Seydou Ramdé, Université Aube Nouvelle
L’idée centrale de cet article est de mettre l’accent sur le potentiel des dispositifs de crowfunding et de crowdsourcing portés par les ONG et notamment par les ONG confessionnelles s’adressant à des communautés religieuses
Du financement par la foule…
La révolution numérique au travers de la désintermédiation et de la plateformisation a bouleversé les structures traditionnellement chargées de l’intermédiation financière. Elle est à l’origine d’une désintermédiation financière qui ouvre une nouvelle ère pour les porteurs de projets à la recherche de financements.
Cette désintermédiation s’est accentuée avec la crise économique – et de confiance – en 2008 et avec la montée en gamme de l’offre numérique externalisée – via le cloud computing – à partir de 2005. Dès lors, sont apparus en Europe, en Amérique du Nord et en Asie des plateformes de financement participatif (Europe), crowdfunding (anglo-saxon) et « sociofinancement » (Canada) c’est-à-dire de financement par la foule.
Les plateformes de financement par la foule ont clairement bouleversé les vieilles pratiques de financements communautaires – même si en parallèle les tontines sont devenues numériques – en utilisant les réseaux sociaux comme canaux principaux de mobilisation des communautés d’intérêts autour des projets.
Dans le contexte africain caractérisé par une sous-bancarisation, des infrastructures fragilisées et une réelle méfiance face aux acteurs traditionnels, les transferts monétaires se font essentiellement via trois canaux.
- la montée en puissance et en qualité des applications de paiement par téléphonie mobile – m-paiement par SMS –,
- la continuité d’usage des canaux traditionnels comme les tontines, la télévision et les radios désormais combinés avec l’Internet via les web-tv
- la percée rapide et disruptive des plateformes de crowfunding et crowdsourcing dont beaucoup sont déjà opérationnelles.
Le grand public va donc être mobilisé pour aider à financer les projets et le crowfunding sera l’un des moteurs de cette mobilisation.
… pour dépasser des représentations ancrées
Certes, l’Afrique ce « le géant qui refuse de naître » selon N’Guettia Kouassi en 2015, a de formidables ressources et potentialités. Néanmoins, elle peine à se positionner sur la voie d’une croissance pérenne, d’une redistribution partagée et d’un développement durable.
Après plus d’un demi-siècle d’autonomie relative à la gestion des affaires publiques, le constat est cruel. La plupart des modèles expérimentés pour sortir l’Afrique et les Africains de la pauvreté, de la violence et de la misère se sont essoufflés. Ce constat et cette représentation sont aussi parmi les moteurs de l’engagement humanitaire.. Dans le même temps, une lecture panafricaniste souligne que cette situation paradoxale trouve ses origines dans l’incapacité de l’Afrique à valoriser les nombreuses opportunités de croissance d’une part et dans les politiques économiques contraignantes et stériles qui lui ont été et sont encore imposées, d’autre part. La terrible question posée en 2O10 par Pierre Bamony « Pourquoi l’Afrique si riche est pourtant si pauvre ? » reste encore malheureusement d’actualité.
Des pistes de sortie de crise sont envisageables selon N’Guettia Kouassi et de nombreux observateurs. Il s’agit par exemple de l’industrialisation du continent, de la valorisation des ressources naturelles en local, de la mobilisation des ressources internes pour le financement de ses écosystèmes d’affaires et d’innovation, de la priorisation de l’éducation – et en particulier des jeunes filles – et de la formation pour faire émerger une masse critique suffisante de scientifiques, de chercheurs, d’ingénieurs, de techniciens, d’agriculteurs, de commerçants, de managers et entrepreneurs, et bien d’autres pistes à fortes dimensions sociopolitiques et culturelles
L’accès au financement et la mobilisation des fonds propres
Parmi toutes ces pistes, il nous semble que la problématique de l’accès au financement et de la mobilisation des fonds propres reste centrale. Il apparaît en effet, d’après les acteurs économiques locaux, que seul un financement devenu enfin accessible, bienveillant et abordable pourra accompagner et pérenniser un développement endogène. Les projets et les bonnes volontés ne manquent pas !
Cependant, l’aide extérieure et les financements bancaires – notoirement insuffisants et frileux en particulier pour les PME – ont montré leur limite dans l’appui au développement.
Dès lors, le recours au financement participatif et solidaire n’ouvre-t-il pas des opportunités aux entreprises africaines en matière de développement ? Comment associer les presque 1,2 milliard d’Africains aux financements des projets de développement, d’innovation et de recherche sur leur continent ?
Finalement, sans naïveté excessive, par quels canaux le (bon) financement peut-il remonter jusqu’aux porteurs de (bon) projets ?
Le cas du crowfunding porté par les ONG confessionnelles
De nombreuses plateformes existent déjà. Notamment en Afrique de l’Ouest comme Fadev par exemple ou encore Itsaboutmyafrica. Les premiers résultats sont certes prometteurs mais les freins demeurent nombreux des deux côtés des projets (porteur et financeur) et la confiance est un des critères les plus sensibles. L’idée serait donc d’impliquer certaines des ONG comme « tiers de confiance » et facilitateur.
Prenons le cas du Burkina Faso et de ses 75 % de PME n’ayant pas du tout ou trop peu pas accès aux crédits selon les données de Soubeiga en 2015.. Outre un gâchis entrepreneurial, cette frustration est un non-sens économique et social qui maintient dans le secteur informel quantité de projets. Dans le cas du Faso, l’une des réponses passerait par les nombreuses ONG qui y sont très présentes et actives.
Certes, elles sont également confrontées à la baisse continue des fonds en provenance des pays du Nord mais elles conservent leur capacité à porter, à légitimer et à déployer les projets. Prenons le cas, en particulier, des ONG de type confessionnelles. Ces dernières peuvent jouer un rôle de « tiers de confiance » car elles bénéficient d’un capital confiance tout à fait notable et utile dans des contextes marqués par la fraude, les détournements et la corruption. Pourtant, elles peuvent s’impliquer encore plus, elles proposent notamment un dialogue interreligieux bienvenu et opportun. Elles sont ainsi devenues des interlocuteurs majeurs dans le débat public sur de nombreux domaines autour de la santé, de l’éducation et de la citoyenneté
Intervenir comme tiers de confiance et facilitateur de projets
Elles peuvent aller jusqu’à mobiliser les foules – ici les fidèles – et lever des fonds pour des projets tiers : littéralement, ce qu’on nomme crowfunding. Toujours au « pays des Hommes intègres », prenons le cas de l’ODE qui est un exemple emblématique.
Cet office – porté par une fédération fondée dès 1960 – est centré sur le développement des églises évangéliques et de leur activité sur le terrain. Il dispose d’un budget moyen annuel de 1 500 000 000 Francs CFA avec une contribution de la communauté fondatrice représentant seulement 0,5 % du budget. Cette organisation non gouvernementale à but non lucratif peut cependant compter sur une communauté de 1000 000 de fidèles.
En termes de capacité de financement,des simulations ont montré qu’il est possible de mobiliser – relativement rapidement via des plates formes dédiées – 3 000 000 000 Franc CFA avec une simple contribution de 3000 FCFA par fidèle. Cette force de frappe financière peut donc être mise à la disposition d’une multitude de projets et micros projets à vocation confessionnelle bien sur mais également non confessionnelle (agriculture, formation, éducation, santé)
Restons pragmatique !
D’un point de vue pragmatique, les ONG confessionnelles du pays – catholique, évangélique et musulmane – constituent une réalité intéressante. Ce sont des opportunités d’intermédiation pour créer et déployer des dispositifs de type crowfunding, basés sur des plateformes numériques robustes et tractable, et les mettre à dispositions des porteurs de projets. Elles contribueraient ainsi de facto à formaliser une partie du secteur informel.
D’un point de vue opportuniste, rien m’empêcherait également ces ONG de recourir à ces dispositifs pour lever elles mêmes des fonds comme c’est parfois le cas.. Enfin, d’un point de vue plus citoyen, le Burkina a intérêt conserver une cohabitation inter religieuse apaisée et ce type d’activités y contribue clairement
Seydou Ramdé, Doctorant en Sciences de Gestion, Université Aube Nouvelle