Dialogue interreligieux

« Lorsque nous travaillons pour les âmes, nous ne pouvons user que de persuasion et d'amour... Nous ne pouvons rien faire tant que nous n'avons pas persuadé les gens autour de nous qu'ils sont aimés... » (Cardinal Lavigerie, 1885)

« Nous croyons qu'en toute religion il y a une secrète présence de Dieu, des semences du Verbe qui reflètent un rayon de sa lumière... » (Chapitre 1967)

« Nous célébrons et partageons cette vie avec Dieu lorsque nous allons à la rencontre des cultures et des religions... nous réjouissant de la foi vivante de ces croyants et les rejoignant dans leur quête de la Vérité, cette Vérité qui nous rend tous libres. » (Chapitre 1998)

Missionnaires, nous sommes appelés à faire les premiers pas pour rencontrer les personnes, qu'elles que soient leurs convictions, leur religion.

Au Burkina Faso, cette réalité se traduit surtout dans la rencontre respectueuse et évangélique avec les adeptes des religions traditionnelles et avec les musulmans.

Dans cette rubrique, nous étudierons divers aspects de ces religions, particulièrement de l'islam.

Irlande : vers la levée de l’interdiction
du blasphème (Eurotopics)


Les Irlandais se prononceront le 26 octobre sur la suppression de l’interdiction du blasphème, laquelle reste ancrée aujourd’hui dans la Constitution du pays. Les déclarations jugées blasphématoires sont ainsi toujours passibles d’amendes pouvant aller jusqu’à 25 000 euros. Le gouvernement entend mener cette réforme afin d’améliorer ‘l’image internationale de l’Irlande’. Les chroniqueurs se disent eux aussi favorables à une révision de la Constitution, même s’ils jugent que d’autres questions seraient plus urgentes.

 The Irish Independent (IE)
Une disposition qui favorise les fondamentalistes à l’étranger

 L’interdiction du blasphème est un principe anachronique, souligne The Irish Independent :

«La loi sur le blasphème a malheureusement eu un impact plus important à l’étranger qu’en Irlande. Elle a été notamment été invoquée à l’ONU par le Pakistan comme un argument en faveur d’une interdiction de la ‘diffamation de la religion’. Notre Cour constitutionnelle a déjà reconnu en 1999 dans un verdict que la loi constituait un anachronisme qui ne pouvait être mis en application. … Le 26 octobre, les Irlandais vont enfin pouvoir confirmer ce que les tribunaux et la législation ont déjà acté depuis longtemps : au XXIe siècle, il n’y pas de place pour une interdiction du blasphème dans la Constitution irlandaise.» Andrea MartinAccéder à l’article original  

The Irish Times (IE) Le diable soit de ce référendum !

Cette consultation est absolument superflue, s’insurge The Irish Times 

«Au chapitre de la liberté d’expression en Irlande, il y aurait vraiment d’autres priorités. La législation actuelle sur le blasphème a un impact bien moindre sur ce que les gens peuvent dire et entendre que n’en a le niveau toujours élevé des pénalités et des indemnités pour dommages et intérêts dans les affaires de diffamation, ou encore les sommes considérables qu’il faut débourser pour pouvoir faire valoir le droit à la liberté d’information et d’autres droits devant les tribunaux en général. Nous pourrions également organiser un débat référendaire sur des sujets importants, par exemple sur le droit de vote pour les immigrés ou sur des restrictions spéciales pour accéder à la propriété privée à dessein de dissuader la spéculation foncière, ou encore sur la nationalisation de toutes les écoles primaires.» Colum KennyAccéder à l’article original

À New York, le difficile essor des filières bilingues
arabes (The Conversation)

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Enseignement de l’arabe à Brooklyn: un défi relevé par une école publique dès la primaire.

Fabrice Jaumont, Author provided

Fabrice Jaumont, Fondation Maison des Sciences de l’Homme (FMSH) – USPC

En France, l’apprentissage de l’arabe à l’école s’inscrit dans un débat plus orienté autour de l’identité et de l’islam qu’autour d’un projet linguistique et littéraire. Pourtant, certains éducateurs visionnaires ont, outre-Atlantique, pensé l’arabe comme une langue véhicule de compréhension et de pluralisme interculturel.

C’est ainsi qu’il y a plus de dix ans ouvrait la Khalil Gibran International Academy, une école publique de Brooklyn. Une soixantaine d’élèves devait y apprendre l’arabe dans un cursus bilingue, le premier du genre aux États-Unis, mettant en avant l’étude de la langue et de la culture arabophones. Le projet s’inscrivait intellectuellement dans la lignée des essais du penseur Khalil Gibran, dont l’école porte le nom, artiste, poète et écrivain libano-américain, membre de la New York Pen League. Devenue une grande figure littéraire célébrée et estimée dans les deux langues, Gibran fut reconnu comme le champion de la compréhension interculturelle, incarnant l’esprit de l’éducation bilingue à ce jour.

La fondatrice de l’école, Debbie Almontaser, voulait ainsi faire de l’école un lieu propice d’apprentissage basé sur les besoins de la communauté afin de permettre aux enfants du quartier de devenir réellement bilingues et biculturels.

Les arabophones représentent 1,7 % de la population de New York avec 67,000 locuteurs selon le recensement de l’American Community Survey, représentant un groupe aux religions et opinions politiques variées. Le projet de cette filière voulait offrir une éducation à la fois en arabe et en hébreu pour encourager le dialogue intercommunautaire et la cohésion sociale à Brooklyn.

Cependant, ce modèle se révéla trop ambitieux pour être réalisable, surtout lorsqu’on prend en compte toutes les normes de l’éducation publique de l’État de New York en matière de certification des enseignants. En fin de compte, le groupe décida de changer son objectif premier pour le développement d’une filière bilingue arabe qui défendrait les valeurs d’inclusion et de pluralisme.

L’école avait été imaginée comme un bon moyen de promouvoir la tolérance, alors que l’islamophobie et le racisme se faisaient de plus en plus sentir.

L’échec et les leçons qu’on en tire

Malheureusement, la filière bilingue de la Khalil Gibran International Academy ne survécut pas aux attaques de la presse et de plusieurs groupes qui plaidaient contre elle. Une manifestation fut même organisée devant la mairie de New York par un groupe appelé « arrêtez la madrassa » [nom donné aux écoles coraniques, ndlr]. Pancartes en main, plusieurs personnes se postèrent devant l’école plusieurs jours d’affilée, manifestant contre la section bilingue et craignant un soi-disant endoctrinement des enfants à l’idéologie radicale islamiste.

Ces réactions, découlant du contexte post-11 septembre, nuisaient déjà aux institutions arabes et musulmanes de New York. Le New York Times les désigna comme « un mouvement organisé pour faire barrage aux citoyens de confession musulmane qui voudraient jouer un rôle plus important dans la vie publique américaine ». La filière en arabe présentait pourtant des résultats scolaires probants, l’école poursuivant ses efforts pour développer le cursus bilingue.

En 2007 la ville arrêta de soutenir l’école et contraint sa directrice, Debbie Almontaser, à démissioner malgré l’engagement citoyen de celle-ci et sa contribution au dialogue interreligieux new-yorkais.

Un renouveau

Aujourd’hui devenue une nouvelle communauté scolaire, la Khalil Gibran International Academy perpétue le message de paix de Gibran. D’un collège, elle s’est étendue au lycée et, comme l’indique son site souhaite :

« Développer, soutenir et former de jeunes élèves tout au long de leur vie en leur apportant les outils qui leur permettront de comprendre les multiples perspectives culturelles, tout en leur donnant envie d’apprendre et d’aspirer à l’excellence et à l’intégrité. »

L’école continue son programme d’arabe mais non sous la forme d’une filière bilingue. Les élèves ne sortiront peut-être pas de l’école en parlant couramment l’arabe mais ils auront tout de même acquis des compétences qui leur permettront de mieux aborder les opportunités professionnelles qui se présenteront à eux par la suite, par exemple dans les secteurs du commerce ou des relations internationales.

L’histoire de l’école reflète en creux celle les populations arabophones qui continuent d’être prises pour cibles et marginalisées.

La peur de la discrimination

Parmi les Arabo-Américains et les arabophones, la peur de la discrimination est très présente aux États-Unis depuis le 11 septembre. Ils sont souvent présentés sous des aspects négatifs dans les médias et systématiquement perçus de façon suspicieuse, simplement à cause de leurs origines linguistique et ethnique, ou de leur apparence physique.

Ils sont d’ailleurs souvent catégorisés comme musulmans alors que la plupart d’entre eux sont en fait des chrétiens ou des adeptes d’autres religions. Les différends et les attaques de toutes sortes ne cessent d’avoir lieu, bien que les autorités gouvernementales et les agences fédérales s’efforcent de recruter de plus en plus d’arabophones pour des postes d’interprètes et de traducteurs, entre autres. Cette attention très majoritairement défavorable est source de tensions, de malaises et de désarroi au sein de la communauté arabo-américaine, comme l’explique Zeena Zakharia, maître de conférences en éducation internationale et comparative à l’université du Massachusetts à Boston avec qui je me suis entretenu à plusieurs reprises :

« Je pense en effet que la situation politique n’est pas la même pour les communautés arabes. Elle a des conséquences. Les gens ne veulent pas se faire remarquer, ne veulent pas causer d’ennui et ne savent pas si demander quelque chose équivaut à chercher des problèmes. »

Cette nervosité est palpable parmi les personnes qui parlent arabe en public et même à la maison entre parents et enfants. Souvent, les familles préfèrent que leurs enfants n’apprennent même pas l’arabe, comme le confirme Zeena :

« L’arabe n’est pas une langue au statut noble. Les politiques autour de l’arabe sont très difficiles. Ce n’est pas facile. Même au Liban, où j’étais directrice d’une école bilingue, je rencontrais des parents qui revenaient des États-Unis avec leurs enfants pour vivre au Liban en disant : “je ne veux pas que mon enfant apprenne l’arabe”. »

L’érosion de la langue arabe que décrit Zeena aux États-Unis et dans le reste du monde est déconcertante. Comme nous avons pu le constater chez d’autres communautés linguistiques, la peur de la discrimination et le profond désir d’assimilation sont des forces puissantes qui vont à l’encontre du bilinguisme en Amérique, comme l’explique clairement le professeur Ofelia Garcia dans la préface de mon livre. Face à l’adversité, l’arabe est devenu la dernière victime dans la longue liste des langues aux États-Unis qui ont succombé à la pression grandissante, basée sur des préjugés sociaux et ethniques.

La renaissance

Heureusement, certains parents et professionnels de l’éducation ont réussi à réduire quelque peu ces préjugés. L’apprentissage de l’arabe à New York semble aujourd’hui renaître. En 2013, la proviseure Carol Heeraman fut contactée par le Bureau des apprenants de l’anglais au Département de l’éducation de New York au sujet de la création d’une filière bilingue dans son école, PS/IS 30 Mary White Ovington, à Brooklyn.

Elle pensa immédiatement à l’arabe comme langue cible de la filière puisque la grande majorité des élèves de son école parlaient arabe chez eux. Des familles du Yémen, d’Égypte, du Liban et de Syrie s’installaient dans le quartier et, par conséquent, le besoin d’offres bilingues arabes dans les écoles publiques se faisait plus pressant parmi les Arabo-Américains et les arabophones du quartier. La création de cette filière – avec le soutien de la Qatar Foundation International – eut des retours enthousiastes de la part des parents, que j’ai rencontrés lors de ma visite de l’école en 2016, puisque la langue arabe était déjà perçue de façon positive et bien assimilée dans l’école et la communauté. Plus important encore, la directrice et l’équipe administrative n’avaient aucun préjugé au sujet de l’arabe.

L’arabe, un atout professionnel

Malgré les préjugés et l’intolérance qui entourent aujourd’hui la communauté arabophone, plus d’un million d’Américains parle arabe à la maison.

Si ce sont les universités qui connaissent la plus forte croissance dans les cours de langue arabe, l’avantage d’apprendre une langue à un plus jeune âge reste indéniable, renforçant l’intérêt pour les filières bilingues dans cette langue.

C’est aussi ce qu’a bien compris la direction de l’école PS/IS 30 Mary White Ovington qui a vu dans l’apprentissage de l’arabe un fort potentiel pour offrir aux élèves une future vie professionnelle plus riche et diversifiée.

En effet, parler couramment l’arabe permet de distinguer les candidats en compétition lors des processus d’admission aux grandes universités, d’obtenir des bourses ou d’accéder à des programmes d’excellence. La connaissance de la langue et de la culture arabes a pour avantage de permettre un meilleur accès aux carrières dans le commerce, la diplomatie, le journalisme, la défense, les politiques publiques et bien d’autres domaines.

La directrice Carol Heeraman précise néanmoins que de nombreuses familles intéressées par la filière arabophone parlent une autre langue à la maison, comme le russe ou le chinois, du fait du paysage multiculturel du quartier de l’école.

Ces familles perçoivent la section bilingue comme une passerelle pour améliorer la scolarité de leurs enfants, à l’image des classes spéciales pour élèves surdoués qu’on retrouve partout aux États-Unis.

L’instruction de l’arabe accède ainsi au statut qu’on lui a si souvent refusé par le passé. Désormais, les familles du quartier ne ratent pas l’occasion de voir leurs enfants maîtriser une deuxième, voire une troisième langue.

Définition

Reste que monter cette filière a dû répondre à un certain nombre de questions posées par des parents et des membres de la communauté, demandant une définition plus précise et plus claire du cadre de la filière.

L’éducation en langue arabe est souvent vue comme une façon de mieux participer aux traditions religieuses islamiques, comme la lecture du Coran dans sa langue originale. Pour certains parents non-arabophones de confession musulmane, ce fut en effet une des raisons qui les poussa à inscrire leur enfant dans la filière. Par conséquent, beaucoup de parents eurent peur que la filière mette l’accent sur la religion plutôt que sur la langue, alors que l’instruction avait lieu dans une école publique.

L’école dirigée par Carol Heeraman rassura immédiatement les parents, en expliquant que l’école n’avait rien à voir avec la religion et que sa mission était purement éducative.

Actuellement, la filière proposée court de la maternelle au CE2 et une nouvelle classe est ajoutée chaque année, au fur et à mesure que la promotion d’origine s’agrandit. Carol Heeraman, également à la tête d’un collège, prévoit de proposer la filière bilingue arabe jusqu’à la fin du collège.

L’équipe enseignante de l’école publique PS/IS 30 Mary White Ovington School à Brooklyn, NY.
Fabrice Jaumont, Author provided

En instaurant des filières bilingues dans les écoles publiques, la ville de New York s’efforce de proposer une éducation bilingue de qualité à des enfants de milieux socio-économiques et ethniques divers.

Les filières bilingues existent depuis plus de vingt ans, avec plus de 100 000 enfants dans 200 filières bilingues proposées en espagnol, mandarin, français, arabe, allemand, créole, italien, japonais, russe, bengali, polonais, ourdou, coréen et hébreu. En 2013, trente-neuf États et le District de Columbia rapportaient avoir mis en place une ou plusieurs filières bilingues.

Compte tenu des études récentes sur l’impact de ces programmes aux États-Unis, en particulier sur l’apprentissage de l’anglais, je suis persuadé que ces chiffres seront multipliés de façon exponentielle dans les années à venir.

L’avènement du bilinguisme porte ainsi l’idée que nos enfants doivent pouvoir non seulement tisser des liens avec leur famille et leurs amis mais aussi avec leur culture, leur histoire et celles des autres. Une manière d’apprendre le monde en engendrant plus de respect et de tolérance.


Cet article est un extrait revu du dernier ouvrage de Fabrice Jaumont, de La Révolution bilingue : le futur de l’éducation s’écrit en deux langues (TBR Books, 2017). L’auteur interviendra sur le rôle des parents dans la création de filières bilingues lors d’une sur le plurilinguisme le samedi 6 octobre 2018, de 9 à 13 heures, à l’Assemblée nationale à Paris.The Conversation

Fabrice Jaumont, Chercheur en sciences de l’éducation, Fondation Maison des Sciences de l’Homme (FMSH) – USPC

This article is republished from The Conversation under a Creative Commons license. Read the original article.

En Afrique, le fantasme d’une « communauté peule » radicalisée (The Conversation)

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Un village peul dans le nord du Sénégal (ici en 2007).
KaBa/Wikimedia

Dougoukolo Alpha Oumar Ba-Konaré, Institut national des langues et civilisations orientales

Les Peuls focalisent actuellement l’attention du fait de l’instrumentalisation de certains d’entre eux par des groupes fondamentalistes tentant de s’implanter localement dans le Sahel. La terreur djihadiste crée une angoisse sociale chez les autres communautés dans les zones menacées, faisant des Peuls des boucs émissaires du fait de leurs prétendues affinités historiques avec l’islam radical. L’identité peule apparaît ainsi comme un épouvantail symbolisant la menace djihadiste. Pourtant, cette identité est trop hétérogène pour établir un lien aussi simple.

Les Peuls seraient entre 25 et 65 millions d’individus en Afrique, répartis sur une vingtaine de pays dans le centre et l’ouest du continent, et dans le monde. Cette variation très importante peut s’expliquer par le type d’indicateur employé (ascendance paternelle ou maternelle, pratique de la langue, reconnaissance de communautés assimilées, etc.).

Les Peuls constituent un ensemble de communautés vivant notamment de l’élevage, soumis aux conflits fonciers, aux changements climatiques et en butte parfois au racisme d’État.

Du fait de la diversité de cette communauté, il est nécessaire d’appréhender les questions relatives aux Peuls à la lumière des revendications identitaires en mutation. Les outils de la nouvelle mondialisation (réseaux sociaux, mobiles, etc.) créent une interconnexion puissante entre les différents éléments de la diaspora peule.

Une communauté en mutation

Le nombre d’entités politiques fortes créées ou dirigées par des Peuls, notamment durant la période des hégémonies peules en Afrique de l’Ouest, au cours du XVIIIe siècle, en a fait une force avec laquelle il fallait compter, un peuple admiré et redouté, inculquant aux générations successives de Peuls le sentiment qu’elles sont issues de gens dont le patrimoine doit être fermement défendu.

Pourtant, les Peuls en savent souvent bien peu sur les conditions de vie de leurs congénères. Ainsi les Sahéliens ignorent que les zones plus vertes de l’Afrique abritent des peuplements peuls anciens. Aujourd’hui, émerge chez eux une véritable prise de conscience du poids démographique, de l’omniprésence et de la richesse qu’ils représentent lorsqu’ils sont considérés comme un ensemble uni.

Une question apparaît alors pour les générations actuelles de Peuls : s’ils sont aussi prospères que leur nombre et leur histoire l’indiquent, comment expliquer les tragédies actuelles dont ils sont victimes ?

Le regain de l’identitarisme peul puise sans doute des racines dans cette interrogation.

« L’archipel Peul ». Source : 1994.
« Pour une nouvelle cartographie des Peuls », Jean Boutrais,

Un peuple uni dans la victimisation

Depuis 2012, le centre du Mali est en proie à des affrontements intercommunautaires sur fond de massacres réguliers des Peuls par des milices locales, ou par des agents de l’État. De nombreux charniers ont été retrouvés depuis 2013.

Dans le contexte de violence au Mali, la diaspora peule s’est mobilisée, comme l’ont montré des marches récentes à Nouakchott, à Washington, à Paris et dans d’autres grandes villes à travers le monde. Sur les réseaux sociaux et les systèmes de messagerie, les images de destruction et de mort sont partagées très rapidement, sous le coup de l’émotion, et pour témoigner. Dès que de nouveaux évènements touchent des Peuls dans une partie du monde, l’information est relayée.

En République centrafricaine (RCA), ou dans les pays côtiers d’Afrique de l’Ouest (Bénin, Togo, Ghana, Côte d’Ivoire), les violences subies par des Peuls fournissent du contenu violent et traumatique à travers les échanges de photos et de vidéos, renforçant l’idée des Peuls comme peuple uni dans la victimisation. Pourtant, alors qu’ils font face en RCA à un contexte de guerre civile, dans les autres pays du continent, il s’agit plutôt d’explosions dues aux tensions habituelles entre éleveurs peuls et agriculteurs.

Malgré ces différences de contexte, il existe bien une communauté peule ayant conscience de son unité, faisant face donc à des défis de nature diverse. Le sentiment de stigmatisation actuel est ainsi en train de lui conférer une identification commune que l’on ne peut plus ignorer. Lorsque des Peuls souffrent ici, des Peuls là-bas s’identifient désormais à eux, surtout lorsque lesdites souffrances ont des échos dans leur propre quotidien. L’expérience commune de l’identité peule est clairement en train de se renforcer autour du traumatisme.

Une même angoisse de l’éradication

Les Peuls se retrouvent traditionnellement autour du « Pulaaku » (ou manière d’être peul), un code de conduite et d’éthique reposant sur la retenue, l’endurance, la sagesse, et la bravoure. Le mot Pulaaku fait également référence à la communauté des personnes partageant ces éléments.

DR

La mémoire sociale et les récits de Peuls différents contribuent à une idée globale partagée de la condition peule. Les histoires circulent, de même que les mythes antiques, les chants modernes, les articles de presse, etc.

Parmi les images et récits véhiculés de manière populaire émerge la figure des Peuls victimes incessantes d’un complot ourdi par d’autres communautés visant à les éradiquer. Cette vision très puissante résonne au sein de communautés très éloignées les unes des autres, comme en attestent les témoignages dans les divers groupes peuls sur les réseaux sociaux. La reconnaissance de ces échos facilite l’appropriation des combats et des messages des uns et des autres.

Le cas emblématique de la Guinée

L’histoire des Peuls de la Guinée éclaire fortement cette réalité. Le régime de Sékou Touré (1958-1984), premier Président du pays, a procédé à des exécutions et mis en place une politique discriminatoire à l’encontre de Peuls, estimant que leurs élites étaient des agents internes des puissances impérialistes occidentales visant à renverser le régime. Les Peuls étaient alors accusés d’avoir peu soutenu le référendum ayant fait accéder la Guinée à l’indépendance en 1958, deux ans avant les autres colonies françaises d’Afrique de l’Ouest.

Les rivalités politiques étaient sans doute la source principale de la stigmatisation, les stéréotypes ethniques et le racisme venant rationaliser les positions de l’État a posteriori. En effet, une grande part des opposants aux politiques de Sékou Touré étaient peuls. Parmi eux, Boubacar Diallo Telli, premier secrétaire général de l’Organisation de l’Unité africaine, fut torturé et mourut emprisonné par le régime de Sékou Touré. Des centaines d’autres furent tués ainsi.

Le Président guinéen Ahmed Sekou Touré (en 1962).
Dutch National Archives/Wikimedia, CC BY-SA

Or les tensions intercommunautaires ne cessent d’augmenter depuis 2009, début de la transition vers la démocratie et la compétition pour le pouvoir politique. En septembre 2013, tentant de mobiliser la communauté internationale face à des craintes d’abus basés sur l’appartenance communautaire, des intellectuels Peuls ont rédigé un fascicule intitulé « Alerte sur la préparation du génocide contre les Peuls et le projet de guerre civile en Moyenne Guinée ».

L’intention des auteurs était de dénoncer l’ethnicisation de la politique en Guinée et le danger que les Peuls encouraient du fait de tactiques populistes du régime au pouvoir. Ils y ont donné un aperçu de la victimisation des Peuls à l’époque de Sékou Touré, lors de la transition politique de 2009, puis lors des élections de 2010.

Finalement, les Peuls n’ont pas été victimes de l’épuration ethnique redoutée. Cependant, le sentiment d’injustice sociale est demeuré, avec une très faible place pour les Peuls (qui représentent pourtant près de 50 % de la population du pays) dans les instances politiques et militaires.

Ce document d’alerte n’a pas obtenu d’échos audibles parmi la communauté internationale, notamment du fait du ton agressif et des attaques ad hominem contre l’actuel président Alpha Condé.

Des figures politiques peules ciblées

Avec de nombreux défis à relever, les leaders politiques peuls sont très attendus sur les questions relatives à leur communauté. Cependant, ils éprouvent de grandes difficultés à déployer un discours audible sur ces questions. Accuser un Peul de « biais ethnique », de « fourberie », d’« extrémisme » est devenu une manière efficace, dans la compétition politique, de s’assurer leur silence ou une forme d’autocensure sur les questions touchant à la communauté.

Il en va ainsi au Mali avec le candidat à la présidence Soumaïla Cissé, en Guinée avec l’opposant Cellou Dalein Diallo, ou encore au Nigéria avec le président Muhammadu Buhari: le rappel continu de leur appartenance identitaire peule et de supposés biais parvient à miner leur impartialité politique. Cissé est fréquemment accusé de favoritisme pour les régions du Nord, Diallo d’entretenir un agenda secret de domination et de revanche des Peuls. Au Nigéria, des classes populaires aux intellectuels, il est fréquent d’entendre que le président Buhari protégerait les Peuls coupables de massacres dans le centre et le sud-est du pays, et d’ainsi laisser se former un suprématisme peul.

Ces attaques ad hominem contre ces figures politiques peules contribuent à renforcer au sein de cette communauté hétérogène le sentiment global qu’ils sont mal-aimés, et ainsi nourrir des récits chargés émotionnellement quant à leur position précaire et la nécessité de se protéger.

La rumeur d’un État peul

En 2016, alors que des organisations de Peuls préparaient un Congrès mondial du Pulaaku au Burkina Faso, des médias en Guinée et au Mali dénonçaient la volonté des élites peules de proclamer la naissance d’un nouvel État Peul. Ces rumeurs ont suffi à faire annuler la participation de dignitaires Peuls craignant alors d’être assimilés à des manifestations subversives.

Danse d’éleveurs avec les bœufs au Mali.
Fasokan/Wikimedia, CC BY-SA

Un rapport du Global Terrorism Index, publié en 2015, considérait les « militants peuls nigérians » comme le quatrième groupe terroriste le plus meurtrier au monde. Le rapport a été relayé par divers médias, renforçant le récit sur la « violence des Peuls ».

Pourtant, il n’existe pas de mouvement monolithique et systématiquement organisé au Nigéria avec un leadership peul basé sur l’appartenance communautaire. Mais plutôt des réseaux de groupes armés dont des membres sont des bergers peuls.

Certaines analyses font des Peuls des apôtres des djihadistes du fait de leur passé religieux et de la présence, pourtant difficile à quantifier, de Peuls parmi les mouvements fondamentalistes armés. Ces représentations ont suscité un sentiment de colère chez les Peuls.

Il faut préciser ici que les Peuls n’ont jamais constitué un empire avec un continuum centralisé. Il s’agit là d’une lecture moderne, postcoloniale qui favorise des visions nationalistes du monde peul.

Car en essentialisant les aspirations d’une communauté complexe, on encourage l’émergence de positions inadaptées. En évoquant une question peule unique, on élude la complexité des tragédies en cours, et on agrège des problématiques que l’identitarisme modernisé finit par englober sans proposer de solutions adaptées aux demandes de chacun.

Il convient donc de prendre garde aux radicalisations identitaires qui surgissent, liées à des politiques sécuritaires biaisées et à la diffusion de récits médiatiques sensationnalistes.

Dougoukolo Alpha Oumar Ba-Konaré, Chargé de cours, Institut national des langues et civilisations orientales

This article was originally published on The Conversation. Read the original article.

L’Afrique demeure une terre de mission
(La Croix Africa)

Le père Donald Zagoré est un prêtre de la Société des missions africaines (SMA)

La Croix Africa propose périodiquement ses chroniques sur la religion en Afrique

L’Afrique est souvent, un peu trop précipitamment, présentée comme une terre de mission aguerrie, désormais prête à exporter son dynamisme de foi aux anciennes puissances missionnaires, notamment celles d’Europe.

Pour certains, l’Afrique peut – et doit même évangéliser l’Europe – tout comme elle-même, a été évangélisée par l’Europe dans les années 1800.

S’il est vrai que le christianisme en Afrique est très fort grâce à la vitalité de ses Églises et de sa jeunesse, force est de reconnaître que ce christianisme « bouillonnant » présente des limites importantes. Celles-ci laissent entrevoir la nécessité d’une approche beaucoup plus prudente, car au-delà des apparences, se cachent des vérités qui bousculent les plus importants fondements de la foi chrétienne.

Dissonance entre la foi professée et la foi vécue

Le point fondamental des graves dérives du christianisme en Afrique est la dissonance entre la foi professée et la foi vécue. Nos églises sont remplies, mais nos pays sont les plus divisés.

Les injustices, le manque de charité, le manque de fraternité, devenus éléments constitutifs de l’existence africaine montrent que les valeurs chrétiennes célébrées dans nos « bouillonnantes » églises sont loin d’être vécues dans nos cités.

L’homme africain semble se retrouver piégé entre deux états de vie : la vie à l’église et celle en dehors de l’église. La mission évangélisatrice doit travailler à réconcilier ces deux états de vie pour que les valeurs chrétiennes célébrées dans les lieux de culte soient vécues à la maison, en famille.

La dissonance entre la foi professée et la foi vécue se fait plus expressive dans le domaine culturel. Le problème est que le Christ et son Évangile sont acceptés non pas à la place des croyances religieuses traditionnelles mais en plus d’elles. Il se pratique un cumul de croyances, un syncrétisme. Cela se fait plus visible dans les moments de grandes souffrances tels que la maladie, la mort. Cette situation pourrait s’expliquer par conception que l’homme africain se fait de la religion. Celle-ci est uniquement perçue dans une dynamique utilitaire.

La foi en Jésus-Christ ne supporte pas de rajouts et d’amalgames

Pour Mgr Dominique Banlene Guigbile, (évêque de Dapaong au Togo) en Afrique, « une religion est jugée bonne ou mauvaise selon qu’elle répond ou non aux besoins de ses adeptes. Si elle ne donne pas satisfaction, on l’abandonne pour une autre ou on la modifie. D’où la tendance de l’Africain à la croyance cumulative qui consiste à adhérer à une nouvelle religion sans renoncer à ses croyances anciennes ».

Or « la foi en Jésus-Christ ne supporte pas de rajouts et d’amalgames. Il s’agit d’un choix radical qui, tout en tenant compte des Semences du Verbe présentes dans les cultures des peuples, évite toute compromission avec tout ce qui est contraire à la Vérité évangélique », ajoute encore l’évêque togolais.

Amener l’homme africain à faire ce choix radical est le défi majeur de l’évangélisation aujourd’hui.

Toutes ces réalités doivent nous rendre plus humbles et faire prendre conscience que le christianisme, tel que vécu en Afrique, est parfois loin de sa visée fondamentale et nécessite un travail d’évangélisation beaucoup plus en profondeur. Loin d’être une terre déjà évangélisée, l’Afrique demeure une terre à évangéliser, une terre de mission.

P. Donald Zagoré (SMA)

Source: [Un regard critique sur la religion en Afrique] : L’Afrique demeure une terre de mission, La Croix-Africa, 27/09/18.

 

 

Selon sa culture, on se montre plus ou moins
amical avec les inconnus (The Conversation)

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Sur le quai du métro à Londres. Selon sa culture, chacun se montre plus ou moins familier avec des personnes rencontrées pour la première fois.
Nathan Rupert/Flickr, CC BY-ND

Erin Meyer, INSEAD

L’attitude vis-à-vis de personnes que l’on rencontre pour la première fois varie selon les pays. La familiarité des Américains ou celle des Brésiliens, par exemple, surprend toujours les Français. Notre auteur, Américaine installée en France depuis 17 ans, est professeur de management. Dans cet extrait de son livre « La carte des différences culturelles : 8 clés pour travailler à l’international » (Editions Diateino), traduit par Philippe Blanchard, elle s’appuie sur les travaux d’anthropologues et de psychologues. Et montre que la manière dont chacun se comporte en présence d’inconnus est d’abord une affaire de culture.


Les Américains ont tendance, à la différence d’autres cultures, à sourire à des étrangers et à entreprendre des personnes qu’ils connaissent à peine. D’autres risquent de prendre ces « amabilités » pour une offre d’amitié. Ensuite, comme les Américains ne donnent pas suite à une proposition qu’ils n’avaient pas l’intention de faire, ils risquent de se faire accuser de « fausseté » ou d’« hypocrisie ».

De l’amabilité, ou de l’hypocrisie ?

Igor Agapova, un de mes collègues russes à l’Insead, raconte une anecdote qui date de son premier voyage aux Etats-Unis :

« Pendant les neuf heures de vol jusqu’à New York, j’étais assis à côté d’un inconnu. C’était un Américain et il a commencé à me poser des questions personnelles, me demandant si j’avais des enfants, si c’était la première fois que je me rendais aux États-Unis, ce que je laissais derrière moi en Russie, etc. Puis, il s’est mis à me donner des informations personnelles sur lui-même. Il m’a montré des photos de ses enfants, il m’a dit qu’il jouait de la basse et m’a raconté que sa femme, qui était actuellement en Floride avec leur dernier-né, avait du mal à supporter ses déplacements fréquents ».

En retour, Igor Agapova se mit à faire une chose qui ne lui était pas du tout naturelle et qui n’est pas du tout usuelle dans la culture russe : il raconta sa vie très honnêtement à ce sympathique inconnu, en ayant l’impression qu’ils s’étaient liés, en si peu de temps, d’une amitié incroyablement profonde.

La suite n’en fut que plus décevante :

« Je pensais qu’après une rencontre de ce genre, nous allions être amis pour longtemps. Après l’atterrissage, j’ai cherché un morceau de papier pour écrire mon numéro de téléphone mais imaginez ma surprise quand je vis mon ami se lever et me faire un grand signe de la main, en me disant : “J’ai été enchanté de vous rencontrer. Je vous souhaite un très bon séjour”. Et ce fut tout. Je ne l’ai plus jamais revu. J’ai eu l’impression qu’il m’avait manipulé pour que je m’ouvre à lui, alors qu’il n’avait aucune intention de donner suite à la relation dont il avait été l’initiateur ».

L’influence de la culture dans laquelle on a grandi

Le psychologue américain d’origine allemande Kurt Lewin a été l’un des premiers chercheurs en sciences humaines à étudier le rôle que joue, dans la formation de la personnalité, le système culturel dans lequel un individu a grandi. C’est notamment le sujet de son article, « Quelques différences sociaux-psychologiques entre les États-Unis et l’Allemagne » (« Some social-psychological differences between the United States and Germany »), paru en 1936 dans la revue scientifique Character and Personality.

Par la suite, les chercheurs et consultants néerlandais Fons Trompenaars et Charles Hampden-Turner se sont appuyés sur le modèle de Lewin pour expliquer comment, selon les cultures, certains niveaux d’information appartiennent au domaine public ou, au contraire, sont réservés à la sphère des relations privées, comme exposé dans leur livre paru en 1998, Riding the Waves of Culture : Understanding Diversity in Global Business. On appelle fréquemment par des noms de fruits, « pêche » et « noix de coco », ces modèles d’interaction.

La douceur d’une pêche

Dans les cultures « pêche », fruit à la peau veloutée, comme aux États-Unis ou au Brésil pour n’en citer que deux, on a tendance à se montrer amical – « sympa » – avec des personnes que l’on vient juste de rencontrer. On sourit beaucoup aux étrangers, on passe vite aux prénoms, on raconte sa vie et on pose des questions personnelles à des gens que l’on connaît à peine. Mais après ce premier contact sympathique avec une « pêche », on risque de tomber soudain sur la partie dure, le noyau, sous laquelle la pêche protège son moi véritable. Dans ces cultures, être amical ne veut pas dire être ami.

Deux touristes engagent la conversation sur une plage en Grèce. Dans les cultures « pêche », on se montre sympathique dès le premier contact.
Robert Wallace/Flickr, CC BY-NC-ND

Au cours d’un atelier que j’animais au Brésil, un participant allemand qui vivait à Rio depuis un an me parla en ces termes :

« Les gens sont si aimables que c’en est incroyable. Vous faites vos courses à l’épicerie ou vous traversez tout bonnement la rue, et quelqu’un vient vous poser des questions, vous parler de sa famille et vous inviter à venir boire un café ou vous laisser entendre que vous vous reverrez le lendemain à la plage. Au début, j’étais très heureux de recevoir toutes ces manifestations d’amitié. Mais je n’ai pas mis longtemps à me rendre compte que tous ces gens qui m’invitaient pour le café oubliaient de me donner leur adresse et que ces propositions de se retrouver le lendemain à la plage n’étaient jamais suivies d’effet. Parce que la plage, comme chacun le sait, fait plusieurs kilomètres de long… »

Trop de sourires pour être honnête ?

Dans le Minnesota, l’État américain où j’ai grandi, nous apprenons dès notre plus tendre enfance à prodiguer nos sourires à ceux dont nous venons de faire la connaissance. C’est un des traits de la culture « pêche ». Une Française qui était venue voir ma famille dans le Minnesota fut déconcertée par notre côté « pêche » :

« Les serveurs ont tout le temps le sourire aux lèvres et me demandent tous si je passe une bonne journée. Ils ne me connaissent même pas ! Cela me met mal à l’aise et me rend soupçonneuse : que me veulent-ils ? Pour toute réaction, je serre mon sac à main plus fortement contre moi. »

Inversement, moi qui suis issue d’une culture « pêche », j’ai été tout aussi déconcertée quand je suis venue m’installer en Europe. Mes sourires aimables et mes remarques personnelles rencontraient un accueil glacial chez mes nouveaux collègues polonais, français, allemands ou russes. J’interprétais leur expression impassible comme un signe d’arrogance, voire d’hostilité.

La rudesse d’une noix de coco

Dans ces cultures « noix de coco », les gens sont plus fermés (comme la rude coque de la noix de coco) vis-à-vis de ceux avec qui ils n’ont pas de relation d’amitié. Il est rare qu’ils sourient aux inconnus, qu’ils posent des questions personnelles à de simples relations ou qu’ils se confient à des personnes avec qui ils n’ont pas un lien étroit. Il faut du temps pour percer l’écorce extérieure mais, progressivement, la relation devient plus chaleureuse et plus amicale. Et les amitiés qui mettent plus de temps à se construire tendent à durer plus longtemps.

Discussion par la fenêtre, en Allemagne. Dans une culture « noix de coco ». comme celle des Allemands, on reste sur la réserve avec les inconnus.
Jaime Gonzalez/Flickr, CC BY

Quand vous arrivez dans une culture « noix de coco », l’hôtesse d’accueil de l’entreprise avec laquelle vous avez rendez-vous ne vous demandera pas si vous avez passé un bon week-end et le coiffeur qui vous coiffe pour la première fois ne vous dira pas : « Une Américaine mariée à un Français ? Où avez-vous rencontré votre mari ? »

« C’est soit un fou, soit un Américain »

Couverture du livre, paru le 13 octobre 2016.
Editions Diateino, Author provided

Si vous êtes « pêche » et que vous voyagez en culture « noix de coco », sachez que les Russes disent que, quand ils rencontrent quelqu’un qui sourit dans la rue : « C’est soit un fou, soit un Américain ». Imaginez que vous entrez dans une salle de réunion à Moscou (ou à Belgrade, Prague, voire Munich ou Stockholm) et que vous vous trouvez face à un groupe de managers à l’air grave dont aucun ne cherche à bavarder avec vous, n’en déduisez pas que leur culture considère qu’il est sans intérêt de nouer des relations.

Au contraire, c’est en cultivant une relation personnelle chaleureuse sur le long terme que vos interlocuteurs « noix de coco » deviendront des partenaires confiants et loyaux. Ce qui est en cause, bien entendu, c’est que toutes les cultures n’ont pas le même point de vue sur les comportements à observer vis-à-vis des inconnus et sur ceux qui indiquent qu’une amitié véritable est en train de se former.

Erin Meyer, Professeur associé en sciences de gestion, INSEAD

This article was originally published on The Conversation. Read the original article.