Dialogue interreligieux

« Lorsque nous travaillons pour les âmes, nous ne pouvons user que de persuasion et d'amour... Nous ne pouvons rien faire tant que nous n'avons pas persuadé les gens autour de nous qu'ils sont aimés... » (Cardinal Lavigerie, 1885)

« Nous croyons qu'en toute religion il y a une secrète présence de Dieu, des semences du Verbe qui reflètent un rayon de sa lumière... » (Chapitre 1967)

« Nous célébrons et partageons cette vie avec Dieu lorsque nous allons à la rencontre des cultures et des religions... nous réjouissant de la foi vivante de ces croyants et les rejoignant dans leur quête de la Vérité, cette Vérité qui nous rend tous libres. » (Chapitre 1998)

Missionnaires, nous sommes appelés à faire les premiers pas pour rencontrer les personnes, qu'elles que soient leurs convictions, leur religion.

Au Burkina Faso, cette réalité se traduit surtout dans la rencontre respectueuse et évangélique avec les adeptes des religions traditionnelles et avec les musulmans.

Dans cette rubrique, nous étudierons divers aspects de ces religions, particulièrement de l'islam.

« Caricatures de Mahomet » – Youssef Seddik : « Les musulmans ne devraient pas se sentir concernés »

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Mis à jour le 07 novembre 2020 à 11h07
L'islamologue et philosophe tunisien Youssef Seddik.

L'islamologue et philosophe tunisien Youssef Seddik. © Ons Abid

 

 

Le discours d’Emmanuel Macron sur le séparatisme a laissé les Tunisiens perplexes, puisque le président français les a cités pour illustrer la montée de l’islam politique et le recul de la laïcité. Ces propos ont été d’autant plus mal perçus que l’Occident a précisément soutenu les islamistes lors des Printemps arabes, notamment en Syrie et en Libye.

Entre temps, l’assassinat de Samuel Paty, puis l’attaque meurtrière de Nice, perpétrée par un jeune migrant clandestin tunisien, ont provoqué une sidération telle que le séparatisme islamiste est passé au second plan.

Pourtant, la republication des caricatures du Prophète suscite toujours autant d’émotion que d’incompréhension dans les pays musulmans. Une blessure qui alimente un vif sentiment anti-français. Sans parti pris ni surenchère, l’islamologue et philosophe tunisien Youssef Seddik pointe, pour Jeune Afrique, les failles des uns et des autres.

Jeune Afrique : De nombreux pays arabes ont condamné la republication en France des caricatures du Prophète, considérant que c’est une atteinte au sacré…
Youssef Seddik : Il ne s’agit pas vraiment d’atteinte au sacré ; tout est parti du discours du président français, Emmanuel Macron, sur le séparatisme. Évidemment, il faut distinguer religion et terrorisme, surtout quand celui-ci donne lieu à des abominations plurisymboliques, comme cela a été le cas avec l’assassinat de Samuel Paty.

Il faut rejeter en bloc ces actes et les dénoncer haut et fort. Mais pour ce qui est de la position des pays musulmans au sujet des caricatures, je crois que nous devons reconsidérer complètement notre perception de notre histoire religieuse. Pas de notre religion, car la foi est personnelle, mais il s’agit d’interroger les époques et surtout la nôtre.

C’est-à-dire ?
Il n’est pas normal que partout dans le monde musulman, on enseigne le Coran à des enfants sans qu’ils comprennent de quoi il retourne. J’ai souvent soulevé cette problématique sans recevoir de réponse. Avant d’apprendre, il faut pouvoir comprendre. Cela est valable pour toutes les disciplines. Il est absurde qu’il en soit autrement.

Pour le Coran, c’est encore plus grave ; en apprenant des termes qui semblent solennels, on suggère que le texte est autonome, qu’il échappe à la réflexion et à l’examen rationnel, qu’il ne faut surtout pas s’interroger. Il est temps de faire une distinction entre le mythique et le discursif, comme l’a fait l’Occident. Quand on dit à des enfants que le bâton de Moïse s’est transformé en serpent, ils considèrent que c’est vrai. Si on leur dit que c’est une métaphore, on est traité de mécréant.

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NOUS DEVONS PROCÉDER À UNE REFONTE COMPLÈTE DE L’ENSEIGNEMENT DE NOTRE HISTOIRE

Il faut profiter du fait qu’il n’y ait pas de clergé en islam pour que chacun choisisse le chemin qui lui convient. Nous devons procéder à une refonte complète de l’enseignement de notre histoire et distinguer ce qui est de l’ordre de la répétition incantatoire et rituelle de ce qui relève de l’histoire, du rationnel, du discutable.

Rien ne nous empêche d’expliquer, dès le début de l’enseignement du Coran, qu’il y a dans le monde des attitudes de foi, révélées ou pas, différentes.

Il faut aussi spécifier ce qu’est la Révélation. Est-ce une inspiration ou une attitude morale révélée parce qu’elle était objet d’un discours ? Nous avons un chantier énorme à ce niveau là et il faut s’y atteler. Que chacun conçoit le Créateur comme il l’entend, c’est un atout énorme.

Est-ce une réponse suffisante face à la violence et aux attaques actuelles ?
Il faut s’attendre malheureusement à ce que ce genre d’événement se répète. Mais il convient de se demander pourquoi le ou les assassins sont le plus souvent éliminés. Ils sont un énorme document humain à même de fournir des renseignements clés. Cette attitude interpelle. Que veut-on cacher en éliminant ces hommes ?

L’islam est en fâcheuse posture. S’achemine-t-on vers le déclin de l’islam politique ?
C’est un oxymore, une contradiction dans les termes. L’islam et la politique n’ont rien à faire ensemble. Il y a l’islam et il y a la politique. La politique est une urbanité qui n’a rien à voir avec la religion. Pour rappel, la social-démocratie chrétienne était complètement laïque et totalement hors religion.

En Tunisie, nous avons été à l’avant-garde sur cette question du rapport entre religion et politique, mais nous le payons cher, puisqu’on ne cesse de nous considérer, dans les médias arabes, comme de mauvais musulmans, voire des athées.

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DANS CERTAINS PAYS MUSULMANS, ON INVENTE DES OBLIGATIONS QUI N’ONT RIEN À VOIR AVEC LA RELIGION ET ON LES INTRODUIT DANS LES DÉBATS POLITIQUES

Dans certains pays musulmans, on invente des obligations qui n’ont rien à voir avec la religion et on les introduit dans les débats politiques. Nous avons été gagnés par cette tendance ; aujourd’hui, le port du voile s’est imposé, alors qu’il n’est pas une obligation, et la Tunisie a reculé par rapport à ses positions plus tolérantes des années 1970.

Manifestations au Bangladesh contre la publication des caricatures du Prophète, le 27 octobre 2020.
Manifestations au Bangladesh contre la publication des caricatures du Prophète, le 27 octobre 2020. © AP SIPA/Mahmud Hossain Opu


À la lumière des derniers événements, que pensez des propos d’Emmanuel Macron sur le séparatisme ?

Il a fait une erreur en faisant de l’islam une exclusivité du séparatisme. Il aurait dû dire, comme nous en avions parlé lors de sa visite en Tunisie, qu’aucun séparatisme n’était acceptable et au moins rappeler qu’il y a eu historiquement un séparatisme chrétien qui a scindé l’Europe entre catholiques et protestants.

Reconnaître que le séparatisme a concerné toute les religions, même si pour certaines il est dépassé, est aussi une manière de ne pas trahir la mémoire des peuples. Il faudrait aussi que l’on arrête de confondre islamique et islamiste ; cela relève d’une provocation inutile.

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UN BLASPHÈME N’ENGAGE FINALEMENT QUE CELUI QUI LE PROFÈRE

Le péché originel est précisément tous les amalgames qui sont faits. La chancelière allemande, Angela Merkel, n’a pas fait de discours sur l’islam en prenant son peuple à témoin. Macron l’a fait. Mais les musulmans n’ont pas à se sentir touchés par les caricatures du Prophète. Un blasphème n’engage finalement que celui qui le profère.

Que les musulmans cessent donc de pousser des cris d’orfraie pour des faits qui ne les concernent pas. Si on est traité de débile dans la rue, est-ce qu’on l’est pour autant ? Il faut se demander pourquoi les musulmans se sentent à ce point touchés. Cette surenchère serait-elle chez eux un signe de doute ?

S’ils jugent la liberté de certaines civilisations insoutenable, qu’ils cessent d’envoyer leurs enfants dans les universités occidentales, qu’ils cessent de venir tenter leur chance au nord de la Méditerranée. Assez d’hypocrisie! D’autant que leur étroitesse de vue a des conséquences désastreuses pour ceux de leurs coreligionnaires qui vivent ou aspirent à vivre en Europe.

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Alors que deux attentats terroristes ont frappé la France ces dernières semaines, provoquant la mort d'un professeur d'histoire le 16 octobre et de trois fidèles catholiques le 29 octobre, je vous propose de nous pencher sur la question de l'islamisme radical. Jeune Afrique est allé à la rencontre de Ghaleb Bencheikh : le président de la Fondation de l’islam de France décrypte les enjeux de la lutte contre le fanatisme religieux.

 
MAGHREB & MOYEN-ORIENT
Ghaleb Bencheikh : « Le discours islamiste a pris en charge l’angoisse liée aux fractures identitaires »
Propos recueillis par Nadia Henni-Moulaï
Président de la Fondation de l'islam de France, Ghaleb Bencheikh appelle les Musulmans à investir le champ du savoir pour éviter les pièges du fanatisme.
Le président de la Fondation de l’islam de France, Ghaleb Bencheikh, revient sur la déflagration provoquée par les attaques terroristes de Conflans-Sainte-Honorine et explore les enjeux de la lutte contre l’islamisme radical. Tout en appelant les Français de confession musulmane à investir le champ de l’instruction et du savoir religieux. Un préalable, selon lui, pour « démanteler les idées fanatiques ».

Jeune Afrique : Deux semaines après l’exécution de Samuel Paty, 24 heures après l’attentat de Nice, quel regard portez-vous sur la situation ?

Ghaleb Bencheikh : Deux semaines après la décapitation de Samuel Paty, je pense que la crise a assez duré – et une crise qui est durable n’en est plus une. C’est un état de belligérance larvée. Et cette crise, si on garde le mot, connaît des convulsions paroxystiques en ce moment, le énième attentat de Nice l’illustre avec une grande affliction. Mais nous ne devons pas rester tétanisés à les attendre et à les subir.

Que pensez-vous des réponses que les pouvoirs publics sont en train d’apporter ?

Les gouvernements sont composés d’hommes et de femmes. Il y a donc une part d’émotion qui les caractérise. Il y a ce qui est attendu devant l’opinion publique, devant la nation, choquée, traumatisée, indignée, résiliente, convalescente. Il fallait des mesures, ne serait-ce que d’une portée symbolique, qui traduisent la fermeté du gouvernement. Là-dessus, nous sommes tranquilles, car nous sommes dans un État de droit. Ce que le droit permet sera fait. Le droit corsète et libère en même temps.

L’enseignement de la liberté d’expression à travers les caricatures du prophète Mohammed publiées par Charlie Hebdo sont au cœur de l’assassinat de Samuel Paty. Qu’est-ce que cet épisode tragique révèle des Français de confession musulmane ?

La situation est complexe. Quand on dit complexe, soit on se défausse sur le mot et on passe à autre chose, soit on explique en quoi. L’écheveau de cette affaire mérite une approche froide qui décortique et nous explique les strates multidimensionnelles d’une crise sédimentée.

Il y a la strate sociologique – qui ne justifie rien mais qui explique –, la strate politique et la strate géostratégique – ce que nous voyons maintenant avec un emballement qui dépasse le cadre français.

Il y a aussi une lecture psychanalytique. Il y a également, pour certains, des moments de soulèvements millénaristes, nihilistes, apocalyptiques… Et puis on a enfin la lecture théologique et l’approche culturelle.

Le tout, enchevêtré, donne la situation que nous connaissons maintenant. Chacune de ces analyses a sa pertinence propre mais aucune n’épuise à elle seule le sujet. L’affaire des caricatures devient le symptôme d’une réelle maladie.

Ce que vous qualifiez de « réelle maladie » montre que la pensée islamique n’arrive plus à répondre aux grands enjeux qui se posent aux musulmans…

La pensée théologique islamique est, en effet, en crise. Nous avons besoin de la refonder. Pour ce faire, il faut s’attaquer à quatre chantiers titanesques.

Le premier est celui des libertés fondamentales avec ses corollaires : liberté de conscience, d’expression – et comment elle doit être perçue dans les contextes islamiques –, d’opinion… Et la liberté de culte sans criminaliser l’apostasie.

Le deuxième chantier est celui de l’égalité foncière, ontologique et juridique entre les êtres humains. Et on en est loin dans les contextes islamiques.

Troisième chantier, la désacralisation de la violence. Au XXIe siècle, nous ne pouvons plus accepter qu’il y ait, dans la pensée magique, des phalanges angéliques qui viennent aider des armées terrestres. L'idée que la violence serait commanditée par la transcendance est inacceptable. Cela nécessite un énorme travail d’explication où l’on doit expurger de la psyché, notamment de celle des jeunes croyants, ce type de réaction et de billevesées.

Le quatrième chantier est celui de l’autonomisation du champ du savoir et de la connaissance par rapport à celui de la révélation et de la croyance. Nous sommes encore paralysés par des réflexions de type : "si cela est conforme au Coran, ce sera bien, et nous l’accueillerons". Ce qui sous-entend que toute la séquence « Descartes–Freud » a été ratée. Il faut la rattraper, l’étudier, la décortiquer, l’ingérer, la critiquer et la dépasser.

Plutôt qu’un islam des Lumières, comment cette pensée théologique peut-elle se mettre en phase avec un islam républicain ?

La difficulté est de trouver une épithète à islam alors qu’il aurait pu et dû se suffire à lui-même. Tout comme vous, je ne suis plus pour l’expression "l’islam des Lumières", même si on me l’attribue à moi ou à la fondation alors que c’est Malek Chebel qui en a parlé le premier. Elle commence à devenir galvaudée.

Cette crise de la pensée théologique islamique dont vous détaillez les ressorts laisse penser que la situation en France en est l’écho. En quoi pourrait-on parler d’un cas français, d’un laboratoire…

Il y a une singularité française, effectivement. La première raison est le modèle français, l’universalisme républicain, qui n’est pas celui en vigueur dans le monde anglo-saxon où l’on juxtapose des communautés.

Il y a aussi la question de la décolonisation, qui constitue une spécificité française – bien qu'elle n’épuise pas le sujet mais le recoupe – et qui n’a pas encore été réglée.

Justement, en quoi cette question de la décolonisation vient-elle compliquer la problématique de l’islam en France ?

Elle n’épuise pas le sujet mais l’entrecoupe. D’abord, je parle de la France à partir du Second Empire comme d'une puissance musulmane d’un point de vue démographique eu égard au nombre de ses sujets. Étonnamment, les sujets des colonies sont restés des sujets musulmans, y compris sous la République, ce qui est un non-sens par rapport aux idéaux de la République [où l'appartenance religieuse n'est pas censée définir le citoyen].

Ensuite, la loi de séparation du 9 décembre 1905 [qui met fin à l'union entre l'Église catholique de France et le pouvoir politique et instaure la laïcité] n’a pas été appliquée au culte islamique dans les départements d’outre-Méditerranée. Aussi étonnant que cela puisse être, ce sont les Oulémas algériens qui tenaient à ce que la loi de séparation fût appliquée. Ils avaient même plaidé auprès du Conseil d’État, qui a débouté Abdelhamid Ben Badis, leur président.

Enfin, un ressentiment lié à la perte de l’Algérie est demeuré dans une frange de la population française. Dans l’esprit de beaucoup, on parlait de musulmans et d’Européens. On a ethnicisé en confessionnalisant. Dans l’imaginaire de certains, être musulman, c’est aussi être celui qui a récupéré l’Algérie alors qu’il ne la méritait pas.

Les réseaux sociaux sont apparus comme l'un des chaînons ayant amené à la mort de Samuel Paty. Une frustration médiatique, mais aussi politique et économique, existe au sein de la population musulmane française qui se sent absente de ces champs. En quoi les réseaux sociaux révèlent-ils ce sentiment ?

Dans l’actualité brûlante, si l’on commence à donner son avis sur quelque chose qui est bouillonnant, on risque de se tromper. J'assimile les réseaux sociaux à un vaste terrain de réflexion à chaud.

Or bon nombre de jeunes musulmans ressentent une frustration à force de se voir brocardés et injuriés sur des chaînes d’information en continu par des rhéteurs de piètre qualité oratoire, des délinquants condamnés par la justice qui continuent à proférer des mensonges au regard de la connaissance historique, notamment. Pour eux, la fragilité psychologique aidant, les réseaux sociaux deviennent un déversoir de leur frustration médiatique. 

Quelles sont les conditions pour s’imposer comme un représentant légitime aux yeux des Français musulmans et de l’État ?

Selon la sociographie [étude descriptive des réalités et des faits sociaux] des musulmans de France, ils sont sunnites dans leur majorité. Or les sunnites ont toujours été réfractaires à une quelconque représentativité. C’est inhérent à l’obédience sunnite, au contraire de l’obédience chiite qui, elle, a un clergé – certes d’ordre académique et non sacerdotal.

En revanche, les sunnites ont toujours eu un collège d’oulémas, désigné par l'expression « ceux qui savent lier et délier » – sous-entendu : l’écheveau des questions théologiques épineuses. Lorsqu’il était suffisamment fort et libre, ce collège était indépendant du pouvoir politique ; lorsqu’il était faible, il était inféodé au prince.

Dans la période contemporaine, notamment sous la République française, l’indigence intellectuelle aidant, il n’y a pas eu l’équivalent de ceux « qui savent lier et délier ». L’incurie organique structurelle propre à ces hiérarques musulmans depuis trois décennies a fait en sorte que l’on se retrouve dans un problème de représentativité.

Cette crise de la représentativité raconte aussi le décrochage entre les Français musulmans nés dans l'Hexagone et les élites musulmanes, dont vous faites partie. Est-ce cette incapacité de trouver un représentant audible au sein de cette population et auprès des pouvoirs publics qui est la clé de la crise ?

Vous avez tout à fait raison ! Curieusement, on n'arrête pas d'énumérer les générations  d'une seule composante de la nation. On se permet même dans certains cas de parler de cinquième génération ! Alors que dans ce cas, on est Français de souche depuis longtemps !

Ceux qui osent parler de première ou de deuxième génération sont eux-mêmes dans la communauté nationale de fraîche date. Je pense à Manuel Valls, à Alain Finkielkraut, à Nicolas Sarkozy, à Anne Hidalgo ou à Nadine Morano…

Simplement, la composante islamique de la nation française connaît un décrochage entre, pour certains, une forme de "prolétariat" où elle est ghettoïsée et marginalisée, et une élite qui n’arrive pas elle-même à raccrocher le reste. C’est une réalité amère.

Mais ce n’est une raison pour abdiquer : il y a heureusement ces laboratoires du CNRS qui tournent grâce aux doctorants musulmans, ces centres hospitalo-universitaires qui fonctionnent également grâce à leur présence, ces établissements scolaires qui accueillent les élèves de la République grâce aussi à un corps enseignant dévoué composé aussi de professeurs musulmans, etc.

En quoi la confusion entre les termes islam, islamisme, salafisme, terrorisme, etc. atrophie-t-elle le débat public ?

Il y a un désordre sémantique, c’est vrai. L’islamisme au XIXe siècle, tout comme le judaïsme ou le christianisme, renvoyait à la religion, puis, à la fin des années 1970 et depuis l’ouvrage de Bruno Etienne, L'Islamisme radical, il renvoie à cette idée que le suffixe « -isme » étouffe la racine comme le marxisme et Marx ou l’écologisme et l’écologie. C’est une idéologisation de la tradition religieuse islamique et même une politisation de l’islam avec des inepties du type : le Coran est la Constitution de l’État islamique.

Tout cela est venu avec les Frères musulmans en 1928 puis avec tous les partis islamistes qui s’en réclament. Si l’on ajoute le terme « radical », on verse dans le salafisme qui se divise lui-même en salafisme piétiste ou quiétiste et en salafisme jihadiste, qui dégénère en terrorisme. Cela donne une idée de la nébuleuse « islamisme politique et radical ».

Malheureusement, certaines franges de la composante islamique de la nation française ont été sensibles aux sirènes islamistes. Par facilité mais aussi parce que le discours islamiste a pris en charge l’angoisse véritable liée aux fractures identitaires. Elles ont trouvé réponse dans les logorrhées dégénérées du salafisme ou dans les exposés simplistes de l’islamisme radical.

Ces dernières années, la combat contre l’islamophobie a été une préoccupation majeure des Français d’obédience musulmane. À la lumière de l’actualité, ne se sont-ils pas trompés de priorités ?

Bien que je comprenne les souffrances et que j’y compatisse, axer tout dans un premier temps sur la victimisation ne règle rien et ne traduit pas une maturité psychologique. D’ailleurs, cela rend inaudibles les condamnations du terrorisme car elles sont quasiment toujours assorties du complément « Oui mais nous sommes des victimes, nous sommes brocardés et stigmatisés… ».

À mon avis, bien qu’il y ait des discriminations réelles et des attaques concrètes contre les musulmans, il faut toujours saisir la justice. Si ce n’est pas opérant, il faut sans haine de soi ni autoflagellation et sans ramper, donner la priorité aux études. Le faire quoi qu’il en coûte comme sacrifices, notamment financiers. Il est impératif d’investir dans les cursus diplômants, de se former comme citoyens et citoyennes, d’étudier, d’aiguiser l’esprit critique, de faire des affaires… Les musulmans doivent s’instruire, acquérir le savoir et viser à assumer un rôle important dans l’édification de la nation française en ayant fait leur le modèle républicain. Et en le corrigeant quand il présente des anomalies.

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Message du groupe imams et prêtres de Marseille après les attentats de Nice

Nous Imams et Prêtres à Marseille (1),

apprenons avec stupéfaction, horreur et profonde affliction, le lâche attentat commis contre trois de nos compatriotes par un criminel qui s’est encore revendiqué de la religion musulmane. Nous nous recueillons humblement devant ces âmes recueillies, sauvagement fauchées par l’obscurantisme, l’ignorance et le nihilisme. Ces meurtres commis à la Basilique Notre Dame de Nice le jeudi 29 octobre nous sidèrent et nous attristent profondément.

Avec l’ensemble de la communauté nationale, nous les réprouvons et nous les condamnons. Nos pensées les plus fraternelles vont d’abord aux victimes de ces attentats, à leurs familles et à leurs proches endeuillés. Nous sommes aussi de cœur avec les chrétiens de Nice et tous les catholiques de notre pays bouleversés par ces attentats commis dans une église, lieu voulu et dédié pour la prière et la paix.

Cette escalade meurtrière nous horrifie et nous ne pouvons que nous inquiéter devant ce climat morbide et extrêmement anxiogène qui est en train de s’installer dans notre société et éroder dangereusement notre vivre-ensemble. La crise sanitaire nous épuise déjà et puise dans nos dernières réserves; et au moment où l’on s’attendait à une lueur d’espoir en des jours meilleurs voilà que le crime de trop vient nous secouer très fortement et douloureusement.

Cependant notre confiance et notre espérance en Notre Dieu, Bonté, Miséricorde et Amour sont infiniment grandes. Nous avons la conviction que la volonté de faire société ensemble l’emportera sur toutes les sirènes de la division et du chaos.

Nous faisons nôtres les paroles du Pape François et du Grand Imam d’Al-Azhar Ahmad Al-Tayyeb, dans le document sur la Fraternité humaine, signé en février 2019 :« La foi amène le croyant à voir dans l’autre un frère à soutenir et à aimer. … nous déclarons – fermement – que les religions n’incitent jamais à la guerre et ne sollicitent pas des sentiments de haine, d’hostilité, d’extrémisme, ni n’invitent à la violence ou à l’effusion de sang».

Face à la violence et au terrorisme qui semblent se répéter, nous décidons résolument de ne céder ni à la peur , ni à la division, ni à la haine.

Nous nous engageons avec tant d’hommes et de femmes de bonne volonté, croyants, agnostiques ou athées, à bâtir un vivre ensemble.

Nous voulons continuer à avancer les uns avec les autres, unis dans la fraternité , dans le respect et dans la foi en Dieu .

Marseille, le 30 octobre 2020

Signataires : Messieurs Azzedine Aïnouche, Farid Bourouba, Salim Bouzred, Haroun Derbal, Nassurdine Haïdari, Mustapha Kaf, Mohsen Ngazou, Abdessalem Souiki, Madame Saïda Driouiche. Pères Thierry Alfano, Jean-Louis Barrain, Philippe Barrucand, Martin Durin, Jean Lahondès, Jean-Pol Lejeune, Laurent Notareschi, Christophe Roucou, Raphaël Deillon, sœur Christine Pousset,

(1) ce groupe constitué d’imams et de prêtres à Marseille, auxquels s’ajoutent une croyante musulmane et une religieuse catholique, existe depuis 10 ans, organise des rencontres régulières, dans l’estime et l’amitié, pour échanger et approfondir ensemble autour de la foi, partager les questionnements et les réflexions sur les croyances, sur des questions actuelles de société, sur ce qui promeut le vivre-ensemble, dans la diversité et le respect des différences.