique
Mis à jour le 8 décembre 2022 à 23:09
 

 

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Les présidents Macky Sall, Alassane Ouattara et Umaro Sissoco Embaló à Abidjan, le 5 décembre 2022. © Facebook Presidence CI

 

Le 5 décembre à Abidjan, le nouveau président de l’Uemoa était absent. Mohamed Bazoum était en effet à Paris avec son gouvernement, dans le but de faire financer le Plan de développement économique et social 2022-2026 du Niger. Patrice Talon, pressenti depuis plusieurs mois, n’avait pas non plus fait le déplacement.

Le chef de l’État béninois avait conditionné sa prise de fonction à l’attribution du poste de président du Conseil des ministres à son pays et donc, à son ministre de l’Économie et des Finances, Romuald Wadagni. Cette proposition inédite faisait débat. Elle a donc été officiellement discutée, avant l’ouverture officielle du sommet, lors du huis clos qui a duré une quarantaine de minutes, entre les trois seuls présidents présents : Alassane Ouattara (ADO) bien sûr, mais aussi Macky Sall et Umaro Sissoco Embaló.

Discussions entre présidents

Chargée d’étudier la question, la Commission de l’Uemoa dirigée par le Sénégalais Abdoulaye Diop a tranché : elle a confirmé que cette demande est incompatible avec les textes et donc, non réglementaire. Ces derniers mois déjà, selon nos informations, Alassane Ouattara et Macky Sall avaient initié des discussions à ce sujet.

Si toutefois la proposition de Patrice Talon n’était pas jugée conforme aux règles, le nom de Faure Essozimna Gnassingbé avait d’abord été évoqué pour prendre la présidence de l’Uemoa et celui d’Adama Coulibaly, le ministre ivoirien de l’Économie et des Finances, pour prendre celle du Conseil des ministres. Mais c’est Mohamed Bazoum qui a finalement fait consensus auprès de ses homologues.

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Alassane Ouattara a ensuite délégué la gestion de ce dossier à Tiémoko Meyliet Koné, son vice-président et ancien gouverneur de la BCEAO, très au fait des rouages de l’organisation. Lors de son déplacement à Charm el-Cheikh début novembre pour participer à la COP27, ce dernier a porté un message d’ADO au président nigérien, présent en Égypte tout comme Macky Sall et Umaro Sissoco Embaló. Le 25 novembre, cette fois à Niamey en marge du sommet de l’Union africaine, Tiémoko Meyliet Koné a une nouvelle fois sollicité Mohamed Bazoum.

Ce dernier a finalement donné son accord et le sommet du 5 décembre a pu être convoqué. Quant à lui, le mandat du Togolais Sani Yaya à la tête du Conseil des ministres a été prolongé.

Côte d’Ivoire : six ans après Grand-Bassam, la menace terroriste plus forte que jamais

L’attentat commis dans la cité balnéaire ivoirienne a constitué un tournant pour la lutte contre le terrorisme dans le pays. Le procès en cours rappelle que le risque d’attaques jihadistes est toujours très présent.

 
Mis à jour le 8 décembre 2022 à 12:21
 
 

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Sur la place Jean-Paul-II, lors de la célébration du 62e anniversaire de l’indépendance de la Côte d’Ivoire, à Yamoussoukro, le 7 août 2022. © SIA KAMBOU/AFP

 

 

Les plages de la station balnéaire de Grand-Bassam n’ont pas grand-chose en commun avec les pistes rocailleuses du nord-est de la Côte d’Ivoire. Elles partagent toutefois la sombre caractéristique d’avoir été le théâtre des deux grands attentats jihadistes qui ont frappé le pays.

Le 13 mars 2016, à la mi-journée, trois hommes armés débarquent sur la plage de Bassam. Ils feront 22 morts et 33 blessés, principalement des civils. Un peu plus de quatre ans après, dans la nuit du 10 au 11 juin 2020, une quarantaine de personnes prennent pour cible le village de Kafolo, situé à 200 kilomètres au nord de Korhogo, à la frontière avec le Burkina Faso. Tirés de leur sommeil, les éléments du détachement de l’armée sont totalement pris par surprise. Quatorze d’entre eux perdront la vie.  

Mode opératoire, identité des assaillants, profil des victimes… La première attaque menée sur le sol ivoirien est différente de la première à avoir frappé le Nord à bien des égards. L’attentat de Grand-Bassam, dont le procès s’est ouvert le 30 novembre à Abidjan, a permis de faire émerger un acteur majeur de la lutte contre le terrorisme en Côte d’Ivoire, le général Ousmane Yeo.

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Au moment des faits, il préside la cellule spéciale d’enquête sur les crimes de la crise postélectorale et va devenir « Monsieur Antiterrorisme ». En août 2021, Alassane Ouattara le nomme à la tête du Centre de renseignement opérationnel antiterroriste (CROAT), une structure placée sous la tutelle du chef de l’État. Composée de cinq cellules chargées du recueil et de l’analyse des renseignements, de l’appui technologique, de la coopération internationale et, surtout, des opérations, elle vient remplacer le Centre de renseignement antiterroriste (CRAT) qui était logé à la Direction des services extérieurs (DSE) de la présidence et qui, comme son acronyme l’indique, n’était pas doté d’une cellule opérationnelle. 

Relais familiaux

Depuis l’attentat de Grand-Bassam, la menace jihadiste a nettement évolué. Bassam avait été pris pour cible par Al-Qaïda au Maghreb islamique (Aqmi). Le groupe qui avait mené l’action était lié à celui ayant commis l’attaque contre le café Cappuccino et l’hôtel Splendid, à Ouagadougou, qui avait fait 30 morts en janvier 2016. Les hommes qui ont fondu sur Kafolo, eux, sont liés à la katiba Macina, du Malien Amadou Koufa, filiale du Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans (GSIM) d’Iyad Ag Ghaly, et à la faction burkinabè Ansarul Islam. Une sorte de franchise de la katiba Macina.

Cette faction est menée par un homme, Sidibé Abdramani, plus connu sous l’alias « Hamza ». Son groupe est aujourd’hui composé d’une petite centaine de combattants disséminés dans le sud-est du Burkina, le long de la frontière ivoirienne. Il bénéficie également de relais, notamment familiaux, des deux côtés de la frontière.  

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L’attaque contre Kafolo a fait l’effet d’une piqûre de rappel aux autorités ivoiriennes. Car les efforts importants déployés pour mener à bien l’enquête sur l’attentat de Grand-Bassam avaient laissé la place à un relâchement coupable. « Il y a eu une vraie prise de conscience et la fin d’un tabou, celui de l’expansion de l’islam radical en Côte d’Ivoire. Désormais, la riposte s’effectue sur deux axes : la prévention contre l’extrémisme religieux et la lutte contre le terrorisme », explique une source sécuritaire française. 

Après Kafolo, plusieurs autres attaques ont eu lieu courant 2021. Ce même village a été une nouvelle fois pris pour cible le 29 mars. Un élément des forces spéciales, un membre du bataillon de chasseurs-parachutistes et un civil seront tués, cinq militaires blessés. Un gendarme sera également assassiné le même soir, entre deux et trois heures du matin, dans l’attaque, par le même groupe, d’un poste mixte de l’armée et de la gendarmerie dans la sous-préfecture de Tehini, une petite ville située au nord du parc national de la Comoé, à l’est de Kafolo.

Le 7 juin 2021, les jihadistes ont frappé à Tougbo, dans le département de Bouna. Enfin, en octobre de la même année, des éléments de l’armée motorisés déployés à Téhini ont mis en déroute des hommes en armes en reconnaissance. Deux militaires ont néanmoins été blessés. Enfin, début février 2022, un engin explosif improvisé (IED) a été découvert sur l’axe Téhini-Koïnta, toujours près du parc de la Comoé.

Dans le Nord-Est, un répit relatif

Le nord-est de la Côte d’Ivoire observe depuis un certain répit. « Si les groupes armés jihadistes ont démontré leur volonté de s’étendre en direction des pays côtiers, notre pays peut encore être considéré comme une zone de repli et d’approvisionnement plus qu’une cible directe. Mais pour combien de temps ? » interroge un haut-gradé ivoirien.

« La Côte d’Ivoire a procédé à une réorganisation de sa carte militaire, elle dispose désormais d’un maillage plus important dans le Nord », assure le chercheur Lassina Diarra. Des groupes tactiques interarmées (GTA) ont notamment été disposés le long de la frontière avec le Burkina Faso, dans les localités de Doropo, Bolé, Téhini ou Tougbo.  

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Toujours selon Lassina Diarra, au-delà de l’aspect sécuritaire, « les jihadistes tentent de jouer sur les dynamiques sociales et ethniques. Ils cherchent à attiser les tensions communautaires. Ils diversifient leurs sources de financement, via l’élevage et l’exploitation de l’or, appuient sur le sentiment de marginalisation et d’injustice des populations peules » présentes sur le territoire ivoirien ou de part et d’autre de la frontière avec le Burkina. Vivant principalement de l’élevage, ces dernières se sentent régulièrement lésées dans le règlement des conflits qui les opposent aux planteurs, mécontents de voir leurs cultures piétinées par le bétail ou leurs points d’eau utilisés. 

Les forces de sécurité procèdent aussi régulièrement à des arrestations groupées, qui ont tout de véritables rafles, visant exclusivement cette communauté. Il y a un mois, une vingtaine d’éleveurs revenant de l’inhumation de l’un des leurs au cimetière de Doropo ont été brièvement arrêtés. Une poignée a été interrogée « pour les besoins de l’enquête », avant d’être relâchée. Cette situation fait écho à celle observée au Mali et au Burkina Faso il y a quelques années. « Les arrestations arbitraires sont moins nombreuses », affirme tout de même une source sécuritaire française.  

Plusieurs incursions

Malgré le calme apparent, « les jihadistes maintiennent la pression. Il n’y a pas d’attaque à l’heure actuelle, mais quelques incursions », poursuit Lassina Diarra, qui a mené plusieurs études de terrain dans la zone. Mi-2022, les services de renseignement ivoiriens ont été informés qu’une poignée de combattants de nationalité guinéenne avaient regagné leur pays après avoir été formés plusieurs mois durant au Mali, dans la zone de Sikasso. « La question est de savoir s’ils comptaient se rendre ensuite au Sénégal ou en Côte d’Ivoire », souligne un militaire ivoirien.  

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Plus récemment, fin septembre, l’armée burkinabè a alerté la Côte d’Ivoire au sujet d’une possible menace sur son sol. Selon les informations émanant de Ouagadougou, un membre d’un groupe jihadiste dirigé par le fameux Hamza aurait confié à l’un de ses contacts que des combattants ghanéens et ivoiriens avaient été préparés en territoire burkinabè à participer à des attaques contre leurs pays respectifs. « Ces combattants sont prêts à commencer leurs actions, mais, pour l’heure, ils attendent le mot d’ordre de la hiérarchie terroriste », concluait le message d’alerte de l’armée burkinabè. 

En état d’alerte

Est-ce la raison pour laquelle l’armée ivoirienne a été mise en alerte sur l’ensemble du territoire entre le 22 et le 30 novembre, selon une note interne largement diffusée sur les réseaux sociaux ? Outre les craintes venues du Burkina Faso, les services de renseignement ont eu écho de l’arrivée de combattants et de matériels, acheminés depuis le Mali, près de sa frontière avec le Burkina. 

Si les autorités ivoiriennes ont cette fois été informées par leurs homologues burkinabè, la coopération entre les deux pays a sérieusement pâti du dernier changement de régime. Arrivé au pouvoir après un coup d’État mené en janvier, le lieutenant-colonel Paul-Henri Sandaogo Damiba a fait place début octobre au capitaine Ibrahim Traoré.

Les échanges sont en revanche inexistants avec son autre voisin, le Mali, tant les relations entre Abidjan et Bamako sont exécrables depuis l’arrestation le 10 juillet, dans la capitale malienne, de quarante-neuf soldats ivoiriens (dont trois ont depuis été libérés)