En ce jour de fête, Ibrahima Kassory Fofana a fait un effort. En liberté ou derrière les barreaux, c’est toujours l’Aïd el-Fitr à Conakry. Alors l’ancien Premier ministre a revêtu son plus beau bazin et reçu ses visiteurs, le sourire aux lèvres. Surtout, ne pas perdre la face.
Cela fait tout juste deux semaines qu’il a rejoint sa cellule de la maison centrale de Coronthie aux côtés de trois autres anciens ministres d’Alpha Condé – Mohamed Diané auparavant à la Défense, Oyé Guilavogui à l’Environnement et Diakaria Koulibaly aux Hydrocarbures, ce dernier ayant depuis été libéré. Tous sont accusés de détournement de deniers publics, enrichissement illicite, corruption, blanchiment de capitaux et complicité. Le 19 mai, Kassory Fofana avait pourtant goûté l’espoir de pouvoir quitter la prison dont il était sorti pour quelques heures, avant d’être finalement ramené dans sa cellule.
La dernière demande de remise en liberté de ces caciques, datant du 31 mai, a également été rejetée par la cour d’appel de Conakry. « La chambre d’appel les a maintenus en détention au motif qu’il est trop tôt pour les relâcher et qu’il y avait un risque de dissimulation des preuves, précise l’un de leurs nombreux avocats. Ce qui est ridicule, car ils auraient eu toute la liberté de le faire depuis le 5 septembre [date du coup d’État qui a déposé Alpha Condé]. Elle a aussi mis en avant le risque d’échange entre les co-accusés, alors même qu’ils dorment dans la même cellule ! »
Les conseils de Kassory Fofana évoquent une « Guinée hors-la-loi » et dénoncent le non-respect des droits de leur client. « Depuis le 6 avril, rien ne se passe. Il n’a même pas été entendu sur le fond, s’insurge l’un d’entre eux. La phase d’enquête est terminée, mais le dossier est vide. »
Un parti morcelé
Pour sortir de prison, Kassory Fofana n’a pas lésiné sur les moyens, n’hésitant pas à renforcer son équipe d’avocats guinéens en leur adjoignant des ténors du barreau de la sous-région et de France et en faisant appel à une société de relations publiques, Skaï communications. Son entourage insiste sur le fait que plusieurs chefs d’États ouest-africains, comme Alassane Ouattara, Faure Gnassingbé ou Macky Sall, se sont personnellement mobilisés en sa faveur.
Son parti est aussi derrière lui et « s’organise » pour le libérer, martèlent ses proches. Mais que peut le RPG Arc-en-ciel pour son nouveau leader ? D’autant que si l’ancien Premier ministre s’est fait élire le 31 mars dernier par plus de 350 délégués venus prendre part à la convention extraordinaire du parti, plusieurs cadres importants, comme l’ex-président de l’Assemblée nationale Amadou Damaro Camara ou les anciens ministres Mohamed Diané et Ibrahima Khalil Kaba étaient absents. Les luttes d’influence au sein de la formation fondée par Alpha Condé fragilisent Kassory Fofana, à un moment où celui-ci aurait bien besoin de soutiens.
Ce n’est pas juste qu’il hérite d’un parti morcelé, dont la majorité des cadres sont soumis par la junte au pouvoir à une interdiction de quitter le territoire et menacés par des poursuites judiciaires. C’est aussi, surtout, qu’il a été désavoué par le patron du parti lui-même. De retour à Conakry pour un mois, Alpha Condé, qui a depuis quitté le pays pour recevoir des soins, a assuré devant ses partisans n’avoir légué son parti à personne. Son ancien Premier ministre avait pourtant déclaré le contraire, s’appuyant sur une lettre manuscrite dont il assurait qu’elle avait écrite par Alpha Condé.
Le document est-il ou non véridique ? Une chose est sûre : Alpha Condé a pris soin de préciser que le RPG reste son parti. « Il a dit qu’il avait conseillé de mettre en place une commission, pour expédier les affaires courantes. Mais il a bien précisé qu’il n’avait pas désigné quelqu’un nommément », assure une source ayant rencontré le président déchu lors de son passage à Conakry. De quoi conforter les réfractaires à la prise de pouvoir de Kassory Fofana, qui n’imaginaient pas un instant qu’Alpha Condé décide de céder sa formation. Du moins, pas de son vivant et pas de son plein gré, murmure-t-on dans les rangs du RPG.
Un hold-up précipité ?
« Don Kass » a-t-il joué ses pions trop précipitamment, ou au mauvais moment ? Ou pensait-il justement que ses nouvelles fonctions au sein du RPG pouvaient jouer un rôle de bouclier entre lui et la junte militaire, lancée dans une opération anti-corruption tous azimuts ? « Pas du tout. Il a assumé ses responsabilités, voilà », insiste Niamey Diabaté, l’un de ses plus proches collaborateurs. Il ajoute néanmoins : « il risquait dans tous les cas d’aller en prison. Tant qu’à être incarcéré, autant l’être avec un certain poids politique. »
Prison ou pas, voilà donc Kassory Fofana à un poste qu’il convoitait depuis longtemps. Alors qu’il était Premier ministre, il caressait déjà le rêve d’être adoubé par Alpha Condé, qui aurait pu en faire son dauphin s’il n’avait pas décidé de briguer le troisième mandat qui causera sa chute. Rien ne prédisposait cet ancien proche de Lansana Conté à devenir le chef de gouvernement d’Alpha Condé. Il en fut même son opposant, de 2010 à 2013. Kassory rentre de dix années passées aux États-Unis, d’où il revient plein d’ambitions. « J’ai acquis de l’expérience à l’étranger, j’ai des ambitions. Je suis rentré définitivement pour me battre pour la liberté du pays », déclare-t-il alors à ses proches.
Convaincu par certains, dont Damaro Camara, qu’il est temps de revenir à Conakry, il fonde son propre parti, GPT (Guinée pour tous) – avec lequel il fera 0,6 % à la présidentielle de 2010. À la veille des législatives de 2013, il dénonce alors vigoureusement la gouvernance d’Alpha Condé et conspue un « système dictatorial ». « Le peuple de Guinée dit non au système de gouvernance actuelle fondée sur l’exclusion, non à l’ethnocentrisme comme politique de gouvernement, déclare-t-il. Ce peuple n’est pas prêt à accepter de revenir au système anachronique de parti-État que le RPG Arc-en-ciel veut mettre en place. »
Ce discours change brusquement au lendemain des législatives, qui lui permettent de faire élire un député à l’Assemblée. Il s’allie alors contre toute attente à Alpha Condé, dont il devient en 2014 le ministre à la présidence en charge des questions d’investissement et des partenariats public-privé. Un poste sur mesure pour ce commis de l’État, qui s’est fait à travers son ascension dans l’administration guinéenne, et qui fut aussi le ministre de l’Économie de Lansana Conté.
Une personnalité clivante
Le rapprochement s’opère peu à peu avec Alpha Condé, dont il devient le directeur de campagne en 2015. Grâce à son expérience, Kassory Fofana construit un réseau solide dans l’administration guinéenne, notamment dans le secteur financier. Mais il a aussi un autre avantage, et pas des moindres : natif de Forécariah, c’est un Soussou, comme l’ont été tous les Premiers ministres d’Alpha Condé. « Kassory représentait une sorte de caution pour Alpha Condé en Basse-Guinée, perçue comme la région des faiseurs de rois et une personnalité capable de neutraliser Sidya Touré, que Kassory déteste, sur ses propres terres », analyse un proche d’Alpha Condé.
En mai 2018, ce dernier décide donc à nommer Kassory à la primature, où il vient remplacer Mamady Youla. « Certes, Kassory n’a jamais pesé grand-chose politiquement, mais je crois que le président a toujours eu une certaine affection pour lui, ajoute ce même proche. Au sein du RPG, c’est resté une personnalité clivante. Il représentait une grosse prise pour le parti, mais sa nomination à la primature a forcément généré des rancœurs. » Au sein du RPG, sa désignation est une douche froide pour certains ténors, qui espéraient que leur longévité au sein du parti leur assurerait une place à la primature.
Contrait, lors de sa nomination, de fondre son parti, le GPT, dans le RPG d’Alpha Condé, Kassory Fofana attend son heure. En réalité, il accepte le poste en négociant une place de vice-président dans le projet de nouvelle Constitution qui germe déjà à Sékhoutouréya. La réforme constitutionnelle adoptée en 2020, le Premier ministre n’obtient rien. Malgré sa déception, il se mobilise pourtant dans la campagne présidentielle qui porte Alpha Condé au pouvoir, pour la troisième et dernière fois. Mais le président réélu s’isole et le met de plus en plus à l’écart. Aux ministres qui viennent le voir pour se plaindre, il répond : « Allez voir le vieux vous-mêmes, car il ne m’écoute plus. » « J’ai un contrat de deux ans avec le président. Après ça, j’irai planter mes choux ailleurs », déclare-t-il au lendemain de la présidentielle.
Comme l’ensemble de la classe politique guinéenne, le coup d’État de Mamadi Doumbouya viendra bouleverser ses plans. Désormais retenu par une junte décidée à faire table rase de la mauvaise gouvernance du passé, Ibrahima Kassory Fofana sait que son avenir politique s’écrit en pointillés. Il peut tout de même profiter d’une chose : depuis son incarcération, ses détracteurs s’abstiennent de s’exprimer publiquement sur son cas. « Le fait qu’il soit détenu empêche toute déclaration tapageuse de la part de ses adversaires politiques, observe un membre de son parti. Tout le monde, même ses soutiens, a fait le choix de se taire. » L‘alliance contre-nature du RPG avec l’UFDG de Cellou Dalein Diallo (lui aussi sous le coup d’une procédure judiciaire et hors de Conakry depuis des semaines) face à la junte est au point mort. Et dans les rangs de l’ancien parti au pouvoir, la question est brûlante : qui sera le prochain à tomber ?