« Lorsque nous travaillons pour les âmes, nous ne pouvons user que de persuasion et d'amour... Nous ne pouvons rien faire tant que nous n'avons pas persuadé les gens autour de nous qu'ils sont aimés... » (Cardinal Lavigerie, 1885)
« Nous croyons qu'en toute religion il y a une secrète présence de Dieu, des semences du Verbe qui reflètent un rayon de sa lumière... » (Chapitre 1967)
« Nous célébrons et partageons cette vie avec Dieu lorsque nous allons à la rencontre des cultures et des religions... nous réjouissant de la foi vivante de ces croyants et les rejoignant dans leur quête de la Vérité, cette Vérité qui nous rend tous libres. » (Chapitre 1998)
Missionnaires, nous sommes appelés à faire les premiers pas pour rencontrer les personnes, qu'elles que soient leurs convictions, leur religion.
Au Burkina Faso, cette réalité se traduit surtout dans la rencontre respectueuse et évangélique avec les adeptes des religions traditionnelles et avec les musulmans.
Dans cette rubrique, nous étudierons divers aspects de ces religions, particulièrement de l'islam.
Fête jihadistes au Mali
[Chronique] Mali : autour de Iyad Ag Ghaly, les jihadistes à la fête
13 octobre 2020 à 16h44 |
Mis à jour le 13 octobre 2020 à 17h28
Par Damien Glez
Dessinateur et éditorialiste franco-burkinabè.
Dans une mise en scène gargantuesque, Iyad Ag Ghaly a donné une grande réception pour les jihadistes récemment libérés par les autorités maliennes. Faisant grincer des dents…
Sur des photos devenues virales au Mali et ailleurs, Iyad Ag Ghaly, chef du Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans (GSIM) fait bombance en son château de dunes, orchestrant un festin qui dévoile à ceux qui ne le savaient pas qu’on peut proscrire l’alcool et savoir faire la fête. Faisant fi des gestes barrières, les invités du « pater familias » – enturbannés mais pas masqués – sont identifiés comme les enfants prodigues de retour de prison…
Si la guerre que mènent les tenants de la République au Sahel est qualifiée d’asymétrique, c’est que les règles suivies par les différents belligérants ne sont pas les mêmes : laïcité, droits de l’homme et restitution publique pour les uns ; terrorisme, enlèvements et trafics pour les autres.
Fanfaronnade jihadiste
Avec l’opération virale du banquet, c’est la fanfaronnade jihadiste qui détonne avec l’extrême discrétion des autorités maliennes sur les libérations. Car si l’on devait considérer le récent retour au bercail d’otages comme le fruit d’un échange, il y aurait, là aussi, asymétrie. Selon les estimations, plus de 200 terroristes auraient été relâchés pour que reviennent à Bamako Soumaïla Cissé, Sophie Pétronin, Nicola Chiacchio et Pier Luigi Maccalli. « Un otage contre plus de 50 terroristes ?! », s’étonne un quotidien burkinabè.
Certes, l’opinion sahélienne ne veut pas en vouloir à Sophie Pétronin, Malienne d’adoption qui ne condamne pas l’islam dévoyé par les jihadistes, au point qu’elle affirme s’être convertie à la religion musulmane. Et tout n’est pas qu’arithmétique.
Terroristes de premier plan
Toutefois, le passage de l’analyse quantitative au décryptage qualitatif ne rassure pas. Les physionomistes qui ont scruté les photos du banquet de Iyad Ag Ghaly ne valident guère l’argument consolatoire selon lequel les jihadistes libérés ne sont que des seconds couteaux. Des journalistes maliens évoquent notamment la présence à table de Taher Abu Saad, expert en explosifs, de Aliou Mahamane Touré, l’ancien chef de la police islamique du Mouvement pour l’unicité et le jihad en Afrique de l’Ouest (Mujao) ou de Mahmoud Barry, le commandant de la katiba Macina. Des personnalités citées, pour certaines, dans les tragédies malienne et burkinabè du Radisson Blu et du café Cappuccino.
Au delà de l’impunité choquante et du coût exorbitant de l’opération – le versement d’une rançon est également évoqué –, les observateurs avisés ou amateurs dénoncent le message envoyé aux preneurs d’otages. D’ailleurs, tout festin méritant discours, l’hôte du jour n’a pas manqué d’encourager ses troupes à multiplier les enlèvements qui « rapporteraient » plus que les attentats…
Maraboute au Sénégal
Sénégal : Sokhna Aïda Diallo, la « maraboute » autoproclamée qui défie la confrérie des mourides
Sokhna Aïda Diallo, la veuve du chef des thiantacounes, est tombée en disgrâce à Touba. En revendiquant l’héritage de son mari, elle s’est attirée les foudres du khalife général des mourides et d’une partie de la puissante confrérie.
Persona non grata à Touba. Au sein de la très influente confrérie mouride, deuxième plus importante du Sénégal, le statut est peu enviable. A fortiori lorsque l’on se revendique guide spirituel. C’est pourtant ce à quoi fait face l’autoproclamée « maraboute » Sokhna Aïda Diallo, qui s’attire depuis plus d’un an les foudres du khalife général des mourides et de nombreux dignitaires de la confrérie musulmane.
La veuve de Cheikh Béthio Thioune, le très influent et très controversé guide spirituel des thiantacounes (un courant de la confrérie), est tombée en disgrâce dans la ville sainte du mouridisme. Au point de se voir interdire l’organisation de toute célébration religieuse à son domicile de la région de Diourbel à l’occasion du Magal de Touba – le principal pèlerinage de la confrérie –, célébré le 6 octobre dernier.
Guerre de succession
Pour comprendre la campagne d’ostracisation dont fait l’objet cette quadragénaire, il faut remonter au décès de son mari, en mai 2019. Alors qu’il vient d’être condamné par la justice sénégalaise notamment pour « complicité de meurtre », le cheikh décède brutalement en France. S’engage alors une guerre de succession entre sa cinquième épouse et son fils aîné Serigne Saliou Thioune « Gueule Tapée ».
« La famille africaine est élastique. Dans les très grandes familles, il y a forcément des courants différents, des dysfonctionnements ou des incompréhensions », se contente de résumer un proche du défunt marabout. Ce disciple thiantacoune refuse de commenter le conflit, « surtout en période de Magal ».
Car dans la famille Thioune-Diallo, la question de la succession dépasse le champ du matériel. Entre le fils aîné de Cheikh Béthio et sa veuve, c’est avant tout l’héritage spirituel qu’on se dispute. Du moins en public. Le premier revendique son droit d’aînesse quand la seconde fait valoir que c’est le marabout des thiantacounes lui-même qui aurait émis le souhait de la voir mener ses fidèles après sa mort.
Maraboutes en islam
« Sokhna Aïda Diallo est l’épouse d’un cheikh assez particulier dans la confrérie qui, déjà de son vivant, avait voulu faire d’elle un marabout. Mais Cheikh Béthio Thioune n’a jamais eu les prérogatives de nommer des cheikh, et encore moins des cheikhettes », balaie Cheikh Gueye, chercheur sur le mouridisme, dont il est un disciple.
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EN SE REVENDIQUANT MARABOUT, SOKHNA AÏDA DIALLO A DÉFIÉ LES RÈGLES DU KHALIFAT
Selon l’universitaire, « la règle est claire : le fils aîné d’un marabout le devient à son tour lorsque son père décède. Ou alors quelqu’un est fait cheikh par le khalife général. En se revendiquant marabout, Sokhna Aïda Diallo a défié les règles du khalifat ».
Des femmes marabouts, il y en a pourtant déjà eu au Sénégal, rappelle Ahmed Khalifa Niasse, chef religieux de la confrérie niassène et ancien ministre. « Quand l’islam est arrivé au Sénégal, il a trouvé le matriarcat et il l’a évincé. Mais des femmes savantes en islam, ça existe partout. Il y a des maraboutes en islam. Chez les mourides, il y a d’ailleurs deux Magals, le Magal de Touba, dédié à Cheikh Ahmadou Bamba, et le Magal de Porokhane, consacré à Mame Diarra Bousso, la mère de Serigne Touba. Si on a une génération de femmes savantes qui connaissent mieux le Coran que les hommes, elles seront des maraboutes », revendique-t-il.
Au sein de la confrérie, il est en effet déjà arrivé qu’une femme hérite des disciples de son père, « mais uniquement dans le cas d’un héritage biologique », nuance Cheikh Gueye, selon qui « une femme ne peut pas diriger un homme à la prière, ni dans les pratiques cultuelles ».
Étalage de richesses
Selon Ahmed Khalifa Niasse, le différend qui oppose Sokhna Aïda Diallo et Serigne Saliou Thioune, derrière lequel se sont rangées les éminences mourides, est d’une autre nature. « Au-delà de la succession spirituelle de Cheikh Béthio Thioune, son héritage matériel engendre des tiraillements. Beaucoup se posent des questions sur l’origine de sa fortune et surtout sur son volume, qui serait colossal », croit-il savoir.
Il faut dire que les thiantacounes ont la réputation d’être parmi les disciples les plus fervents et les plus généreux du pays. Et s’il en avait probablement moins que les 12 millions qu’il revendiquait de son vivant – « registres à l’appui » –, Cheikh Béthio Thioune comptait de nombreux fidèles.
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SOKHNA AÏDA DIALLO AURAIT REÇU UN 4×4 DE LUXE ET UNE VILLA AVEC PISCINE
Les images de ses « thiants » (action de grâce) témoignent de cérémonies fastueuses, où circulent des liasses de billets et des montres clinquantes, offertes au marabout. Un style opulent qui semble lui avoir survécu. Lors du dernier Magal, la presse sénégalaise a fait état de millions de francs CFA, d’un 4X4 de luxe, et même d’une villa avec piscine offerts à Sokhna Aïda Diallo.
S’il est difficile de savoir si ce pactole est réel ou exagéré par des médias qui se repaissent de cette brouille depuis plus d’un an, il représente bien les fantasmes qui entourent les mourides. « Cheikh Béthio Thioune était un marabout en marge de la confrérie. Ses célébrations posaient des problèmes de bienséance, du fait de l’étalage de ses richesses notamment. Il pensait qu’avoir beaucoup de talibés suffisait à faire de lui un marabout important, mais la vérité c’est qu’il a toujours attiré des disciples désœuvrés, parfois déséquilibrés, et que cela a toujours posé des problèmes à la confrérie », confie un spécialiste du mouridisme sous couvert d’anonymat.
Sulfureux et controversés, Cheikh Béthio Thioune et sa veuve ravivent la question de la légitimité de succession au sein de la confrérie mouride. Mais selon le marabout Ahmed Khalifa Niasse, le problème qui se pose ici est lié davantage à la personnalité des protagonistes qu’à la question de la place des femmes.
« Les femmes sont au centre de toutes les religions monothéistes, et elles le sont aussi au sein des confréries sénégalaises. Mais Sokhna Aïda Diallo, qui se revendique maraboute, n’évoque ni le Coran ni les hadith. Elle esquisse quelques pas de danse que tout le monde reprend. En islam, la spiritualité n’a jamais fait l’objet de pas de danse », ironise le chef religieux.
Islam, amour et poésie
L’amour et la poésie sur les chemins de transhumance |Les cahiers de l’Islam
Leurs migrations entre mondes musulman et chrétien au Moyen Âge
Voici les liens des 3 parties et les titres des différentes sections de ce long et intéressant article, ainsi qu’un extrait concernant la rencontre de François d’Assise et du sultan.(NDLR)
— Mouvances spirituelles de l’amour et de la poésie en Occident chrétien
Trop faible pour guerroyer, et en ayant sans doute perdu le goût, François d’Assise accompagne cependant en 1219 la cinquième croisade dans le but de ‘convertir les infidèles’, et en particulier le sultan Al-Kâmil assiégé dans Damiette. Il se fait prendre volontairement lors du siège de la ville et demande à voir le Sultan qui, à sa grande surprise, le reçoit généreusement, l’écoute attentivement, s’excuse de ne pas accepter la conversion requise, lui propose des cadeaux qu’il refuse, et le renvoie libre et protégé par ses soldats… loin du martyre auquel il s’attendait.
On dira ensuite que Malik Al-Kâmil rendra Jérusalem aux Chrétiens quelques temps plus tard grâce à l’intervention du Saint. En fait l’événement avait été préparé par la diplomatie de Frédéric II de Sicile, ami des Arabes, qui obtint gain de cause et devint roi de Jérusalem avant d’être excommunié une seconde fois par le Pape . Un musulman soutiendrait que Dieu seul est Maître des circonstances et des actes des hommes.
François d’Assise a-t-il été marqué par cette rencontre ? Il restera, pendant ces siècles de guerres de religions, de massacres et de persécutions, le témoin de ceux qui auront compris – à l’instar des gens du tasawwuf – que toute créature relève de Dieu seul et qu’il n’y a pas lieu d’opposer les dogmes, encore moins les hommes.
« L’amour est ma religion et ma foi »
Auteur: Thérèse Benjelloun Touimi dans Les Cahiers de l’Islam
Loi séparatisme en France ?
France: Séparatisme : un projet de loi et beaucoup de questions pour les services publics |The Conversation
Lors de la présentation du projet de loi sur « les séparatismes », le vendredi 2 octobre dernier, le président de la République Emmanuel Macron a dressé les contours d’un texte qui sera présenté le 9 décembre en Conseil des ministres.
Si le mot de « séparatisme » a depuis été abandonné dans l’intitulé, le texte vise notamment étendre l’obligation de neutralité, qui existe déjà pour les agents publics, aux salariés des entreprises délégataires d’un service public.
Selon la loi, ces entreprises sont tenues par un contrat « par lequel une personne morale de droit public confie la gestion d’un service public dont elle a la responsabilité à un délégataire public ou privé ». Des grandes entreprises comme ADP (anciennement Aéroports de Paris) ou la RATP sont ainsi concernées, mais aussi des petites structures comme des gestionnaires de crèches ou de piscines municipales.
Au sujet de cette extension, certains avancent qu’elle est inutile. Effectivement, quelques règles permettent déjà de se repérer en matière d’application de la neutralité pour les structures qui portent une mission de service public.
Or, plusieurs situations ont fait ressortir l’imprécision de ces critères et leur difficile mobilisation au niveau managérial : l’affaire Baby loup reste à ce jour la plus signifiante. En 2008, l’une des salariés avait été licenciée pour « faute grave » car le port du voile était contraire au règlement intérieur de cette entreprise, une structure privée. Une décision confirmée par la Cour de cassation après plus de cinq ans de feuilleton judiciaire qui estimait que le règlement intérieur était « suffisamment précis au regard du contexte et de l’objectif ».
Zones d’incertitudes
Pourtant, selon la loi, dans les entreprises privées, un principe domine : la liberté de chaque individu de croire, de ne pas croire, mais aussi de manifester sa croyance, y compris dans le contexte de son travail. Ainsi, tout salarié peut en principe se vêtir et agir librement en accord avec ses croyances dans le contexte de son travail, en respectant toutefois les principes d’hygiène et de sécurité, et de bon fonctionnement de l’entreprise.
Dans le service public, le principe de laïcité domine. Depuis 1905, cela signifie une obligation de neutralité des agents à l’égard des usagers d’une part, pour garantir à ces derniers une égalité de traitement, et une obligation de neutralité à l’égard de leur institution d’autre part, pour ne pas perturber le service et sa cohésion. Ce principe de laïcité est donc synonyme de neutralité dans ces services publics (enseignement, justice, police par exemple) mais aussi dans toutes les organisations publiques (transports, énergie par exemple).
Or, dans les deux cas, des zones d’incertitudes persistent, que cherchent à réduire le législateur et/ou les managers.
Dans les organisations publiques, la neutralité pourrait apparaître comme une solution idéale et facile à mettre œuvre. Pourtant, dans son discours récent, le président a évoqué des « dérives ».
Certains travaux évoquent en effet l’existence d’une gestion du fait religieux qui recouvre deux réalités bien distinctes : si les cas sont en majorité mieux gérés par les entreprises, certaines demandes se muent aujourd’hui en revendications.
Le cas des autorisations spéciales d’absences pour fêtes religieuses, qui ne sont autre chose que des jours de congés supplémentaires aux fêtes religieuses chômées pour les agents qui n’appartiennent pas au culte catholique, font notamment l’objet d’un débat en ce qu’il peut créer un sentiment au moins de confusion, sinon d’injustice.
Comment en est-on arrivé à cette situation ? Nous avions déjà mis en évidence dans un précédent article que l’application du principe de laïcité est soumis à trois hypothèses fortes : sa stabilité, son universalité et l’imperméabilité entre les sphères. Or, dans la réalité, les acceptions de ce principe ont évolué et il n’y a pas d’étanchéité totale entre les organisations publiques et privées : certaines appartenant à la deuxième catégorie peuvent exercer une mission de service public.
Cascade d’attentes
L’enjeu du projet de loi est donc de définir à qui s’appliquera(it) le principe de neutralité dans le cadre d’une délégation de service public. Or, cet enjeu amène une cascade d’attentes. Cela nécessitera en effet de définir encore plus précisément ce que l’on entend par « délégation de service public », d’en définir les contours, mais aussi de distinguer les personnes concernées par ces missions.
Par exemple, un·e salarié·e exerçant une partie de son temps une mission de service public, ne sera-t-il.elle soumis·e que partiellement à ce principe de neutralité ? Et au-delà, cela impliquera de donner une définition et des limites au principe de neutralité, dont la mise en application est souvent moins aisée que prévu.
Cette perspective d’évolution juridique pourrait se concrétiser par trois scénarios en fonction du contenu du texte, mais aussi de son adoption et de ses mises en actions par les organisations concernées et leurs managers :
une loi de recadrage utile pour fixer des limites à certaines pratiques et éviter que certaines entreprises n’appliquent ou n’appliquent pas la neutralité à tort.
une loi qui brouille encore les repères déjà flous proposés par la jurisprudence ;
une loi inutile et qui ne ferait pas référence, sur laquelle les administrations publiques ne pourrait donc pas s’appuyer lors des processus de délégation.
Des outils d’accompagnements des entreprises concernées pourraient également s’avérer nécessaires (formations, conseils juridiques, guides pratiques d’études des situations de délégation), et l’incitation à les organiser pourrait venir de la loi. Dans tous les cas, les zones de flou restent trop importantes à l’heure actuelle et seule la présentation du texte rédigé, puis amendé, permettra de laisser envisager l’un ou l’autre des scénarios avec plus de certitudes, selon le degré de précision qu’il fera gagner au corpus juridique préexistant.
Les femmes musulmanes voilées subissent des discriminations en entreprise qui ont des conséquences préjudiciables sur leur employabilité, et ce malgré que la loi les autorise à porter le voile dans le secteur privé (sous certains conditions). Pour gérer leur carrière, elles sont donc contraintes de prendre en compte le contexte de polémiques régulières, auquel est venu s’ajouter le récent projet de loi sur la notion encore floue de séparatisme.
Pour comprendre comment les femmes voilées s’adaptent et ajustent leur plan de carrière tout en travaillant avec le voile, selon une méthode qualitative, une série d’entretiens semi-directifs a été menée auprès de 30 femmes voilées entre 2018 et 2020.
L’analyse des données nous a permis d’identifier 6 stratégies distinctes de bifurcation professionnelle: la réorientation professionnelle, le déclassement social, la recherche d’une entreprise accueillante, la carrière entrepreneuriale, la mobilité internationale et enfin le renoncement à une carrière. Notre travail nous a également permis de comprendre comment s’opère ces décisions, car certains facteurs facilitent la prise de décision.
La reconversion professionnelle
La reconversion professionnelle consiste pour la collaboratrice voilée à gérer sa carrière en changeant de fonction et/ou de secteur d’activité. La présence de dispositifs d’accompagnement, d’offre de formation supplémentaire ou encore l’expérience professionnelle constituent des facteurs facilitant la reconversion.
Ici, notre enquêtée a décider de se réorienter du secteur public qui exige une neutralité vers le secteur privé jugé plus ouvert au port du voile :
«En travaillant dans l’enseignement, j’ai constaté que le milieu de l’Éducation nationale et le trop peu de liberté qu’il accorde ne me convenait pas. Le fait de ne pas avoir pu être complètement moi m’a fait basculer vers un autre milieu car j’avais nié une partie de moi-même. J’ai donc effectué un autre Master 2 en économie sociale et solidaire après mon expérience dans l’enseignement pour me réorienter. Aujourd’hui, mes collègues savent que je suis musulmane, que je fais mes prières, que je mange halal et cela correspond à ce que je suis réellement».
Le déclassement social
Le déclassement social mène à l’occupation d’un emploi en deçà de ses qualifications professionnelles. Il survient lorsque la collaboratrice voilée peine à trouver un emploi lui permettant d’exprimer son identité religieuse et d’être en accord avec son niveau de diplôme, comme en témoigne un détentrice d’un Master 2 en sciences politiques occupant actuellement une fonction de préparatrice de commande :
«En attendant de trouver mieux et dans mon domaine avec le voile, j’accepte ce qu’on me donne tant que je peux garder mon voile. C’est ma seule «exigence» si on peut dire ça comme ça. Je ne retirerai pas mon voile pour un travail, je ferais tout pour le garder».
Une tactique qu’elle n’est pas la seule à subir :
«Là où j’habite, il y a pas mal d’entreprises qui recrutent les femmes voilées au plus bas de l’échelle, en tant que préparatrice de commande, conditionneuse, etc. Ils ont besoin de beaucoup de main d’œuvre et il y a beaucoup de femmes voilées comme moi. Je pense qu’elles acceptent ce type d’emploi avec des conditions très fatigantes parce qu’elles ont beaucoup de difficultés à trouver ailleurs».
La recherche d’une entreprise accueillante
Bien souvent, les entreprises ciblées sont des entreprises communautaires où l’expression religieuse est admise. Elles sont jugées plus accueillantes. L’orientation vers ce type d’entreprise n’est là encore pas un choix. Elle peut se faire grâce à un réseau de connaissances. Cependant, comme pour les autres stratégies, cette possibilité peut nécessiter des formations supplémentaires afin de s’adapter aux besoins du nouvel emploi, comme l’explique une autre interviewée :
«Je travaille actuellement comme employée polyvalente au sein d’une agence de voyage appartenant à mon beau-frère. C’est une agence où il n’y a que des salariés musulmans et je porte le voile sur le lieu de travail. J’ai cependant du suivre des formations pour être agent de voyage puisque j’avais une formation de comptable à l’origine. D’ailleurs, je ne voulais pas vraiment travailler au sein d’une agence de voyage mais, avec le voile, je ne trouvais pas facilement ailleurs».
La carrière entrepreneuriale
La création d’entreprise peut permettre à la femme voilée de fixer ses propres règles au sein de son entreprise et d’acquérir l’authenticité recherchée. Le sentiment de rejet amène parfois la collaboratrice à mobiliser cette stratégie par nécessité, comme nous l’avons constaté :
«J’ai créé mon entreprise depuis deux ans. Je fais du graphisme et je vends des produits en ligne. Je me suis rendue compte que je n’avais pas besoin des personnes qui ne m’acceptaient pas pour être compétente et faire ce qui me plaît!»
Ce choix peut être en lien direct avec les études effectuées ou en totale contradiction, ce qui illustre une nouvelle fois la capacité d’adaptation dont elles doivent faire preuve :
«J’ai monté ma propre boite. De formation, je suis clerc de notaire et là ce n’est pas du tout en lien avec mes études. Cependant le droit est dans tout donc ça me sert dans tout ce qui est administratif et ça me permet d’être moi-même».
La stratégie de mobilité internationale
Cette stratégie de mobilité internationale exige des ressources importantes. Elle implique pour l’individu un changement radical de lieu, un nouvel apprentissage de la langue locale et une confrontation à un nouvel environnement. l’adaptabilité à un nouveau contexte, pas toujours évident, est souligné par une interviewée aujourd’hui expatriée à New York:
«Je suis partie en raison des préjugés subis en France et parce que ma progression de carrière était en conséquence limitée. Mais cela n’a pas été facile tous les jours. J’ai dû, par exemple, apprendre à parler couramment anglais. Être loin de ma famille aussi a été le plus difficile».
Une telle expérience peut cependant devenir finalement très positive car elle confère à la femme voilée une certaine confiance en ses compétences.
Autrement dit, quitter la France pour un pays où elle considère que son port du voile au travail ne posera pas de problème lui permet d’envisager une réelle carrière professionnelle qui ne sera pas freinée par des préjugés.
Le renoncement temporaire à la carrière
Cette dernière stratégie consiste à abandonner temporairement l’idée de travailler pendant un temps donnée. Cette décision, difficile à prendre pour certaines, peut être facilitée par la maternité, nous explique une jeune mère de famille :
«Dans un premier temps, je n’ai pas repris mon travail d’enseignante parce que j’ai eu un enfant et donc j’ai pris un congé parental. Aujourd’hui, je ne suis plus en congé parental mais dans l’immédiat, je ne suis pas prête à retirer mon foulard pour aller travailler».
En conclusion, le besoin d’authenticité corrélé à la volonté de porter le voile au travail et à la fuite de la stigmatisation, amènent la collaboratrice musulmane à rechercher sa reconnaissance pour ce qu’elle est réellement et non pas une représentation erronée d’elle-même. Sa capacité de résilience face à la stigmatisation la pousse à diversifier les stratégies de bifurcation professionnelle.
Notre travail montre ainsi que, malgré l’orientation des femmes pour l’une ou l’autre des stratégies, elles sont généralement subies. Ces bifurcations leur permettent néanmoins de faire face à l’exclusion qu’elles peuvent subir dans le monde professionnel.
Ce travail a bénéficié des résultats des travaux menés au sein des « ateliers thèses » de l’Observatoire « Action Sociétale et Action Publique » (ASAP).