La loi « séparatisme », rebaptisée « loi confortant les principes républicains » doit être présentée en Conseil des ministres le 9 décembre. Le texte incite notamment les lieux de culte musulmans à s’inscrire sous le régime du titre 4 de la loi du 9 décembre 1905 relatif aux associations cultuelles, avec pour objectif davantage de transparence, y compris sur le plan comptable et financier.
Francis Messner, Université de Strasbourg
C’est l’occasion de dresser un état des lieux de l’organisation du culte musulman aujourd’hui en France : comment l’islam est-il régi, quelles différences avec d’autres religions et comment comprendre le projet de loi ?
Organismes représentatifs et situation marginale
Actuellement, les organismes représentatifs du culte musulman en France sont le Conseil français du culte musulman (CFCM) et les Conseils régionaux du culte musulman (CRCM). Ils sont, contrairement aux cultes catholique, protestants et juif, statutairement organisés dans le cadre du droit commun d’association, (loi du 1er juillet 1901 relative au contrat d’association) conformément à l’accord-cadre de 2001 signé par les fédérations musulmanes.
Le CFCM est une union d’associations qui regroupe : les Conseils régionaux du culte musulman (CRCM), « également constitués sous forme d’association régie par la loi de 1901 ; des fédérations d’associations, régies par la loi de 1901, ayant pour but la gestion et l’animation de lieux de culte musulman et des mosquées représentées par leur association gestionnaire dénommées ‘grandes mosquées’ ».
À la base, les 2 500 mosquées locales – équivalent des paroisses chrétiennes – sont elles aussi à près de 80 % représentées par des associations de la loi de 1901 et beaucoup plus rarement par des associations cultuelles de la loi du 9 décembre 1905.
Or ces dernières constituent l’épine dorsale du régime des cultes en France, alors que la loi de 1905 a notamment pour fonction de normaliser les relations entre l’État et les religions et d’intégrer ces dernières dans la société, à travers sont titre 4. Mais les associations de mosquée ont préféré une organisation dans le cadre de la loi de 1901 en raison d’un contrôle moins sévère de l’administration sur ces associations.
Cette situation n’est pas sans conséquence pour le culte musulman dont la marginalisation par rapport au régime des cultes français peut, en [l’absence de contrôles de l’administration], accélérer et même normaliser certaines dérives fondamentalistes.
Un montage bancal
La représentation du culte musulman (CFCM/CRCM) a en réalité un caractère administratif et une faible légitimité religieuse. Ces organismes ne bénéficient pas par ailleurs des avantages fiscaux attachés au statut particulier des associations cultuelles de la loi de 1905
Cet évitement du statut d’association cultuelle dans la représentation du culte musulman découle aussi de la volonté de distinguer les compétences respectives des CFCM/CRCM et des fédérations musulmanes souvent liées à des États étrangers (Turquie, Algérie, Maroc). Aux premiers les tâches administratives, aux secondes la tutelle des activités en rapport avec le spirituel, la doctrine et la théologie.
Force est de constater que le montage manque de visibilité pour les non-initiés, dont font partie la grande majorité des musulmans. Avec de nombreuses questions sur l’influence de ces puissances étrangères.
Toutefois, l’argument parfois invoqué d’un financement pouvant être octroyé plus facilement à une association non cultuelle par l’État et les collectivités publiques est pour le moins fragile. En effet, l’interdiction de financement du culte inscrite dans l’article 2 de la loi de 1905 fait obstacle au financement de toute activité cultuelle – à l’exception des dérogations prévues par la loi – même si elle est portée par une association de la loi de 1901.
Ce montage institutionnel quelque peu bancal a probablement constitué une première étape nécessaire de la structuration du culte musulman en France aux fins de trouver un accord entre les différentes tendances, qui est au cœur de la volonté de clarification portée par l’actuel gouvernement.
La situation actuelle contribue ainsi à brouiller l’image et le rôle des CFCM/CRCM, à diluer les responsabilités et à favoriser un relatif rejet de ces instances par les membres des communautés musulmanes.
Éclatement, manque de visibilité et d’efficacité
Le culte musulman, en raison d’un éclatement savamment cultivé par les différentes fédérations musulmanes, a facilité la mise en place d’une organisation asymétrique caractérisée par un manque de visibilité et d’efficacité.
Le CFCM n’exerce jusqu’à présent aucune compétence en matière de formation et d’habilitation des imams et de construction et d’entretien des édifices cultuels.
Aucune tentative de réorganisation en profondeur du CFCM et des CRCM et plus largement du culte musulman n’a abouti jusqu’à présent. Une seule réforme mineure a été adoptée par le congrès du CFCM de décembre 2018. Elle prévoit la possibilité de créer des Conseils départementaux du culte musulman (CDCM).
Pour pallier ces faiblesses, le gouvernement, sous la présidence de François Hollande, avait encouragé la création d’une association cultuelle musulmane nationale exerçant des compétences en matière de formation théologique des imams et des cadres religieux, de statut, de charte ou de cahier de charges des imams, de planification de la construction de mosquées, de transmission des croyances à destination des adultes, des jeunes et des enfants.
Cette mesure aurait pu constituer un premier pas en direction d’une organisation plus efficace centralisée du culte musulman avec une instance nationale exerçant une tutelle sur les associations de mosquées. Mais elle n’a pas été suivie. CFCM et CRCM, placés sous le régime de la loi de juin 1901, sont finalement maintenus.
Une première association intitulée Association pour le financement et le soutien du culte musulman (AFSCM) a toutefois été créée en 2018 par les fédérations constitutives du CFCM. Elle s’est imposée très clairement comme une émanation du CFCM.
Chargée au niveau national du financement de l’islam « pour les musulmans et par les musulmans », son conseil d’administration est composé par des membres de droit, soit six membres issus de la présidence collégiale du CFCM, 20 membres du collège des fédérations et des Grandes Mosquées, et 15 personnalités qualifiées élues pour deux ans par les deux autres collèges.
L’essayiste Hakim El Karaoui, auteur d’un rapport en 2017 avec l’Institut Montaigne intitulé « Un islam français est possible » a quant à lui déposé les statuts de deux associations nationales.
- La première, une association loi 1901 s’occuperait de « la régulation économique des marchés du halal et du hadj en France. » En clair, elle collecterait des fonds auprès des acteurs de l’abattage rituel musulman et du pèlerinage.
- La seconde, une association cultuelle loi 1905, serait en charge de « la construction, l’aménagement, l’équipement, et la rénovation de mosquées et de salles de prière », mais aussi de « la formation des cadres religieux et des responsables d’associations cultuelles » et de la rémunération du personnel religieux.
Mais dans les faits, aucune de ces associations précitées n’est opérationnelle.
Un projet de loi qui renforce les contrôles
À l’initiative du gouvernement, l’avant-projet de loi confortant les principes républicains présenté au conseil des ministres, tend à accélérer et à faciliter l’organisation du culte musulman dans le cadre des associations cultuelles qui devraient devenir plus attractives.
Ce projet de loi lèvera ainsi tout obstacle à l’acquisition d’immeubles acquis à titre gratuit (dons et legs) non nécessaires à leur objet mais dont les revenus serviront à financer les activités cultuelles. Cette possibilité n’est pas sans rappeler les Waqf, fondations pieuses instaurées dans les États musulmans.
Le caractère cultuel d’une association lui permettant notamment de bénéficier d’avantages fiscaux doit désormais être constaté par le préfet, représentant de l’État dans le département, lors de sa création. Cette démarche préalable met fin aux régimes des rescrits administratifs ou fiscaux sollicités lors d’une demande d’acceptation d’un don ou d’un legs notarié. Elle permet donc plus de transparence sur le financement des organisations.
Si les pouvoirs publics ne peuvent pas contraindre les communautés musulmanes locales de s’organiser dans le cadre de la loi de 1905, ils se donnent la possibilité de les détourner des associations de la loi de 1901 en faisant évoluer leurs moyens de contrôle.
Ces associations le plus souvent mixtes, culturelles et cultuelles, seront en effet désormais assujetties, pour leurs activités liées aux cultes, aux mêmes contrôles financiers et aux mêmes obligations que les organismes cultuels sans bénéficier des mêmes avantages fiscaux. Les associations de droit commun (loi 1901) en charge de l’exercice du culte cumuleront donc tous les inconvénients sans pouvoir accéder aux avantages accordés aux associations cultuelles.
Les risques de prises de pouvoir (putsch) d’une association cultuelle par des éléments extérieurs aux fins d’expulser des dirigeants libéraux au profit d’une ligne fondamentaliste dure, par exemple, seront désormais limitées grâce à l’instauration d’un organe délibérant qui décidera de l’adhésion de tout nouveau membre.
De surcroît, le contrôle financier des associations cultuelles sera accru. Est ainsi instaurée l’obligation de faire certifier les comptes par un commissaire aux comptes lorsque ces associations bénéficient d’avantages ou de ressources provenant de l’étranger.
De plus, les ressources dépassant 10 000 euros en provenance d’une personne morale étrangère ou d’une personne physique non résidente en France doivent être déclarées et l’administration peut s’opposer à leur versement pour des raisons de sécurité et d’ordre public.
Le projet de loi confortant les principes républicains constitue une seconde étape vers une meilleure intégration du culte musulman dans le régime des cultes en France et par voie de conséquence dans la société. Il démontre qu’une politique religieuse est possible en France.
Francis Messner, Directeur de recherche émérite, professeur conventionné à l’Université de Strasbourg, droit des religions, Université de Strasbourg
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