Par Marwane Ben Yahmed
Marwane Ben Yahmed est directeur de publication de Jeune Afrique.
" Je suis homme, l'injustice envers d'autres hommes révolte mon coeur. Je suis homme, l'oppression indigne ma nature. Je suis homme, les cruautés contre un si grand nombre de mes semblables ne m'inspirent que de l'horreur. Je suis homme et ce que je voudrais que l'on fit pour me rendre la liberté, l'honneur, les liens sacrés de la famille, je veux le faire pour rendre aux fils de ces peuples l'honneur, la liberté, la dignité. " (Cardinal Lavigerie, Conférence sur l'esclavage africain, Rome, église du Gesù)
NOS ENGAGEMENTS POUR LA JUSTICE T LA PAIX En vivant proches des pauvres, partageant leur vie. Dans cette rubrique, nous aborderons différents engagements des Missionnaires d'Afrique, en particulier notre présence auprès des enfants de la rue à Ouagadougou et la défense du monde paysan.
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Au marché de Dakar, Modou Fall transpire sous son attirail. Recouvert de sacs plastique de la tête aux pieds, il propose un troc. « On va chercher des commerçants ou des personnes avec des sacs plastique pour faire un échange avec des sacs en papier », explique-t-il.
Pour Babacar, de l’association Sénégal Propre, il faut marquer les esprits en « montrant que le plastique va nous bouffer ».
Modou Fall, ancien militaire, a changé de combat depuis l’armée. « C’est du poison, martèle-t-il. Pas de recyclage. Qu’on arrête de produire des sacs plastique. » L’homme plastique déambule au milieu de la foule qui se retourne sur son passage. Certains s’éloignent en souriant, d’autres jouent le jeu et échangent avec Modou Fall.
À la fin de la journée, tous les sacs en papier ont été distribués. Mais l’autre bête noire de Modou Fall et ses camarades, ce sont les sachets d’eau : aussitôt bus, aussitôt jetés.
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RFI : Alain Antil, vous avez une formation de géographie politique et vous êtes spécialiste du Sahel. Vous avez publié cette année dans la revue Politique étrangère une étude très remarquée sur les pays du Sahel, intitulé « Sahel : soubassements d’un désastre ». Vous êtes plutôt pessimiste sur le devenir de ces pays. Pourquoi ?
Alain Antil : Mon étude porte sur une partie des Etats sahéliens, à savoir les Etats-membres du G5 : la Mauritanie, le Mali, le Niger, le Tchad et le Burkina Faso. Dans ces pays, on assiste à ce que j’appelle une « déprise » de l’Etat sur son propre territoire, phénomène particulièrement prononcé au Burkina Faso et au Mali. Face à la flambée de violences terroristes que ces pays connaissent, les représentants des Etats ont parfois abandonné les zones de conflit. Ils n’assurent plus ni leurs tâches régaliennes de défense et de sécurité du territoire ni leurs attributions sociales en matière notamment d’éducation et de santé. Dans mon étude, je fais référence à cette incapacité des Etats sahéliens à régler les problèmes de leurs populations, à laquelle s’ajoutent les fondamentaux démographiques et économiques qui sont particulièrement préoccupants, laissant craindre une dégradation de la situation. Voilà pourquoi je suis plutôt pessimiste sur le devenir de ces pays au cours de la prochaine décennie.
Selon les dirigeants des pays incriminés, la détérioration de leur situation sécuritaire est la conséquence de l’effondrement du régime libyen et la dissémination de ses armes et ses arsenaux à travers tout le Sahel. Qu’en pensez-vous ?
Il y a une conjonction de raisons qui, depuis 2012, ont contribué à cette accentuation de violences dans les pays du Sahel. Au Mali, par exemple, le gouvernement a un problème avec la partie nord du pays depuis l’indépendance. Dès 1963-64, ce pays a connu les premières rébellions, suivies des revendications plus ou moins violentes par des mouvements autonomistes. Bien évidemment, le pays a aussi subi le contrecoup de l’effondrement du régime libyen, avec une circulation accrue des armes venues des arsenaux libyens dans les espaces sahéliens, tout comme d’ailleurs les armes libyennes ont pu pénétrer d’autres espaces. La dissémination des armes libyennes ainsi que le retour au bercail à partir de la fin de l’année 2011 de militaires d’origine malienne de l’armée de Kadhafi, ont accentué les tensions et les déséquilibres pré-existants. Dans ces conditions, expliquer ce qui se passe aujourd’hui au Sahel par le seul facteur libyen, est exagéré, à mon avis. D’autant que l’extension de violences que connaissent ces pays s’accompagne d’une hybridation de conflits et une diversification de la palette de violences. Certes, la terreur perpétrée par les jihadistes est une réalité, mais force est de reconnaître que les attaques jihadistes ne sont pas responsables de 100% des victimes qu’on déplore dans les pays sahéliens. Il y a de plus en plus de luttes intercommunautaires dont les acteurs sont les groupes armés non-jihadistes et les milices communautaires. Certaines victimes résultent d’exactions commises par les forces de sécurité nationale elles-mêmes sur leurs propres populations.
Peut-on parler aujourd’hui d’un terrorisme endogène ?
Historiquement, le terrorisme est arrivé au Sahel depuis l’Algérie. C’est évidemment l’histoire du GSPC (Groupe salafiste pour la prédication et le combat) qui s’est installé au Sahel - notamment au nord du Mali - au début des années 2000. Et puis, à partir de 2006-2007, le GSPC est devenu AQMI (Al-Qaïda au Maghreb islamique) et ce faisant se dotait non plus d’un agenda strictement algérien mais d’une vraie ambition régionale. AQMI a commencé à recruter de plus en plus de combattants sahéliens, ce qui a modifié progressivement la sociologie de ce groupe. Comme il y avait de moins en moins d’Algériens et de plus en plus de Sahéliens, la question s’est posée de savoir pourquoi un mouvement composé en grande partie de combattants maliens, mauritaniens ou de nigériens devraient être commandés exclusivement par des Algériens. C’est le moment où AQMI éclate en plusieurs mouvements avec l’émergence du groupe Ansar Dine et du Mujao (Mouvement pour l’unicité et le jihad en Afrique de l’Ouest). C’est le début de l’endogénisation de ces mouvements. Nous sommes alors en 2011-2012. On compte aujourd’hui une dizaine de katibats opérant dans le Sahel, à cheval sur la frontière du Niger, du Mali et du Burkina Faso. Certains de ces katibats ont des ancrages communautaires indéniables.
Vous écrivez face à ces groupes, les appareils sécuritaires des Etats sont débordés…
Il faut voir l’évolution de certaines régions sahéliennes comme une véritable déprise de l’Etat. L’Etat partage la gouvernance avec d’autres acteurs : des acteurs jihadistes, mais pas seulement. Il y a aussi des milices communautaires, des vigilantes, comme les groupes d’autodéfense burkinabè koglwego qui se sont créés depuis 2013 et dont les miliciens assurent la sécurité au quotidien des populations dans de nombreuses zones. Ce sont des groupes de ce genre, organisés sur la base du volontariat populaire, qui assurent désormais la lutte contre le banditisme ou la criminalité dans de nombreuses localités rurales, qui font régner l’ordre et voire parfois arrêtent les gens et les traduisent en justice. C’est la faillite des forces de défense et de sécurité étatiques.
Cette déprise de l’Etat ne concerne pas seulement le secteur sécuritaire...
Le système judiciaire est un très bon exemple de ce phénomène à l’œuvre dans un certain nombre de pays du Sahel, certes de manière variable d’un pays à l’autre. Cette déprise, qu’elle soit sécuritaire ou qu’elle concerne d’autres aspects de l’intervention de l’Etat ne frappe pas les pays du G5 de la même manière. La Mauritanie est pour l’instant relativement épargnée. Néanmoins, prenez le cas du Mali. Notamment dans le Nord ou le Centre du pays, les populations ne font vraiment plus confiance à la justice de l’Etat, qui est perçue comme corrompue ou illisible. C’est particulièrement vrai pour les zones rurales où face à la corruption des agents judiciaires et l’illisibilité du droit, les populations font parfois plus confiance aux salafistes-jihadistes qui se sont infiltrés profitant des béances du système judicaire. Ils ont installé un système de justice alternatif à celui de justice étatique malienne. Les échos que l’on a des gens qui reviennent du terrain, c’est que cette justice, appliquée souvent durement, est néanmoins perçue comme moins corrompue et plus lisible que la justice nationale. C’est un phénomène inquiétant parce qu’il implique la remise en cause finalement de la gouvernance même de l’Etat.
Qu’en est-il du système éducatif, apparemment en perdition, comme vous l’indiquez dans votre étude ?
C’est un sujet encore plus tragique que la justice parce que depuis les années 1980, les pays sahéliens ont fait beaucoup d’efforts en matière d’éducation pour la démocratiser. Avec l’aide de la Banque mondiale notamment, ils ont augmenté le budget de l’éducation. Or, la croissance démographique est tellement importante dans ces pays que les systèmes éducatifs n’ont pas résisté à cettemassification de l’enseignement. Le système a réellement explosé, avec la détérioration de la qualité de l’enseignement, notamment dans le primaire et le secondaire. Il y a deux ans, l’Etat nigérien a évalué ses enseignants contractuels pour constater que 2/3 de ses enseignants n’ont pas réussi à avoir la moyenne à des examens qui étaient pourtant assez simples. Parallèlement, les jihadistes et les islamistes tentent de faire fermer les écoles qui, disent-ils, transmettent les idées occidentales nocives.
Ces faillites multidimensionnelles constituent à vos yeux le soubassement du désastre sahélien. Comment ces pays peuvent-ils encore s’en sortir ?
Au centre de tous les problèmes qu’on vient d’évoquer, il y a l’exaspération des populations vis-à-vis des élites étatiques qu’elles considèrent comme corrompues et ne travaillant pas pour l’intérêt général. J’ai fait mention dans mon étude de l’histoire de cet ambassadeur allemand au Mali qui, interrogé par les médias locaux en juillet 2019, a affirmé qu’en raison de la corruption du système judiciaire, il ne pouvait conseiller à des entreprises de son pays à investir au Mali. La corruption, la mauvaise gouvernance sont les problèmes centraux dans les pays du Sahel. Les partenaires internationaux peuvent les dénoncer, les pointer du doigt, mais l’initiative des réformes revient aux forces politiques nationales. Tant qu’il n’y aura pas de sursaut des élites de ces pays, les efforts seront vains. Les partenaires internationaux peuvent accompagner ce sursaut, mais ne peuvent le susciter.
La crise du Sahel mais aussi sa possible contagion dans toute la sous-région sont au coeur de la réflexion que conduit cette sixième édition du Forum de Dakar. Cette menace vous paraît-elle réelle ?
Certains pensent en effet que le jihadisme sahélien pourrait s'étendre à de nouveaux pays. Quels seront ces pays ? La sécurité a été renforcée aux frontières nord du Bénin et de la Côte d'ivoire. Le Sénégal est en alerte depuis plusieurs années car il craint, lui aussi, des attaques jihadistes sur son sol. Les pays voisins du G5 sont très inquiets de la possibilité de glissement et d'évolution du jihadisme vers leurs propres pays. L'inquiétude est dans toutes les têtes, comme on a pu le constater lors de la récente réunion au Ghana des différents pays du Golfe de Guinée, baptisée « l’initiative d’Accra ». Ces pays veulent se prémunir contre l'arrivée chez eux du jihadisme venu du Sahel. Il y a un questionnement sur comment coopérer avec les pays du Sahel pour éviter que cela arrive.
Alain Antil est chercheur, responsable du Centre Afrique subsaharienne de l'Ifri. Ses domaines de spécialisation sont : questions politiques et sociales, sécurité/terrorisme, trafics dans les pays du Sahel, et plus généralement en Afrique de l’Ouest.
Depuis le 29 octobre, les inspecteurs du ministère de la Santé sont à pied d'œuvre. Ils ont commencé un travail d’inventaire des tous les médicaments dans les 400 dépôts pharmaceutiques de Nouakchott pour en déterminer l’origine et la qualité.
C’est notamment le cas d’Ahmed Mohamed Boudahi, inspecteur général : « Nous agissons dans le cadre d’une réorganisation du secteur pharmaceutique du pays. Nous voulons que tous les acteurs se conforment à la loi de 2010 sur les pharmacies. Ce n’est pas souvent le cas. Il faut respecter le cahier de charge pour avoir l’agrément en vue de l’ouverture d’un dépôt de médicaments et d’une pharmacie avec un docteur dans ce domaine en permanence. Il faut que les médicaments soient de bonne qualité et bien conservés. »
En cas de non-respect du cahier des charges, l’inspecteur général du ministère de la Santé réaffirme la fermeté du gouvernement : « Le 30 novembre, c’est la fermeture des officines qui n’auront pas rempli le cahier de charge. »
Beaucoup de pharmaciens trouvent le délai très court. Ils envisagent demander au gouvernement un délai d’un mois supplémentaire.
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Comment une nation pourrait-elle dépendre indéfiniment ďun seul homme, aussi providentiel soit-il ? Dans certains pays d'Afrique, le vrai problème est moins l'âge des dirigeants que leur longévité au pouvoir. Il faut donc les aider à apprendre à passer la main.
«On ne peut pas faire son temps et prétendre faire celui de ses enfants. » C’est la réponse d’Alpha Oumar Konaré, l’ancien président malien, à des journalistes qui l’interrogeaient sur ses intentions avant la présidentielle de 2013. Sage adage dont pourraient s’inspirer nombre de nos chefs, en Afrique centrale notamment, puisque c’est le mauvais élève, en la matière, de notre continent.
Car la question de la longévité au pouvoir des hommes politiques et du renouvellement des générations de dirigeants de tous bords est délicate. Elle est aussi… vieille comme le monde. L’enquête que nous consacrons cette semaine aux ambitions contrariées des quadragénaires de la classe politique ivoirienne en atteste. La plupart racontent les écueils, les chausse-trapes et les résistances auxquels ils ont été et restent confrontés. Mais le problème est identique, voire plus aigu sous d’autres latitudes.
En Algérie, par exemple, qui attend désespérément que la génération de l’indépendance et celle qui a suivi passent la main. Et aussi au Cameroun, où la plupart des hauts postes de dirigeants sont accaparés par des gérontes.
Et ce n’est pas seulement une question d’état-civil. En Afrique comme ailleurs, la moyenne d’âge des présidents est légèrement supérieure à 60 ans. Partout dans le monde, on a vu réussir de « jeunes » chefs d’État, comme d’autres pourvus d’une longue et riche expérience. Pas question, donc, de faire du jeunisme à tout prix, mais il va de soi que, plus le temps passe, plus on doit affronter de sérieuses difficultés physiques et/ou intellectuelles.
La vitalité d’un homme ou d’une femme de 80 ans n’est plus la même qu’à 50 ans. Les anciens savent, sans doute, mais ils ne peuvent plus. En tout cas pas suffisamment pour exercer d’aussi lourdes responsabilités. Surtout, comment pourraient-ils rester en phase avec des administrés en moyenne trois ou quatre fois plus jeunes qu’eux ? Comprendre leurs aspirations et l’évolution de leurs modes de vie ? S’adapter à des changements sociétaux beaucoup plus rapides que naguère ?
À vrai dire, le vrai problème est moins celui de l’âge que de la longévité au pouvoir. Car ce dernier use, isole, déforme la perception de la réalité. Au bout de dix, vingt ou trente ans (suivez mon regard), ils sont immanquablement rattrapés par leur hubris : ils se croient indispensables et tout-puissants. En ces circonstances, l’entourage des chefs joue le plus souvent un rôle néfaste.
Pour conserver leurs privilèges, conseillers, ministres et thuriféraires s’emploient à convaincre le « patron », mais aussi ses concitoyens, que le pays a encore besoin de lui. Qu’il lui faut parachever son œuvre. Que personne n’est à son niveau et ne peut rêver s’en approcher un jour. Argument spécieux s’il en est : comment une nation pourrait-elle dépendre à ce point d’un seul homme, aussi providentiel soit-il ? Comment ce qui n’a pas été fait en quinze ans pourrait-il l’être au cours d’un nouveau mandat ? Quel constat d’échec !
Si un seul monopolise le pouvoir de légiférer, de décider et de juger, il risque fort d’y avoir une corruption du système
Il faut aider les hommes de pouvoir à s’autolimiter, à apprendre à passer la main. « Seul le pouvoir peut arrêter le pouvoir, mais il est clair que si un seul, ou un clan, monopolise le pouvoir de légiférer, de décider et de juger, il risque fort d’y avoir une corruption du système », écrivait déjà Montesquieu. C’est peu dire. La plupart de ceux qui s’accrochent à leur poste modifient à loisir la Constitution pour pouvoir briguer un énième mandat.
Généralement au dernier moment… Ils le font aussi parce qu’ils ont peur de l’avenir. Le leur et celui de leurs proches. Certains s’efforcent quand même d’organiser leur succession en respectant les règles. Hier, ce fut le cas du Mauritanien « Aziz ». Ce sera sans doute celui, demain, du Nigérien Issoufou. Ce n’est certes pas la panacée, mais c’est mieux que rien…