Les crises succèdent aux crises, et l’Afrique ne cesse d’en faire les frais. La guerre en Ukraine a provoqué la hausse des prix du carburant, pénalise fortement le système énergétique du continent déjà mal en point. Selon le rapport de l’Agence internationale pour l’énergie (AIE) publié le 20 juin, l’accès à l’électricité y a diminué de 4 % entre 2019 et 2021, après une décennie d’amélioration. Et si l’on en croit les propos du directeur exécutif de cette Agence, Fatih Birol, cette tendance délétère devrait se poursuivre.
60 % des meilleures ressources solaires au monde
L’Afrique regorge de ressources naturelles capables d’alimenter les énergies renouvelables, telles que l’énergie solaire, éolienne, hydroélectrique et géothermique. D’après le rapport de l’AIE, ces dernières pourraient à elles seules fournir 80 % de la nouvelle capacité de production requise d’ici à 2030.
« La nouvelle économie mondiale de l’énergie qui émerge offre un avenir plus prometteur pour l’Afrique, avec un énorme potentiel pour le solaire et d’autres énergies renouvelables pour alimenter son développement – et de nouvelles opportunités industrielles dans les minéraux et l’hydrogène vert », précise Fatih Birol.
IL EST MORALEMENT INACCEPTABLE QUE L’INJUSTICE PERSISTANTE DE LA PAUVRETÉ ÉNERGÉTIQUE EN AFRIQUE NE SOIT PAS RÉSOLUE
Mais, pour ce faire, un effort massif doit être fourni au niveau des infrastructures. Selon l’AIE, si l’Afrique possède 60 % « des meilleures ressources solaires au monde », elle ne dispose que de 1 % de la capacité d’énergie photovoltaïque installée. L’investissement requis pour le continent est pourtant relativement faible à l’échelle mondiale : il représente 1 % des fonds déployés à l’international.
Avec un investissement annuel de 25 milliards de dollars, tous les Africains pourraient accéder à l’électricité à l’horizon 2030. « Il est moralement inacceptable que l’injustice persistante de la pauvreté énergétique en Afrique ne soit pas résolue alors qu’il est si clairement dans nos moyens de le faire », a déclaré le Dr Birol, ajoutant que « les banques multilatérales de développement doivent prendre des mesures urgentes pour accroître les flux financiers vers l’Afrique à la fois pour développer son secteur énergétique et s’adapter au changement climatique. »
Beaucoup de potentiel
Selon l’Autorité de régulation de l’énergie et du pétrole du Kenya (EPRA), le pays dispose de réserves géothermiques suffisantes pour multiplier sa capacité actuelle par huit. La RDC a quant à elle un énorme potentiel hydroélectrique. Riche de son long littoral et ses déserts, la Namibie est pour sa part très bien placée pour exploiter les énergie éolienne et solaire, ainsi que l’hydrogène.
Les conditions de l’industrialisation
Face à ces attentes vis-à-vis du continent, nombreux sont les dirigeants africains qui répliquent en déplorant que l’industrialisation de la région ne pourra se faire sans les énergies fossiles. Selon ces derniers, à ce jour, les énergies vertes ne peuvent pas remplacer l’intensité énergétique des hydrocarbures nécessaires au fonctionnement des usines, et ne peuvent donc pas répondre aux besoins d’une population urbaine en croissance rapide.
« Personne au monde n’a encore été en mesure de s’industrialiser en utilisant les énergies renouvelables », déclarait il y a quelques mois Yemi Osinbajo, vice-président du Nigeria, lors d’un évènement organisé par le cercle de réflexion « Atlantic Council ».
« Vous pouvez mesurer n’importe quel pays par la quantité de gaz qu’il a émis. Il y a une forte corrélation entre cela et le développement », y déclarait l’homme d’affaires et philanthrope Mo Ibrahim, qui a récemment publié par le biais de sa fondation un rapport destiné à plaider la cause de l’Afrique dans le débat sur le climat.
Lors du dialogue des Nations unies sur l’énergie en septembre 2021, António Guterres reconnaissait que « la transition énergétique de l’Afrique appelle à des mesures pragmatiques pour maintenir la compétitivité du continent », et qu’« aucune voie de transition énergétique nationale ne sera identique». Cet état de fait appelle donc à renouveler la réflexion sur l’approche de l’Afrique en matière d’accès, de mix et de transition énergétiques, y compris sur le rôle du gaz naturel dans ce processus.
Gaz naturel : précieux carburant de transition
Malgré l’importance accordée aux énergies renouvelables, l’AIE elle-même explique que 90 milliards de mètres cubes de gaz naturel supplémentaires devraient être produits chaque année d’ici à 2030 pour permettre à l’Afrique de poursuivre son développement. « Alors que les énergies renouvelables sont la force motrice du secteur de l’électricité en Afrique, l’industrialisation du continent repose en partie sur l’expansion de l’utilisation du gaz naturel », peut-on lire dans la note de l’organisme.
L’Égypte, l’Algérie, le Sénégal et le Nigeria produisent actuellement environ 240 milliards de mètre cube de gaz naturel chaque année. En tout, deux tiers sont consommés sur le continent, et le reste est exporté par le réseau de pipeline ou sous forme de gaz naturel liquéfié (GNL).
D’après Fatih Birol, « si tous les 5 000 milliards de mètres cubes de réserves de gaz naturel connues et inexploitées en Afrique étaient développés, les émissions de ces projets ne feraient qu’augmenter la part de l’Afrique dans les émissions mondiales de 3 à 3,5 % ». Il parait donc clair que cette ressource est très prometteuse pour le développement du continent, notamment pour les industries d’engrais, d’acier, de ciment et du dessalement de l’eau.
Préparation de la COP27
L’Africa Energy Outlook de l’AIE précède la Conférence des Nations unies sur le changement climatique COP27 qui aura lieu en Égypte.
L’Afrique, qui représente actuellement 17 % de la population mondiale, ne consommait que 3 % de l’énergie consommée dans le monde en 2020, selon l’Analyse statistique de BP sur l’énergie mondiale. D’après l’Agence internationale de l’énergie (IEA), la consommation électrique moyenne par habitant du continent n’est que de 600 kilowattheures (kWh) en moyenne par an, contre environ 3 200 kWh à l’échelle du monde, 6 100 kWh pour l’Union européenne (UE) et 4 600 kWh pour la Chine.