Justice et Paix

" Je suis homme, l'injustice envers d'autres hommes révolte mon coeur. Je suis homme, l'oppression indigne ma nature. Je suis homme, les cruautés contre un si grand nombre de mes semblables ne m'inspirent que de l'horreur. Je suis homme et ce que je voudrais que l'on fit pour me rendre la liberté, l'honneur, les liens sacrés de la famille, je veux le faire pour rendre aux fils de ces peuples l'honneur, la liberté, la dignité. " (Cardinal Lavigerie, Conférence sur l'esclavage africain, Rome, église du Gesù)

 

NOS ENGAGEMENTS POUR LA JUSTICE T LA PAIX
S'EXPRIMENT DE DIFFÉRENTES MANIÈRES :

En vivant proches des pauvres, partageant leur vie.
Dans les lieux de fractures sociales où la dignité n'est pas respectée.
Dans les communautés de base où chaque personne est responsable et travaille pour le bien commun.
Dans les forums internationaux pour que les décisions prises ne laissent personne en marge.

Dans cette rubrique, nous aborderons différents engagements des Missionnaires d'Afrique, en particulier notre présence auprès des enfants de la rue à Ouagadougou et la défense du monde paysan.

 

Enlèvement au Burkina: les ravisseurs «savaient qu’ils étaient cernés»

Militaires burkinabè à l'entraînement (image d'illustration).
© ISSOUF SANOGO / AFP

On en sait un peu plus sur la libération des quatre travailleurs de Huawei, le week-end dernier. Suite à la pression des forces de défense et de sécurité, les ravisseurs ont été obligés de relâcher les otages et de prendre la fuite. Quelques mois avant cet enlèvement, des mouvements suspects avaient conduit les forces de sécurité à mener des opérations dans la région.

Selon des sources sécuritaires, c’est à une trentaine de kilomètres de Sidéradougou, lieu de leur disparition, que les quatre travailleurs de Huawei ont été retrouvés. Dès leur disparition, les forces de défense et de sécurité avaient investi toute la région.

Tout est allé très vite

Avec les renseignements recueillis auprès des populations et le quadrillage de la zone les choses sont allées très vite. Suite à cette pression, les ravisseurs se sont séparés de leurs otages avant de prendre la fuite, selon nos sources. « Ils savaient qu’ils étaient cernés et l’étau se resserrait autour d’eux » souligne encore cette source.

À LIRE AUSSI: Burkina, quatre employés de Huawei retrouvés 24 heures après leur disparition

Il y a quelques mois, les forces de défense et de sécurité avaient mené des opérations dans cette partie du pays. « La région était infestée et on avait signalé des mouvements suspects », conclut la source. Mais les forces de sécurité avaient « traité » la zone, selon leur propre expression, et avaient assuré que la voie était libre pour la suite des « travaux ».

Jihadisme: l’étau se resserre autour des États de l’Afrique de l’Ouest

Les chefs des groupes jihadistes sévissant au Sahel (copie d'écran).
© France24

L’avancée implacable des groupes islamistes à travers le Sahel laisse craindre une extension des violences jihadistes dans les pays de l’Afrique de l’Ouest. La contagion pourrait embraser toute la sous-région.

Les violences terroristes de plus en meurtrières dont font l’objet les pays du Sahel, notamment le Mali et le Burkina Faso, font trembler les capitales des États côtiers de l’Afrique de l’Ouest. « Les risques de contagion sont réels  », prévient Pierre Buyoya, ancien président du Burundi et haut représentant de l’Union africaine (UA) pour le Mali et le Sahel. Interviewé en marge du Forum international sur la paix et la sécurité en Afrique qui s’est tenu récemment à Dakar, le président Buyoya s’est déclaré particulièrement pessimiste quant à l’endiguement du terrorisme sur le continent.

« La question n’est plus de savoir si les pays ouest-africains seront touchés ou pas, mais plutôt quand. Les avertissements des services de renseignement vont dans ce sens et font craindre des attentats sur le sol de ces pays à moyen terme », a ajouté Pierre Buyoya.

►À lire aussi : Sahel : le financement et les failles du G5 Sahel en discussion à l'ONU

Des pays vulnérables

L’inquiétude fut palpable au Forum de Dakar, qui avait réuni les représentants des principaux pays engagés politiquement et militairement dans la prévention de l’extrémisme violent dans le Sahel, mais aussi des universitaires africanistes qui suivent de près « la descente de la région dans l’enfer jihadiste ». « Cette année, on s’était donné pour objectif d’évaluer l’efficacité des dispositifs antiterroristes mis en place dans le Sahel. Puisque ces dispositifs se révèlent incapables de stopper la progression des groupes jihadistes, la plupart des observateurs qu’on a pu écouter pendant la rencontre craignent que la contagion ne se répande à d’autres pays de la sous-région », explique Hugo Sada, porte-parole des organisateurs du Forum de Dakar.

Il faut dire que la donne a changé, avec des infiltrations de plus en plus franches et audacieuses à partir de 2016 dans le nord et l’est du Burkina Faso, qui a longtemps servi de tampon sécuritaire entre les États côtiers de l’Afrique de l’Ouest et les pays sahéliens en butte aux attaques terroristes depuis plusieurs années. Le verrou burkinabè est tombé avec « les récentes attaques au Burkina Faso, à proximité des frontières avec la Côte d’Ivoire, le Ghana, le Togo et le Bénin », peut-on lire dans une note publiée (1) en début de cette année par le think tank franco-belge, l’Institut Thomas More. Souffrant de vulnérabilités politiques, sociales, économiques et religieuses semblables à celles que connaissent leurs voisins sahéliens, « les États côtiers de l’Afrique de l’Ouest sont au pied du mur pour élaborer et mettre en œuvre des réponses à même d’endiguer l’extension du jihadisme », écrit Antonin Tisseron, l’auteur de la note de l’Institut More consacrée à la menace jihadiste.

►À écouter aussi : Forum sur la paix et la sécurité à Dakar : l'ONU et la Minusma critiquées

Une extension programmée

Pierre Buyoya (D), ancien président et haut représentant de l’Union africaine au Mali et au Sahel. © GEORGES GOBET / AFP

Pour Pierre Buyoya, cette extension a commencé depuis longtemps. Le haut représentant de l’UA cite l’attaque de Grand Bassam, menée par un commando suicide en mars 2016 ainsi que l’enlèvement en mai 2019 de deux Français et de leur guide béninois dans le Parc de Pendjari (important site touristique au nord du Bénin, NDLR), pour étayer sa thèse sur la dissémination – « inéluctable », selon lui - de la menace terroriste en Afrique subsaharienne.

Outre la Côte d’Ivoire et le Bénin, d’autres pays côtiers de l’Afrique de l’Ouest ont connu des incidents jihadistes au cours des derniers mois. La surveillance des téléphones des islamistes présumés par les services de renseignement locaux permet de penser qu’il existe aujourd’hui des bases arrière dans les États de la région, tels que le Togo et le Ghana. Plus inquiétant encore sans doute, comme l’écrit le chercheur de l’institut Thomas More, « à rebours des discours sur une menace externe et la résilience des confréries (…) plusieurs dizaines de ressortissants ont rejoint ces dernières années des groupes jihadistes ».

►À écouter aussi : Terrorisme en Afrique de l'Ouest : pour Gilles Yabi, un « regain d'inquiétude justifié »

« Tout cela n’est guère étonnant », soutient Pierre Buyoya, selon lequel l’expansion vers les États côtiers a été planifiée dès 2012 lorsque les militants d’Aqmi (al-Qaïda au Maghreb islamique, NDLR) sont entrés dans le nord du Mali. « Cette ambition était déjà inscrite dans le nom programmatique de l’organisation matricielle Mujao (Mouvement pour l’unicité et le jihad en Afrique de l’Ouest, NDLR) dont sont issus les principaux leaders jihadistes qui font régner la terreur aujourd’hui au centre du Mali et au Burkina », explique le président Buyoya.

L’idée que cette extension du domaine de lutte jihadiste a été bel et bien programmée par ses idéologues est confirmée par les chercheurs qui rappellent que déjà en 2017 l’ex-chef rebelle touareg Iyad Ag Ghali appelait ses coreligionnaires à « poursuivre le jihad » dans de nouveaux espaces. Le chercheur Antonin Tisseron commence sa note en citant la vidéo diffusée sur les réseaux sociaux le 8 novembre 2018 et où on voit les principales figures du jihad dans la région, notamment le prédicateur peul Amadou Koufa lancer son appel en langue peule, enjoignant les musulmans à porter le jihad au-delà des terres de combat sahélien. Le Sénégal, le Mali, le Niger, le Bénin, la Côte d’Ivoire, le Burkina Faso, le Nigeria, le Ghana et le Cameroun sont quelques-uns des pays nommément cités dans la prédication filmée.

L’état d’alerte

Face à ces menaces d’attentats et de violences qui pèsent sur leurs territoires et leurs populations, les pays côtiers de l’Afrique de l’Ouest ne sont pas restés bras croisés. Au contraire, ils ont été plutôt réactifs, si l’on en croit d’Antonin Tisseron de l’Institut Thomas More, qui parle de « mobilisation » générale pour renforcer la sécurité aux frontières et à l’intérieur du pays.

En voici trois exemples :

1 - En Côte d’Ivoire, depuis l’électrochoc de l’attentat qui a secoué en 2016 la ville balnéaire de Grand Bassam, de nouvelles attaques n’ont certes pas eu lieu, mais les responsables sécuritaires ivoiriens ont pris conscience que leur pays constitue une cible privilégiée, surtout depuis qu’Abidjan a décidé de porter sa contribution à la Minusma (Mission multidimensionnelle intégrée des Nations unies pour la stabilisation au Mali, NDLR) de 150 à 800 hommes.

Parmi les nombreuses mesures qui ont été prises dans ce pays depuis 2016, il faut citer notamment la mise en place d’un schéma de sécurisation des frontières avec une attention particulière sur les 1 116 km de frontières que la Côte d’Ivoire partage avec le Mali et le Burkina Faso. Cela n’a pas empêché des commandos terroristes de préparer des attentats, déjoués jusqu’ici à temps grâce à la coopération avec le service de renseignements français. Le gouvernement ivoirien organise également à intervalles réguliers des exercices de simulation d’attaque pour sensibiliser la population aux menaces.

2 - Pour le Sénégal, « la mobilisation se traduit par une concentration des forces pour une meilleure coordination face à la menace terroriste », explique le colonel Adama Anta Guèye, directeur du Centre des Hautes Études de Défense et de Sécurité (CHEDS), basé à Dakar. « Nos pays sont en état d’alerte depuis plusieurs années », affirme le colonel.

Selon ce dernier, le dispositif sécuritaire sénégalais compte trois volets : premier volet, création d’une Délégation aux renseignements placée sous la présidence et qui réunit tous les services de renseignement de l’État; second volet, lancement d’une cellule d’intervention et de coordination interministérielle des opérations de lutte antiterroriste (CICO) placée sous l’égide du ministre de l’Intérieur et chargée de coordonner l’action des services de gendarmerie, la police et les sapeurs-pompiers en cas d’attaque, et, dernier volet, la formation de forces spéciales composées de meilleurs éléments de l’armée afin de neutraliser les agresseurs. « Dans sa lutte contre le terrorisme, poursuit le colonel Guèye, le Sénégal mise aussi beaucoup sur la cybersécurité. Le pays s’est doté d’une division spéciale dépendant de la police judiciaire en vue de traquer les jihadistes et les criminels qui passent par Internet pour propager leurs messages de haine et de violence. »

Une église méthodiste à Kumasi, au Ghana. Les églises sont les cibles privilégiées des attaques terroristes au Ghana. © C.C 4.0/Noahalorwu

3 – Le Ghana a, pour sa part, renforcé la sécurité sur les différentes zones menacées d’attaques terroristes, en particulier dans le nord de son territoire. Les autorités craignent que les églises qui sont nombreuses dans cette région ne soient vandalisées par les islamistes, en cas d’attaques. Ce pays qui a la réputation d’être un État stable et bien organisé avait donné la preuve de sa réactivité légendaire dans des contextes de crise en commandant, dès le lendemain de l’attaque de Grand Bassam, un rapport sur l’état des menaces terroristes auprès de son Conseil national de sécurité, raconte Antonin Tisseron dans sa note d’analyse. Ce rapport indiquait, noir sur blanc, que « le Ghana et le Togo sont les prochaines cibles après les attaques au Burkina Faso et en Côte d’Ivoire ».

C’est sans doute cet avertissement qui a conduit les autorités ghanéennes à lancer dès 2017 un nouveau mécanisme de coopération régionale, baptisé « l’initiative d’Accra », réunissant les pays côtiers de l’Afrique de l’Ouest, en plus le Burkina. L’initiative Accra se veut tout d’abord un cadre de concertation et d’échange de renseignements entre les pays membres, mais elle a également mené des opérations militaires dans la région.

Financée exclusivement par les États membres, l’Initiative d’Accra, saura-t-elle être cette « réponse africaine » (Pierre Buyoya) au terrorisme islamiste que les leaders du continent appellent de tous leurs vœux ? Rien ne garantit que cela suffise pour contenir l’avancée implacable des jihadistes qui en l’espace de quelques années ont glissé du nord Mali vers le centre du pays puis au Burkina Faso, jouant des frontières et des armées autrement plus puissantes que les forces réunies des petits pays du golfe de Guinée.


« Menace jihadiste : les États du golfe de Guinée au pied du mur », par Antonin Tisseron, chercheur associé à l’Institut Thomas More. Mars 2015, Note d’actualité 55.

 

Algérie: nouvelle manifestation nocturne, les interpellations se multiplient

Quelques centaines de personnes sont descendues jeudi soir dans les rues d'Alger contre la présidentielle du 12 décembre.
© REUTERS/Ramzi Boudina

A trois semaines de la présidentielle du 12 décembre, les manifestants continuent de rejeter le scrutin dans les conditions actuelles. En plus des marches qui ont lieu tous les mardis et tous les vendredis depuis plusieurs mois, une manifestation a eu lieu jeudi soir à Alger, comme la veille, malgré les dizaines d'interpellations menées par les forces de l'ordre intervenues pour les disperser.

Quelques centaines de personnes sont descendues jeudi soir 21 novembre dans les rues d'Alger contre la présidentielle et pour un changement du système à la tête de l'État algérien. Comme mercredi, plusieurs dizaines de personnes ont été interpellées, selon le Comité national pour la libération des détenus.

Des arrestations ont lieu régulièrement, au niveau national, notamment depuis dimanche dernier, date du coup d'envoi de la campagne électorale. Jeudi, l'agence APS en a annoncé 25, pour des tentatives de perturber le meeting du candidat Ali Benflis à Tiaret, même si le CNLD affirme que toutes ont été relâchées depuis.

Plusieurs condamnations ont été prononcées cette semaine. Mercredi, une peine de deux ans de prison ferme, en comparution immédiate après une arrestation pour le même motif. En début de semaine, quatre personnes ont écopé de 18 mois de prison ferme pour les mêmes raisons, à Tlemcen.

Climat de « répression »

Amnesty International dénonce un climat de répression et d'atteinte aux libertés. Hassina Oussedik, la directrice d'Amnesty pour l'Algérie, remarque que les choses se passent différemment lors des quelques marches favorables aux élections.

« Ces manifestations se passent très normalement, les gens expriment librement leur opinion. Alors que lorsque ce sont des manifestations opposées à l’élection, là on constate des restrictions, des arrestations, des interventions des forces de police. »

Les organisations de défense des droits humains présentes en Algérie s'accordent à dire qu'il est difficile de chiffrer précisément le nombre de personnes détenues, en lien avec le mouvement de contestation. Mais selon plusieurs estimations, elles seraient plus d'une centaine, sur l'ensemble du territoire.

Débat : « L’emmurement du monde disloque de l’intérieur les sociétés» |The Conversation

 

Le mur de Trump « emmure » aujourd’hui l’administration américaine, enlisée dans un shutdown historique.

Ce mur, que dénoncent de nombreux citoyens à travers le monde, n’en est qu’un de plus dans un monde qui compte aujourd’hui 53 murs,

soit 40,000 kilomètres divisant les humains, contre 16 au début du XXIᵉ siècle.

Jean-François Bayart, Graduate Institute – Institut de hautes études internationales et du développement (IHEID)

 

                                                         
                                               Fresque de l’artiste Seth, Saint-Denis, Réunion, avril 2017.
                                Vherbreteau/Wikimedia,
CC BY-NC-SA

Il est loin, le temps du démantèlement du mur de Berlin et des prophéties sur la « fin de l’Histoire » que celui-ci a inspirées. Certes, la chute de l’empire soviétique et le triomphe de l’idéologie de marché ont décloisonné le monde.

La Chine et le Vietnam se sont ouverts, l’apartheid a été aboli, l’Europe a institué la libre circulation en son sein. Mais ce mouvement a vite rencontré ses limites.

                                                     
                                       La Grande Muraille à Mutianyu. Annaleaalbright/Wikipedia, CC BY-NC

La Corée du Nord est demeurée un royaume ermite, et Israël, faute de savoir trouver un accord de paix avec les Palestiniens, s’est à son tour emmuré.

Surtout, les États-Unis et l’Union européenne ont mis en œuvre un prohibitionnisme migratoire de plus en plus contraignant, depuis le 11 Septembre et la montée électorale de l’identitarisme politique.

En outre, l’emmurement du globe ne vise plus seulement à sanctuariser la souveraineté ou la sécurité de l’État-nation. Il segmente les sociétés elles-mêmes avec la prolifération de gated communities, dans les grandes métropoles urbaines, que ceignent des clôtures et contrôlent des compagnies privées de gardiennage.

                                                            
                                            Une gated community en Angleterre. N Chadwick/Geograph, CC BY-SA

Fables antiques

Tout n’est pas neuf dans cette évolution. Après tout, la Chine avait sa Grande Muraille, et l’Empire romain s’y était essayé. Les villes du Moyen-Âge et de l’Âge moderne étaient fortifiées, et ces dispositifs de défense n’ont été arasés que tardivement, sans d’ailleurs que soient toujours supprimés les octrois à leurs portes.

Le capitalisme a titrisé la terre, ce qui s’est généralement traduit par sa clôture, sauf dans les pays de « vaine pâture ». Les enclosures remontent, en Angleterre, au XVIIIᵉ siècle. Et la bourgeoisie du XIXe siècle s’est plu à entourer les parcs de ses propriétés de belles enceintes de pierre.

Il se peut même que l’emmurement contemporain reprenne inconsciemment le vieux mythe selon lequel Alexandre le Grand aurait enfermé, quelque part entre le Caucase et le nord himalayen, derrière une muraille infranchissable, les peuples de Gog et Magog, les nations de l’Antéchrist et les dix tribus d’Israël, pour les empêcher de déferler sur le monde. Cette fable antique a ensuite fusionné avec les prophéties bibliques (Ezéchiel XXXVIII, 16 et Apocalypse, XX, 7-8).

       
Alexander monte un mur contre Gog et Magog (Hellenic Institute codex 5 f. 179v (Alexander Romance recension gamma), XIVᵉ siècle. Nicolette S. Trahoulias/Wikimedia, CC BY

Aux yeux de l’Occident, les peuples dangereux, dans cette veine, ont été successivement les Scythes, les Mongols supposés Tartares, les Ottomans dits Turcs, et les Juifs, les uns se confondant souvent avec les autres, et animés de cette volonté commune de fondre sur l’ecclesia en acclamant l’Antéchrist. Notre temps continue de ruminer de très anciennes peurs millénaristes dont le « péril jaune », et aujourd’hui musulman, est un avatar.

Trois dangers inédits

Néanmoins, la murophilie actuelle revêt trois dangers inédits. Elle introduit une disjonction potentiellement explosive entre, d’une part, une intégration forcenée de la planète dans les domaines de la finance, du commerce, de la technologie, du sport, des loisirs, de la culture matérielle ou spirituelle, et, d’autre part, le cloisonnement de plus en plus coercitif, voire militarisé, du marché international de la force de travail et de la circulation des personnes.

S’imaginer que la majorité de l’humanité va rester sur le seuil du magasin de la globalisation, qu’on lui interdit de franchir, sans défoncer sa porte et faire voler en éclat sa vitrine relève de l’irénisme.

   
Vue du mur de Berlin, 1986. Bethaniendamm, Berlin-Kreuzberg. Thierry Noir, CC BY-NC-ND

En deuxième lieu, l’endiguement des barbares corrompt de l’intérieur la cité qu’il prétend protéger. Il implique des régimes juridiques dérogatoires au détriment des étrangers, assimilés à des ennemis. Ces législations progressivement s’étendent aux citoyens eux-mêmes, instaurent des états d’exception qui deviennent des États d’exception, et banalisent une abjection d’État, laquelle s’institutionnalise en États d’abjection.

La « servitude volontaire »

Au nom de la lutte contre le terrorisme et l’immigration clandestine, les libertés publiques sont de plus en plus menacées dans les pays occidentaux ; le droit d’asile et le droit de la mer sont bafoués ; la politique de refoulement de l’Union européenne provoque chaque année plus de morts en Méditerranée et dans le Sahara que trois décennies de guerre civile en Irlande du Nord ; les États-Unis séparent les enfants de leurs parents en attendant la construction de la barrière anti-latinos sur leur frontière avec le Mexique ; Israël a perdu toute mesure dans le containment des Palestiniens ou l’expulsion des Africains. Or, cet État d’abjection reçoit l’onction du suffrage universel et peut se réclamer d’une légitimité démocratique. Avec et derrière les murs prospère la « servitude volontaire ».

Enfin, l’emmurement du monde disloque de l’intérieur les sociétés. Il privatise l’espace public et la ville elle-même. Il externalise les frontières des États les plus puissants au sein d’autres États dépendants, à l’instar de l’Union européenne au Sahel, et éventre leur souveraineté.

Il recourt à la biométrie qui le rend invisible, et son immatérialité segmente à l’infini la cité. Dans la Chine orwellienne d’aujourd’hui, par rapport à laquelle le totalitarisme maoïste prend des airs de passoire, chaque escalier mécanique, chaque carrefour, chaque place, surveillé électroniquement, est un mur qui reconnaît en vous le bon ou le mauvais citoyen, et peut vous empêcher de monter dans l’avion ou le train. Il est à craindre que les marchands de peur et de biométrie n’appliquent vite la recette aux démocraties libérales. Murs de tous les pays, unissez-vous !


Cet article a été d’abord publié dans la nouvelle édition de Globe en novembre 2018, la revue de l’Institut (Graduate Institute) et Global Challenges (n°4, 2018), dans le cadre de son dossier spécial dédié aux murs du monde.

Jean-François Bayart, Professeur et titulaire de la Chaire Yves Oltramare Religion et politique dans le monde contemporain, Graduate Institute – Institut de hautes études internationales et du développement (IHEID)

This article is republished from The Conversation under a Creative Commons license. Read the original article.

Forum de Dakar: le mandat de la Minusma au cœur des débats

Un véhicule de la Minusma dans un village du Mali (image d'illustration).
© AFP/Sebastien Rieussec

Tout au long du forum sur la paix et la sécurité de Dakar, les critiques se sont fait entendre contre l’ONU et la Minusma. Les présidents sénégalais et mauritanien ont appelé tour à tour les Nations unies à se réformer et ont réclamé un mandat renforcé pour la mission de l’ONU au Mali. Une demande récurrente ces dernières années alors que la Minusma peut en réalité déjà avoir recours à la force si nécessaire.

Ce possible usage de la force est consacré par le chapitre 7 de la charte des Nations unies, accordée à la Minusma dès sa création en 2013. Mais face à une situation sécuritaire qui ne cesse de se dégrader, le Conseil de sécurité de l’ONU va décider de lui accorder trois ans plus tard un mandat « plus robuste » en l’autorisant à utiliser « tous les moyens nécessaires » pour accomplir sa mission. Ainsi, est-il précisé dans le texte de la résolution, la Minusma peut « anticiper et écarter les menaces » et « prendre activement des dispositions musclées pour contrer les attaques asymétriques dirigées contre des civils ». De fait, le mandat de la Minusma est le plus vaste jamais confié à une mission onusienne.

Si théoriquement la mission a donc la possibilité d’intervenir, en pratique elle ne le fait guère car selon Arthur Boutellis, conseiller senior à l’International Peace Institute, elle n’est pas configurée pour le combat, en raison notamment, d’un déficit en terme de renseignement tactique.

Vous ne ferez jamais d'une force de maintien de la paix, une force de contre-terrorisme efficace et ce n'est pas sa vocation.

Arthur Boutellis, conseiller senior à l’International Peace Institute
20-11-2019 - Par Pierre Firtion
 

Un mandat de contre-terrorisme pour la Minusma ?

Mais au-delà de l’aspect technique, il y a aussi et surtout, un questionnement politique. Une force de maintien de la paix comme la Minusma a-t-elle vocation à faire du contre-terrorisme ? Car c'est ce qu'on lit entre les lignes des déclarations du président sénégalais Macky Sall, et de son homologue mauritanien Mohamed Ghazouani. Mais, dans la charte de l’ONU, le contre-terrorisme n’est en aucun cas l’objet d’une mission de maintien de la paix et élargir à ce point le mandat de la Minusma serait un saut conceptuel que ne seraient pas prêtes à faire ni la Chine, ni la Russie, très soucieuses de conserver les limites du champ d’action des Nations unies, précise notre correspondante à New York, Carrie Nooten

A l’ONU on se demande aussi s'il était utile d’aller plus loin. L’opération Barkhane et la force conjointe du G5 Sahel sont justement tout deux mandatées pour effectuer ces missions spéciales, débusquer et traquer les terroristes. Les compétences en matière de renseignement, de coordination aux frontières ne sont pas celles auxquelles les casques bleus sont formés. Les membres du Conseil de sécurité tiennent justement une réunion sur le G5 Sahel ce mercredi à New York.

La plupart partagent la position du secrétaire général Antonio Guterres, et réclament que la Force G5 Sahel prenne plus d’importance, que son dispositif prenne de l’ampleur. Près de la moitié des 414 millions d’euros promis au lancement de la force ont déjà été versés.

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