Adama Diarra alias « Ben le Cerveau », porteur du mouvement « Yerewolo », lors d’une manifestation contre la présence militaire française au Mali, à Bamako, le 19 février 2022. © Paloma Laudet
« Il n’y a pas de plus grand soutien à Assimi Goïta que “Ben le Cerveau” [Adama Ben Diarra, de son vrai nom] », tranche, lapidaire, Bassaro Sylla, membre du mouvement Yerewolo-Debout sur les remparts.
Il est vrai que lorsqu’il ne torpille pas la France, la Cedeao ou les Casques bleus des Nations unies, Adama Ben Diarra, qui est également membre du Conseil national de transition (CNT), n’a jamais manqué de clamer l’admiration qu’il voue au président putschiste Assimi Goïta. Du moins jusqu’à début novembre.
« Amateurisme » des autorités
Le ton a alors brusquement changé. Adama Ben Diarra a dénoncé l’attribution de 26 nouveaux sièges au Conseil national de transition (CNT), conspuant une augmentation « incompréhensible du budget » qui pourrait représenter, selon lui, trois milliards de francs CFA pour les caisses de l’État.
Devant ses partisans, le président du mouvement Yerewolo a également réagi à l’augmentation du budget de la présidence, ainsi qu’au projet de loi prévoyant l’obligation du port du casque pour tous les conducteurs de deux-roues. Des décisions révélant une forme « d’amateurisme » des autorités, selon « Ben le Cerveau ».
L’intéressé n’a pas souhaité répondre aux questions de Jeune Afrique mais son collaborateur, Bassaro Sylla, ébauche un début d’explication. « Une grande partie du peuple souffre de l’inflation et, dans ce contexte, ce n’est pas le moment d’augmenter le budget de la présidence. C’est le genre de mesures qui peut pousser les gens à la révolte », déplore-t-il.
Et d’assurer que les déclarations de « Ben le Cerveau » ne sont en rien un désaveu à la transition, que « Yerewolo continue de soutenir sans réserve », dit-il. « Mais nous craignons qu’Assimi Goïta et les colonels soient manipulés. Adama Ben Diarra a simplement tiré la sonnette d’alarme afin de protéger le président », ajoute-t-il, sans préciser qui pourrait ainsi influencer les décisions de la junte.
Rancœur personnelle ?
L’explication n’a pas convaincu certains mouvements de la ville de Kati, dont est originaire le président de Yerewolo et qui abrite la base militaire où vivent une partie des colonels au pouvoir. Ce mardi 15 novembre, entre deux-cents et trois-cents personnes s’étaient rassemblées afin de protester contre la « haute trahison » d’Adama Ben Diarra et exiger sa démission du CNT.
Pour certains observateurs, la sortie de « Ben le Cerveau » pourrait bien être l’expression de rancœurs personnelles. « Les colonels avaient promis l’intégration de trois membres de Yerewolo dans la liste additionnelle des membres du CNT, ça n’a pas été le cas et Ben Diarra a donc décidé de répliquer », croit savoir un chercheur qui a requis l’anonymat.
« Il n’y a pas d’idéologie en politique malienne, il n’y a que des intérêts personnels. Quand les partisans d’un jour estiment que les autorités ne leur donnent plus leur part de gâteau, ils passent du côté des détracteurs », ajoute-t-il.
Contestation grandissante
Quelles que soient ses motivations, la déclaration d’Adama Ben Diarra intervient dans un contexte de contestation grandissante. Certaines voix s’élèvent pour dénoncer les atteintes répétées à la liberté d’expression et à la pluralité d’opinion, d’autres s’inquiètent de voir la situation sécuritaire se dégrader.
Quelques jours avant la prise de parole de Ben Diarra, une autre déclaration a fait grand bruit, cette fois en provenance du nord du pays. « L’État a vendu les populations, la transition a vendu le Nord », entend-on dans un audio largement partagé sur les réseaux sociaux. Très remonté contre le régime transitoire, l’auteur de l’enregistrement se présente comme étant Seydou Cissé, porte-parole, à Gao, du M5-RFP, dont le comité stratégique est présidé par le Premier ministre Choguel Maïga, actuellement au repos forcé.
« On a soutenu l’armée, on a soutenu Goïta, on a soutenu Choguel, mais est-ce que la transition a sécurisé Gao ? Est-ce que la transition a réglé le problème des rançons, des enlèvements de bétail ? Mieux vaut se rallier à l’opposition », décrète Seydou Cissé.
Immédiatement, le comité stratégique du M5-RFP, toujours fidèle à Choguel Maïga, s’est désolidarisé de ces « déclarations unilatérales », réitérant son soutien aux forces armées maliennes.
L’efficacité de l’armée critiquée
Si elles restent minoritaires, les voix discordantes tendent à se faire plus nombreuses – malgré le contexte répressif. Récemment, l’homme d’affaires Mamadou Sinsy Coulibaly, discret depuis le début de la transition, s’est montré très virulent envers la junte dans les colonnes de Jeune Afrique.
« De manière générale, les Maliens réalisent qu’il n’y a pas de ligne directrice, pas de vision et que la situation s’aggrave de jour en jour. Pratiquement toute la région de Ménaka est aux mains des jihadistes, Gao croule sous les réfugiés, la cherté de la vie affecte tout le monde. Dans ces conditions, les mécontentements ne peuvent qu’être de plus en plus nombreux », estime le chercheur cité plus haut.
C’est le cas notamment à Ansongo, dans la région de Gao, où plusieurs mouvements citoyens ont appelé, le 8 novembre, à la désobéissance civile, fermant certains services étatiques et bloquant les axes de communication.
Une manière de protester contre « la montée en puissance de l’insécurité dans le cercle d’Ansongo », annonçait le Conseil local de la société civile. Un choix de mots qui n’a rien d’anodin, à l’heure où le discours officiel continue de vanter la « montée en puissance » de l’armée malienne.