Compte-rendu par Ph. de Briey
Le 21 novembre 2018, le groupe islamo-chrétien de Louvain-la-Neuve a invité Mohamed El Bachiri, l’auteur d’un très beau petit livre « Le jihad de l’amour » (éd JC Lattès). Il a été interviewé par Véronique Herman, co-auteure de « Musulmans et non-musulmans, rencontres et expériences inédites » (éd du CEFOC). De ce dialogue très vivant et qui a rassemblé près de 120 personnes dans le bel auditoire de l’Ecole Normale, voici deux grandes idées que je retiens de cette soirée. Si cela peut vous donner le goût de vous procurer le livre, vous ne le regretterez pas, car à travers ses petits chapitres pleins de bon sens et de profonde simplicité, c’est un très beau message qui nous est livré, et ses recommandations nous concernent tous et toutes, musulmans et non-musulmans.
Première réflexion : Qu’est-ce qui est le plus important dans la religion ?
Pour Mohamed el Bachiri, Dieu est essentiellement miséricorde, amour inconditionnel pour tout être humain quel qu’il soit, appelé à Le rejoindre un jour au paradis. En fait, Dieu est dans tout ce qui est bon, dans tout acte ou parole d’amour, et chaque sourire a quelque chose de divin.
C’est là, pour lui, un message universel, humaniste, qui était celui du Prophète Mohammed.
Mais comment comprendre alors tant de violence chez les djihadistes ?
Réponse : Ces gens prennent à tort les versets guerriers du Coran comme des paroles intemporelles qu’il faut appliquer à la lettre contre tous les « kouffar », càd selon eux les non-musulmans ou les « mauvais musulmans ». Or, ces versets sont à comprendre dans leur contexte historique des guerres que Mohammed a dû mener comme chef politique contre les Mekkois qui voulaient anéantir sa communauté. Il est essentiel de lire les textes sacrés dans le contexte concret où ils ont été écrits pour telle communauté dans telles circonstances, telle époque, tel lieu, telle culture. Cela demande d’exercer la raison et les sciences historiques.
Toutes les religions sont parfois tombées dans la violence. La religion peut être la meilleure comme la pire des choses. Le critère doit être l’éthique : « est-ce que tel comportement est juste ? ». Par exemple la polygamie : est-ce que c’est juste à l’égard de la première femme d’en prendre une autre ? Au VIIème siècle, c’était quelque chose de normal, car ce n’étaient pas des mariages d’amour et la femme était soumise au bon vouloir des hommes. Le Prophète Mohammed leur a cependant donné l’égalité de dignité et certains droits, mais il ne pouvait pas tout changer.
Le problème est que le pouvoir politique vient souvent se servir de la religion pour ses propres intérêts, ses propres objectifs de conquête, de domination. Et les pouvoirs religieux se servent aussi des politiques pour imposer leurs idées et leur domination sur les gens. (ex : la peine de mort pour les apostats, ou l’Inquisition en Europe). A quelqu’un qui demandait au Prophète de lui appliquer la peine de mort pour avoir commis l’adultère », celui-ci a répondu par trois fois : « Retourne chez toi, je n’ai rien entendu »).
Deuxième réflexion : Que dire aux jeunes musulmans et musulmanes ?
Il faut d’abord bien comprendre qu’ils et elles sont dans un trouble identitaire, dans la difficulté d’allier leur identité multiple à leur islamité à laquelle on les ramène tout le temps bien à tort comme s’il n’y avait qu’elle. Ils souffrent beaucoup de cette stigmatisation, cela les freine ou les bloque dans l’ouverture à la culture du pays. Il importe de leur montrer l’importance de connaître l’histoire et la culture de la Belgique comme du Maroc, du christianisme comme de l’islam, et même des autres religions ou philosophies. Il faut surtout éviter toute condescendance, mettre en avant l’humain, l’idéal d’être citoyens du monde. Il faut repérer et encourager ce que chacun-e a de plus beau et ce qui peut le rendre heureux, notamment la musique dans toutes ses formes.
Ce n’est pas facile d’être musulman-e en Europe, on se sent soupçonné, notamment par des policiers (le délit de faciès !). Cette forme de violence crée beaucoup de frustration, voire de colère, car on est atteint dans sa dignité, on est humilié et discriminé. Cela favorise les replis sur soi. Je les invite à s’ouvrir tout de même, et à voir que la religion prône surtout l’amour, la tolérance, le respect, la paix avec soi et avec les autres et de faire le bien. C’est cela, le « grand jihad », l’effort sur soi-même.
Ce n’est pas évident dans le climat anxiogène d’aujourd’hui. Même dans le débat interne de la communauté, on est sur la défensive et cela rend plus difficiles les remises en question. La société majoritaire doit bien comprendre cela.
Je leur recommande de ne pas mélanger le politique et le religieux, par exemple à propos du conflit israélo-palestinien. Je leur enseigne de répondre aux injustices par la parole plutôt que par des insultes ou la violence. Il importe donc de leur apprendre à s’exprimer, à s’exprimer avec calme et justesse.
En conclusion, priorité absolue à l’empathie à l’égard de tous, au-delà des différences de convictions. Cela manque à beaucoup de politiques, par exemple à l’égard des migrants. C’est à la société civile d’être un contrepoids à ces tendances au repli.
Source: Mohamed El Bachiri à Louvain-la-Neuve : pour « un jihad de l’amour » ! Philippe de Briey, Reli-infos, 29/11/18.