Le Vatican en cessation de paiement ? Malgré les dénégations, mardi 22 octobre, dans un entretien au quotidien L’Avvenire, d’un responsable des finances vaticanes, le risque est réel à l’horizon 2023 selon Gianluigi Nuzzi. Son dernier livre, Giudizio universale (Jugement dernier) vient de paraître en Italie.
Parmi les nombreux documents internes que cite le journaliste à l’origine des Vatileaks, une note du Conseil pour l’économie du printemps 2018 souligne ainsi combien « le déficit, récurrent et structurel, a atteint des niveaux préoccupants, au risque de conduire à la cessation de paiement faut d’intervention urgente ».
De l’explosion des frais généraux à celle des dépenses de personnel, les chiffres publiés sont alarmants, malgré les exigences du pape pour limiter les dépenses. Mais, selon Nuzzi, 90 % des dépenses du Vatican se font hors des règles.
La réforme du pape « anesthésiée, bloquée, sabotée »
Résultat : le déficit du Saint-Siège (qui n’a pas publié de comptes précis depuis 2012) se creuse. De 32 millions d’euros en 2017, il devrait être de 95,3 millions en 2019 ! « Cette situation sérieuse met en danger la soutenabilité financière du Saint-Siège à moyen terme et influe sur les ressources disponibles pour soutenir la mission de l’Église », met en garde le Conseil pour l’économie.
Dès le début de son pontificat, François a pourtant entamé une sérieuse réforme des finances. Mais Gianluigi Nuzzi souligne combien celle-ci est « anesthésiée, bloquée, sabotée » par la Curie. Il met principalement en cause l’impossibilité, pour ceux-là mêmes que François a chargés de cette tâche, de contrôler efficacement les comptes. « Il manque les informations fondamentales pour déterminer de manière exacte et correcte le déficit », dénonce ainsi une fidèle du pape lors d’une réunion. Près de la moitié des dépenses ne seraient pas contrôlées.
Gestion « défectueuse, incompétente et rendant possible la corruption »
Gianluigi Nuzzi met en avant deux points noirs. D’abord le bureau administratif de la Secrétairerie d’État qui gère les dépenses du pape et n’admet aucun contrôle sur ses comptes. Même les gens envoyés par le pape n’y ont pas accès ! Ce bureau est aussi responsable du Denier de Saint-Pierre dont l’auteur décrit la gestion hasardeuse et le recul important des dons (lire ci-dessous).
Au point noir : l’Administration du patrimoine du Siège apostolique (Apsa), qui fait office de banque centrale du Vatican. « Un État dans l’État », résume Nuzzi. L’organisme gère aussi le patrimoine immobilier du Saint-Siège estimé à 2,7 milliards d’euros et dont il dénonce « la catastrophique gestion immobilière ». Sur les 3200 biens en location, 15 % sont occupés à titre gratuit et le reste ne rapporte que 10 % de ce qu’il devrait…
Quant au patrimoine mobilier, des experts mettent en cause une gestion « défectueuse, incompétente et rendant possible la corruption ». Des cardinaux y ont ainsi des comptes en banque affichant plus de 2 millions d’euros, ce qui a provoqué une grande colère du pape. François exige qu’ils soient clôturés, « im-mé-di-a-te-ment », selon des propos relatés dans le livre.
Mais, ici encore, la réforme se heurte à l’inertie de la Curie. Nommé « réviseur général » en 2015, avec une très large indépendance, Libero Milone en fera les frais. Gianluigi Nuzzi raconte de façon convaincante comment il fait face au cardinal Domenico Calcagno, président de l’Apsa, et à Mgr Giovanni Angelo Becciu, substitut de la Secrétairerie d’État, qui a la haute main sur le bureau administratif.
Une enquête interne est désormais possible
Il décrit le complot dans lequel tombe Libero Milone, forcé à la démission en 2017, comme l’exemple le plus abouti des opérations de délégitimation auxquels doivent faire face les proches du pape, des laïcs, souvent non-italiens, face à un système clérical italien très abouti.
Faut-il en conclure à l’échec de François ? Pas forcément : la « promotion » en 2018 de Mgr Becciu comme préfet de la Congrégation des causes des saints et le remplacement, au même moment du cardinal Calcagno à l’Apsa, montrent que François tient tête aux oppositions.
Surtout, la récente mise à l’écart de tous les responsables de la mauvaise gestion du Denier de Saint-Pierre (tous proches de Mgr Becciu) puis la démission du chef de la Gendarmerie vaticane (bras armé de l’ex-substitut pour pousser vers la sortie Libero Milone) soulignent que, même si la pourpre protège toujours certains, une enquête interne est désormais possible et que des contrôles aboutissent à force de persévérance.
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Le Denier de Saint-Pierre en chute libre
Parmi les chiffres analysés par Gianluigi Nuzzi, ceux du Denier de Saint-Pierre sont particulièrement inquiétants. L’auteur décrit le détournement de cette offrande présentée comme finançant la charité du pape, mais dont 85 % à 90 % servent à la Curie : « On vole Pierre pour payer Paul », résume un responsable. Il souligne aussi la baisse drastique des dons depuis le pontificat de Benoît XVI, passés de 101 millions d’euros en 2006 à 70 millions en 2015.
Selon les chiffres de 2014 décortiqués dans le livre, les seuls donateurs à voir augmenter leurs dons sont les catholiques français (+ 80 %), deuxièmes plus gros donateurs privés après les Américains. Autre information : les dons des pèlerins visitant le Vatican depuis que François est pape sont en nette augmentation.