Phillis Wheatley et Olaudah Equiano, l’esclavage par ceux qui l’ont sub
Publié le : Modifié le :
Texte par : Olivier Favier
5 min
L’une est poétesse, l’autre mémorialiste. Tous deux sont nés en Afrique de l’Ouest, au milieu du XVIIIe siècle. Ils ont connu l’esclavage, mais ont bénéficié d’une éducation qui leur a permis d’en témoigner.
Le nom qui la désigne à la postérité trahit une double assignation. Phillis est le nom du navire qui, après avoir écumé l’Atlantique du Sénégal à la Guinée à la recherche de futurs esclaves, la débarque à Boston le 11 juillet 1761. Elle a probablement 7 ans, peut-être un peu plus. Wheatley est le nom de la famille qui l’achète sur le port peu de temps après pour en faire une employée de maison.
La jeune fille est brillante et sa maîtresse lui apprend à lire. À 12 ans, elle écrit son premier poème. Cinq ans plus tard, elle prend fait et cause pour la révolution américaine. Elle écrit Sur la bataille de King Street au soir du 5 mars 1770, un affrontement entre soldats anglais et colons qui fait plusieurs morts, dont Crispus Attucks, le premier Noir à mourir pour la liberté des futurs États-Unis.
«Une négresse qui fait de très bons vers anglais» (Voltaire)
Mais ce sont des poèmes moins offensants pour la couronne britannique qui paraissent dans son unique recueil publié en 1773 à Londres, toujours à l’initiative de sa maîtresse, heureuse de montrer combien elle a changé « une barbare inculte venue d’Afrique » en une écrivaine de génie, fût-elle toujours son esclave.
À Boston, la dame n’est pas parvenue à trouver les 300 souscripteurs nécessaires pour la publication de l’ouvrage, même si une commission de 18 hommes blancs a certifié les aptitudes littéraires de la jeune femme noire, sans mettre fin aux soupçons de supercherie.
En Europe, cette publication ne passe pas inaperçue, et Voltaire y voit la preuve contre l'académicien Fontenelle de la capacité « des nègres » à écrire des vers. À son retour à Boston, Phillis Wheatley est affranchie, sur pression de ses amis anglais. L’un d’eux se serait même étonné, selon le témoignage de la jeune femme, qu’un pays luttant pour la liberté et l’égalité les refuse à une part de sa population.
En 1778, Phillis Wheatley épouse John Peters, affranchi tout comme elle, et semble-t-il commerçant malheureux. Bientôt mère de trois enfants, elle ne parvient guère à poursuivre son œuvre littéraire et ses conditions de vie ne l’ont fait que passer d’une aliénation à l’autre. Elle meurt en 1784 alors qu’on annonce un nouveau recueil. Son mari vend ses livres et ses manuscrits. Une partie de ces documents n’a pas été retrouvée.
«La manière de Daniel Defoe, dans son Robinson Crusoë» (L’Abbé Grégoire)
Si le destin d’Olaudah Equiano est plus lumineux, c’est sans aucun doute qu’il n’eût pas à lutter de sur tous les fronts d’une société raciste et patriarcale. Cette précision donnée, ses mémoires, publiées à 44 ans, font le portrait d’un homme à la vie sans pareil.
Né vers 1745, dans le pays Igbo, au sud-ouest du Nigeria, il connaît l’esclavage aux Caraïbes, en Virginie et en Angleterre, où on lui donne, par dérision, le nom d’un roi de Suède, Gustave Vassa. Il prend part comme marin à la guerre de Sept Ans aux côtés de son maître au Canada et en Méditerranée.
Vendu à un commerçant, il rachète lui-même sa liberté et se fait barbier à Londres. En 1773, il s’embarque de nouveau dans l’expédition menée par un certain Constantine John Phipps, qui n’ambitionne rien moins que d’atteindre le Pôle Nord. Une autre future célébrité est du voyage : le jeune Horatio Nelson, le futur amiral de la bataille de Trafalgar.
Tout cela et bien d’autres choses se retrouvent dans ses mémoires publiées en 1789 à Londres et à New York en 1791. Ses qualités littéraires et ses vastes connaissances lui valent d’être comparé à l'auteur de Robinson Cruso, Daniel Defoe par l’Abbé Grégoire dans son essai De la littérature des négres, et éveillent bien entendu des suspicions d’intervention d’un écrivain anglais.
Juifs et Africains dans une destinée commune
En comparant les documents manuscrits – notamment sa correspondance – avec des textes publiés, on ne trouve guère que quelques fautes d’orthographe pour attester d’une légère relecture. Un poème écrit en anglais – où les rimes ne correspondent qu’une fois retranscrites en Igbo – comme certaines étrangetés linguistiques accréditent que l’ouvrage a bien été écrit par une personne née au bord du golfe du Biafra.
Lecteur assidu de la Bible, Olaudah Equiano qui dans son livre revendique son africanité, établit une relation entre le destin du peuple juif, à la recherche d’une terre promise, et celle des Africains en qui il voit les descendants d’Abraham et de sa seconde épouse Ketourah. Sa thèse bat en brèche celle de « la malédiction de Cham », fils maudit de Noé invoqué pour justifier l’esclavage des Noirs puis la ségrégation aux États-Unis.
Quittant le terrain mythologique, Olaudah Equiano se fait aussi l’écho de penseurs stipulant l’origine commune de la race humaine et expliquant les différentes couleurs de peau par des facteurs climatiques. Son livre devient dès sa publication un élément fondamental pour le combat anti-esclavagiste aux États-Unis et en Angleterre, où l’auteur épouse une femme blanche, Susan Cullen d’Ely. Il meurt en 1797, dix ans avant que la traite ne soit abolie.
Par leur intelligence hors-norme, Phillis Wheatley et Olaudah Equiano terrassent à titre individuel l’assignation à la servitude à laquelle ils semblaient condamnés. A posteriori, en plus d’avoir souverainement combattu le crime de l’esclavage, leurs écrits annoncent des questionnements toujours vivants dans la littérature africaine-américaine et africaine-européenne. Chacun à leur manière, ils sont les précurseurs lumineux d’une littérature-monde.
“Construite par Justinien pour être un temple de la sagesse divine, Sainte-Sophie, aujourd’hui, est une mosquée d’Islam. Mais, parce qu’elle n’est point une mosquée comme les autres, parce que, sous sa haute coupole, quelque chose de son passé chrétien est resté, Sainte-Sophie a un charme tout particulièrement émouvant.
A la Suléimanié, à la Bayezidié, dans les mosquées somptueuses dont ‘les Sultans d’autrefois ont couronné Stamboul, l’Islam est chez lui et domine en maître. A Sainte-Sophie, il semble toujours un étranger, presque un intrus. Le mihrab, qui marque la direction de La Mecque, ne coïncide point avec le fond de l’abside les tapis et les nattes sur lesquels se prosternent les fidèles se disposent obliquement sur Le grand axe de l’église comme si pour adapter l’édifice au culte du vainqueur, il avait fallu en rompre les lignes maîtresses et lui faire une sorte de violence […]”
Source: Le Charme de Sainte-Sophie, Charles Diehl, de l’Institut,quotidien Le Gaulois, 30.03.1913, p.1 colonne 1. Lire la suite sur le site de la BNF Gallica
Entre la sortie du premier long métrage réalisé par un Africain-Américain et le succès planétaire de « Black Panther », un siècle s’est écoulé. Retour sur l’épopée de ces réalisateurs afrodescendants qui se sont battus pour exister, même quand Hollywood les ignorait.
C’était il y a exactement cent ans, en 1920, très longtemps avant le succès mondial de Black Panther. Le pionnier américain du cinéma noir, Oscar Micheaux, signait Within Our Gates, le plus ancien long-métrage réalisé par un cinéaste de la diaspora africaine aux États-Unis que l’on ait pu retrouver. Ce film apparaissait à son humble échelle comme une œuvre critique du célèbre Naissance d’une nation (D. W. Griffith, 1915) et de ses stéréotypes raciaux.
Within Our Gates avait disparu, croyait-on, à jamais quand, dans les années 1970, on en a découvert l’unique copie qui existait encore, en Espagne, où elle avait été baptisée La Negra, après son étonnante exportation vers l’Europe dès les années 1920.
Il a donc fallu retraduire en anglais les intertitres de la version espagnole pour que ce film du temps du muet puisse être à nouveau visible dans son pays d’origine ! Et pour que l’on puisse aujourd’hui célébrer le centenaire du cinéma noir, comme cela a déjà été le cas avec un peu d’avance au festival de Locarno (Suisse), à l’été 2019. Le chercheur Greg De Cuir Jr y avait organisé une rétrospective intitulée Black Light, dont le livre collectif qui vient de paraître sous ce même titre, presque exclusivement consacré au cinéma noir américain et dont nous rendons compte ici, est une émanation.
Ségrégation sur grand écran
La rencontre entre les Noirs des États-Unis et le cinéma est cependant bien antérieure à la sortie de Within Our Gates. Dès le tournant du XXe siècle, alors que le septième art est dans sa prime enfance, les Noirs, qui ont amorcé depuis la fin de la guerre de Sécession leur exode des campagnes vers les petites villes du Sud et de l’Ouest puis vers les grandes cités du Nord, découvrent le cinéma presque en même temps que les Blancs grâce à des projectionnistes itinérants, qui montrent des films issus de la culture blanche dominante aux migrants dans des lieux communautaires – églises, associations, etc.
Mais la sédentarisation de l’industrie cinématographique après 1906, avec la création de petits cinémas de quartier, les « nickelodéons » – car l’entrée coûte 1 nickel –, puis celle de véritables salles « modernes » dans tout le pays, ira de pair avec le développement d’une politique de ségrégation officielle (dans le Sud) ou officieuse (dans le Nord) qui durera longtemps. Autour de 1910, il y a ainsi plus de 200 « colored theaters » aux États-Unis, et pas moins de 425 en 1925, dont la moitié seulement appartient à des Noirs.
Les cinéma « colored » proposent peu à peu des drames, des comédies musicales et des westerns destinés aux Noirs.
Si ces salles « colored » programment en général les mêmes films que les « theaters » des Blancs, elles proposent peu à peu des longs-métrages de fiction destinés uniquement aux Noirs et dans lesquels jouent des acteurs issus de la communauté africaine-américaine.
« Cow-boys sépia »
Bientôt, parmi ces « race pictures », comme on les surnomme, elles présentent des œuvres de réalisateurs noirs, dont le plus célèbre sera précisément Oscar Micheaux. Il tournera de façon artisanale et avec des moyens dérisoires (des budgets inférieurs à 10 000 dollars par long-métrage) une cinquantaine de films jusqu’en 1948.
Parmi les « race pictures » des années 1920, 1930 et 1940, beaucoup de drames ou de mélodrames sociaux – comme Within Our Gates – mais aussi des films de genre : histoires de gangsters noirs (Dark Manhattan, de Harry L. Fraser), comédies musicales (Tall, Tan and Terrific, de Bud Pollard) et même westerns noirs (Harlem on the Prairie, de Sam Newfield, avec des « cow-boys sépia »).
À partir de la fin des années 1950, la suppression de la ségrégation raciale permit aux Noirs de fréquenter les cinémas jusque-là réservés aux Blancs sans pour autant que les productions africaines-américaines en bénéficient. Les colored theaters subsistants projettent d’ailleurs eux-mêmes essentiellement, comme toutes les salles, des films hollywoodiens grand public.
Mais, à cette époque, des stars noires (Dorothy Dandridge, Sidney Poitier, Harry Belafonte…) apparaissent sur les écrans. Des acteurs, assez peu nombreux, « à la fois suffisamment typés – classe moyenne, asexués et banlieusards – et suffisamment charismatiques pour être tolérés » par le système hollywoodien et le public blanc, explique l’universitaire Adrienne Boutang, qui, dans l’ouvrage Black Light, explore la préhistoire du cinéma noir américain. Jusqu’à ce que la situation évolue, à partir des années 1970.
En lutte contre le modèle hollywoodien
Alors que les militants des droits civiques ou du black power revendiquent avec une fierté grandissante leur culture africaine-américaine, deux courants artistiques marquent la réapparition durable d’un cinéma noir doté d’une ambition esthétique et du souci d’affirmer sa singularité.
D’abord, un mouvement radical et engagé, parfois élitiste, celui de la Los Angeles School, ou L.A. Rebellion, qui veut mettre le cinéma au service des minorités et lutter contre le modèle hollywoodien. Il a pour épicentre l’Ucla (University of California, Los Angeles), d’où son nom. Toute une série de réalisateurs émergent, qui mènent, aux États-Unis et dans le reste du monde, un combat militant préfigurant d’une certaine façon celui du courant postcolonial.
S’en détachent quatre figures de proue. D’abord, Charles Burnett, que beaucoup de critiques considèrent comme l’un des plus grands réalisateurs américains. Dans Killer of Sheep (1973), qui s’inscrit pourtant dans la veine du néoréalisme, il livre le portrait poétique d’un travailleur des abattoirs de South Central, à L.A.
Ensuite, Julie Dash, remarquée grâce à Illusions (1982), qui dénonce la discrimination raciale et sexuelle à Hollywood, et, en 1991, grâce au très beau et étonnant Daughters of the Dust, qui évoque la migration d’une famille noire de Géorgie quelques années après la fin de l’esclavage.
Puis, Jamaa Fanaka, qui, dans Welcome Home Brother Charles (1975), montre comment un super-héros peut devenir un antihéros. Enfin, Hailé Gerima, le grand cinéaste éthiopien, en exil depuis 1968 en Californie, que le Fespaco couronnera sur le tard pour Teza, en 2009.
L’ère de la Blaxploitation
Le second courant du cinéma noir, dominant à partir du début des années 1970, est celui de la Blaxploitation, plus commercial et, donc, populaire. Les deux films qui l’ont lancé, jusqu’au niveau international, et restent des jalons importants dans l’histoire cinématographique américaine sont Sweet Sweetback’s Baadasssss Song, de Melvin Van Peebles, et, à un moindre degré, Shaft, de Gordon Parks.
Ces œuvres puissantes, qui mettent en valeur des héros black virils évoluant au son de musiques afroaméricaines pleines d’énergie dans des décors urbains, connaissent un immense succès. Elles obligent Hollywood, alors dans le creux de la vague, à s’apercevoir de l’importance du public noir pour assurer l’avenir du septième art.
En l’espace de trois ou quatre ans, une soixantaine de films revalorisant l’image des Noirs, le plus souvent sans craindre les stéréotypes, seront ainsi réalisés avant que le mouvement de la Blaxploitation décline rapidement.
Trois films oscarisés
On ne distingue plus, depuis les années 1980, de véritable courant important dans la cinématographie noire américaine. Pourtant, avec des hauts et des bas, les réalisateurs issus de la communauté n’ont plus jamais cessé de fournir en quantité – on parle de 200 longs-métrages, rien que depuis 2007 – des films plus ou moins réussis. Jusqu’à ce que, ces dernières années, une série d’œuvres de premier plan donnent l’impression d’une véritable renaissance.
Avant même le triomphe planétaire des aventures de super-héros noirs (Black Panther, de Ryan Coogler, en 2018), qui n’a entendu parler, pour ne citer que ceux-là, du drame 12 Years a Slave, de Steve McQueen, de Moonlight, de Barry Jenkins (le portrait d’un dealer black gay), ou du thriller antiraciste Get Out, de Jordan Peele, oscarisés respectivement en 2014, 2016 et 2017 ?
Sans oublier les sorties à intervalles réguliers, depuis le milieu des années 1980, des nombreux films de qualité inégale, certes, mais toujours marquants du remuant Spike Lee, le porte-drapeau d’un cinéma noir américain plus que jamais vivant. Et qui compte !
Retour sur le génocide rwanddais
Attentat du 6 avril 1994 : retour sur l’enquête de la discorde entre la France et le Rwanda
Le 6 avril 1994, l’attentat contre le président rwandais Juvénal Habyarimana donnait le signal de départ au génocide contre les Tutsi. Retrouvez tous nos articles sur ce dossier qui empoisonne depuis vingt ans les relations entre Paris et Kigali.